06 Mai

Direction l’Océan Indien avec Robinsons Père & fils de Tronchet et Tropique de la violence de Gaël Henry

Mayotte et l’île aux Nattes, un archipel français et une île malgache distants de quelques centaines de kilomètres, deux mondes et deux romans graphiques aux histoires très différentes sous le soleil des tropiques…

Tronchet est de retour ! Le papa de Raymond Calbuth, des Damnés de la Terre associés ou de Jean-Claude Thergal pour ne citer que ces albums-là signe cette fois un récit de voyage adapté de son roman paru en 2017 chez Elytis.

Pas de franche rigolade au programme mais le témoignage d’une aventure qui l’a amené lui et son fils sur l’île aux Nattes pendant six mois.

L’idée ? Partir sans date de retour histoire de voir combien de temps un occidental urbain du XXIe siècle peut survivre sans smartphone, sans internet et sans électricité.

Derrière le décor paradisiaque, palmiers et lagons bleus à volonté, eau à 30°, Didier Tronchet et son fils goûtent à la vie simple voire rudimentaire, pas de mails, sans eau courante, sans électricité, mais avec des moustiques, des aiguilles d’oursins et des scolopendres au venin redoutable, de quoi vite regretter son petit confort européen et parfois trouver le temps long, très long…

Dans un registre très différent, Tropique de la violence, paru chez Sarbacane, se déroule à Mayotte et raconte l’histoire d’un gamin d’origine comorienne, Moïse, adopté par une jeune infirmière française en mal d’enfant.

Mais en approchant de l’adolescence, le comportement de Moïse change, il en veut à sa mère, lui réclame sans arrêt de l’argent, sèche l’école, traîne avec un gang et finit par commettre un meurtre tandis que sa mère décède d’un accident cérébral. Il l’a retrouve inanimée dans la maison, n’appelle pas les secours, ni les voisins, donne à manger à son chien et retourne à ses occupations.

Tout est dit dans le titre, cette histoire de Nathacha Appanah aujourd’hui adaptée en bande dessinée par Gaël Henry est d’une violence inouïe, offrant une photographie de Mayotte bien différente de celles qu’on peut trouver habituellement sur les cartes postales ou les guides touristiques.

Faut-il le rappeler, Mayotte est submergée par l’immigration clandestine créant des tensions intercommunautaires fortes et exaspérant les Mahorais. Le bidonville de Gaza, que l’on découvre dans ces pages, est le plus grand de France. Il compte plusieurs milliers d’habitants qui espèrent tous une vie meilleure. Qui a suggéré déjà que la misère pouvait être moins pénible au soleil ?

Eric Guillaud

Tropique de la violence, de Gaël Henry d’après le roman de Nathacha Appanah. Sarbacane. 23,50€

Robinsons, père et fils, de Tronchet. Delcourt. 17,95€

02 Mai

Il Fallait que je vous dise : un témoignage rare et capital sur l’IVG signé Aude Mermilliod

Près de 220 000 femmes avortent chaque année en France. C’est beaucoup. Pourtant, que sait-on vraiment de l’IVG, de ce droit acquis chèrement il y a maintenant 45 ans et régulièrement remis en question ici ou là ? Pas grand chose. Les témoignages de femmes qui y ont eu recours sont très rares. Celui d’Aude Mermilliod est en cela essentiel…

56 millions d’avortement à travers le monde, 216 700 en France, 5 millions de femmes hospitalisées suite à un avortement à risque… voilà pour les chiffres aussi froids que peuvent l’être des chiffres. Et après ? Comment une femme en vient-elle à choisir l’IVG ? Comment le vit-elle ? Comment est-elle prise en charge ? Comment se passe l’acte en lui-même ? Autant de questions qui restent sans réponse pour la plupart d’entre nous.

« Ce qui était important pour moi… », explique Aude Mermilliod, « c’était d’être la plus honnête possible par rapport à des sentiments qui ne sont pas facilement audibles. Je me suis dit : Si tu décides de raconter, il faut vraiment tout dire, même si cela pourra faire lever un sourcil à certains ou que d’autres se diront que tu es un peu givrée sur les bords ».

Et elle raconte tout Aude Mermilliod dans cet album. Depuis le test de grossesse jusqu’à l’avortement. Elle raconte ses états d’âme, ses colères, les jugements des uns, les maladresses des autres. Elle raconte surtout sa détermination à avorter, dès le premier instant et ce sentiment de culpabilité qui ne la quittera pas de si tôt. Elle dit tout, ne cache rien, jusqu’aux scènes les plus intimes. C’est ce qui rend finalement son récit passionnant.

Ce qui le rend également passionnant, c’est la deuxième partie de l’album consacrée à Martin Winckler aka Marc Zaffran, connu comme romancier et essayiste mais surtout comme médecin féministe. Aude raconte cette fois l’histoire de cet homme, les chemins qui l’ont amené à pratiquer l’IVG, son apprentissage… D’un témoignage personnel, Il Fallait que je vous dise se fait dès lors témoignage universel.

« L’arrivée de Martin dans cet album en fait d’avantage un livre sur l’avortement, avant c’était un livre sur « mon » avortement. Mais avant tout, cela reste un album relatant deux témoignages. J’ai vécu l’avortement comme un deuil. J’ai vraiment personnifié cet enfant que je n’ai pas eu, ce qui est souvent un problème pour autrui. On est supposée être un peu triste, parce que sinon, cela veut dire que l’on n’a pas pris la mesure de ce qu’on a fait, mais si on l’est trop, on va s’entendre dire : « Mais c’est toi qui l’a choisi, c’est quoi ton problème ? » Comme si c’était si simple… ».

Pas si simple effectivement. Les 167 pages de l’album au graphisme plutôt sobre et efficace pour ce genre de récit l’attestent. Mais l’ambition d’Aude va plus loin encore : « J’ai l’espoir que ce livre puisse amener du réconfort et aussi donner des clés aux hommes qui accompagnent les femmes. C’est un moment où elles sont rarement dans la verbalisation ou l’explication. Elles sont dans l’émotionnel pur, alors si je peux donner quelques pistes… ».

Eric Guillaud

Il Fallait que je vous le dise, d’Aude Mermilliod. Casterman. 22€ (en librairie le 7 mai)

@ Casterman / Mermilliod