12 Fév

Insulaires – petites histoires de Groix : un recueil tout carré tout mignon signé Prosperi Buri

9782365353175La Bretagne est un pays de légendes, on le sait, on les connaît pour certaines. Mais là où nous emmène l’auteur Prosperi Buri avec cet album paru aux éditions Warum, les histoires qu’on y raconte on encore plus la saveur de l’océan et du mystère. C’est l’île de Groix, un petit bout de terre au large de Lorient…

C’est un gros caillou jeté dans la mer, un gros caillou où se bousculent aujourd’hui les touristes, du moins à la belle saison. Mais hier, Groix était une île de pêcheurs, et même un haut lieu de la pêche au thon pendant une cinquantaine d’années, un endroit où la vie était peut-être un peu plus rude qu’ailleurs. Pendant que les hommes embarquaient pour de longues campagnes de pêche, sans pouvoir remettre les pieds chez eux durant des mois, les femmes ramassaient les crustacés, faisaient sécher les bouses de vache sur le pignon des maisons pour en faire du combustible et s’occupaient des jeunes enfants qui parfois disparaissaient à la faveur d’une intervention mystérieuse.

Le Korrigez, c’est le nom de cette intervention mystérieuse que Prosperi Buri définit comme une sirène mangeuse d’enfants. Elle permettait aux femmes de se débarrasser d’une progéniture non désirée à une époque où l’avortement était interdit. Un petit tour en bord de mer, le bébé dans le couffin et hop… Quand la nature ne peut plus rien faire, les légendes prennent le relais !

C’est par cette légende justement que s’ouvre l’ouvrage de Prosperi Buri avant d’enchaîner sur une série de petites histoires qui proviennent des lectures de l’auteur, lui-même groisillon, et des anecdotes qu’on a pu lui rapporter. On y parle en vrac de la Compagnie des Indes, des Naufrageurs, du Docteur Galleux, de l’abbé Uzel, d’envahisseurs, des vieux qui sont restés sur l’île, des jeunes qui en sont partis, des touristes qui vont et viennent…Un livre de caractère pour les amoureux de la Bretagne, des atmosphères insulaires et des petites histoires savoureuses…

Eric Guillaud

Insulaires – Petites histoires de Groix, de Prosperi Buri. Editions Warum. 15€

11 Fév

Mickey Maltese : quand deux figures emblématiques de la bande dessinée mondiale fusionnent !

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D’un côté, Mickey, poids lourd de l’imaginaire américain, de l’autre Corto Maltese, figure incontournable de la bande dessinée européenne. Deux univers différents, à priori incompatibles, pourtant réunis aujourd’hui sur une même couverture grâce à une adaptation étonnante signée Cavazzano, Enna et Zemolin aux éditions Glénat…

Un catamaran en plein Pacifique, au loin un naufragé attaché sur un radeau… Ces quelques indications suffisent à vous dire que vous avez déjà lu ça quelque part ? Effectivement, c’est en tout point le début de La Ballade de la mer salée, la première aventure de Corto Maltese imaginée dans les années 60 par l’immense Hugo Pratt.

Mais n’y voyez pas là un affreux plagiat ou une banale parodie, il ne s’agit même pas d’un hommage précise l’éditeur, non La Ballade de la souris salée est une relecture de l’aventure maltesienne, une adaptation dans l’univers de Mickey. Une adaptation assez fidèle sur le plan de l’histoire avec en lieu et place des personnages imaginés par Hugo Pratt, ceux de Disney, Mickey en Corto, Pat Hibulaire en Raspoutine ou encore Minnie en Bouche Dorée.

Côté graphisme, rien à redire, Giorgio Cavazzano travaille depuis des lustres pour Disney, tout d’abord comme encreur pour Romano Scarpa, puis en animant ses propres histoires de Donald ou Mickey. Un très bel album au dos toilé rouge et au format qui laisse toute la place au dessin. De quoi s’offrir une belle ballade !

Eric Guillaud

Mickey Maltese, La Ballade de la souris salée, de Cavazzano, Zemolin et Enna. Éditions Glénat. 17€

© Glénat / Enna, Cavazzano & Zemolin

© Glénat / Enna, Cavazzano & Zemolin

 

10 Fév

Courtney Crumrin : les aventures de l’adolescente apprentie sorcière rééditées en intégrale

CouvCCInew-1Désormais, dès qu’on cite les mots ‘enfants’, ‘sorcellerie’ et ‘fantastique merveilleux’, les gens pensent automatiquement Harry Potter, comme si le héros de JK Rowling représentait sans voie de recours l’alpha et l’oméga de ce désormais genre littéraire à part entière. Autant dire que Ted Naifeh (qui signe ici le dessin et le scénario) marchait sur un terrain sacrément miné en créant en 2002 pour une petite boîte indé US le personnage de Courtney Crumrin…

Voici l’histoire d’une petite pré-ado ronchonne avec une barrette en forme de chauve-souris et des parents quasi-invisibles qui semblent limite ignorer son existence et de son emménagement chez son grand-oncle. Un être taciturne qui se révèle être un sorcier qui va petit-à-petit l’initier aux arts interdits. Alors d’accord, ce pitch a priori assez classique pourrait laisser croire que le tout est avant tout à destination d’ados boutonneux qui croient qu’un t-shirt de Marilyn Manson et une paire de Doc Martin font de toi un « gothique ». Sauf que cette série qui a finalement accouché de six albums et quelques spin-offs va bien plus loin que ça.

D’abord grâce au trait de Naifeh, qui rappelle parfois celui du grand Mike Mignola la créateur de ‘Hellboy’ avec lequel il partage un goût certain pour le clair-obscur et une imagerie jouant justement à fonds sur le flou qu’il peut parfois exister entre imagerie enfantine et cauchemar adulte. Si chez lui les enfants ont des têtes, et bien, d’enfants, les monstres sont vraiment effrayants et semblent tout droit sortis d’un film d’horreur.

Mais c’est surtout au niveau du scénario qu’il se détache car comme son héroïne, le lecteur bascule constamment entre le monde dit ‘réel’ et celui caché qui vit une fois le soleil couché. Un monde qui fait, aussi, beaucoup pensé à l’univers de Tim Burton et où les gobelins se promènent en liberté dans la forêt, les enfants kidnappés la nuit à l’insu de leurs parents (et remplacés par des changelings) avant d’être vendus à la criée et où l’homme moderne n’a pas du tout sa place. Un bestiaire hétéroclite mais jamais gnangnan plein de références à la littérature fantastique populaire mais où Courtney Crumrin trône, grande gueule attachante qui ne se laisse jamais vraiment désarçonner. Et puis d’ailleurs, dans ce monde où rien n’est vraiment ce que l’on croit qu’il est, les ‘grandes personnes’ comme on dit sont bien souvent plus cruelles et plus effrayantes que ces monstres pas toujours assoiffés de sang mais avec leur morale et leurs règles bien à eux.

Si la première traduction française était en noir et blanc, cette nouvelle intégrale en trois tomes (avec deux histoires par livre) sort cette fois-ci en couleurs mais adaptées, c’est-à-dire tirant souvent sur le bleu foncé ou le violet et ne trahissant jamais l’ambiance crépusculaire et mystérieuse qui s’en dégage. C’est surtout une belle séance de rattrapage pour cette BD qui n’est pas vraiment à destination des enfants, ni de ceux qui ont peur des choses qui se cachent sous leur lit, vous savez celles qui attendent que vous vous endormiez pour vous manger…

Olivier Badin

Courtney Crumrin de Ted Naifeh, trois tomes, Akileos. 19 euros

© Akileos / Courtney Crumrin de Ted Naifeh

© Akileos / Courtney Crumrin de Ted Naifeh

Collection Aire Libre : 30 ans au service de l’imaginaire

C’est bien évidemment une époque que les moins de 20 ans ne peuvent connaître. Une époque pourtant essentielle, un tournant dans l’histoire du neuvième art, une révolution aux éditions Dupuis. En 1988, naissait la collection Aire Libre, 30 ans de bonheurs graphiques salués par une exposition à Angoulême cette année…

© éric guillaud - exposition 30 ans d'Aire Libre à Angoulême (janvier 2018)

© éric guillaud – exposition 30 ans d’Aire Libre à Angoulême (janvier 2018)

Sur une proposition de Jean Van Hamme qui venait de prendre la direction générale des éditions Dupuis, elle aurait pu s’appeler Air Libre, elle s’appellera finalement  Aire Libre après l’intervention de Philippe Vandooren. Une lettre de différence mais une lettre essentielle, avec cette nouvelle collection, la bande dessinée allait pouvoir explorer de nouveaux territoires. On ne parle pas encore de romans graphiques mais ça y ressemble bougrement, une bande dessinée qui touche autant à la fiction qu’au documentaire, à l’autofiction qu’à l’autobiographie, au drame qu’à la comédie, des one-shots essentiellement, quelques courtes séries aussi.

Le premier album portant la griffe Aire Libre fut un album de Cosey auquel le festival international de la bande dessinée vient le consacrer une très belle exposition. Le Voyage en Italie, publié en 1988 en deux volumes, réédité ultérieurement en monovolume, donne le ton d’une bande dessinée qui s’adresse en priorité aux adultes, une bande dessinée qui ouvre assurément en 30 ans et quelque 200 albums de nouveaux horizons graphiques et narratifs.

Avec Orchidea (1990), Saïgon-Hanoï (1992), Joyeux Noël, May! (1995), ou encore Le Bouddha d’Azur (2005), Cosey s’affirme comme l’un des piliers de la collection mais il ne sera pas le seul bien évidemment. Très vite le rejoignent Tome et Berthet pour le bouleversant Sur la route de Selma, Blain et son Réducteur de vitesse, Lax et Blier avec Amère patrie, Emmanuel Guibert avec Le Photographe, ou encore Cabanes, Davodeau, David B, Nicolas de Crécy, Jean-Claude Denis, Gibrat, Hermann… sans oublier en ce début d’année 2018 Yves Sente et Steve Cuzor avec cette histoire de guerre pas comme les autres, Cinq Branches de coton noir, qui a enthousiasmé le public et la presse dans un même élan et vient confirmer la collection Aire Libre dans son rôle de révélateur de talents pour les 30 prochaines années.

Eric Guillaud

31 Jan

Bleu amer : Des îles, des hommes et la guerre, une histoire de Sylvère Denné et Sophie Ladame

Bleu-amerSuzanne ne sourit plus. Est-ce l’effet de la guerre ? De la morne vie sur les îles Chausey ? Ou de son désamour pour Pierre, son mari ? Non, Suzanne ne sourit plus mais l’arrivée d’un étranger pourrait bien tout changer…

Nous sommes au printemps 1944. L’Allemagne s’attend à un débarquement des forces alliées, plutôt dans le nord de la France. En attendant, elle renforce ses positions un peu partout, un peu partout sauf sur les îles Chausey qu’elle a toujours considérées comme ne présentant aucun intérêt militaire stratégique. De fait, seule une patrouille y effectue régulièrement une visite. De la guerre, les insulaires n’en voient pas grand chose. Certains se sont engagés dans un sens ou dans l’autre, beaucoup ont choisi le quotidien, la pêche des bleus par exemple, comprenez des homards. C’est le travail de Pierre.

Entre lui et sa femme, Suzanne, ça ne va plus guère. Alors il boit et elle perd son sourire. Jusqu’au jour ou Pierre découvre un parachutiste américain gisant sur les rochers. Il le ramène chez lui, Suzanne le soigne. Mais sur l’île, son acte ne fait pas l’unanimité. Les gens ont peur de la réaction des Allemands. Alors la question se pose : faut-il prendre le risque de le cacher ou le livrer aux Allemands ? Faut-il résister ou collaborer ? Protéger sa vie et celle de ses proches ou celle de ces héros venus de loin risquer la leur pour défendre une certaine idée de la liberté ?

Bleu Amer est le premier album BD des Bretons Sylvère Denné et Sophie Ladame. Des dialogues qui vont à l’essentiel, un dessin esquissé façon carnet de voyage sur un papier kraft marron relevé de la seule couleur bleue, et au final des atmosphères intimes qui nous plongent immédiatement dans la vie de ce petit coin de Normandie qui se croyait oublié de la guerre et de ses tourments. Un très très beau bouquin, une très belle histoire, et deux auteurs à surveiller de près.

Eric Guillaud

Bleu amer, de Sylvère Denné et Sophie Ladame. Editions La Boîte à bulles. 19€

© La Boîte à bulles / Donné & Madame

© La Boîte à bulles / Donné & Madame

30 Jan

Tetris – Jouer le jeu, l’histoire d’une création qui a changé la face du monde des jeux vidéos, racontée par l’Américain Box Brown

On a tous joué un jour ou l’autre à Tetris, à en devenir parfois complètement dingos. Le livre de l’Américain Box Brown nous entraîne dans les arcanes de sa création. Enjeux financiers, politiques, batailles juridiques, tractations secrètes, le tout sur fond de guerre froide, Tetris – Jouer le jeu est bien plus qu’une BD documentaire sur l’un des jeux les plus populaires au monde, c’est un drôle de témoignage sur une période récente de notre histoire. Attention, sa lecture pourrait elle-aussi devenir addictive…

© éric guillaud

© éric guillaud – Box Brown

Pour tout vous dire, j’ai croisé l’auteur à Angoulême il y a quelques jours, un gars apparemment jovial prêt à dégainer le pinceau pour dédicacer. J’aurais pu l’interviewer, comme me le suggérait l’attachée de presse des éditions La Pastèque mais je n’avais pas encore lu son album. Alors, je l’ai photographié, sa bonhomie s’y prêtait bien, en me disant que si je chroniquais à l’avenir un de ses bouquins, au moins j’aurais sa trogne à vous montrer.

Et puis en revenant d’Angoulême, forcément épuisé, je tombe sur son livre resté sur mon bureau. Je le lis d’une traite. Son nom ? Tetris – Jouer le jeu. Tetris comme le jeu vidéo car oui c’est bien de lui dont il s’agit ici. Box Brown reprend tout au début, il remonte même à l’époque préhistorique où il a cru déceler le début des jeux dans les peintures rupestres. Tout ça pour vous dire que le gars est un pointu dans le domaine et un mordu, car non seulement il est auteur de BD, éditeur à ses heures, mais aussi joueur invétéré de jeux vidéos. Il l’avoue dans ce livre et remercie au passage sa famille de supporter cette passion qu’on imagine chronophage.

9782897770143Et de nous raconter comment un certain Alekseï Pajitnov, ingénieur informatique de profession, russe de nationalité, a inventé et développé ce jeu au début des années 80 sur son temps libre, avant de le partager avec ses proches puis des moins proches, puis au delà, jusqu’à ce que le verdict tombe : ce jeu rendait totalement addicts tous ceux qui y touchaient. C’était dés lors une certitude, Tertris allait traverser le rideau de fer et conquérir le reste de la planète. Une véritable success-story (plus de 170 millions d’exemplaires vendus) mais une succès-story qui eut aussi sa part d’ombre. Devant une affaire qui s’annonce pour le moins juteuse, les requins montrent leurs dents et les enjeux dépassent vite la volonté initiale et ludique de l’inventeur. 

Faut-il être un mordu des jeux vidéos et notamment de Tetris pour apprécier l’album ? Non, je ne le suis moi-même absolument pas. Le récit de Box Brown est certes minutieux, détaillé, documenté, mais jamais rébarbatif. Ses planches en bichromie et son trait enfantin et épuré apportent un peu de légèreté au propos. Une oeuvre originale !

Eric Guillaud

Tetris – Jouer le jeu, de Box Brown. Editions La Pastèque. 19€

28 Jan

Le Couteau dans l’arbre : La 26e aventure de Jérôme K. Jérôme Bloche

9782800170985Il devait partir pour un week-end en amoureux à Venise avec sa douce et tendre Babette mais il n’ira pas. Ou plus exactement, ils n’iront pas. Alors forcément Babette est un peu furax mais c’est pour la bonne cause. La fille du patron de l’oncle de Jérôme a disparu et il faut bien quelqu’un pour la retrouver…

« Babette, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est qu’on peut se faire rembourser nos réservations en ligne pour Venise ». La suite, on la devine. Il n’est pas fier notre Jérôme mais quand même il ne peut décemment pas jouer au touriste moyen alors qu’une gamine de 11 ans a disparu !

Direction Bergues, charmante bourgade du département du Nord où son oncle, sa tante et sa grand-mère l’accueillent chaleureusement, enfin les accueillent puisque Babette a suivi le mouvement. Mais l’heure n’est pas aux palabres. Il faut retrouver la gamine et l’affaire ne s’annonce pas aussi simple qu’il y paraissait au départ. La fugue pressentie un moment n’en serait pas une…

Bon, vous pouvez me dire ce que vous voulez sur cette série créée par Dodier il y a maintenant 36 ans, mon idée est faite depuis longtemps. Jérôme K. Jérôme Bloche est un personnage unique dans le monde du neuvième art, un être de papier délicieusement attachant, humain, sensible, peut-être un peu lunaire, un détective privé qui n’aime pas les intrigues mais adore les résoudre. Pas de courses poursuites tonitruantes, pas de gros calibres, pas de grosses Chevrolets, pas d’héroïnes aux super-pouvoirs ou à la poitrine surdimensionnée, non, les aventures de notre Jérôme national, son créateur est belge mais bon, sont toujours proches de nous, jamais loins de nos préoccupations, en tout cas à portée de solex, son moyen de transport préféré, même si, pour les besoins du scénario, il a dû cette fois troquer son fameux Solex pour une authentique Motobecane équipée biplace. Le quotidien, toujours le quotidien…

Coté narration et graphisme, c’est du Dodier, du grand Dodier, pas de mauvaises surprises, l’ensemble est cohérent, maîtrisé jusqu’aux couleurs toujours douces malgré le propos parfois un peu plus grave.
Eric Guillaud

Le Couteau dans l’arbre, Jérôme K. Jérôme Bloche (tome 26), de Dodier. Éditions Dupuis. 12€

© Dupuis / Dodier

© Dupuis / Dodier

Le palmarès 2018 du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (FIBD)

Temps froid, très très froid même aujourd’hui à Angoulême où se sont pressés plusieurs dizaines de milliers de fans du neuvième art. Le soleil annoncé pour l’après midi n’a finalement jamais montré le bout d’un rayon. La seule température positive a été enregistrée du côté du théâtre d’Angoulême ou se réunissait ce soir le gratin de la profession pour découvrir et applaudir (enfin normalement!) le palmarès 2018, un palmarès qui fait la part belle aux petits, voire aux très petits éditeurs. Seuls Delcourt et Dargaud parmi les mastodontes s’en sortent pas trop mal…

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Le Fauve d’or à La Saga de Grimr de Jérémie Moreau aux éditions Delcourt

Le Fauve d’Angoulême – prix du public Cultura à Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion Montaigne aux éditions Dargaud

Le Fauve d’Angoulême – prix spécial du jury à Les Amours suspendus de Marion Fayolle aux éditions Magnani

Le Fauve d’Angoulême – prix de la série à Happy Fucking Birthday de Megg Mogg &  Owl, Simon Hanselmann aux éditions Misma

Le Fauve d’Angoulême – prix révélation à Beverly de Nick Drnaso aux éditions Presque Lune

Le Fauve d’Angoulême – prix jeunesse à La Guerre de Catherine de Julia Billet et Claire Fauvel aux éditions Rue de Sèvres

Le Fauve d’Angoulême – prix du patrimoine à Je suis Shingo tome 1 de Kazuo Umezu aux éditions Le Lézard noir

Le Fauve Polar SNCF à Jean Doux et le Mystère de la disquette molle de Philippe Valette aux éditions Delcourt

Le Fauve d’Angoulême –  prix de la bande dessinée alternative à Bien Monsieur #8 collectif

Les autres prix

PALMARÈS DES PRIX DÉCOUVERTES 
  • PRIX DES ÉCOLES
Bulshido T.1 de Gobei & Thierry Gloris, éditions Dupuis 
  • PRIX DES COLLÈGES 
Le Collège noir T.1 d’Ulysse Malassagne, éditions Grafiteen 
  • PRIX DES LYCÉES 
Bâtard de Max de Radiguès, éditions Casterman 
CONCOURS DE LA BD SCOLAIRE
  • PRIX D’ANGOULÊME DE LA BD SCOLAIRE
Muflon de Pablo Raison
  •  PRIX ESPOIR DE LA BD SCOLAIRE
La Boucle infernale de Nathan Le Marec
  • PRIX DU SCÉNARIO DE LA BD SCOLAIRE 
Xavier de Sami Jemli
  • PRIX GRAPHISME DE LA BD SCOLAIRE 
Georgio, de Chloé Bertschy
JEUNES TALENTS
  • PRIX JEUNES TALENTS
Premier Lauréat : Louisa Vahdat
Deuxième Lauréat : Lisa Herberer
Troisième Lauréat : Thibault Gallet 
  •  PRIX JEUNES TALENTS RÉGION
Thomas Carretero
CHALLENGE DIGITAL
Premier Lauréat : Sophie Taboni et Nicolas Catherin avec Ici tout va bien 
Deuxième Lauréat : Chien-Fan-Liu avec Plongée
Troisième Lauréat : Philippe Rolland avec Electrozz – La Souris électrique 

 

24 Jan

Le journal de Marianne : Le Nantais Baptiste Chouët au chevet d’une République déprimée

Journal-de-MarianneAttentats, état d’urgence, Brexit, crise des migrants, Trump, montée du FN… oui, il y a de quoi voir la vie en noir depuis quelques temps. Pour Marianne, c’est bien simple, c’est la déprime totale. Sous la plume et le pinceau de Baptiste Chouët, la figure symbolique de la République française accepte de nous confier ses humeurs, ses joies, ses peines, dans un journal intime qui pourrait paradoxalement nous remonter le moral ou en tout cas nous faire remonter les manches…

« Dieu, Mais que Marianne était jolie, Quand elle marchait dans les rues de Paris, En chantant à pleine voix, « Ça ira, ça ira, toute la vie ». Ces quelques vers vous parlent ? Ils sont de Michel Delpech, une chanson en hommage à notre belle Marianne. C’était en 1972 ! Le ton est déjà à la mélancolie, à la nostalgie des « printemps qui brillaient sous son soleil », allusion bien évidemment à mai 1968.

Depuis, Marianne en a vu de toutes les couleurs, de quoi parfois en perdre la tête, de quoi surtout se payer une bonne déprime. Le récit de Baptiste Chouët commence le 21 septembre 2015, le jour de son anniversaire. 223 ans et pas un pékin moyen pour le lui souhaiter. Et comme si tout ça ne suffisait pas, il pleut !

Naître le premier jour de l’automne, ça vous prédestine à la dépression

Coiffée de son bonnet phrygien et très très légèrement vêtue, notre belle Marianne a décidé de nous raconter sa vie ou plus exactement les trois dernières années de sa vie, c’est peu eu égard son grand âge mais il faut bien reconnaître qu’il y en a des choses à dire et des larmes à sécher.

Fini le bon temps où tout le monde se battait pour elle. Marianne fait tellement partie du paysage qu’on l’aurait presque oubliée. Mais elle s’est subitement rappelée à nous en novembre 2015 avec les attentats meurtriers de Paris. Marianne était-elle à nouveau en danger ? Le peuple allait-il devoir battre une nouvelle fois le pavé comme en janvier après l’attentat contre Charlie Hebdo ?

Tu dirais que mon problème c’est que je suis : A/ auto-centrée, B/ Peu sûre de moi, C/ trop narcissique ?

Marianne s’interroge, doute, ne dort plus, pleure, s’énerve… L’actualité se bouscule, les attentats se succèdent, l’Angleterre annonce son départ de l’Europe, les exilés meurent par milliers dans la Méditerranée, le Front National arrive au deuxième tour de l’élection présidentielle…, son journal intime est un chapelet de mauvaises nouvelles qui pourraient nous faire sombrer dans la morosité nous aussi pauvres lecteurs.

Mais c’est finalement le contraire qui se passe. Bien sûr, on peut la critiquer, avoir envie parfois d’en changer ou carrément d’en finir avec elle mais le livre de Baptiste Chouët, son premier, et les confidences de son héroïne Marianne ont pour effet de nous réveiller. Il faut être fier de Marianne, la protéger, lui chanter des chansons, lui fêter son anniversaire tous les jours, lui offrir des fleurs, lui dire qu’on l’aime… parce que concrètement, est-ce qu’on a fait mieux que la République quelque part ? Est-ce qu’on a mieux que Marianne ? Non ? Et puis merde, un buste de Marianne, ça a quand même plus de gueule qu’une statue de Kim Jong-un…

Non mais allô quoi! T’es une République et t’es pas corrompue ? Aaallô!

En conséquence je déclare Le Journal de Marianne livre d’utilité publique. « Dieu, Mais que Marianne était jolie, Quand elle embrasait le cœur de Paris, En criant dessus les toits : Ça ira ! Ça ira ! Toute la vie. »

Eric Guillaud

Le journal de Marianne, de Baptiste Chouët. Éditions Marabout. 17,95€

23 Jan

Cinq Branches de coton noir : entre deuxième guerre mondiale et lutte contre la ségrégation raciale, le parcours de trois soldats noirs raconté de main de maître par Yves Sente et Steve Cuzor

Capture d’écran 2018-01-21 à 16.17.05Et si le tout premier drapeau des États-Unis avait comporté une étoile noire en hommage au peuple afro-américain pour sa participation à la construction de l’Union. C’est à partir de ce postulat, de ce « Et si… » en quelque sorte, que les auteurs Steve Cuzor et Yves Sente ont déroulé l’histoire de Cinq branches de coton noir, un roman graphique extraordinaire qui vient à point nommé marquer les 30 ans de la collection Aire Libre des éditions Dupuis…

Trente ans. Et quelques-unes des plus belles réussites de la bande dessinée franco-belge à son actif ! La collection Aire Libre, c’est Voyage en Italie de Cosey, SOS Bonheur de Van Hamme et Griffo, Le Bar du vieux français de Stassen et Lapière, Le Photographe de Guibert, Lefèvre et Lemercier ou encore Portugal de Pedrosa, c’est beaucoup de one shots et quelques séries courtes qui partagent la même exigence et sont pour la plupart devenus des références.

Avec Cinq Branches de coton noir, les auteurs Steve Cuzor et Yves Sente signent le dernier album en date de la collection mais surtout un récit époustouflant, une fiction qui prend racine dans l’histoire avec un grand H, la guerre d’indépendance des États-Unis d’un côté, la deuxième guerre mondiale de l’autre. Avec des allers-retours entre les deux époques et une même question : pourquoi l’homme noir ne vaudrait pas l’homme blanc ? Une question qui dénonce bien évidemment la ségrégation raciale qui fût active aux États-Unis jusqu’au milieu des années 60 et connait encore aujourd’hui quelques soubresauts nauséabonds. Ça, c’est l’histoire avec un grand H.

© Dupuis / Cuzor et Sente

© Dupuis / Cuzor et Sente

Pour ce qui est de l’histoire avec un petit h, Cinq branches de coton noir propose une fiction mais une fiction de l’ordre du possible, du vraisemblable.

« je me suis documenté pour traiter les scènes situées dans les années 1770… », explique Yves Sente, « J’ai fait en sorte que rien ne puisse être démenti par un historien. Pour le reste, j’ai cherché à tisser des liens entre divers faits avérés. Le rôle d’un scénariste consiste aussi à inventer et à « combler les trous » laissés par la recherche historique ».

Cette fiction commence en mai 1944 en Angleterre dans un camp militaire fantôme, un leurre pour détourner l’attention des forces allemandes. C’est l’opération Fortitude. Ici, les chars alignés par centaines sont aussi légers que l’air et le nombre de soldats est réduit au strict minimum, une poignée de soldats, noirs pour la plupart, non désirables sur le front où se battent les « vrais » Américains, les Blancs.

Parmi ces hommes noirs, Lincoln. Son rêve ? Participer comme tout Américain à la victoire et en devenir un de ses héros. L’occasion lui est finalement donné de rejoindre le front avec deux de ses camarades pour une mission périlleuse : infiltrer les colonnes allemandes et récupérer le tout premier drapeau américain conçu en 1776 par Betsy Ross, à la demande de George Washington, volé sur un champ de bataille par un mercenaire allemand dont le descendant serait aujourd’hui officier dans la Wehrmacht. Outre le fait que ce drapeau serait le premier, il aurait dit-on comporté une étoile noire cousue à l’époque par une servante de Betsy Ross. Tout un symbole !

« Il s’agit d’une pure fiction… », poursuit Yves Sente, « Mais je connaissais l’histoire de Betsy Ross et, à partir de là, mon imagination s’est mise en route. À l’origine d’un scénario, on retrouve toujours la même question : « Et si… ? » Et si le tout premier drapeau américain n’avait pas disparu ? Puisque les Anglais avaient fait appel à des mercenaires d’origine germanique, il pouvait très bien se trouver quelque part en Allemagne… ».

© Dupuis / Cuzor et Sente

© Dupuis / Cuzor et Sente

Au delà du périple des trois soldats noirs américains sur les champs de bataille de l’après débarquement, Cinq Branches de coton noir témoigne avec force de l’obscurantisme, du racisme et de la ségrégation à travers les siècles pour nous interroger au final sur ce monde que nous façonnons chaque jour.

« À travers cet album, j’ai voulu raconter le parcours de trois hommes qui ont envie d’exister. Pour un militaire noir engagé dans l’armée américaine, dans les années 1940, les possibilités d’être un héros étaient réduites. Le plus souvent, il risquait de se retrouver à porter des caisses ou à balayer les latrines… Le racisme est un thème important du récit. Et il est toujours d’actualité, à en juger par les meurtres de Noirs commis par des policiers blancs aux États-Unis. Mais nous n’avons pas voulu délivrer un message : j’espère que l’album se lit d’abord comme une bonne histoire d’aventures ».

Pensé à l’origine en plusieurs volumes, Cinq Branches de coton noir n’en fait finalement qu’un. Une bonne nouvelle pour tous ceux qui n’aiment pas attendre mais un travail énorme qui a nécessité quatre ans de travail aux auteurs et notamment au dessinateur Steve Cuzor. Mais le résultat est là : un scénario intelligent et captivant, un graphisme et des atmosphères incroyablement maîtrisés, des personnages qui ont de la profondeur… C’est absolument magnifique de bout en bout.

Sachez pour finir qu’il existe trois versions de l’album, une version classique à 24€, une édition spéciale au tirage limité à 777 exemplaires avec frontispice numéroté et signé, jaquette originale à 40€ et une édition en noir et blanc au tirage limité à 1000 exemplaires à 49€.

Eric Guillaud

Cinq branches de coton noir, de Steve Cuzor et Yves Sente. Editions Dupuis. 24€

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