Il y a cinquante ans tout juste, lassés de leurs conditions de détention inhumaines, les prisonniers de la prison d’Attica sur la côte est américaine se sont mutinés. Une révolte réprimée dans le sang racontée ici d’une façon presque documentaire…
Il faut remettre les choses dans leur contexte. En 1971, aux États-Unis, le Summer Of Love n’est déjà plus qu’un lointain souvenir, Richard Nixon est au pouvoir, le pays est encore embourbé dans la guerre du Vietnam et le racisme au pouvoir dans de nombreux endroits, particulièrement dans le sud. C’est pour toutes ces raisons que l’histoire de la révolte de la prison d’Attica dans l’état de New York est aussi symbolique.
Sur 2300 détenus, 1600 sont noirs. Mais tous vivent dans des conditions exécrables, sous la coupe de gardiens brutaux et ouvertement racistes. Un volcan prêt à exploser, ce qui finit par arriver le 9 Septembre. Suite à des rumeurs de torture sur des prisonniers, une révolte éclate et quarante-deux gardiens et employés sont alors pris en otage. Les demandes des mutins ? Ne plus être traités comme des bêtes, avoir accès à des soins dignes (ils n’avaient droit alors qu’à une douche par semaine !) ou à l’éducation etc. Ils réussissent même à s’autogérer, sans violence. Malgré tout, le gouverneur de l’état, qui vise à se présenter à l’élection présidentielle, donne l’autorisation à l’armée de donner l’assaut au bout de quatre jours de négociation.
Le bilan est terrible : trente-neuf morts, dont vingt-neuf prisonniers. Sur le coup, la police prétend que tous ont été victimes des rebelles mais l’enquête confirmera, bien plus tard, que tous ou presque sont en fait morts sous les balles des militaires. Le scandale est énorme, mettant la prison au cœur du débat publique, suscitant des manifestations à travers le pays et inspirant de nombreux artistes, du saxophoniste Archie Shepp (l’album Attica Blues) à John Lennon (‘Attica State’) tout en devenant un symbole pour les militants pour les droits civiques.
C’est cette histoire, sous la forme d’un roman graphique très documenté et centré sur le personnage de Frank ‘Big Black’ Smith qui est racontée ici. Sans fioriture, à la limite de l’austérité car centré sur de longs dialogues en gros plans mais d’une dureté assez étonnante car terriblement réelle.
Le récit est essentiellement raconté du point de vue de Smith, prisonnier à Attica en charge de la sécurité au sein des mutins et dont le calme impérial est à l’exact opposé de son physique de colosse dont il a tiré son pseudonyme. Le tout commence par la fin en quelque sorte avant de remonter le temps d’une façon quasi-documentaire, crue et franchement violente. Les mauvais traitements, les insultes ou encore le cynisme absolu des autorités… Rien n’est épargné au lecteur.
Même les choix de couleurs – une sorte de noir et blanc jauni où surgit parfois le rouge lorsque la violence explose – semblent souligner à leur façon le côté oppressant et désespéré de la situation. Difficile d’ailleurs de ne pas faire un parallèle entre ce qui s’est passé sous Nixon et, quasiment cinq décennies plus tard, la résurgence de la haine raciale sous l’administration Trump. Avant tout une leçon d’histoire qu’une bande dessinée mais une leçon coup de poing, pas si lointaine de nous que ça.
Olivier Badin
Big Black – Stand At Attica de Jared Reinmuth & Améziane, Archaia/Boom Studios/ Panini Comics. 19,95 euros.