26 Fév

Bandonéon, de Gonzalez. Editions Dupuis. 24 euros.

Un ovni ! Ou un miracle ! Comme vous voulez. Son nom : Bandonéon, comme l’instrument. Arrivé sans prévenir, sorti sans faire de bruit. Et pourtant ! Bandonéon a tout du chef d’oeuvre, de ces livres qu’on ouvre, qu’on dévore d’un bout à l’autre et qu’on finit par refermer uniquement sous la menace ou sous la contrainte du quotidien. Faut bien aller bosser ! Mais les images sont là, pour longtemps gravées dans la mémoire. Et le récit aussi. Un récit à double entrée avec d’abord la destinée du jeune Horacio, un prodige du piano, fasciné par les musiciens de tango, par ses amis Vicente, Luis, Gordo et les autres, un prodige donc qui fera tout pour devenir quelqu’un. Même s’il doit y laisser son âme. Puis, il y a ensuite la destinée de Jorge Gonzalez lui-même, l’auteur, qui raconte dans ces pages son propre retour en Argentine, le temps d’une visite à ses amis et à sa famille. Jorge Gonzalez vit en Espagne.

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Découvrez ici l’interview de l’auteur

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Présenté par l’éditeur comme un mélange de récit d’initiation, de fable politique et de journal intime, Bandonéon est en tout cas un ouvrage particulièrement riche qui parle bien évidemment de l’Argentine, de son histoire, des hommes, de la politique, de la culture, de la libertré, de l’amour, de l’immigration… le tout sur un air de tango. Publié dans un format « roman graphique » chez Dupuis, Bandonéon est une oeuvre réellement surprenante, surprenante dans le fond, mais aussi dans la forme avec une narration qui peut être tantôt classique, tantôt avant-gardiste, et un graphisme multiforme qui peut aller du croquis, jeté sur la page dans l’urgence, à quelque chose de plus abouti. Bref, Bandonéon est une oeuvre à part et une des plus marquantes de ce premier trimestre 2010 ! E.G.

15 Fév

Rencontre avec Aurélien Ducoudray et Eddy Vaccaro, auteurs du magnifique album Championzé paru aux éditions Futuropolis.

Eddy Vaccaro et Aurélien Ducoudray viennent de réaliser Championzé, la biographie du boxeur Amadou M’Barick Fall, dit Battling Siki, premier Français champion du monde… noir. Magnifique dans la forme, étonnant et instructif dans le fond, nous avons souhaité poser cinq questions aux auteurs, histoire d’en savoir un peu plus sur eux et sur leur album…

Comment vous est venue l’idée de réaliser cette biographie de M’Barick Fall ?

Aurélien Ducoudray. En fait, je suis tombé sur la vie de Siki complètement par hasard. C’est en feuilletant une épaisse encyclopédie de la boxe à la recherche d’infos sur le celèbre champion noir americain Jack Johnson ( accusé lui aussi de tricherie dans son combat contre le sympathique fermier blanc Jeffries !!) que je suis tombé sur une note de bas de page renvoyant à une note de trois lignes, à la fin de l’encyclopédie, au chapitre des combats truqués ! Cette note disait en tout et pour tout : cas identique en France pour le match entre le franco-sénégalais Battling Siki et l’idole Georges Carpentier… Après cette réponse en forme d’énigme, il ne restait plus qu’a suivre la piste !!

Eddy Vaccaro. Luc Brunschwig (Directeur de collection de Futuropolis à l’époque) m’a proposé le scénario d’Aurélien et j’avais une amie qui venait d’apprendre qu’elle était la descendante de Battling Siki (rousse à la peau blanche je précise). Un signe du destin, je n’ai pas pu dire non haha !

Etes-vous avant tout des passionnés de boxe, des amoureux du continent africain ou des fans du genre biographique ?

A.D. Passionné de boxe oui, mais pas érudit !! Je connais les grandes histoires, Ali, Cerdan, Jack Johnson et tous les autres grands champions, mais juste en amateur ! Par contre, du continant africain, complètement amoureux !! Mon premier métier ( photographe de presse) m’a amené a parcourir quelques pays africains ( Sénégal, Mali, Burkina, Togo, Bénin…) pour réaliser de nombreux reportages ( les albinos au Sénégal, la mendicité dans les ecoles coraniques, le Dieu football, le systeme scolaire…) et l’occasion d’accompagner la vie de Siki a été comme un vrai voyage de retour ! J’ai pu y glisser tout ce que j’aime de l’afrique ! C’est a dire tout ! L’Afrique , c’est simple, elle est tellement généreuse qu’on est obligé de tout prendre !! Avec Championzé, c’était un peu aussi une façon de lui redonner quelquechose, un fils perdu, peut être…

E.V. Je ne suis pas du tout passionné de boxe, en revanche j’ai toujours aimé le sport, le pratiquer aussi, pour le plaisir et le dépassement de soi. Mais avec Battling Siki, c’est plus l’histoire d’un homme qui m’intéresse, le contexte social, l’immersion dans son monde, ses joies, ses peines, ses doutes, ses forces… Donc oui, j’aime bien les biographies ou le décorticage de la vie d’un personnage ou d’une époque. J’adore par exemple les émissions radio comme 2000 ans d’histoire ou Rendez-vous avec X sur France Inter. Et j’ai dévoré en une seule fois le livre de Jean-Marie Bretagne sur Battling Siki ! Pour l’Afrique, c’est différent, j’ai depuis plusieurs années l’envie d’y aller et je me suis découvert la passion de la dessiner ! D’ailleurs, on a un projet de BD sur l’Afrique avec Aurélien.

Et pour vous Aurélien, la priorité était de dresser le portrait d’un grand champion de boxe ou de brosser le tableau d’une société, d’une époque, d’une mentalité ?

Aurélien Ducoudray. En fait, le portrait de l’époque s’est imposé de lui même, la seule certitude que l’on avait sur Siki est qu’il était noir et sénégalais !! Toutes les autres informations sont doublées, voire triplées par des informations contraires !! Au final, on se retrouvait devant une histoire en forme de baobab : le tronc, c’était Siki, et les centaines de branches, c’était le ressentiment des témoins de l’époque ! On a décidé de ne rien couper !! Je pense que l’histoire de Siki est indissociable de son époque, celle d’un racisme larvé, quotidien, quasi normal et totalement accepté… souvent employé dans les articles de presse sous la forme de l’humour… un humour qui pourrait être drôle s’il n’était pas nauséabond, de la tête de nègre a la salle noire de monde, aux policiers bêtes noires de Siki !! En même temps, on a choisi de ne pas taper avec une massue sur les gens de l’époque,en les dépeignant comme d’horribles racistes caricaturaux. Leurs propos sont utilisés dans le contexte de l’époque. Ils correspondent a un moment de l’histoire, a une mentalité donnée, qui j’espère n’existe plus… J’espère… Pourtant, je pense qu’il existe encore des milliers de Siki de nos jours,  plus dans le domaine de la boxe mais dans celui du travail : quand on voit par exemple la difficulté pour obtenir un entretien d’embauche quand on a une couleur de peau un peu trop foncée, ou une adresse un peu trop HLM…

Le graphisme est très particulier, oscillant entre le réalisme généralement utilisé dans les biographies et l’humoristique un peu « à l’ancienne ». C’est un choix délibéré et assumé ou il s’agit tout simplement du style graphique d’Eddy. Quelle technique avez-vous d’ailleurs utilisé ?

E.V. J’ai travaillé avec des crayons plus ou moins gras, un peu d’encre et beaucoup de correcteur blanc que j’utilise comme de la peinture blanche (c’est pratique et il n’y a pas à tremper le pinceau). C’est une technique rapide qui permet de retranscrire une variété très large d’ambiances ou des sensations avec le maximum de rapidité.  Pour les « Gueules » des personnages ou certaines illustrations, c’est effectivement mon style naturel auquel j’ai ajouté l’influence des journaux d’époque, Le Miroir devenu Le Miroir des sports après la 1ère guerre mondiale, La Baïonnette, le journal des tranchées, et un journal sur la boxe des années 20. J’y ai découvert des illustrateurs (notamment Gus Bofa) qui ressemblent pas mal à ce qui peut se faire dans la BD actuelle et même qui en sont des influences assumées.

A.D. Le  côté cartoon est complètement voulu car je trouve qu’il sert les personnages, les expressions sont tout de suite reconnaissables et je trouve que c’est un joli pied de nez que de se servir des icônes graphiques de l’époque pour justement en dénoncer le coté banania !!

Quelles sont vos influences, vos envies ?

A.D. Mes influences ? Toutes les bonnes histoires racontées par n’importe qui sous n’importe quelle forme !! Film romans, BD, articles de journaux, tout ! Et sans prétention, Godard a coté de Godzilla, d’obscurs cineastes russes au dernier film d’horreur anglais !! Tout est bon a prendre ! Après, côté envies, nous allons nous atteler a deux nouvelles biographies de boxeurs chez Futuropolis ! Celle de Young Perez, un Juif tunisien français champion du monde de boxe dans les années 30 qui fut déporté a Auschwitz, et celle de Primo Carnera, ancien lutteur de foire devenu symbole du fascisme italien sous Mussolini et devenu champion du monde de boxe en ayant  truqué tous ses combats !! Et pour ceux qui ont apprécié Championzé, jetez vous sur le livre de Jean-Marie Bretagne, Battling Siki, qu’on remercie au passage pour ces nombreuses informations !

E.V. Je lis peu mais j’aime beaucoup le roman graphique en noir et blanc ou couleur. Je n’aime pas trop la BD avec beaucoup d’effets graphiques. je trouve que certaines histoires manquent vraiment de fond, voilà, j’ai besoin de fond, de sens, pas de « délire de djeuns! ». Là je vais me faire traîter de vieux réac haha ! J’apprécie vraiment une certaine « école italienne » avec des auteurs qui développent leur travail de manière très personnelle, avec un grande maîtrise et un belle élégance poétique ( Gipi, Manuele Fior, Mattoti, Gabriella Giandelli…). Et puis des peintres aussi, Gauguin, Turner, Alechinsky, Matisse… Mon envie principale est de raconter des histoires avec du fond et de développer petit à petit un style personnel qui évoluera avec mes expériences, ma vie. Pour l’instant j’ai encore l’impression d’appartenir à une école que certains appellent « la nouvelle BD française » et ou la « BD indé » mais qui n’est plus si nouvelle, ni indépendante.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 11 février 2010.

Retrouvez la chronique de l’album ici

28 Jan

Le Télescope, de Van Hamme et Teng. Editions Casterman. 15 euros.

  

Julien Villars, Marcello Garini, Charles Ferignac, René Jouvert et Louis Seigner. Ils sont cinq, cinq copains à partager un identique désabusement face à la vie et au travail. Ils ont tous la soixantaine et sont tous plus ou moins fauchés. Face à eux, Josefine, avec un f. 25 ans, des études chez les Soeurs quelque part en Belgique, des amants qui l’entretiennent et un certain penchant pour le luxe. Deux mondes en somme bien éloignés ? Deux mondes qui vont pourtant se rencontrer. Et plus ! Car Josefine va proposer aux cinq lascars de l’entretenir et, en retour, elle leur offrira tout son amour. Restaurants, champagne, bijoux… C’est tous les jours la fête et, très vite, les cinq se retrouvent sur la paille. Mais Josefine a un plan, un plan en forme de sombre machination, qui va leur permettre de se refaire une santé et de continuer à subvenir aux besoins de leur protégée…

Aucun doute, Jean Van Hamme est un conteur hors pair ! Alors que vient de sortir le premier volet de l’épopée historique Rani au Lombard, réalisé avec Alcante et Valles, le scénariste le plus couru de la planète BD (Largo Winch, Thorgal, XIII, Les Maîtres de l’orge…) retrouve l’époque contemporaine pour un récit qui parle d’amitié, de sexe, d’amour, d’argent… de la vie en somme ! Un récit résolument immoral, comme le déclare l’auteur lui-même, mis en images de façon très réaliste par Paul Teng dont avait déjà pu apprécier le coup de crayon sur la série Shane au Lombard. E.G.

  

Che, de Hector Oesterheld, Alberto Breccia et Enrique Breccia. Editions Delcourt. 12,90 euros.

   

La parution de cet album est un événement ! N’ayons pas peur des mots, il s’agit même d’un événement historique. Publié en septembre 2009, au même moment que la sortie en DVD du dyptique de Steven Soderbergh, avec Benicio del Toro dans le rôle du révolutionnaire, Che a eu un destin peu ordinaire, le destin d’un livre qui dérange. C’est en Argentine et en 1968 que paraît pour la première fois cette biographie dessinée de Che Guevara. En quelques semaines, ce sont quelque 60000 exemplaires qui auraient été écoulés. Mais lorsque la junte militaire prend le pouvoir en 1973, le livre est tout simplement interdit et plus tard le scénariste Hector Oesterheld assassiné, les planches originales détruites.  Le livre réapparaît dans les années 80 en Espagne dans une édition de luxe que n’aurait pas approuvé Breccia, puis en album souple chez le petit éditeur français Fréon. une édition bien évidemment très confidentielle ! Il faudra finalement attendre plus de quarante ans pour que paraisse l’album dans une édition française grand public. Et c’est chez Delcourt ! Exceptionnel par son histoire, le livre l’est aussi par son graphisme, tour à tour réaliste et quasi-suréaliste, et par sa narration, basée sur une série de flash-backs à partir du moment où Guevara se trouve dans la jungle bolivienne, à quelques jours de sa mort. Une pièce du patrimoine littéraire mondial ! E.G.

Sergent Kirk (troisième époque), de Oesterheld et Pratt. Editions Futuropolis. 25 euros.

  

Vraiment magnifique ! Absolument somptueuse ! Totalement indispensable ! Cette réédition de l’une des oeuvres de jeunesse du géantissime Pratt mérite tous les superlatifs du monde. Et les millions de fans de l’auteur savent de quoi il est question ici. Même s’il s’agit d’une énième réédition, cette intégrale signée Futuropolis peut en effet être considérée comme l’ultime, la définitive. Supervisée par Hugo Pratt lui-même qui n’hésita pas dans les années 60 à modifier les 5000 planches initiales, à les remonter ou à en réécrire certaines, cette intégrale comptera à terme cinq volumes et près de 900 planches. Lancées en 1953, alors que Pratt n’a pas encore la trentaine et qu’il vit en Argentine, Sergent Kirk est l’œuvre la plus prolifique de l’auteur mais aussi la plus méconnue. Elle apparaît aujourd’hui, aux yeux de beaucoup, comme une préfiguration des aventures de Corto Maltese. Bien sûr, Kirk n’est pas un marin et ne se balade pas à travers le monde comme Corto - lui vit ses aventures dans le grand Ouest américain  - mais il y a dans ces centaines de pages le même souffle épique, la même invitation narrative et graphique au voyage. Après un premier volume paru en novembre 2008, un second en mars 2009, voici donc le troisième fraîchement sorti des imprimeries… . Un conseil, un seul : prenez le temps d’apprécier la qualité de reproduction des planches. C’est tout simplement une merveille ! E.G

Jonathan (Intégrale tomes 4 à 6), de Cosey. Editions Le Lombard. 20 euros

  

Le Vietnam (Saïgon-Hanoï), l’Italie (Voyage en Italie), les Etats-Unis (Joyeux Noël, May!) ou encore le Sahel (Zélie Nord-Sud), Bernard Cosendai, dit Cosey, a élaboré en quelque quarante ans une oeuvre absolument magnifique, étonnante et vagabonde. Il est reconnu et apprécié dans le milieu du Neuvième art pour ses récits réalistes, sensibles, emprunts d’humanisme et truffés de personnages à la psychologie particulièrement fouillée. Les aventures de Jonathan, prépubliées à partir de 1975 dans les pages du journal Tintin, racontent l’histoire d’un jeune occidental amnésique marchant sur les traces de son passé. Une aventure ponctuée de rencontres exceptionnelles mais aussi et surtout une aventure intérieure dans le somptueux décor du Népal et du Tibet. Cette présente réédition en intégrale comportera à terme cinq volumes. Le second paru récemment réunit trois tritres (Le Berceau du BodhisattvaL’Espace bleu entre les Nuages, Douniacha il y a longtemps…) et, en complément, un  dossier très complet et très intéressant qui revient sur le contexte de création de la série et plus largement sur le travail de l’auteur avec de nombreux croquis, aquarelles, illustrations inédites, photos et documents personnels. Un grand classique de la bande dessinée et un univers unique à découvrir ou redécouvrir ! E.G.

La Guerre d’Alan, d’Emamnuel Guibert. Editions L’Association. 38 euros.

  C’est un livre tout à fait exceptionnel et un témoignage sur la seconde guerre mondiale comme on peut en découvrir seulement de temps en temps, au détour d’une commémoration, d’un reportage journalistique ou d’un film documentaire.

Sauf qu’ici, l’affaire se joue sur près de 300 planches, quelque 1500 cases et autant de dessins signés Emmanuel Guibert, auteur par ailleurs des excellentes séries que sont Sardine de l’espace, La Fille du professeur ou encore – et surtout – de cet ouvrage qui a marqué les esprits bien au delà du cercle des passionnés de BD  : Le Photographe.

Bref, La Guerre d’Alan est une bande dessinée, une bande dessinée un peu différente certes, mais une bande dessinée qui parle de la réalité de la guerre à travers les souvenirs d’un soldat américain, Alan Ingram Cope, débarqué un beau matin de février 1945 en Normandie, au Havre pour être tout à fait précis.

C’est en 1994 que les deux hommes, l’ancien soldat et l’auteur de bande dessinée, se rencontrent quelque part sur l’île de Ré. Une amitié se noue et, très vite,  Alan commence à raconter sa guerre à Emmanuel qui décide de la mettre en images.

« Nous n’avons pas fait oeuvres d’historiens… », confie Emmanuel en introduction, « La Guerre d’Alan, c’est la rencontre d’un vieil homme qui racontait bien sa vie avec un jeune homme qui a ressenti le besoin spontané de l’écrire et de la dessiner… »

De fait, vous ne trouverez pas dans ce récit une histoire même vulgarisée de la seconde guerre mondiale mais l’histoire plus modeste d’un jeune soldat inconnu qui va suivre dès 1942 un entraînement intensif sur le sol américain avant de rejoindre les troupes alliées au front.

Pas de grands faits d’arme, pas d’actes franchement héroïques, mais une description du quotidien appuyée par beaucoup d’anecdotes surprenantes. Initialement pulbiée en trois volumes, parus entre 2000 et 2008, cette histoire est aujourd’hui rééditée sous forme d’intégrale grand format (24 x 34,5) au tirage limité à 4000 exemplaires.

Une édition prestigieuse qui permet d’apprécier plus encore le dessin d’Emmanuel Guibert et de se plonger corps et âme dans ce fascinant récit et précieux témoignage…

Eric Guillaud

Tartuffe de Molière, par Duval et Zanzim. Editions Delcourt. 9,95 euros.

  

Molière ? Forcément, on connaît ! Tartuffe ? On connaît, même si on ne l’a pas lu. Fred Duval ? Ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la bande dessinée connaissent également ! Le scénariste de Carmen Mc Callum, Travis, Hauteville House, Meteors ou encore de Gibier de potence aborde ici - il est vrai - un genre très éloigné de ses univers habituels. Un genre où on ne l’attendait peut-être pas ! Pas de navettes spatiales à l’horizon, pas de nanotechnologies, de mondes virtuels, pas plus de chevaux traversant au triple galop les grandes plaines de l’Ouest américain ou de cowboys à la gachette facile, non, tout est ici affaire de mots. Et quels mots ! Ceux de Jean-Baptiste Poquelin, autrement appelé Molière, des mots qui dénoncent l’hypocrisie dans une comédie en cinq actes interdite à l’issue de sa première représentation en 1664. Les temps ont depuis bien évidemment changé, pas l’hypocrisie, et Tartuffe est aujourd’hui la pièce la plus jouée depuis sa création. Prévue en trois volumes, l’adaptation de Fred Duval et de Zanzim, dont le trait délicat convient parfaitement à ce genre de récit, propose de retrouver le texte intégral de ce chef d’oeuvre indémodable et d’apprendre au passage quelques répliques qui peuvent toujours servir comme celle-ci : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées ». Joli, non ? E.G.

Martha Jane Cannary, Les années 1852 – 1869 et Les années 1870 – 1876, de Perrissin et Blanchin. Editions Futuropolis. 22 euros le volume.

Derrière le nom de Martha Jane Cannary, qui n’évoque absolument rien à la plupart d’entre nous (et c’est bien normal !), se cache l’une des grandes figures de l’Ouest américain, la légendaire Calamity Jane. Née le 1er mai 1852 dans le Missouri, calamity Jane devient par la force des choses une aventurière au long cours, une femme téméraire qui traverse maintes fois les territoires sioux, une femme libre aussi qui croise un jour la route du général Custer, tombe amoureuse d’une autre figure légendaire de l’époque, James Butler Hickok, alias Wild Bill, a un enfant qu’elle décide plus tard d’abandonner…

Christian Perrissin et Matthieu Blanchin reviennent sur ce véritable mythe en choisissant un angle intimiste, les auteurs s’intéressant plus particulièrement à la femme, à la mère, que fût Calamity Jane. « L’envie, c’était justement de ne pas faire un western mais de raconter une femme qui refuse de se soumettre aux diktats des hommes et de la société… », précise Christian Perrissin. C’est notamment à travers les lettres adressées à sa fille, entre 1877 et 1902, que les auteurs ont construit leur récit. « Pour ne pas être dupes, nous nous sommes documentés sur son environnement historique, social, affectif… », poursuit Matthieu, « Il a fallu faire des recoupements entre divers bouquins qui parlent d’elle ou de ses contemporains comme Wild Bill Hickok ou Custer, et voir si ce qu’elle racontait concordait avec les dates et les lieux… ». Car Calamity Jane inventait beaucoup de choses à son propos. « Nous proposons en fait un portrait subjectif d’une personne qui, il ne faut pas l’oublier, se mysthifiait elle-même de son vivant ». Après un premier album qui a fortement enthousiasmé le monde du Neuvième art et qui a reçu un Essentiel au festival d’Angoulême en 2009 ainsi que le Prix Ouest-France – Quai des Bulles au festival de Saint-Malo en 2008, Mathieu Blanchin et Christian Pessissin poursuivent l’exploration de ce destin de femme hors du commun avec ici les années 1870 – 1876, époque difficile pour Calamity qui se retrouve avec un bébé sur les bras… Un deuxième album tout aussi remarquable avec toujours ce graphisme particulier de Matthieu Blanchin, au trait jeté, dynamique, proche de l’esquisse. Une nouvelle vision de l’Ouest américain ! E.G.

Rose Valland Capitaine Beaux-Arts, de Polack, Bouilhac et Catel. Editions Dupuis. 11,50 euros.

  

Qui était Rose Valland ? Si son nom n’a pas forcément traversé le temps et marqué les esprits, son action pendant la seconde guerre mondiale a pourtant été décisive dans le sauvetage du patrimoine culturel juif. Attachée de conservation au Jeu de Paume, à Paris, cette femme opiniâtre va méticuleusement et secrètement noter les références des oeuvres volées aux Juifs et stockées au musée en attendant d’être acheminées en Allemagne. Dès 1945, alors que la guerre se poursuit, Rose Valland, devenue Capitaine Beaux-Arts, part sur les traces de ce patrimoine spolié par les nazis pour le récupérer et le restituer aux différents propriétaires. Elle poursuivra cette tâche pendant des années à travers toute l’Europe. Ce petit album publié aux éditions Dupuis, soutenu par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et par la Fondation du Judaïsme fançais, retrace le destin de cette femme étonnante, d’abord en bande dessinée puis sous forme d’une chronologie détaillée et illustrée de photographies et documents d’époque. Un livre à la tonalité éducative, illustré par Catel qui a réalisé précédement le fameux Kiki de Montparnasse, paru aux éditions Casterman. E.G.

L’info en +

Une exposition sur Rose Valland se tient au Musée de la Résistance à Lyon jusqu’au 2 mai 2010. Plus de détails ici