02 Oct

Kill Annie Wong, La Falaise, Debout les morts, Bangalore, René.e : la belle rentrée des éditions Sarbacane en cinq albums

Chez Sarbacane, on prend le temps de faire des livres, on prend le temps de les penser, de les fabriquer, de les peaufiner. On aime les histoires, on aime aussi l’objet. La rentrée 2021 ? Plus d’une vingtaine de livres entre août et septembre, parmi lesquels sept bandes dessinées. En voici cinq qui ont attiré notre regard et titillé notre imaginaire…

On commence avec René.e aux bois dormants, un magnifique album de 272 pages signé Elene Usdin, artiste française qui a débuté comme peintre pour le cinéma et illustratrice de presse et de livres jeunesse. René.e est son premier roman graphique. Il s’en dégage une atmosphère très particulière, un univers très coloré, très créatif où le quotidien le plus sombre côtoie le surnaturel le plus débridé. Aux origines du récit, ce qu’on appelle au Canada la rafle des années 60 : l’enlèvement de milliers d’enfants autochtones à leur communauté d’origine pour les faire adopter par des familles des classes moyennes blanches. 

René est l’un d’eux. Il a dix ans, a été adopté, habite au dixième étage d’un immeuble dans une grande ville. Il ne ressemble pas à sa mère, les enfants de son âge le rejettent. Ils disent qu’il a été acheté. Alors, René se laisse happé par les rêves. En pyjama, il part à la recherche de sa peluche Sucre Doux qui s’est enfui. Les rêves l’entraînent dans un univers peuplé d’étranges créatures au contact de qui il se métamorphose lui-même, devenant tour à tour fille, chatte ou arbre. Et peu à peu, page après page, rencontre après rencontre, la déambulation de René révèle le drame qu’il a vécu. Un voyage entre mythe et réalité. (René.e aux bois dormants, d’elene Usdin. 29,50€)

Il s’appelle Enzo, comme le héros du Grand bleu, sauf que lui ne fait pas dans la plongée en apnée. Non, son truc, c’est plutôt le dézingage. Enzo est tueur à gages, il fait son boulot avec sang-froid, efficacité et en musique s’il vous plait. Toujours le même morceau, toujours la même voix d’une mystérieuse chanteuse. Et il est connu pour ça dans toute la mégalopole coréenne de Chogsu Siti. Mais son dernier contrat ne va pas se passer comme prévu.

Contacté par le chef de la police locale, Enzo est chargé de déstabiliser Mon-Sik, une espèce de mafieux qui souhaite se présenter à la mairie. Et pour le déstabiliser, rien de mieux que de s’en prendre à sa petite amie, une cantatrice célèbre du nom d’Annie Wong. Rien de bien sorcier pour Enzo sauf qu’au moment de passer à l’acte, il comprend que la voix qui passe en boucle dans sa tête, c’est celle de cette femme… Un thriller brillant et original, emmené par le superbe trait de Gaël Henry, auteur par ailleurs de Jacques Damour ou Tropique de la violence également aux éditions Sarbacane (Kill Annie Wong, de Meralli, Henry et Bona. 24€)

Vous avez aimé Bangalore en noir et blanc ? Alors vous adorerez Bangalore en couleurs. Et si vous ne connaissiez pas Bangalore, alors c’est le moment de le découvrir. L’album de Simon Lamouret sorti en 2017 chez Warum rejoint les éditions Sarbacane avec une splendide réédition en couleurs. Tout y est, le trait précis de l’auteur, les planches aux mille détails, l’humour dans toutes le cases ou presque et l’âme de cette mégalopole de près de 9 millions d’habitants, oui tout y est, la couleur en plus.

Mais que raconte Bangalore ? L’album ne raconte pas un voyage mais une suite d’anecdotes de la vie quotidienne. Des saynètes en une ou deux pages décrivent la ville et les gens qui la font, la circulation de folie, les chargements improbables qui font vaciller motos et vélos, l‘urbanisation anarchique, les multiples petits métiers de la rue, la vie nocturne, les mariages arrangés ou encore la misère des ouvriers de chantiers. Et Simon Lamouret connaît bine tout ça puisqu’il y a habité pendant trois ans.

« J’ai arpenté cette ville et ai posé mon regard sur les interactions qui se déroulent dans la rue. Devant le spectacle des passants anonymes, de ces acteurs des trottoirs, j’ai tenté de décoder une part de l’âme indienne, sans chercher à démontrer, en regardant et en écoutant, pour retranscrire, de la façon la plus juste, ce que j’ai cru percevoir de ce peuple ».

Un somptueux album grand format avec un dos toilé rose du plus bel effet. (Bangalore, de Simon Lamouret, couleurs de Meriem Wakrim. 28€)

Attention, petit chef d’oeuvre ! Pourquoi petit me direz-vous ? Tout simplement parce qu’il s’agit ici du premier roman graphique de l’autrice et qu’on n’aurait plus suffisamment de qualificatifs pour les suivants. Laissons donc « grand chef d’oeuvre » disponible pour le prochain. La Falaise, c’est son nom, nous embarque dans le monde de l’enfance, un monde pas toujours synonyme d’innocence. D’ailleurs, Astrid et Charlotte, Charlie pour la façade, se sont jurées de quitter ce monde avant leurs 13 ans. Comment ? En sautant du haut d’une falaise. Elles n’ont pourtant pas grand-chose en commun, pas grand-chose à partager, même à l’école elles ne s’approchent pas l’une de l’autre, mais elles se retrouvent sur ce point-là : envie d’en finir, envie de sauter le pas… et « après moi le déluge ».

Manon Debaye aborde la question de l’adolescence, de l’amitié, du harcèlement et du suicide avec beaucoup de finesse dans le trait et dans le propos. Page après page, le scénario d’une limpidité exemplaire nous absorbe littéralement pour nous emmener vers la fin et nous ramener à notre propre adolescence. Un album à la fois très beau dans la forme et très cruel dans le fond, à l’image de la vie parfois. (La Falaise, de Manon Debaye. 25€)

Il nous avait ébloui avec Le Rêve de Météor Slim paru aux éditions Sarbacane en 2017 et plus récemment avec Le Peintre hors-la-loi chez Casterman, Frantz Duchazeau revient nous titiller l’imaginaire avec Debout les morts, une fantaisie purement macabre qui nous embarque pour le Mexique en compagnie d’Emiliano Zapata, non pas le fameux révolutionnaire mais son fils, qui lui aussi rêve de son heure de gloire. Jusqu’au jour où les morts de la Révolution se lèvent et marchent, prêts à en découdre avec ceux qui les ont mis dans le trou. C’est la fête des morts, la fête de Los Muertos, et ça va saigner. Fuego ! (Debout les morts, de Frantz Duchazeau. 24€)

Eric Guillaud