08 Juin

Les Losers : la seconde guerre mondiale vue par le créateur des « 4 Fantastiques », Jack Kirby

Capture d’écran 2017-06-08 à 23.32.26Une bande de faux bras cassés dont la main ne tremble jamais et qui donne du fil à retordre aux méchants, sauf qu’ici les héros portent le casque et l’insigne de l’US Army avec en face, les forces de l’Axe. Nourri par sa propre expérience de soldat lors de la phase finale du conflit, Jack Kirby donne ici SA vision de la seconde guerre mondiale, forcément pleine de fureur et de bravoure

Le nom de Jack Kirby, qui aurait fêté ses cent ans cette année, évoque tout un pan de la culture, pardon de la mythologie comics, l’homme ayant contribué avec le dessinateur Steve Dikto et surtout Stan Lee a jeter dans les années 60 toutes les bases de l’empire MARVEL dont il a alors lancé toutes les franchises qui encore aujourd’hui en constituent les bases : ‘Les 4 Fantastiques’, ‘Spider-Man’, ‘X-Men’… En gros, si vous étiez un gamin américain à cette période là passionné de comics, plus la moitié de votre collection portait sa signature. En langage commun, on appelle ça un monument, voilà.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Mais même s’il a passé toute sa carrière à faire la navette entre DC et MARVEL, Kirby a aussi tâté autre chose que les aventures de types en spandex et à cape, dont le comics de guerre, héritage des années 40 où le patriotisme à tout va avaient poussé les autorités à embaucher les héros de BD pour combattre le nazisme. Certes, la série ‘Les Perdants’ (‘les Losers’ en VO, titre ô combien ironique bien sûr) consacrée aux aventures de quatre baroudeurs de la Seconde Guerre Mondiale aux noms dignes de ‘L’Agence Tout Risques’ (capitaine Storm, Sarge, Johnny Cloud et Rafale !) existait avant que Kirby en prenne, brièvement, les rênes en 1975 et a d’ailleurs perduré après lui. Mais dès le premier des douze épisodes qu’il a réalisé (scénarios inclus), le alors vétéran de 58 ans l’a tout de suite retravaillé pour la faire entre dans son moule.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Dans le monde de Kirby, que l’on soit en haut d’un gratte-ciel de Manhattan en train de combattre un super-méchant ou au corps-à-corps dans la jungle au prise avec des fantassins japonais, le trait est le même. Les hommes ont des carrures de golem, les sentiments – bons ou mauvais – sont tous exacerbés et les héros n’écoutent que leur courage alors que leurs ennemis, eux, ne connaissent que la traitrise. Peu d’explications sur le pourquoi-du-comment ni de moments de répit avec lui : en général, dès les premières cases, les membres de ce commando spécial à qui on demande de faire le sale job pour les autres est souvent largué en plein terrain miné et en général, ça canarde très vite derrière.

Même si le style assez figé et très emphatique de Kirby avait déjà pris un petit coup de vieux au milieu des 70’s, il a su garder une vraie force dramatique. Et puis on ne passe pas autant d’années à dessiner des super-héros sans que, forcément, cela ressurgisse d’une façon ou d’une autre et même si ‘Les Perdants’ n’ont à leur actif aucun super pouvoir, ils ont en eux quelque chose de surhumain, dépassant leur nature de ‘simples’ mortels pour devenir ‘plus’. Dans le meilleur épisode du lot (‘Les Partisans’), il ajoute même un doigt de surnaturel histoire un petite touche macabre particulièrement efficace. Et puis aussi manichéen que soit le résultat, Kirby distille par ci et là un brin de poésie voire même d’ironie dans le choix de ses personnages secondaires, comme avec Panama Fattie mafieuse au look de Fat Mamma sentimentale ou celui de ‘Pumpkin le Martien’, soldat gringalet amateur… De comics.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Pour les amateurs éclairés de Kirby, le résultat vaut donc le détour, surtout que ce recueil sort à l’occasion de plusieurs évènements en partenariat avec le conseil général de Moselle et centrés autour de la thématique des relations entre BD et guerre. D’ailleurs, en plus d’avoir organisé entre le 3 et le 5 Juin dernier un festival consacré au neuvième art, le château de Malbrouck accueille jusqu’au 29 Octobre prochain une exposition ‘Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles’ dont une partie est spécialement dédiée à Jack Kirby, lui-même soldat de l’US Army lors de la bataille de Dornot en Septembre 1944. Bref, une page d’histoire couplée à l’une des pièces manquantes de l’héritage de l’un des (très) grands maîtres du comics dont on attendait la traduction depuis quarante ans.

Olivier Badin

Les Losers, de Jack Kirby, Urban Comics, 22,50€

Plus d’infos sur l’expo « Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles » ici

Intégrale Valhardi : un troisième volume sous la griffe du scénariste Jean-Michel Charlier

6vz5Y8CUBKSYkEM4OsLqVb83JTKl6Ko3-couv-1200Même s’il a joué les grands frères pendant une grande partie de la deuxième guerre mondiale, accompagnant une génération de lecteurs en mal d’aventures et de liberté, Jean Valhardi n’a jamais fait partie des héros les plus populaires du journal Spirou, il a même été l’objet au tout début des années 50 d’un « désamour ambiant ». Mais l’heure de gloire n’était plus très loin…

Un « désamour ambiant ». Ce sont les termes employés par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault qui signent une nouvelle fois une introduction très documentée et passionnante à ce troisième volet de l’intégrale Valhardi. « C’est pourtant dans ce climat hostile… », précisent-ils, « que le personnage connut bientôt une renaissance totalement inattendue sous l’impulsion d’un nouveau scénariste, Jean-Michel Charlier ».

À l’époque, Jean-Michel Charlier n’était pas encore le monument du neuvième art à qui nombre d’auteurs se réfèreront bientôt mais il partageait déjà avec Franquin, Morris ou encore Hubinon les faveurs de l’éditeur qui voyait en lui, en eux, l’avenir du journal Spirou et plus largement de la bande dessinée franco-belge. Après les aventures de Buck Danny lancées en 1947 avec Victor Hubinon, le voici donc au secours de Valhardi dont il signa trois récits. Le premier, ô combien mythique, devait s’appeler Valhardi contre le monstre mais prit finalement pour nom – espérant passer entre les mailles de la censure française un tantinet frileuse, Le Château maudit.

Outre Le Château maudit et le conséquent dossier de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault constitué de documents inédits, photos, croquis, planches…, ce troisième volume de l’Intégrale Jean Valhardi contient Le Rayon Super-Gamma, La Machine à conquérir le monde et Jean Valhardi et les êtres de la forêt. Un tournant avant le retour aux affaires de Jijé, ni plus ni moins le créateur du personnage avec Jean Doisy en 1941!

Eric Guillaud

Intégrale Jean Valhardi (tome 3), de Paape, Delporte et Charlier. Éditions Dupuis. 35€

07 Juin

Capitaine Fripouille : une aventure de cape et d’épée gentiment contestataire signée Alfred et Olivier Ka

capitaineFripouilleAprès le très remarqué « Pourquoi j’ai tué Pierre » qui abordait le thème de la pédophilie, le duo magique Olivier Ka – Alfred se reforme autour d’une magnifique histoire qui nous parle cette fois de résistance…

C’est un peu le pot de terre contre le pot de fer. Dans le village de Palladipelledipollo – respirez – tout appartient à Federico Jabot. L’auberge, les restos, le musée, les magasins de jouet ou de bricolage… Tout sauf la petite librairie Fellini d’Ernesto et Fabiola qui a résisté jusqu’ici aux vélléités hégémoniques de Jabot.

« Jabot a tout racheté! Il est comme un ogre qui dévore tout sans rien laisser aux autres. Son appétit est sans fin, il prend tout », s’énerve Fabiola.

Mais les clients se font de plus en plus rares dans la petite librairie malgré les efforts d’Ernesto et Fabiola. Et la banque, qui appartient bien évidemment à Federico Jabot, réclame le remboursement de l’emprunt. C’est précisément à ce moment-là que débarque Capitaine Fripouille, le papa de Fabiola, un personnage haut en couleurs qui se décrit comme « un vieux renard rusé, un malin fûté, un roublard et un coriace! Mais aussi un explorateur, un justicier, un philosophe et un marin exceptionnel!!! », bref un super-héros qui tombe à pic pour remotiver les troupes et appeler à la résistance…

Résister ! c’est bien là le mot d’ordre de cette aventure de cape et d’épée « libertaire » pour reprendre le terme d’Alfred, publiée dans la collection « Les Enfants gâtés » des éditions Delcourt. Résister à Jabot et en filigrane à la mondialisation, à l’oppression, à l’hégémonie des multinationales, résister à l’uniformisation pour cultiver la différence, voilà ce qu’y trouveront les plus grands car Capitaine Fripouille n’est pas réservé aux petits. Un très très bel album, au format approprié pour profiter pleinement du jolie coup de crayon d’Alfred et de cette aventure qui combine action et humour.

Eric Guillaud

Capitaine Fripouille, d’Alfred et Olivier Ka. Éditions Delcourt. 14,50€

© Delcourt / Alfred & Ka

© Delcourt / Alfred & Ka

03 Juin

Mildiou : un des premiers albums de Lewis Trondheim réédité à L’Association

3543Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu au Neuvième art connaissent aujourd’hui Lewis Trondheim, au moins de nom. A l’époque de Mildiou, publié en 1994 au Seuil, ce n’était pas tout a fait le cas même si les plus pointus en la matière sentaient déjà que quelque chose de neuf frémissait sous la plume et le pinceau de l’auteur…

Et de fait, Lewis trondheim fait aujourd’hui partie des auteurs connus et reconnus de la bande dessinée, un auteur qui a contribué à faire avancer le genre grâce à sa technique du dessin direct, aux contraintes techniques qu’il s’est souvent imposées à son ton décalé mais aussi grâce son approche zoomorphique, à ses personnages (le lapin, le chat, le canard…) qui revenaient d’un livre à l’autre mais pas dans le même rôle…

Depuis, Lewis Trondheim a produit une quantité invraisemblable de livres, dans tous les genres, il a reçu l’Alph-Art Coup de coeur en 1994 pour l’album Slaloms, il été ordonné Chevalier des Arts et Lettres en 2005 et couronné Grand Prix à Angoulême en 2006… Il a aussi co-fondé la maison d’édition L’Association en 1990, laquelle réédite aujourd’hui – on y revient – l’album Mildiou qui n’a rien perdu de sa force et de sa farce.

Sur près de 150 pages, Lewis Trondheim nous offre une énorme scène de bagarre entre le gentil Lapinot qui ne demandait rien à personne et le méchant Mildiou, un usurpateur et oppresseur de première qui compte défendre bec et ongles ou plus justement museau et griffes sa place de roi qu’il a volé de la pire façon. Une bagarre sans fin où l’intelligence de l’un attise la bêtise de l’autre et vice-versa. Mildiou, c’est de l’action, beaucoup d’action, mais c’est aussi une sacrée leçon de mise en scène, des dialogues savoureux, un sens de l’absurde incroyable, bref un bouquin à découvrir ou redécouvrir au plus vite et à garder pas trop éloigné de sa table de chevet.

Eric Guillaud

Mildiou, de Lewis Trondheim. Editions L’Association. 13€

© L'Association / Trondheim

© L’Association / Trondheim

02 Juin

Hate, chroniques de la haine : rencontre avec l’auteur Adrian Smith à l’occasion de son passage à Paris

© Fef 2017

© Fef 2017

Baroque, épique, homonyme d’un des guitaristes d’iron Maiden (ceci expliquant cela ?) et bien connu des fans de jeux de plateaux, l’un des maîtres de la ‘dark fantasy’ Adrian Smith voit son premier livre intégralement signé de sa main paraître en français, alors qu’une exposition à la galerie Glénat à Paris salue son talent d’illustrateur…

« De toutes façons, je ne me considère pas comme un dessinateur de comics. Cela ne m’intéresse pas plus que ça et je ne crois pas que les fans du genre aiment beaucoup ce que je fais non plus de toute façon… », lâche Adrian Smith avant de se marrer doucement, avec ce mélange de punk sur le retour (t-shirt noir, cheveux longs blancs, regard amusé) et de flegme typiquement britannique. Mais d’une certaine HATE_couverturemanière, il a raison. C’est avant tout comme illustrateur que cet Anglais né en 1969 dans le Sussex est connu, notamment pour son travail pour Games Workshop, célèbre boîte de figurines pour jeux de plateaux dont les stars incontestées restent ‘Warhammer’ et son extension futuriste ‘Warhammer 40,000’. Soit des mondes imaginaires autour desquels des millions de nerds armés tout juste d’un dé et de quelques pots de peinture se retrouvent régulièrement pour écharper du troll à tout-va à coups de sort d’épées à double main ou de sort de boule de feu niveau 14. Des mondes peuplés de créatures hypertrophiées, aux muscles proéminents et armées jusqu’aux dents à faire passer le bestiaire du ‘Seigneur des Anneaux’ pour le village des Bisounours et où Smith à faire voler les têtes, un peu comme un John Frazetta des temps modernes gonflé aux OGM.

 

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

‘Les Chroniques de la Haine’ ne sont pas exactement ses premiers pas dans les comics. Avant cela, il avait déjà fait des couvertures pour le magazine anglais ‘Toxic’ avant de signer en 2005 ‘Broz’ (sorti en deux tomes chez éditions Nickel). Sauf que ‘Hate’ se révèle être une œuvre beaucoup plus personnelle dont la réalisation s’est étalée sur près de trois ans. « Tout est parti d’une illustration toute bête de celui qui allait devenir le personnage central de l’histoire. C’était vraiment sous le coup de l’inspiration du moment et je l’ai faîte sans vraiment savoir ce que j’allais en faire, juste pour mon plaisir. Mais je ne sais pas, il y avait quelque chose en elle qui me disait que derrière, il y avait tout une histoire à raconter. J’ai donc commencé à dessiner page par page l’histoire, chacune m’entraînant car je ne suis pas scénariste ! C’était très organique et quelque chose de très égoïste en même temps car je l’ai vraiment faîte avant tout pour moi, souvent entre minuit et cinq heures du matin lorsque j’avais fini mon ‘vrai’ boulot, tu sais, celui qui permet de payer le loyer… » rajoute t’il en souriant. « C’est un peu comme une maîtresse que ma femme m’autorise à avoir, du moins à certaines heures. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Smith n’y croit pourtant tellement pas qu’une fois fini, il décide de mettre gratuitement l’intégralité à disposition via les réseaux sociaux, jusqu’à ce qu’un éditeur américain décide d’en faire une première sortie papier sur le continent américain il y a trois ans, avant que Glénat ne s’en empare en 2016 afin d’en publier les deux volumes pour le territoire français. Une transcription rendue encore plus facile grâce par la facilité de la traduction, vu le peu de dialogue. « Et encore, je n’en voulais pas du tout ! C’est un ami qui m’a conseillé d’en mettre un petit peu, histoire de donner quelques repères aux lecteurs. Et puis le héros est muet et en partie sourd donc je voulais que le lecteur ressente et vive l’aventure de la même façon que lui. Et puis le plus important pour moi était l’atmosphère. C’est aussi pour cette raison que j’ai décidé de tout faire en noir et blanc, j’avais peur que la couleur ne devienne une trop grande distraction. Et puis pour être honnête, cela m’a aussi permis de travailler plus vite. »

À l’inverse de ses nombreux confrères américains dont les héros gigotent comme s’ils étaient atteints de la maladie de Parkinson, Smith est très avare en mouvement. Il y en a ici très peu, l’action devenant presque comme les vignettes de pellicule d’un film muet d’heroic fantasy oublié de la grande époque du cinéma expressionniste allemand. « Je n’ai pas besoin de faire quinze planches pour décrire une bataille, je trouve beaucoup plus fort de dessiner l’avant et l’après. On revient toujours à cette notion d’atmosphère, je préfère suggérer plutôt que tout montrer. Et puis je trouve beaucoup plus fort mettons une simple image des piles de corps et des vautours tournant autour une fois que les armes se sont tues. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Monochrome et parfois plus proche du concept-art que la BD pure, ‘Hate’ n’est pas fait pour tout le monde. Autant immersif que contemplatif, son monde est aussi ahurissant de beauté que laid car cruel et sans pitié. Pas de grande explication, pas de philosophie cosmique ni d’ode à l’aventure ici mais juste des créatures parfois grotesques et effrayantes qui vit par l’épée et meurt par l’épée. Son trait incroyablement précis est un condensé de l’essence même de la dark fantasy, celle sublimée par les écrivains Robert E. Howard (‘Conan’) ou Karl Edward Wagner (‘Kane’). Bonne nouvelle : il commence tout juste à travailler à la suite, ou plutôt à un préquel dont l’action se situera donc avant celle de ‘Hate’.

Histoire de compléter votre lecture, un petit conseil : passer dans le 3e arrondissement à Paris jeter un œil à l’exposition consacrée à l’auteur jusqu’au 21 Juin. Soit la douzaine de planches originales réalisées entièrement à la main (le reste a été fait à l’aide d’outils numériques) plus que quelques acryliques peintes spécialement pour l’occasion qui permettent de se rendre compte de la masse de travail accomplie.

Olivier Badin

Hate : Chroniques de la Haine d’Adrian Smith, Glénat, 30 euros

Exposition Adrian Smith, jusqu’au 21 Juin, 22 Rue de Picardie, 75003 Paris. Plus d’infos ici

Les dessins de Vuillemin réalisés pour Charlie Hebdo exposés à la galerie Huberty & Breyne à Paris du 16 juin au 2 septembre

Capturevuillemin

Son truc à lui, c’est la provoc, l’irrévérence, l’anticonformisme, le dégueu dégoulinant tendance anar… mais le tout avec classe et dignité. Héritier direct de Reiser, Philippe Vuillemin est devenu le maître incontesté toutes catégories de la ligne crade, à des années lumière de la ligne claire d’Hergé.

Et cette ligne crade, aujourd’hui, s’expose dans les galeries ! Oui oui comme Tintin. « Vuillemin, le meilleur de lui-même » est le nom de l’expo présentée à la galerie Huberty et Breyne à Paris du 16 juin au 2 septembre. Elle rassemblera des dessins réalisés pour les pages « Entretien avec… » de Charlie Hebdo ainsi qu’une vingtaine de rébus d’ « A la Recherche du Temps Perdu », une variation autour du chef d’œuvre de Marcel Proust.

Plus d’infos ici

29 Mai

Bâtard : une histoire rock’n’roll de Max de Radiguès

9782203141414 52 braquages le même jour, à la même heure, dans la même petite ville de Prescott dans le sud-ouest des États-Unis. Un coup énorme, invraisemblable, qui va forcément chatouiller la police. Alors, pas le temps de se la couler douce au bord de la piscine d’un palace, les braqueurs vont devoir appuyer dur sur la pédale et disparaître le plus loin possible…

Surtout qu’en plus de la police, il semblerait que les braqueurs font l’objet d’un règlement de compte organisé. Plusieurs d’entres eux ont été retrouvés morts assassinés. 14 coprs découverts à ce jour et ce ne serait pas fini.

May et son fils Eugène, son petit bâtard comme on l’appelle dans le milieu, ont compris le message, il faut cacher le pognon, plusieurs sacs quand même, et se mettre au vert. Direction la maison du vieux pote Hank perdu au milieu des bois. Un lieu sûr pense May. Mais peut-on encore faire confiance aux amis les plus chers quand on se promène avec plusieurs millions de dollars dans le portefeuille ?

Tous ceux qui suivent de près le travail de Max de Radiguès espéraient, priaient même pour les plus croyants, que sorte en album ce qui n’était au départ qu’une série publiée en auto-édition et de façon relativement confidentielle. C’est chose faite grâce aux éditions Casterman. Un bel album à la couverture jaune qui ne vient que confirmer l’immense talent de Max de Radiguès juste après la publication de La Cire moderne, album que je recommande tout aussi chaudement. Le trait est toujours aussi léger et drôle même si le contexte est beaucoup plus noir et l’histoire très rock’n’roll. Lu et adoré !

Eric Guillaud

Bâtard, de Max de Radiguès. Éditions Casterman. 12,50€

Capture d’écran 2017-05-28 à 19.49.42

27 Mai

Prends soin de toi : Grégory Mardon explore les blessures de l’amour

790537_01Jusque là tout allait bien, l’avion atterrissait tranquillement, le commandant de bord remerciait les passagers d’avoir fait confiance à sa compagnie et puis… et puis soudain l’avion se scratchait sur le tarmac.

Achille ouvre un oeil, puis le deuxième. Un mauvais rêve ! Ce n’était qu’un mauvais rêve. Mais sa vie n’est pourtant pas loin d’y ressembler. Tout allait bien et puis… et puis sa femme décida de le quitter.

En plein chagrin, Achille emménage dans un nouvel appartement, entame quelques travaux de rénovation et découvre sous le lino de l’entrée une lettre d’amour adressée à l’ancienne propriétaire décédée. Une lettre datée de 1976 qui aurait pu changer le cours de sa vie si toutefois elle l’avait lue.

La lettre était comme un fantôme qui m’empêchait d’emménager

Ébranlé par la découverte de cette lettre, Achille décide d’aller la remettre à son expéditeur. Direction Marseille, un petit périple d’une semaine et de plusieurs centaines de kilomètres en Vespa, de quoi prendre de la distance avec sa vie et diluer son chagrin d’amour.

Chroniqueur du quotidien comme il se définit lui-même, Grégory Mardon explore depuis une quinzaine d’années maintenant la vraie vie – titre par ailleurs d’un de ses albums – avec toujours autant de justesse et de finesse. Vagues à l’âme, Corps à corps, Leçons de choses, L’extravagante comédie du quotidien…, peu à peu, tranquillement, Grégory Mardon élabore une oeuvre singulière dans laquelle les accidents de la vie, les conflits intérieurs et surtout les rapports homme-femme forment un fil rouge.

Comme toujours, Grégory Mardon associe une narration fluide à un dessin simple mis au service de l’histoire qui embarque le lecteur dès les premières pages. Un album qui fait du bien !

Eric Guillaud

Prends soin de toi, de Grégory Mardon. Éditions Futuropolis. 22€

© Futuropolis / Mardon

© Futuropolis / Mardon

24 Mai

Le Voleur de souhaits : un conte de Loïc Clément et Bertrand Gatignol

89a0890279034319ffd06fdee1ba3024Félix collectionne les souhaits quand d’autres collectionnent les timbres ou les étiquettes de camemberts. Sauf que ça prend un peu plus de place sur les étagères…

Un château en Espagne, un voyage en avion, un costume de princesse, un séjour sur une île déserte… Peu importe le voeu, Félix les récupèrent tous au détour d’un éternuement.

Et pour se faire, rien de plus simple, Félix ne dit pas « À vos souhaits » comme le veut la coutume mais « À mes souhaits », une sorte de formule magique de son invention, et le tour est joué, clic-clac dans le sac, le souhait est piégé, direction l’étagère à souhaits.

Et ça marche à tous les coups, dans la rue, à l’école, avec les jeunes, avec les vieux, avec tous… sauf avec Héloïse. Cette jeune fille rencontrée au hasard d’une chasse aux souhaits a beau éternuer, aucun voeu ne s’échappe d’elle, rien, nada. Héloïse est vide de voeux et de rêves. À moins que…

Deux albums publiés le même mois, deux albums bourrés de tendresse et de poésie, Loïc Clément est un scénariste à surveiller de très près. Avec Anne Montel, il a écrit Chaussette dont on a dit beaucoup de bien ici, voici Le Voleur de souhaits mis en images cette fois par le talentueux Bertrand Gatignol dont certains d’entre vous ont pu apprécier l’univers dans la série des Ogres-Dieux parue chez Soleil.

Une histoire simple et délicieuse, un dessin clair et séduisant, Le Voleur de souhaits offre un bon moment de lecture intelligemment complété par un dossier détaillant les différentes étapes d’élaboration de l’album, de l’idée à la mise en couleurs.

Eric Guillaud

Le Voleur de souhaits, de Loïc Clément et Bertrand Gatignol. Editions Delcourt Jeunesse. 10,95€

© Dupuis / Clément & Gatignol

© Dupuis / Clément & Gatignol

Banana girl de Kei Lam : le témoignage d’une intégration chinoise au pays du camembert

STEINKIS_BananaGirl_couv.inddElle a les yeux bridés, les cheveux noirs, un visage plat et un nom qui ne peut faire illusion, Kei Lam est chinoise d’origine mais française d’adoption. Dans ce livre paru aux éditions Steinkis, elle raconte son arrivée à Paris, son parcours d’intégration et cet héritage culturel qu’elle se devait de préserver tant bien que mal…

Jaune à l’extérieur, blanche à l’intérieur. Comme une banane ! C’est ainsi que Kei Lam se voit et se revendique. Au point de l’afficher sur la couverture de ce livre à mi-chemin entre la bande dessinée et le livre illustré.

Née à Hong Kong en 1985, Kei Lam arrive en France à l’âge de 6 ans, un séjour qui devait durer initialement quelques jours, le temps d’une visite à son père installé à Paris. Mais sur un coup de tête, toute la famille décide de rester et de s’intégrer.

« À première vue, Paris m’a paru calme, triste, vieillot et silencieux comparé à Hong Kong ».

Paris n’est pas Hong Kong et le chemin vers l’intégration n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut apprendre la langue, trouver une école pour Kei, du travail pour les parents, un logement, se familiariser avec la gastronomie locale, se couler dans le moule de la vie locale sans oublier pour autant ses racines, sa propre culture.

Kei et ses parents découvrent le camembert, le roquefort, « Tu es sûre qu’on peut manger ça ??? », s’inquiète le père. « Quelle odeur, ça sent les pieds », réplique la mère. Key découvre aussi l’histoire française, la politique, le quotidien des Français…

Banana girl raconte cette confrontation des cultures en prouvant que rien n’est incompatible, qu’on peut célébrer le Nouvel An chinois et tirer les rois, manger du gruyère râpé et adorer les raviolis crevettes à la vapeur, se soigner au baume du tigre un jour et à l’eau bénite le lendemain, apprendre à parler le français et à écrire le chinois dans un même élan, partir de pas grand chose et devenir ingénieure. Kei Lam le sera pendant quelques années avant d’intégrer l’école de Condé à Paris pour suivre des études d’illustration et obtenir un master en 2016. Banana girl est son premier roman graphique, pas le dernier j’espère !

Eric Guillaud

Banana girl, de Key Lam, Éditions Steinkis. 17€

© Steinkis / Kei Lam

© Steinkis / Kei Lam