Source d’inspiration inépuisable pour les auteurs et voyage sans fin pour les lecteurs, l’histoire avec un grand H se décline sur tous les modèles, documentaires, biographies ou fictions. En voici une petite sélection forcément subjective mais totalement assumée…
Ce 21 février, Missak et Mélinée Manouchian entraient au Panthéon, l’occasion de remettre en lumière la Résistance et notamment la Résistance étrangère et communiste. Le groupe Manouchian était en effet composé de Polonais, d’Italiens, de Hongrois… et d’apatrides. Pourtant, plus français que certains Français, ses membres ont multiplié les attentats et sabotages contre l’occupant allemand à Paris avant d’être pris dans les filets de la police française, d’être torturés et livrés aux Allemands qui les fusilleront.
Le groupe Manouchian deviendra « célèbre » avant même la fin de la guerre, les Allemands ayant maladroitement espéré discréditer ses actions par une campagne d’affichage voulant le faire passer pour l’armée du crime. C’est tout le contraire qui se produisit, l’affiche rouge ayant certainement convaincu certains à rejoindre la Résistance. C’est l’histoire de cette cellule et de sa figure la plus illustre que raconte l’album de Jean-David Morvan et
Thomas Tcherkézian paru aux
Éditions Dupuis. Si ce dernier signe ici son premier album avec un dessin déjà très assuré,
Jean-David Morvan est lui connu et reconnu pour sa production pléthorique et de qualité et entre autres sa série « Madeleine, résistante » consacrée à une autre héroïne de la Résistance, Madeleine Riffaud. (
Missak, Mélinée et le groupe Manouchian, de Morvan et Tcherkézian. Dupuis. 25€)
Madeleine Riffaud justement ! Le deuxième volet de sa biographie est sorti il y a quelques mois aux éditions Dupuis sous la conduite du scénariste Jean-David Morvan et du dessinateur Dominique Bertail, nous offrant là le portrait d’une personnalité exceptionnelle, née en 1924, résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, combattante éternelle pour la décolonisation et l’oppression des peuples d’une manière générale, amie de Picasso et Hô Chi Minh, bref un personnage comme seules les grandes heures de l’histoire peuvent en fabriquer, une femme pleine de courage mais surtout d’humilité bien décidée à transmettre dans les pages de cet album son histoire et au-delà, un esprit, celui de l’engagement et de la Résistance. Alliant un graphisme réaliste à la fois délicat et racé et un scénario au cordeau, Madeleine, résistante porte le témoignage du quotidien d’une cellule de résistants dans Paris, le « maquis » de Madeleine Riffaud. Passionnant ! (Madeleine, résistante, de Riffaud, Morvan et Bertail. Dupuis. 23,50€)
On reste dans le même contexte historique avec la reconstitution chronologique, au jour le jour, quasiment heure par heure, des derniers moments du tyran sanguinaire Hitler. Tout commence le 15 janvier avec le retour du Führer à Berlin, suite à l’échec de l’offensive des Ardennes, et prend fin le 30 avril avec son suicide et celui d’Eva Braun. Entre les deux, 100 jours qui ont couté la vie à tant d’hommes, 100 jours qui ont redonné l’espoir à tant d’autres, l’Allemagne prise en étau, entre les forces alliées et les Soviétiques, lancée dans une folie autodestructrice totale avec des épisodes peut-être moins connus comme l’opération navale Hannibal qui a consisté à évacuer de la Prusse orientale vers l’ouest plus d’un million de soldats et de civils fuyant l’avancée soviétique ou encore la livraison de milliers de Juifs à la Suisse contre 1000 dollars par tête. Et toujours ce rêve fou d’un Reich de mille ans alors que les bombes dévastent les villes allemandes et notamment Berlin, que les civils sont en mode survie et que la Wehrmacht exsangue jette ses dernières forces dans la bataille. (Les 100 derniers jours d’Hitler, de Pécau, Mavric et Andronik, d’après le livre de Jean Lopez. Delcourt. 19,99€)
Trois clichés en noir et blanc avec le même visage, de face et de profil. Et à chaque fois le même sourire qui interroge, nous interroge. Et pour cause, les clichés ont été pris à Auschwitz en 1943. La jeune femme devant l’objectif s’appelle Marie-Louise Moru, dit Lisette, une Morbihannaise de 16 ans. Pourquoi ce sourire ? Est-ce un sourire de défi ? La bande dessinée Le Sourire d’Auschwitz est née de ces interrogations. Journaliste à France 24, réalisatrice de webdocumentaires et scénariste de bandes dessinées, la Nantaise Stéphanie Trouillard continue d’y explorer notre histoire et plus particulièrement la seconde guerre mondiale avec le récit d’une vie brisée avec Renan Coquin au dessin. La guerre, l’occupation, la déportation, la collaboration, la Résistance… C’est ce que raconte Le Sourire d’Auschwitz à travers ces destins brisés avec pour objectif de transmettre l’histoire de la seconde guerre mondiale aux plus jeunes, comme nous l’explique l’autrice dans une interview à retrouver ici. (Le sourire d’Auschwitz, de Stéphanie trouillard et Renan Coquin. Des Ronds dans l’O. 22€)
Après Il était 2 fois Arthur réalisé avec Nine Antico au dessin, le Strasbourgeois Grégoire Carlé nous revient avec un album hanté par l’histoire de son grand-père dans une Alsace annexée par l’Allemagne nazie. Une histoire intime, une histoire de filiation et d’identité dans une des périodes les plus sombres de l’humanité, subtilement mise en images, l’auteur ayant opté pour la couleur directe, une douceur d’aquarelles sur des noirs tranchants qui donnent aux planches un petit côté ancien bien vu. Une merveille plus longuement chroniquée ici ! (Le Lierre et l’araignée, de Grégoire Carlé. Dupuis. 29,95€)
On quitte le XXe siècle pour le XVIIIe et une histoire de pirates, l’un des plus fameux, Olivier Levasseur, dit La Buse, avec à la plume et aux pinceaux, Jean-Yves Delitte, une référence dans l’histoire maritime. Et pour cause, l’homme est peintre officiel de la marine belge, membre titulaire de l’Académie des Arts & Sciences de la mer et auteur d’une belle collection de bandes dessinées sur ce thème. Nous sommes à la fin de la guerre de Succession d’Espagne qui marque une recrudescence de la piraterie avec des corsaires congédiés et sans travail. Olivier Levasseur, dit La Buse, est l’un d’entre eux. Son heure de gloire arrive avec une prise sans pareille : le Nossa Senhora do Cabo, un vaisseau portugais rempli à ras bord de trésors accumulés par le vice-roi portugais des Indes orientales ! Mais comme il le dit lui-même : trop de richesse, c’est comme l’ivresse, cela finit toujours par apporter des ennuis. La Buse finira sur l’échafaud et son trésor caché deviendra un mythe. (La Buse tome 2 de Jean-Yves Delitte. Glénat.14,50€)
On reste sur les océans avec encore une fois Jean-Yves Delitte, rejoint ici pour le dessin par le jeune Coréen Q-Ha, et un neuvième volet de la collection Les Grandes batailles navales consacré à la seconde guerre de l’opium qui opposa de 1856 à 1860 le Royaume-Uni, la France et les États-Unis à la Chine. Avec, au bout du compte, une Chine vaincue, comme à l’issue de la première guerre de l’opium, soumise à de larges concessions territoriales, Hong Kong revenant à la Grande-Bretagne pour 99 ans, et à l’ouverture au commerce étranger. Un dossier historique de huit pages accompagne ce récit. (Opium war, de Jean-Yves Delitte et Q-Ha. Glénat. 15,50€)
Changement d’époque et d’ambiance avec le quatrième volet de Wild West sorti en début d’année. Thierry Gloris au scénario et Jacques Lamontagne au dessin poursuivent leur chevauchée au cœur de l’Ouest américain avec ses grands espaces, ses saloons, ses indiens, ses bons, ses brutes, ses truands et ses héros de caractère dont font assurément partie Martha Jane Cannary, plus connue sous le nom de Calamity Jane, Wild Bill et Charlie Utter, trois immenses figures de l’Ouest lancés sur les traces d’un tueur fou. Une très bonne série entre fiction et histoire. (La Boue et le sang, Wild West tome 4, de Lamontagne et Gloris. Dupuis. 15,50€)
C’est un destin incroyable que nous racontent la scénariste Danièle Masse et le dessinateur Alexis Vitrebert dans ce roman graphique paru aux éditions Delcourt, un destin qui se décide en 1809 à Londres dans les bureaux de l’Association africaine. Jean Louis Burckhardt, également appelé Johann Ludwig Burckhardt, obtient l’aval de l’association pour partir à la découverte des terres encore inexplorées de l’Afrique. Après un passage en Syrie où il prend le nom d’Ibrahim ibn Abdullah, apprend l’arabe et redécouvre la cité oubliée de Pétra, l’homme se lance dans son objectif initial : trouver la source du Niger. Une fresque historique au milieu de somptueux décors magnifiés par une mise en couleurs subtile. (L’espion d’Orient, de Masse et Vitrebert. Delcourt. 19,99€)
On termine avec une majestueuse intégrale qui réunit des albums depuis longtemps épuisés, à savoir Congo 40 et Fleurs d’ébène, auxquels vient s’ajouter le court récit Congo blanc, tous parus initialement aux éditions Casterman et évoquant le passé colonial de la Belgique à travers une fiction prenant place dans le Congo belge. Un récit fictionnel, certes, des personnages imaginaires, bien sûr, mais un contexte bien réel et parfaitement documenté, les auteurs illustrant ici les excès de ces colonisateurs blancs, l’hypocrisie générale et les difficiles relations entre Blancs et Noirs. Un bel album au grand format qui permet de profiter pleinement du dessin réalisé à quatre mains et des couleurs originales signées Raives. En bonus, un cahier graphique d’une vingtaine de pages et autant d’illustrations absolument divines. Un voyage dans le temps et l’espace ! (Congo blanc, de Warnauts et Raives. Daniel Maghen. 35€)
Eric Guillaud