11 Avr

Strange Fruit : un super-héros noir au pays du Ku Klux Klan, un récit de J.G. Jones et Mark Waid

album-cover-large-32733Avant d’être une bande dessinée, Strange Fruit fut une chanson adaptée d’un poème écrit en 1936 par le Juif américain Abel Meeropol et popularisée par Billie Holiday en 1939. A cette époque, le Ku Klux Kan est encore une – sordide – réalité. Strange Fruit s’élève contre le lynchage des noirs aux États-Unis avec cette image d’étranges fruits pendus aux arbres…

Un véritable réquisitoire contre le racisme et la ségrégation. La chanson comme la bande dessinée de J. G. Jones et Mark Waid s’élèvent contre le sort que réservaient les blancs aux noirs dans l’Amérique des années 20/30. Nous sommes précisément en 1928, une crue d’ampleur sans précédent menace les champs de cotons et les villes du delta du Mississippi. Entre les blancs et les noirs, les tensions sont de plus en plus vives alors que les digues menacent de céder.

Dans ce contexte tendu, le Ku Klux Klan sort ses habits du dimanche pour lyncher ceux et celles qui ne mettent pas assez d’ardeur au renforcement des digues, des noirs forcément. Mais c’est pourtant bien d’un noir, un véritable colosse tombé du ciel, que viendra le salut du pays…

« Au sein de nombreuses communautés… », explique le scénariste Mark Waid, « les digues, construites à la main, constituaient les seuls remparts contre la furie du fleuve. Elles étaient montées et entretenues quasi-exclusivement par les Afro-américains travaillant dans les plantations : ceux-ci étaient peu, voire pas, payés alors que leurs superviseurs blancs accumulaient les provisions, n’octroyant à leur main d’oeuvre que quelques-uns de leurs restes. »

Un super-héros noir, voilà de quoi remettre quelques idées en place ! En bonus de cet album au graphisme hyper-réaliste, un cahier graphique réunissant couvertures et croquis préparatoires de J.G. Jones.

Eric Guillaud

Strange fruit, de Mark Said et J.G. Jones. Editions Delcourt. 15,95€

L’info en + :

Rebecca Fergusson, finaliste de X-Factor, accepta de chanter à l’investiture de Donald Trump à une condition et une seule : chanter la chanson Strange Fruit. Donald Trump refusa, Rebecca Ferguson déclina l’invitation.

© Delcourt / Jones & Waid

© Delcourt / Jones & Waid

05 Avr

America : Nine Antico à la reconquête de l’Ouest

9782344016992_cgPauline vient de se faire larguer par son mec, Pédro. La dépression guête mais passera-t-elle vraiment par elle ? Avant de se taper les cartons pour déménager, de constituer un dossier et de trafiquer les fiches de paies pour retrouver un appartement, Pauline part à la reconquête de l’Ouest. Direction l’Amérique…

« Ça y est, je fais partie de la catégorie : larguée. Je suis prête pour une bonne dépression. Je l’attends. Je lui ouvre les bras ». Mais elle tarde à venir la bonne dépression et Pauline commence à s’ennuyer ferme. Direction la vie, « Dehors, le monde continue de tourner. Les filles minaudent. Les mecs sont toujours aussi cons ».

Changement de vie ? Changement de coiffure ! Pauline déboule chez le coiffeur du coin histoire de se faire un nouveau look, le look d’une nana libre, disponible.

© Glénat / Nine Antico

© Glénat / Nine Antico

Mais elle s’ennuie toujours autant. En ce mois d’août, Paris s’est vidée de ses habitants et par la même occasion de ses meilleurs amis. Inutile de crier dans le vide sidéral de l’oreiller, personne ne l’entend. Alors, sur un coup de tête, Pauline décide de s’envoler pour les States. New York, San Francisco… À elle la reconquête de l’Ouest, la chasse aux figures fantasmées de la culture populaire étoilée, à elle aussi la chasse aux beaux petits culs made in USA qui pourraient lui faire enfin oublier son Pédro.

Good morning America ! Après Girls don’t cry et Tonight, Nine Antico poursuit les aventures de son héroïne Pauline et nous offre une nouvelle fois un florilège d’échanges, d’interrogations et de réflexions sur les filles, les garçons, les sorties, le sexe, l’amour, la nuit, la vie…  dans un style graphique très contemporain.

C’est cru, c’est cruel, c’est direct, c’est souvent drôle, c’est surtout bien foutu, c’est du Nine Antico et on adore! Album à classer dans la catégorie « indispensable »!

Eric Guillaud

America, de Nine Antico. Éditions Glénat. 13,90€

© Glénat / Nine Antico

© Glénat / Nine Antico

 

03 Avr

Pop Memories : les bons souvenirs musicaux de Cathy Karsenty

popMemoriesL’auteure Cathy Karsenty aurait pu choisir de nous raconter sa vie, son enfance, ses parents, ses amoureux, ses peines, ses joies, ses rêves, ses cauchemars, comme dans tout bon journal intime. Elle le fait mais elle le fait avec une petite subtilité, Pop memories paru dans la collection Tapas:-* des éditions Delcourt raconte ses souvenirs musicaux, ce qui revient de fait un peu au même tant la musique a bercé sa jeunesse et rythmé sa vie. Trois deux un…musique !

J’ose ? Allez oui, j’ose et tant pis pour vous, je vais vous ruiner la journée tant vous ne parviendrez pas à éliminer cet air de vos têtes. Vous connaissez le groupe de disco français Bimbo Jet et son tube « El Bimbo » ? Non ? Pour ceux-là et tous les autres, voici Bimbo… bimbo…

Oui je sais, ça fait mal aux oreilles et au reste du corps mais je ne pouvais et vous ne pouviez décemment pas passer à côté. C’est le premier souvenir musical de Cathy Karsenty, « El Bimbo » de Bimbo Jet, son premier 45 tours. Mais je vous rassure, la suite est plus honorable.

Neil Diamond, Jacques Brel, The Beatles, Yves Simon, Etienne Daho, Elvis Costello, Supertramp, Janet Jackson, Lou Reed, David Bowie, Police ou encore Stray Cats forment la playlist de sa jeunesse et donc de cet album, des titres associés à des personnes ou à de grands et petits moments de sa vie comme son premier baiser, son premier concert, sa mère, la mort de Mike Brant, la sortie du film Grease, son premier radio cassette, le hit parade d’Europe 1, les cassettes customisées, les fêtes de la musique…

Après Bienvenue à l’agence (éd. Gawsewitch), Parisiens chéris (éd. Delcourt), Cathy Karsenty pose ici un regard amusé sur des souvenirs parfois très intimes et toujours drôles. C’est léger, c’est frais, c’est pop !

Eric Guillaud

Pop Memories, de Cathy Karsenty. Éditions Delcourt. 12,50€

© Delcourt / Karsenty

© Delcourt / Karsenty

02 Avr

Le Monde à tes pieds : un roman graphique de Nadar

couv_9782849532775_grandeCarlos, David et Sara, trois vies, trois trajectoires distinctes mais le même contexte de crise économique. Comment s’en sort-on quand on n’arrive pas à boucler les fins de mois, à trouver du boulot ou à garder celui qu’on a, quand tous les espoirs d’une vie meilleure partent en fumée, quand même la famille n’est plus un refuge ? Bienvenue dans l’Espagne contemporaine…

Et de trois, trois albums signés par un auteur remarquable, Nadar, trois récits qui nous parlent de son pays, l’Espagne, celle d’hier, du Franquisme, avec Salud!celle d’aujourd’hui avec Papier froissé et donc Le Monde à tes pieds.

Chômage, exclusion sociale, exil, expulsions, faillites… Le tableau dressé par Nadar dans ces deux derniers albums est le même, celui d’un pays exsangue, asphyxié, celui d’un peuple ballotté entre résignation et lueur d’espoir, entre plans démerde et émigration économique.

C’est le cas de Carlos qui accepte de partir pour l’Estonie où on lui propose enfin un poste d’ingénieur qu’il ne trouvera jamais – il le sait – en Espagne. Quitter ses amis, quitter son petit ami, quitter son environnement familier pour enfin travailler. Un choix difficile mais nécessaire. C’est aussi le cas du jeune David, au chômage depuis trop longtemps pour refuser un plan sexe avec une femme mûre qui paye cash. C’est enfin le cas de Sara qui rêve de dire merde à sa boss, de larguer son boulot et d’acheter enfin des produits alimentaires qui ne soient pas des premiers prix.

On connaît bien les problèmes économiques qui plombent l’Espagne depuis des années mais c’est toujours aussi poignant que d’avoir des exemples concrets, de toucher la misère financière et parfois morale du doigt, de comprendre comment un pays européen peut se retrouver dans cette situation et voir ses habitants en arriver parfois à des extrémités.

Un récit fort, un dessin agréable, une narration bougrement intelligente, des personnages qu’on ne peut qu’aimer… Nadar confirme avec ce nouvel album son immense talent pour parler de l’humain. Ici, pas de sensationnalisme, pas de super-héros ou de super-aventures mais des êtres en mode survie. Nadar a une approche très sociale comme on peut en trouver dans le cinéma espagnol. C’est fort, c’est beau, c’est parfois poignant, toujours révoltant !

Eric Guillaud

Le Monde à tes pieds, de Nadar. Éditions La Boîte à bulles. 20€

© La Boîte à bulles / Nadar

© La Boîte à bulles / Nadar

27 Mar

Sécurité, open your bag : le quotidien d’un vigile au pied de la tour Eiffel par Lénaïc Vilain

album-cover-large-32614Pendant deux ans, Lénaïc Vilain a été agent de sécurité au pied de la tour Eiffel. Deux ans à voir défiler des hordes de touristes et à répéter inlassablement les mêmes mots : Open your bag !

Bien sûr il aurait pu varier les plaisirs, faire un effort de style, donner du « Madame s’il vous plait » et du « Auriez-vous l’extrême amabilité d’ouvrir votre sac afin que je m’assure personnellement que rien ne contrevient à l’accès de notre merveilleux monument national envié de tous ». Mais c’était un peu long. « Open your bag » était finalement bien plus direct et efficace !

Alors, pendant deux ans, Lénaïc Vilain a répété inlassablement ces mots aux milliers de touristes qui se pressaient devant les grilles. Avec en retour, bien sûr, les grognements des uns, les blagues douteuses des autres…

Ce n’est pas la première fois que Lénaïc Vilain met ainsi en lumière le travail des agents de sécurité. Son album R.A.S. paru aux Éditions Poivre et Sel en 2013 s’inspirait déjà de son travail de veilleur de nuit pour différents hôtels parisiens. Un milieu pas franchement hilarant mais qui, avec le regard et le pinceau de l’auteur, peut se révéler ici non dénué d’humour et surtout d’intérêt !

« Les gens ne savent pas grand chose de ces agents qu’ils côtoient pourtant quotidiennement, au supermarché, au musée, au fast-food, etc. ils ne se posent pas de questions sur ces personnes, tant leur présence est devenue habituelle et fantomatique. Ces hologrammes du quotidien, c’est eux que je raconte dans cette bande dessinée. Par-delà l’uniforme ou le talkie, ils ont des personnalités, des vies, des histoires et pour certains un vrai potentiel comique que j’e m’attache à retranscrire ».

Un livre qui vous fera ouvrir les sacs avec le sourire !

Eric Guillaud

Sécurité, Open your bag, de Lénaïc Vilain. Éditions Vraoum! 20 euros.

Vraoum! / Vilain

Vraoum! / Vilain

23 Mar

Puta Madre : un monde sans pitié signé Run et Neyef pour le Label 619

Capture d’écran 2017-03-23 à 23.01.19

Plongée dans le monde des gangs latinos et de l’univers carcéral pour le créateur de Doggybags, plus désespéré que jamais et en même temps, nouvelle baffe graphique au rythme frénétique.

Tout est parti d’un constat, aussi véridique qu’effrayant : aux Etats-Unis, un mineur peut-être jugé comme un adulte et condamné à la prison à vie. Marqué par la vision d’un documentaire de 2011 consacré à un fait divers sordide (un gamin de douze ans inculpé pour le meurtre de son petit frère), le chef d’orchestre de Doggybags s’est lancé en compagnie de Neyef, avec lequel il signe les dessins, dans cette nouvelle série où l’on retrouve pas mal de ses thèmes récurrents comme la prédestination sociale, la propension irrésistible de l’être humain à céder à la violence ou encore la faillite du système.

Présenté comme un ‘spin off’ de Muthafukaz, la série phare de label 619, dont il reprend certaines des références (la culture mexicaine, le hip-hop), tout est centré ici autour d’un seul et même personnage, Jésus que l’on suit donc tout le long de sa vie depuis ses douze ans, âge auquel il se retrouve en prison et où il doit apprendre à survivre au milieu des différents gangs ethniques, des matons corrompus et des trafics en tout genre.

© Label 619 - Run et Neyef

© Label 619 – Run et Neyef

Forcément, impossible de ne pas penser à la série américaine du début des années 2000 Oz sur les deux premiers volumes (sur six à paraître) qui se passent derrière les barreaux. Comme elle, Puta Madre est sans fard, ni happy end. Les faibles finissent mal, les salauds raflent la mise et les autres font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir. En gros, si Jésus finit assez rapidement par franchir le Rubicon, ce n’est parce qu’il est foncièrement mauvais, c’est parce qu’il n’avait juste pas le choix. « J’étais entré en prison comme un agneau / J’en sortais comme un loup »

Une fois dehors à partir du troisième album, il a beau tenter de reprendre le cours d’une vie (à peu près) normale, très rapidement il est rattrapé par son destin. Et la violence, encore et toujours.

© Label 619 - Run et Neyef

© Label 619 – Run et Neyef

Désespéré ? Sûrement. Mais aussi très documenté et véritable road trip dans une Californie du sud désertée et laissée aux mains des laissés pour compte du rêve américain qui s’entredéchirent entre eux pour survivre. Comme Abel et Caïn, modèle revendiqué de Jésus…

Oliver Badin

Puta Madre, volumes 1 à 3 de Run et Neyef, Label 619, 3,90 euros

Salud! : une histoire d’amour et de désamour sur fond de franquisme et d’alcoolisme signée Philippe Thirault et Nadar

SaludEst- ce parce qu’il aime l’alcool qu’il travaille pour un caviste ou le contraire, toujours est-il qu’Antoine est porté sur la bouteille. Mais il est jeune et plein de projets. Il vient de rencontrer une femme, plus vieille que lui, une Espagnole. Direction la Corogne pour entamer une nouvelle vie…

Et gagner plein d’oseille ! Il en est persuadé le gars Antoine. Sûr qu’il va revenir d’ici peu et épater la galerie, à commencer par son frangin, dernier membre de sa famille qu’il fréquente encore. Les autres ? Des « pourritures ».

La famille, pourtant, il va devoir compter avec elle, du moins avec celle de sa douce. Et en Espagne, on ne plaisante pas avec la famille. De quoi le faire fuir ? Pas vraiment. Surtout quand cette famille lui ouvre son porte-monnaie, lui offre une voiture, lui trouve un local pour installer son restaurant (son rêve!) et lui apporte sur un plateau les relations nécessaires pour travailler dans une Espagne tenue de main de fer par Franco, une Espagne renfermée sur elle-même où la moindre rébellion est réprimée.

Avec sa « french touch » comme on dirait aujourd’hui, Antoine fait un carton, amasse les pesetas, roule en cabriolet sport, porte des fringues de luxe, mais très vite, son alcoolisme le rattrape. Il devient violent et frappe sa femme. Une fois, deux fois, trois fois. Il n’aurait pas dû…

C’est un histoire vraie que nous racontent Philippe Thirault (Mille visages, Videz la corbeille…) et Nadar (Papier froissé, Le Monde à  tes pieds…) dans ce roman graphique paru aux éditions Futuropolis, une histoire vraie que lui aurait confiée un certain Antoine, aujourd’hui 71 ans et SDF.

Qui ne s’est jamais demandé quel avait pu être le parcours d’un de ses hommes croisés au hasard des rues, allongés sur un banc, un sac plastique en guise de valise ? Philippe Thirault nous en donne une idée avec ce scénario fort bien construit. Graphiquement, on avait adoré Papier froissé déjà publié aux éditions Futuropolis, on retrouve le trait simple et efficace de Nadar relevé par une mise en couleurs surprenante au premier abord mais qui devient évidente au fil des pages. « Pour cet album… », nous a-t-il confié, « j’ai travaillé digitalement. J’ai choisi ces couleurs pour faire un petit contraste avec le thème de l’histoire et aussi parce que j’adore cette palette chromatique ».

Nadar et La France une histoire d’amour ? « Je suis très content de publier en France et en Espagne. En Espagne, c’est vraiment difficile de vivre en tant qu’auteur de BD. Il est toujours nécessaire de travailler pour le marché international. Pour moi c’est un vrai cadeau de pouvoir publier avec Futuropolis ».

Un très bon livre !

Eric Guillaud

Salud!, de Philippe Thirault et Nadar. Éditions Futuropolis. 19,50€

© Futuropolis / Thirault & Nadar

© Futuropolis / Thirault & Nadar

21 Mar

Doggybags : that’s all folks ?!

Doggybags_13Comme annoncé depuis le début, le treizième volume de la série Doggybags sera le dernier dans tous les sens du terme. Même si, comme l’un de ces nombreux monstres de série B qui finissent toujours par mourir sous les coups de vertueux héros, la bête pourrait peut-être revenir d’entre les morts d’une façon ou d’une autre…

Trois ‘grosses’ histoires indépendantes bourrées de références à la trash culture 80’s à gogo (en vrac : Sos Fantômes, La Rue Sésame, 40 Jours de Nuit, Spiderman, ça de Stephen King et encore on en oublie) réalisées par trois équipes différentes, chacune peuplée de beaux perdants qui ont tout à perdre, rien à gagner et beaucoup, mais alors beaucoup d’hémoglobine. Pour sa dernière virée en Enfer, ce qui se situe toujours à mi-chemin entre le magazine trois étoiles et le livre – imaginez une sorte de version mutante d’Egoïste avec beaucoup plus de zombies dedans ! – a décidé d’éclabousser les murs. Pourtant, l’objet en lui-même reste superbe avec sa tranche cartonnée, ses fausses pubs cyniques et sa mise en page bien dense mais jamais étouffante.

© Doggybags - Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

© Doggybags – Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

Sauf qu’au-delà du pastiche et/ou de la déclaration d’amour à la culture ‘pulp’ américaine on y décèle une angoisse nettement plus sérieuse que ne cherche d’ailleurs même pas à cacher leur mentor et scénariste/illustrateur/gourou Run. Ici, il signe l’histoire la plus destroy du lot, ‘Times Scare’ dont le point de départ d’ailleurs, bien que conçu des mois avant, rappelle d’une manière assez prophétique l’affaire Théo. Et dans les deux éditos qu’il signe dans ce numéro, ce tout juste quadra confesse qu’au-delà du plaisir de charcuter à tout va, mettre ainsi en dessin cette débauche de bidoche était sa façon à lui d’exorciser le traumatisme post-Charlie Hebdo.

© Doggybags - Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

© Doggybags – Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

Bon, ça, c’est pour la partie psycho. Parce que pour ce qui est du reste, que les histoires soient ancrées dans le fantastique, dans le réel ou versent carrément dans l’onirique, ça charcute, ça trucide, ça découpe et – allez, on est entre nous alors on vous confie un secret – cela ne finit souvent par un gros éclat de rires (noir) mais JAMAIS bien.

Jason, le tueur à la machette et au masque de hockey, ayant quand même accouché de onze films, on se dit que treize volumes, c’est bien trop peu pour épuiser le créneau et dixit sa postface, l’esprit Doggybags devrait désormais se décliner via deux nouvelles séries indépendantes. Oui, ça va (encore) gicler.

Olivier Badin

Doggybags Volume 13, de Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset, Label 619, 13,90 euros

20 Mar

Le miracle de Vierves : un récit boisé d’Inne Haine chez Vraoum!

Couv_300665Vierves sur Hayne, petit village de Flandres perdu au milieu des bois, quelques dizaines d’habitants, une auberge, une église, des cerfs et, comme à Lourdes, des miracles. Saint Antoine, pour remercier une certaine Suzanne d’avoir pris soin de Gérard, un jeune cerf perdu, aurait exaucé un de ses voeux les plus chers : celui d’être enceinte…

Et comme à Lourdes, depuis ce miracle, des hordes de touristes accourent d’un peu partout chaque année pour la fête des Ramures, chacun se mettant à la recherche dans la campagne environnante de bois tombés de la tête du fameux cerf.

Il est vrai qu’à 1000 euros la chute de bois trouvée, ça peut valoir le déplacement. Une aubaine pour les touristes mais aussi pour les villageois qui on su – comme à Lourdes – transformer ce miracle immaculé en miracle économique.

Hébergement, restauration, boissons ou figurines à l’effigie de Gérard… tout le monde profite allègrement du juteux business jusqu’au jour où le cerf est renversé et tué par la voiture d’un habitant. Alors commence une hallucinante histoire afin de préserver la poule aux oeufs d’or, pardon le cerf aux bois d’or…

On pourrait presque discerner des senteurs de sous-bois dans ce premier livre de l’illustratrice flamande Inne Haine tant elle parvient à nous emmener avec elle dans ce récit à la fois drôle et dramatique. Une belle narration, quelques belles idées de présentation, un graphisme tantôt naïf, tantôt floral, une histoire qui sort des sentiers battus… Un petit miracle au pays du neuvième art !

Eric Guillaud

Le miracle de Vierves, de Inne Haine. Éditions Vraoum!. 20€

16 Mar

Tif et Tondu : les premiers récits de Will enfin réunis dans une intégrale

AYB83gRonKNHOwWFjsuCBT34Wjk4jGJj-couv-1200Il y a à peine quatre ans s’achevait la publication de la première intégrale consacrée à Tif et Tondu sur un treizième volume réunissant Les Vieilles dames aux cent maisons, Fort Cigogne et Le Mystère de la chambre 43, trois petits bijoux simenoniens réalisés dans les années 90 et signés Sikorski et Lapière.

On oublie tout – ou presque – et on recommence. L’Intégrale Tif et Tondu fait peau neuve, un sacré coup de lifting pour une meilleure mise en valeur de l’une des pièces centrales du patrimoine des éditions Dupuis. Nouvelle maquette, nouvelle introduction historique rédigée par les spécialistes Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, nouvelle approche éditoriale et publication strictement chronologique.

C’est bien, c’est même très bien, mais c’est encore mieux que ça. Les aventures de Tif et Tondu ont été publiées dès le premier numéro du journal Spirou en 1938. Fernand Dineur est alors seul aux commandes. Mais en 1949, dans un souci de rajeunissement des héros et de leurs aventures, les éditions Dupuis demandent à Will de prendre en charge la partie graphique, Dineur conservant pendant quelques années encore le scénario.

Ce sont ces premières aventures signées à quatre mains, inédites en intégrale, que réunit ce premier volet, à savoir Tif et Tondu en Amérique centrale, La villa Sans-Souci, Le Trésor d’Alaric et Oscar et ses mystères.

En prime, trois autres récits d’une trentaine de planches, uniquement publiés dans des éditions confidentielles, et bien sûr le très épais et documenté dossier des Pissavy-Yvernault complètent ce gros bébé joufflu de 368 pages et 1,5 kg.

Eric Guillaud

Intégrale Tif et Tondu (1949 – 1954), de Will, Gillain, Dineur et Desprechins. Éditions Dupuis. 35€