20 Jan

90 minutes : un incroyable match de football arbitré par Yannick Grossetête

90minutesSi je vous dis 90 minutes, vous pensez à quoi ? À un match de football ? Bravo. C’est aussi le titre d’une bande dessinée savoureuse sur le monde du ballon rond signée par un passionné, un vrai, et publiée en ce tout début d’année aux éditions Delcourt…

Il faut l’être passionné pour avoir ce regard aiguisé et dégainer un humour pareil sur l’univers du ballon rond. Yannick Grossetête – on ne rit pas des noms de famille s’il vous plait – est un passionné, un vrai, et même plus que ça puisqu’il est devenu gardien titulaire au FC Saulieu dès l’âge de 11 ans. Sa bio précise même qu’il a été remarqué par Guy Roux – oui absolument – et qu’il a ainsi intégré le centre de formation de l’AJ Auxerre. Ce n’est plus de la passion à ce niveau là, c’est de la dévotion. Bon, l’histoire dit aussi que son penchant pour le pâté en croûte aurait finalement eu raison de son désir de carrière internationale. Ce n’est pas moi qui l’en blâmerait. J’ai toujours eu un faible pour le pâté en croûte et autres petites gourmandises caloriques, beaucoup moins pour le foot.

Mais je m’égare. Même s’il s’agit là d’une reconversion un peu forcée, Yannick Grossetête – on ne rit pas des noms de famille s’il vous plait je vous l’ai déjà dit – signe avec 90 minutes un premier album franchement hilarant mettant en scène des arbitres de touche qui auraient préféré être majorettes, des supporters qui chantent la chenille, des stadiers prêts à confier leurs femmes à n’importe qui le soir des matchs et des footballeurs qui jouent comme des pieds, prennent le ballon à pleines mains, mangent de la raclette à la mi-temps, changent d’équipe en plein match pour rééquilibrer le score… bref du grand n’importe quoi, on se marre à toutes les pages, le dessin participe à la rigolade, je ne dirai pas que l’album est génial de peur que l’auteur s’empresse de prendre la grosse tête (non pardon désolé je n’aurais pas dû!) mais quand même !

Eric Guillaud

90 minutes, de Yannick Grossetête. Editions Delcourt. 15,95€

© Delcourt / Grossetête

© Delcourt / Grossetête

 

19 Jan

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême du 25 au 28 janvier : les 10 bonnes raisons d’y aller

C’est LE rendez-vous de la bande dessinée en France et plus largement en Europe, un festival unique en son genre où se côtoient chaque année des dizaines de milliers de passionnés et de professionnels. Dédicaces, expos, concerts de dessins, rencontres, conférences, projections… le programme est gargantuesque. Qu’y faire, qu’y voir ? On vous donne dix bonnes raisons d’y aller faire un tour. Mais il y en a beaucoup d’autres…

©MaxPPP - Fabien Cottereau

©MaxPPP – Fabien Cottereau – Angoulême 2017

 1 – La ville d’Angoulême et le farci charentais

Ben oui, mine de rien, c’est important le cadre d’une manifestation comme celle-ci. La ville d’Angoulême s’y prête bien, ni trop grande, ni trop petite, de vastes places pour dresser chaque année les fameuses bulles du festival, mais aussi des petites placettes qui ont conservé le charme d’antan, des restos sympas pour se restaurer, une vieille ville avec des ruelles tortueuses, une gare, des hôtels… et une atmosphère paisible, du moins en temps normal. Parce que bien sûr au moment du festival, ça se bouscule un peu beaucoup énormément. Reste que la ville est belle, levez les yeux, admirez l’architecture, profitez-en pour visiter les monuments et manger du melon charentais. Bon ok, ce n’est pas vraiment la saison. Par contre, le farci charentais…

Où ? Angoulême 45° 38′ 56 » nord, 0° 09′ 39 » est

2 – L’expo Cosey

Bernard Cosendai, dit Cosey, est un auteur majeur du neuvième art et un auteur singulier, non pas parce qu’il est suisse et que les auteurs de BD suisses sont finalement relativement peu nombreux (ouuuu la mauvaise langue!)  mais parce qu’il a su développer en cinquante ans d’écriture et de dessin une oeuvre exceptionnelle, belle, réaliste, intimiste, humaniste. 

Élu Grand Prix du Festival d’Angoulême en 2017, le créateur de la série culte Jonathan, auteur par ailleurs d’une bonne quinzaine de one shots plus essentiels les uns que les autres (À la recherche de Peter Pan, Le voyage en Italie, Le Bouddha d’azur…), publiait il y a quelques semaines un nouvel album chez Futuropolis, Calypso, un Cosey un peu différent des autres, en noir et blanc, surprenant, sublime, délicat, et d’ores et déjà incontournable. Nous vous en parlions ici-même.

Avec Cosey, l’aventure est souvent intérieure mais elle embarque tout de même le lecteur pour d’autres horizons, le Tibet bien sûr qui imprègne son oeuvre d’une subtile touche de spiritualité, et les États-Unis qui l’ont fortement influencé dans l’écriture, notamment à travers le cinéma.

La rétrospective qui lui est consacrée cette année à Angoulême nous permettra d’admirer plus d’une centaine d’originaux et de documents exceptionnels.

Où et quand ? Hôtel Saint-Simon du 25 au 28 janvier 2018

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3 – L’expo Titeuf et la masterclass Zep

Encore un Suisse, comme quoi ils sont plus nombreux qu’on le pense, celui-ci s’appelle Zep, le papa du phénomène Titeuf. Des millions d’albums vendus dans 25 langues différentes, une série animée, un long métrage… et un personnage qui fête ses 25 ans.

À cette occasion, le festival lui consacre une rétrospective qui reviendra sur les débuts controversés du personnage et sur l’influence de ce garnement sur la bande dessinée.

Zep sera présent au festival, il y présentera le quinzième album de Titeuf, À fond le slip!, sorti en août dernier. Il proposera surtout une masterclass express en public.

Où et quand ? Exposition sur le parvis de l’Hôtel de ville d’Angoulême du 25 au 28 janvier 2018 – masterclass à l’Espace Franquin le 28 janvier à 10h30

4 – Une dédicace de Spirou

Bon ok, obtenir une dédicace de Spirou sera difficile ! De Tintin aussi. Des Nombrils pareil. Qu’on se le dise, les héros de papier ne dédicacent jamais. Mais leurs auteurs par contre… 2000 d’entre eux et d’entre elles sont annoncés sur le festival prêts à dégainer les pinceaux, vous devriez donc trouver dédicace à votre goût. Il faut simplement être patient, très patient, et surtout pas agoraphobe. Prévoyez de l’eau, un petit en-cas, de la lecture… et des sujets de conversation pour discuter avec votre voisin de file d’attente.

Où et quand ? Un peu partout et un peu tout le temps

5 – Le concert dessiné

Mettre le dessin en musique ou l’inverse, mettre la musique en images, c’est le challenge de cet événement organisé par le FIBD en partenariat avec le festival Jazz à Vienne. Cette année, la scène du théâtre d’Angoulême assistera à la rencontre de deux artistes atypiques, le dessinateur Rubén Pellejero d’un côté et la chanteuse Rokia Traoré de l’autre. Sachez que le concert dessiné sera retransmis en direct sur le site Culturebox ici-même.

Où et quand ? Concert dessiné le 26 janvier à 21h au théâtre d’Angoulême. 30€

6 – Les bulles

Les fameuses bulles du festival abritent les éditeurs sur la place du Champ de Mars. Casterman, Glénat, Delcourt, Dupuis… tous les plus grands éditeurs y tiennent un stand pour accueillir le public, exposer leurs BD et proposer des séances de dédicaces autour de leurs auteurs. Les mangas, le para-BD et la BD alternative ont leur propre espace. Indispensable, munissez-vous d’un plan et vous verrez que c’est toute la ville qui est aux couleurs de la BD avec de multiples espaces d’expositions, de rencontres, d’animations…

Où et quand ? Un peu partout du 25 au 28 janvier

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7 – Le concours de cosplay

Pour la 4e année consécutive, le festival vous propose de participer ou d’assister à un concours de cosplay. C’est quoi un concours de cosplay ? C’est un concours, jusque là c’est assez simple, voué à départager des passionnés donnant vie à des personnages de manga qu’ils affectionnent particulièrement en se maquillant, se déguisant, se coiffant, imitant leur attitude. Les inscriptions pour y participer sont ouvertes jusqu’au vendredi 27 janvier 2017 à 23h59.

Où et quand ? samedi 27 janvier à 17h aux Cinémas CGR

© extrait affiche concours Cosplay - Axel

© extrait affiche concours Cosplay – Axel

8 – Les rencontres internationales, conférences…

Elles sont nombreuses et rythment la vie du festival sur des thématiques variées, l’occasion d’approfondir vos connaissances sur le medium bande dessinée et d’approcher des auteurs d’envergure nationale ou internationale tels que Cosey, Emmanuel Guibert, Hiro Mashima, Gipi, Dave McKean, Naoki Urasawa…

Où et quand ? Un peu partout un peu tout le temps

9 – Les fauves

Composé de 9 Prix dénommés les Fauves d’Angoulême, le Palmarès officiel du Festival international de la bande dessinée récompense des livres publiés en langue française, quel que soit leur pays d’origine, et diffusés dans les librairies des pays francophones entre début décembre et fin novembre de l’année suivante. 

Les lauréats des Fauves d’Angoulême composant le palmarès officiel du Festival seront dévoilés sur la scène du Théâtre d’Angoulême lors de la cérémonie des Fauves, samedi 30 janvier 2016 à 19 h. Soirée très très très attendue et courue par le tout neuvième art, il est bien évidemment très difficile de décrocher une place. Mais rien n’est perdu puisqu’elle est retransmise sur le site internet du festival.

Où et quand ? Samedi 27 janvier au Théâtre d’Angoulême

© Rue de Sèvres / Sfar

© Rue de Sèvres / Sfar

10 – Le bal des Vampires

Attention, attention, les petits et grands morts-vivants seront de sortie dimanche pour le bal de vampires à l’occasion de la résurrection aux éditions Rue de Sèvres du Petit Vampire de Joann Sfar. Atelier costumes le matin, atelier maquillage l’après-midi, bal à l’heure du goûter ! Pensez à réserver.

Où et quand ? Au Magic Mirror dimanche 28 janvier de 15 à 17h

Eric Guillaud

Plus d’infos sur le festival ici

Le Prix franceinfo 2018 attribué à Brigade des mineurs de Raynal Pellicer et Titwane aux éditions de La Martinière

Brigade-des-mineursC’est l’un des Prix les plus importants dans le monde du neuvième art. Il récompense chaque année depuis 24 ans le travail d’auteurs posant un regard sur l’actualité. Brigade des mineurs de Raynal Pellicer et Titwane nous embarque aux côtés des policiers de la Brigade de protection des mineurs (BPM) pour un récit aussi poignant que pudique…

Après Joe Sacco, Tignous, Marjane Satrapi, Denis Robert, Emmanuel Lepage, Emmanuel Guibert ou encore Luz, ce sont Raynal Pellicer et Titwane qui recoivent le Prix franceinfo de la bande dessinée d’actualité et de reportage pour leur album Brigade des mineurs paru aux éditions de la Martinière.

Ce roman graphique est le troisième d’une série consacrée au travail des services de police. Raynal Pellicer et Titwane se sont d’abord intéressés à la Brigade de répression du banditisme (BRB) puis à la Brigade criminelle du 36, quai des Orfèvres avant de suivre pendant plusieurs mois dans leur quotidien les policiers de la Brigade des mineurs. Affaires d’inceste, de bébés secoués, de prostitution infantile… les deux auteurs témoignent du travail de ces hommes et femmes confrontés quotidiennement à l’horreur.

Eric Guillaud

16 Jan

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2018 : les trois auteurs en lice pour le Grand Prix sont… Corben, Ware et Guibert

Les 1230 auteurs et autrices qui ont participé au premier tour de l’élection du Grand Prix 2018 ont plébiscité les Américains Richard Corben (Monde mutant, La saga de Den…), Chris Ware (Jimmy Corrigan…) et le Français Emmanuel Guibert (Le Photographe, La guerre d’Alan).

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Le deuxième tour se déroulera du mercredi 17 au dimanche 21 janvier selon les mêmes modalités, rappelle le FIBD,  « avec le même collège de votants : à savoir tout auteur ou autrice de bande dessinée professionnel, quelle que soit sa nationalité, dont les oeuvres sont traduites, en français et diffusées dans l’espace francophone et ayant participé au premier tour est admis à voter pour l’élection du nouveau Grand Prix. Le vote s’effectue sous forme électronique, uniquement accessible aux autrices et aux auteurs, via le site dédié ». 

Le nom du nouveau Grand Prix sera annoncé le mercredi 24 janvier 2018 lors de la cérémonie d’ouverture de la 45e édition du Festival.

Eric Guillaud

14 Jan

L’Or maudit, la nouvelle chevauchée de Bouncer signée Boucq

9782344009604-LEn selle pour les grands espaces ! Cinq ans après le diptyque To Hell et And back, le cultissime Bouncer est de retour pour une dixième aventure dessinée mais aussi, c’est une première, scénarisée par Boucq…

« C’est un personnage extrêmement intéressant, psychologiquement, mais aussi physiquement à dessiner… », explique Boucq dans une interview récente, « Pour moi, c’est un héros parfait. Même s’il lui manque un bras ».

On comprend dès lors pourquoi l’auteur de La Femme du magicien, de Bouche du diable ou encore de la trilogie Face de Lune ne pouvait décemment pas attendre plus longtemps pour remettre son personnage en selle, quitte à s’emparer du scénario jusque là écrit par son comparse Alejandro Jodorowsky actuellement accaparé par le cinéma.

« Me retrouvant seul au scénario, on a beaucoup collaboré avec mon éditeur sur la rigueur et la cohérence… », précise l’auteur. Et fort logiquement, les amoureux de la série, plus largement du western, ne devraient pas être dépaysés, encore moins déçus. Le justicier manchot nous embarque dans une nouvelle chevauchée fantastique à travers les décors saisissants de beauté et de sauvagerie de l’Ouest américain. Avec son ami Job, le Bouncer part à la recherche d’une bande d’affreux salles et méchants qui a agressé l’horloger de Barro City, tué sa fille et kidnappé une autre gamine, tout ça dans le but de retrouver trace d’un trésor caché, le fameux trésor maudit du titre de l’album. Et si le Bouncer s’est promis de les retrouver et de leur faire mordre la poussière, la poursuite sera loin d’être une promenade de santé. Dans un pays où la nature et les hommes ont conservé un instinct sauvage, il faut se méfier de tout et de tout le monde…

« Ce que je trouve intéressant dans le western, c’est qu’il pose un cadre qu’on n’a pas besoin de définir. Le western, c’est l’homme dans ce qu’il a de plus pur. L’homme face à la nature, face aux animaux, face à tout ce qu’il peut lui-même déployer en bon comme en mauvais. Dans le western, on sait que la cruauté la plus excessive comme les actes les plus héroïques peuvent apparaître. On n’a pas besoin d’expliquer pourquoi. Tout cela est par essence présent. Ainsi, on peut aller directement dans le coeur du récit ».

Des paysages à pleurer de bonheur, des personnages au caractère trempé, un graphisme racé et inimitable, des dialogues ciselés et une histoire sans faille qui verra sa conclusion dans une deuxième volet à paraitre le 7 mars 2018, dans exactement deux mois… Que demandez de plus si ce n’est une part du trésor !

Eric Guillaud 

L’Or maudit, Bouncer (tome 10),  de Boucq. Éditions Glénat. 18€

© Glénat / Boucq

© Glénat / Boucq

11 Jan

Vivre en terre occupée : un voyage en Palestine, de Naplouse à Gaza, signé José Pablo Garcia

album-cover-large-35235Ce n’est pas la première fois que la bande dessinée s’intéresse à la Palestine, loin de là. Le journaliste et auteur de BD Joe Sacco pour ne citer que lui a signé quelques albums pour le moins remarquables sur la situation dans cette région du monde. Dans un style graphique très différent et une approche plus pédagogique que journalistique, l’Espagnol José Pablo Garcia nous offre aujourd’hui un nouveau témoignage tout aussi essentiel sur ce conflit qui n’en finit pas et ses conséquences directes sur la population…

Que connaissons-nous de la Palestine ? Assez peu de choses finalement. Bien sûr, les médias nous en parlent dès qu’une intifada pointe le bout de son museau, dès que l’aviation israélienne procède à des frappes sur la bande de Gaza en représailles à des tirs de roquettes, dès qu’un président se permet contre l’avis de tous – ou presque – de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Mais pour le reste ? Pour ce qui est de la vie quotidienne des gens ? Les difficultés pour se déplacer, travailler, se loger, nourrir les enfants, trouver de l’eau potable ? Rien, ou presque.

Pour Olivier Longué, directeur général d’Action contre la faim Espagne, il était nécessaire d’offrir « un autre point de vue sur la situation après cinquante ans d’occupation en donnant à voir les effets de cette occupation sur la vie quotidienne de plus de quatre millions de personnes ». C’est dans cette perspective qu’il a demandé à l’auteur de bande dessinée espagnol José Pablo Garcia de les accompagner une dizaine de jours en Palestine et d’en faire au retour une bande dessinée à destination du public.

Sensibiliser l’opinion, tel est l’objectif de cet album. « Notre volonté n’est pas de pointer du doigt des coupables… », dit encore Olivier Longué,« Nous nous contentons de rassembler des preuves, des faits, et d’être témoins des répercussions qu’engendre une occupation sur les personnes les plus vulnérables ».

De Naplouse à Hébron, en passant par Ramallah, Jérusalem ou la bande de Gaza, José Pablo Garcia nous raconte ce périple avec une approche didactique mais aussi très humaine. Sur près de 90 pages, Vivre en terre occupée témoigne de la difficile vie au quotidien de toute cette population avec des situations souvent intolérables, parfois ubuesques, incompréhensibles vues de l’Europe mais clairement exposées dans les pages de ce livre au graphisme sobre accompagné parfois d’un trait d’humour. On apprend beaucoup sans que ce soit un instant ennuyeux. un bouquin à acheter, laisser traîner, prêter, offrir…

Eric Guillaud

Vivre en terre occupée, de José Pablo Garcia. Éditions La Boîte à Bulles. 15€

© La Boîte à bulles / José Pablo Garcia

© La Boîte à bulles / José Pablo Garcia

07 Jan

Le Voile noir : une aventure au coeur de l’intégrisme religieux et du fanatisme signée Dodo et Cha

Couv LE VOILE NOIR.inddPeut-on rire de tout ? Du fanatisme religieux ? De la barbarie organisée au nom d’un dieu ? De la radicalisation des jeunes ? Ça peut sembler difficile de prime abord tant ces sujets sont forcément graves, sensibles et complexes. Pourtant Dodo et Cha en ont fait le pari. Le Voile noir, disponible dès le 17 janvier dans toutes les bonnes librairies, est une BD d’humour et d’aventure au coeur de l’actualité la plus sombre…

Bienvenue en Syrakie ! Ne cherchez pas sur une carte, vous perdriez votre temps, la Syrakie n’a pas d’existence concrète mais peut s’imaginer quelque part entre la Syrie et l’Irak. Dans ce pays presque imaginaire sévit un certain Bachad, qui passe son temps et ses nerfs à massacrer son peuple, mais aussi le Grand Khalifat, le G.K. pour les intimes, une organisation qui s’est donnée pour mission divine de combattre tous les mécréants du monde. Bref, une véritable poudrière comme on sait si bien en inventer dans la vraie vie.

D’ailleurs, ceux qui voient là une allusion à la Syrie, à son président Bachar el-Assad et à l’organisation État islamique ont tout compris. Le Voile noir est une fiction mais une fiction quasi-documentaire, en tout cas profondément ancrée dans la réalité, une fiction qui nous raconte le parcours d’une jeune femme moderne et courageuse, Gina, partie rejoindre les combattants d’Allah pour exfiltrer sa cousine Pauline radicalisée.

Sur le terreau d’un contexte abominable, d’une réalité insoutenable, Cha et Dodo parviennent à construire un récit franchement drôle, par le dessin, par les situations, par les dialogues, drôle mais jamais déplacé ou vulgaire. Le rire est une chose sérieuse avec laquelle il ne faut pas plaisanter, disait Raymond Devos. Cha et Dodo nous rappellent qu’il fait lui aussi partie intégrante de notre liberté !

Eric Guillaud

Le Voile noir, de Dodo et Cha. Éditions Casterman. 13,95€

© Casterman / Dodo & Cha

© Casterman / Dodo & Cha

05 Jan

Le Cirque de Minuit et Dans le Silence des Abysses… : les dernières traductions françaises de la saga Hellboy

hellboyT16Même si on ne cessera de regretter la semi-retraite (en tant que dessinateur) de Mike Mignola, il garde un œil avisé sur le devenir de sa plus belle création, Hellboy. Comme le prouve le dernier volume traduit en français de ses aventures bourrées de clins d’œil à la littérature fantastique du XIXe siècle et toujours aussi ensorcelantes…

Mike Mignola est un mec intelligent. Même si cela fait plus de dix ans qu’il a accepté de partager la destinée d’Hellboy avec d’autres dessinateurs, il n’est jamais très loin et continue d’en superviser les scénarios et la cohérence, assurant ainsi une certaine continuité. Après, chacun de ses disciples à son style avec des réussites diverses, même si aucun d’entre eux n’essaye vraiment de copier le maître.

De tous, l’anglais Duncan Fegredo par exemple est peut-être le plus fantasmagorique et le plus classieux. Des deux histoires que l’on retrouve ici dans le seizième tome des aventures du rejeton de l’enfer, celle qui signe (‘Le Cirque de Minuit’) est la fantasmagorique. Un jeune Hellboy (l’action se passe en 1948) faisant le mur y croise le chemin d’un mystérieux cirque ne s’animant qu’à la tombée de la nuit, Mignola établissant alors un parallèle périlleux mais réussi entre son destin et la légende de Pinocchio. Fourmillant de détails, le style de Fegredo rappelle bien sûr celui de son patron dans les séquences de la vie quotidienne mais prend vraiment son envol en quelque sorte lors des scènes d’hallucinations, grâce notamment à un subtil jeu de lumière qui entretient (volontairement) le doute sur la réalité ou pas des évènements.

Gary Gianni, lui, s’est surtout fait un nom en reprenant le flambeau de la série ‘Prince Valiant’ en 2004 mais dans le style, très 30’s, des strips originaux et en illustrant toutes les récentes rééditions de l’œuvre de Robert E. Howard (‘Conan’) parue sen France chez Bragelonne. Ce dessinateur est presque une anomalie en 2018, son style crayonné et assez figé rappelant beaucoup plus celui de l’avant-guerre, bien loin des standards de l’industrie des comics au XXIème siècle. Une patte très particulière qui, sur le papier, ne semble pas convenir à l’univers d’Hellboy… Sauf que ce n’est pas pour rien que ce grand lettré de Mignola, qui adore faire référence à ses auteurs classiques préférés, a dédié ‘Dans le Silence des Abysses…’ à Herman Melville et à son contemporain un peu oublié mais non moins excellent, William Hope Hodgson. Les visions de cauchemars semblant sortir d’un roman de Jules Vernes de ce drame nautique se passant sur une frégate de la seconde moitié du XIXème siècle commence et se termine comme un (mauvais) rêve, beau et terrifiant à la fois, suivant un peu le modèle de l’histoire qui l’a précédé. Un excellent cru !

Olivier Badin

Hellboy T16, Le Cirque de Minuit, de Mike Mignola, Duncan Fegredo, Gary Gianni et Dave Stewart, Delcourt, 15,50 euros

© Delcourt / Mike Mignola, Duncan Fegredo, Gary Gianni et Dave Stewart

© Delcourt / Mike Mignola, Duncan Fegredo, Gary Gianni et Dave Stewart

04 Jan

Essence : direction le purgatoire pour une virée totalement déjantée avec Fred Bernard et Benjamin Flao

790457_01Il suffit parfois de quelques lettres apposées sur une couverture pour avoir la garantie d’un grand moment de lecture. Et lorsque ces quelques lettres forment les noms de Fred Bernard et Benjamin Flao, alors le paradis n’est plus très loin…

En tout cas pour nous lecteurs. Car pour le personnage principal de ce récit, Achille Antioche, c’est une toute autre histoire. Pour connaître le paradis, cet amoureux de la belle mécanique va d’abord devoir passer par le purgatoire des pilotes et comprendre les raisons de sa mort. Car oui, avant même la première case du récit, Achille Antioche est mort. Mort dans une voiture qui n’est pas la sienne, une Porsche 911, plongée dans un étang gelé. C’est tout ce qu’on sait à ce stade du récit. Est-ce un accident ? Un meurtre ? Mystère…

En attendant de trouver la vérité, Achille Antioche tourne en rond dans le purgatoire à bord d’une Ford Mustang – autant se faire plaisir – avec pour seule préoccupation de trouver du carburant. Pied au plancher, les décors défilent au gré de ses envies, espaces désertiques ici, mégapoles fantomatiques là, ambiances post-apocalytiques plus loin… et pour l’aider à comprendre, à trouver la vérité, à la place du passager, une très belle jeune-femme. Elle ne veut pas donner son nom mais se présente comme son ange-gardien.

Ensemble, ils remontent le temps à vie allure, se faufilent entre vie affective, passion pour les belles voitures et sombre histoire d’espionnage, le tout sur fond de moteur à énergie infinie. Ça vous paraît bizarre ? Pas tant que ça…

L’année 2018 commence sacrément bien aux éditions Futuropolis avec cet album au format atypique, presque carré, et surtout à l’histoire complètement dingue, un road trip sans limite au pays des morts. On y croise une galerie de personnages plus déjantés les uns que les autres, quelques cinglés de l’asphalte aussi, James Dean et Gilles Villeneuve en tête, on se laisse embarquer dans un monde onirique à la fois familier et extraordinaire avant de redescendre sur Terre l’imaginaire gorgé de carburant pour l’hiver. Le scénario de Fred Bernard est grandiose et sans faille, le graphisme de Benjamin Flao largement à la hauteur, les couleurs somptueuses. Le paradis que je vous dis !

Eric Guillaud

Essence, de Fred Bernard et Benjamin Flao. Éditions Futuropolis. 27€

© Futuropolis / Bernard & Flao

© Futuropolis / Bernard & Flao

30 Déc

Après Noël, les étrennes. Direction les beaux livres…

9782800165783-couv-M800x1600Bon, Noël c’est fait ! Mais il reste encore le Nouvel An et ses étrennes pour offrir ou se faire offrir quelques beaux livres. Franquin, Serge Clerc, Frank Le Gall, Liberatore, Romain Gary… On vous donne quelques pistes ici.

À commencer par ce très beau livre qui ravira tous les fans du génialissime Franquin, un recueil réunissant toutes les couvertures réalisées par l’auteur pour les albums du journal Spirou (fabriqués à partir des invendus), 80 couvertures accompagnées de leurs esquisses, autant de petits chefs-d’oeuvre de dessin et de mise en scène. Les plus attentifs diront qu’il s’agit là d’une réédition. Et ils auront raison. En 2013, la maison d’édition célèbrait les 75 ans du journal Spirou avec une tripotée d’ouvrages portant sur ses auteurs, ses séries, ses personnages, tous plus beaux et indispensables les uns que les autres. Et parmi ces livres, figurait déjà Toutes les couvertures des recueils du journal de Spirou par Franquin mais dans une édition luxe tirée à seulement 2000 exemplaires et vendue 120€. Le revoici donc 9782723489744-Ldans une version moins luxueuse mais toute aussi jubilatoire et quatre fois moins chère. De quoi se régaler du trait de génie d’un des plus grands auteurs de la bande dessinée franco-belge sans trop se ruiner. Toutes les couvertures des recueils du journal de Spirou, par Franquin. Dupuis. 30€

Si je vous dis Ranx, vous me répondez ? Liberatore. Bingo. Le célèbre auteur italien se fit connaître en France dès le début des années 80 avec cette série aujourd’hui culte mais l’homme n’en était pas à son coup d’essai. Depuis le milieu des années 70, Liberatore multipliait les expériences graphiques, illustrations ou histoires courtes, pour différents supports médiatiques, notamment Libération, Métal Hurlant, Télérama ou encore L’Écho des Savanes… Petites morts (et autres fragments du chaos) réunit ces premiers travaux, d’autres plus récents, inédits pour la plupart en albums, des histoires parfois inachevées, un univers qui se met en place mais porte déjà en lui la marque de l’hyperréalisme et de l’ultraviolence façon sexe, drogue et rock’n’roll. Au scénario, son complice des débuts, Stefano Tamburini JAQUETTE SERGE CLERC NOIR[10538]mais aussi Daniel Varenne, Georges Wolinski ou encore Jean-David Morvan. Une petite curiosité ! Petites morts (et autres fragments du chaos), de Liberatore. Glénat. 35€

Le côté noir de la ligne Clerc ! La formule est belle, on l’aurait bien imaginée en couverture de cet ouvrage publié aux éditions Dupuis, elle ne restera finalement qu’une accroche dans le texte d’introduction signé Frédéric Prilleux. Noir, tout simplement, a été de fait choisi pour nommer cette quatrième et dernière intégrale consacrée à l’oeuvre de Serge Clerc, qui était l’un des chefs de file de la ligne claire aux côtés d’Yves Chaland, Ted Benoit ou encore Joost Swarte. Après Phil Perfect, Rock et Science-fiction, Noir réunit sur plus de 300 pages 9782754821537trente ans de création placée sous le signe du polar et de l’espionnage. Une mise en perspective chronologique composée de plus de 350 dessins et pages de bande dessinée assortis d’un dossier et de commentaires de l’auteur, un « labeur de dingue », pour citer Serge Clerc, qui nous plonge dans le côté sombre de son univers, rempli de privés, de durs à cuire, de femmes fatales, d’agents russes et autres personnages fascinants. Comme les précédentes, cette ultime intégrale est en édition numérotée et signée, avec frontispice. Sublime ! Noir, de Serge Clerc. Dupuis. 48€

Il ne s’agit pas d’une bande dessinée mais d’un roman cette fois, et pas n’importe quel roman puisque La Vie devant soi a valu à son auteur, Émile Ajar aka Romain Gary, le Prix Goncourt en 1975. Porté au cinéma en 1977 par Moshe Mizrahi avec Simone Signoret dans le rôle de Mme Rosa, La Vie devant soi n’a étonnamment jamais fait l’objet d’une adaptation en bande dessinée si ce n’est par Thierry Leprevost pour le magazine Je Bouquine. Les éditions Futuropolis en proposent aujourd’hui une magnifique version illustrée, avec aux crayons Manuele Fior, lauréat du Fauve d’or d’Angoulême de la meilleure bande dessinée en 2011 pour Cinq mille kilomètres par seconde (éd. Atrabile). Environ 80 illustrations accompagnent le texte intégral de Romain Gary, des illustrations au trait léger, sensible, aux couleurs douces. Une très belle façon de (re)découvrir un chef d’oeuvre de la littérature française. La Vie devant soi, de Romain Gary, illustré par Manuele Fior. Futuropolis. 26€

9782800167718-couv-M800x1600Théodore Poussin est de retour ! D’abord dans les pages du journal Spirou depuis le numéro spécial de Noël, bientôt en album, et enfin sous la forme d’une série de cahiers au tirage limité à 2500 exemplaires, offrant le récit dans une magnifique version en noir et blanc accompagnée d’une interview de l’auteur Frank Le Gall. Trois cahiers sur les quatre annoncés sont aujourd’hui disponibles. Le dernier le sera en février 2018. Le Dernier voyage de l’Amok est le nom de cette nouvelle aventure qui nous permettra de retrouver ce fantastique personnage de la trempe d’un Tintin ou d’un Corto Maltese dont il a hérité le goût du large, l’envie de voyages. Tout commence en 1928 à Dunkerque. Théodore est alors commis aux écritures à la Compagnie des chargeurs maritimes. Un travail de bureau sans horizon. Jusqu’au jour où il se décide à embarquer pour l’Indochine à la recherche d’un oncle disparu : le capitaine Steene. C’est le début d’une longue, très longue quête du côté de Haiphong, Singapour, Macassar, Bornéo ou encore Java. Aventure, exotisme, mystère… La série de Frank Le Gall est l’une des plus belles créations des années 80-90 et l’une des plus belles du Neuvième art tout simplement. Cahiers Théodore Poussin, de Frank Le Gall. Dupuis. 13€9782344024027-L

À la fois illustrateur, photographe, plasticien, dessinateur de BD, cinéaste et musicien, l’Anglais Dave McKean a élaboré depuis ses débuts dans les années 1980 une oeuvre quasi-expérimentale d’une très grande richesse, parfois complexe, toujours marquante, une oeuvre qui fait autant appel au dessin qu’à la peinture, à la photographie, au collage, et explore en permanence différentes approches narratives et graphiques du neuvième art. Son dernier opus, Black Dog : Les rêves de Paul Nash publié chez Glénat n’échappe pas à la règle. Ses 120 planches grand format nous embarquent dans les pas de Paul Nash, artiste de la première moitié du XXe siècle, peintre officiel de la première et de la deuxième guerre mondiale, profondément marqué par l’horreur des tranchées. Black Dog : Les rêves de Paul Nash est le fruit d’une commande de la commission artistique du centenaire de la Première guerre mondiale. Un récit fort, très fort, qui témoigne à sa manière de la guerre, des blessures, que dis-je des traumatismes légués à plusieurs générations d’humains. Essentiel ! Black Dog : les rêves de Paul Nash, de Dave McKean. Glénat. 25€

Eric Guillaud

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