24 Juil

Pages d’été. Six BD SF pour prendre un peu de distance

Une météo capricieuse pour ne pas dire désastreuse, des élections au goût forcément amer, une violence endémique un peu partout sur la planète… on peut légitimement avoir envie d’être ailleurs, dans un autre monde, peut-être quelque part dans le futur ou dans l’espace. Mais rien ne dit que ce soit beaucoup mieux !

On commence avec Kaya, une bande dessinée 100% italienne qui nous embarque pour une Terre à la limite de l’asphyxie générale. Ses ressources naturelles sont épuisées, une partie de l’humanité a fui, l’autre tente de survivre au milieu des ruines, des animaux mutants et sous un ciel toxique. La jeune Kaya fait partie des derniers survivants. Avec son grand frère, elle tente de rejoindre le sud du pays où l’air serait dit-on plus respirable. Mais sur le chemin, Kaya se retrouve prise dans un piège avec une louve géante. Dans un monde où on ne peut plus compter sur qui que ce soit, pas même sur les derniers êtres humains, Kaya et la louve vont unir leurs forces pour survivre.

Avec un graphisme proche du cinéma d’animation et une bande son originale accessible via un QR code, Kaya est une petite curiosité même si le scénario n’a à priori rien d’exceptionnel ! Pour les amoureux de décors post-apocalyptiques. (Kaya, de Barbato, Cavallini, Tenderini et Lanfranconi. Glénat. 18,50€)

Ils nous avaient emmenés dans un monde à la Jules Verne avec Le Voyage extraordinaire, Silvio Camboni et Denis-Pierre Filippi sont de retour avec Prima Spatia, de la SF de haut vol mettant en scène une jeune fille de 17 ans, Alba, cloitrée pour sa sécurité sur un astéroïde privé, loin de tout, loin de ses parents, jusqu’au jour où elle est enlevée et se retrouve, elle et sa gouvernante, à errer pendant des mois à travers l’espace avant d’être finalement recueillie à bord de La Flèche, un navire cosmique conçu pour chasser les créatures stellaires…

Dès les premières pages du volet d’ouverture, le ton était donné, Prima Spatia faisait dans la grande aventure intergalactique tendance space opera avec un dessin, des couleurs, une galerie de personnages, de toute beauté et un scénario relativement classique mais malin, glissant ici et là quelques problématiques contemporaines. Le deuxième volet paru en février dernier ne déçoit pas et on attend maintenant le dénouement dans un troisième volet qui devrait paraître d’ici à quelques mois. (La Traque, Prima Spatia tome 2, de Filippi et Camboni. Vents d’Ouest. 14,95€)

Ce fut l’un de nos gros coups de cœur du début 2023, Kosmograd du Carpentrassien Bonaventure, alias Baptiste Corteggiani, nous embarquait pour une ville refuge perdue au milieu d’un monde dévasté par les catastrophes climatiques. Là se bâtissait, dit-on, l’avenir de l’humanité et plus véritablement l’avenir d’une élite assurée de fuir la planète via l’ascenseur orbital alors en construction. Mais la population, pas dupe de l’affaire, avait bien l’intention de manifester sa colère malgré la répression sévère promise par le régime totalitaire en place. Et parmi elle, Zoya, Paouk et Ev, trois jeunes nanas bien décidées à se faire entendre et à révéler une vérité pas vraiment jolie jolie.

Avant la chute, dont la première partie a été publiée en avril dernier, est un préquel à l’album originel, un préquel qui permet de s’attacher plus particulièrement à l’histoire de Zoya, réfugiée climatique, débarquée à Kosmograd pour trier des déchets et espérer un jour obtenir son accréditation de citoyenneté. Guerre, pénuries d’eau et de nourriture, séisme, raz de marée, flux migratoires brutaux, Zoya peut s’estimer heureuse et courbe l’échine jjusqu’au jour où… Un récit vif et dynamique, un album séduisant, même si ceux qui ont lu l’album initial peuvent avoir une impression de déjà vu, déjà lu ! (Avant la chute tome 1, Kosmograd, de Bonaventure. Casterman. 20€)

« Pour un présent heureux, un passé lisse » : une devise claire, nette et précise, ici on fait table rase du passé, on efface, on aménage, on dématérialise, on dynamite aurait dit un célèbre acteur du XXe siècle. Et de fait, même les livres ont disparu. À quoi bon s’embarrasser l’espace et l’esprit ? La vie est rose et le ciel est bleu, impossible de s’en plaindre. Prenez Will Jones par exemple. Un bon boulot à l’Académie historique, une jolie femme, une jolie gynoïde plus précisément, qui lui fait de bons petits plats, gère le ménage et ne dit jamais non à un petit câlin. Le bonheur ? Oui, jusqu’au jour où Will tombe sur un livre, puis un autre, et encore un autre. Et de les lire, poussé par la curiosité et soucieux de trouver des réponses aux questions qu’il se pose sur le monde, son monde, lisse et soi-disant heureux…

Dans cette dystopie prévue en trois volumes, les auteurs, Rodolphe et Griffo, nous rejouent quelque part le mythique SOS Bonheur avec un état providence qui veille scrupuleusement sur le bonheur de chacun, un bonheur officiel et illusoire, un miroir aux alouettes qui va finir par se briser et laisser apparaître sa véritable raison d’être. Deux albums parus, un troisième à paraître en septembre. (Utopie, tome 2/3, de Rodolphe et Griffo. Delcourt. 13,50€)

2779, quelque part dans l’espace confédéré. La jeune fugueuse Kristina parvient à rejoindre clandestinement la planète Drenn grâce au cartel des Cimes pour qui elle est censée travailler un mois. C’est le prix à payer pour ce voyage. Mais une fois sur place, les quatre semaines se sont transformées en six mois. Et la brutalité du Cartel ne laisse aucune marge de manœuvre. Alors, Kristina courbe l’échine un temps avant de se redresser, de gravir les échelons des mafias extraterrestres et d’en devenir la reine…

Spin off d’Orbital, une série de Runberg et Pellé, Outlaws nous embarque dans le monde des mafias galactiques en compagnie de la sœur de Caleb, héros d’Orbital. Le second volet vient de paraître ! (Les rivages de Midaluss, Outlaws (tome 2), de Runberg et Chabbert. Dupuis. 15,50€)

On termine avec une collection qui a vu le jour en mars dernier. Et ça tombe bien puisque l’un des deux premiers albums à paraître s’appelle Mars, La planète rouge, le second, Jupiter. Composée à terme de huit tomes, cette série s’offre comme un voyage d’étude à travers notre système solaire. Un album, une planète, et à chaque fois une fiction qui permet d’aborder la science de façon sérieuse grâce à la participation active de scientifiques experts à l’Observatoire de Paris – PSL. Quel est le diamètre de la planète rouge ? Peut-on trouver de l’eau à sa surface ? Quelle est la structure interne de Jupiter ? Quels sont ses satellites ? Autant de questions et plus encore qui trouvent réponses ici, à la fois dans la fiction et dans le dossier qui conclut chaque aventure. Et si vous souhaitez vraiment prendre de la distance avec la Terre et ses satanés Terriens sans vous ruiner, je vous conseille vivement cette collection… (Mars la planète rouge, de Lecigne et Bedouel. Glénat / Observatoire de Paris PSL. 15,50€)

Eric Guillaud