Après « Il était 2 fois Arthur » réalisé avec Nine Antico au dessin, le Strasbourgeois Grégoire Carlé nous revient avec un album hanté par l’histoire de son grand-père dans une Alsace annexée par l’Allemagne nazie. Une histoire intime, une histoire de filiation et d’identité dans une des périodes les plus sombres de l’humanité…
Nous avons tous, un jour ou l’autre, interrogé nos grands-parents sur leur vie pendant la seconde guerre mondiale. Avec plus ou moins de réussite à l’arrivée. Secrets de famille, tabou, honte, pudeur… les raisons de ne pas étaler une vie enfouie sous des décennies passées sont multiples.
Grégoire Carlé, lui, n’a pas eu le temps de le faire. Si, durant son enfance, il a partagé avec son grand-père de longues parties de pêche dans la montagne et des promenades en forêt, ce n’est que bien plus tard qu’il a ressenti le besoin, l’urgence comme il dit, de recueillir sa parole, ses souvenirs. Malheureusement, le grand-père meurt à ce moment-là.
Un rendez-vous manqué qui est un de ses plus grands regrets, avoue Grégoire Carlé. Commence alors pour lui un long cheminement intime, cherchant dans ses souvenirs les moindres bribes de témoignage de ce grand-père disparu, avant d’élargir ses recherches aux proches, aux livres, aux archives publiques et privées, une enquête de deux ans nécessaire pour atteindre la rigueur historique visée par l’auteur.
Et d’écrire l’histoire de ce grand-père, sa jeunesse dans une Alsace annexée par l’Allemagne nazie avec l’objectif de la défranciser, de la décléricaliser, de la germaniser, de la nazifier, en un mot ou presque de la mettre au pas. L’araignée nazie tissait sa toile !
Le grand-père ne s’y est pas laissé prendre, fondant avec quelques autres le réseau de résistance Feuille de lierre, participant à quelques actions d’éclats avant d’être finalement arrêté, interné au camp de Schirmeck puis incorporé de force dans la Wehrmacht comme des dizaines de milliers d’Alsaciens et Mosellans. Les fameux « malgré-nous ». L’humiliation suprême !
C’est cette histoire d’homme entré en résistance au péril de sa vie que raconte aujourd’hui l’album de Grégoire Carlé. C’est aussi l’histoire d’une filiation et d’une transmission entre un grand-père et son petit-fils. Et au final, un regard intime sur une époque sombre pour l’humanité et peut-être plus encore pour cette région meurtrie jusqu’au plus profond de son identité.
Pour mettre en images ce récit intime aux résonances universelles, où la folie des hommes côtoie la beauté de la nature, un sacré contraste, Grégoire Carlé a opté pour la couleur directe, une douceur d’aquarelles sur des noirs tranchants qui donnent aux planches un petit côté ancien bien vu. Une merveille !
Eric Guillaud
Le Lierre et l’araignée, de Grégoire Carlé. Dupuis. 29,95€