24 Juin

Le Petit rêve de Georges Frog : un grand bonheur de Phicil et Drac réédité aux éditions Soleil

81pl8MGgfDLUn pianiste de jazz fauché à droite, une jeune fille de bonne famille à gauche, une histoire d’amour improbable au centre, des rêves de gloire et d’avenir meilleur tout autour, non ce n’est pas La La Land mais Le Petit rêve de Georges Frog, un récit initialement paru en quatre volumes entre 2006 et 2010 chez Carabas et aujourd’hui réédité en intégrale aux éditions Soleil…

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La comparaison avec le film de Damien Chazelle s’arrête là. Le Petit rêve de Georges Frog n’est pas une comédie musicale mais un récit animalier anthropomorphique qui nous ramène dans l’Amérique des années 30, celle de la grande dépression, de la misère généralisée et des clubs de jazz enfumés.

Le personnage central est une grenouille. Elle – ou plutôt il – s’appelle Georges Rainette, Frog de son nom de scène, et rêve de devenir un grand joueur de jazz à l’image de Beef Basie, son idole. « Cette musique, c’est toute ma vie. Je l’écoute, je la joue. J’en rêve même la nuit ! » Alors, Frog décide de jouer le tout pour le tout, quitte le conservatoire, s’enferme dans son appartement et y consacre tout son temps. Ou presque. Car en attendant de devenir célèbre, il va tout de même devoir multiplier les petits boulots qui lui seront payés le plus souvent en carottes par des plus pauvres que lui. Pas vraiment de quoi nourrir son homme, ou même sa grenouille, pas non plus de quoi payer son loyer. Frog se retrouve vite fait bien fait à la rue, squattant à droite et à gauche jusqu’au jour où Cora, la femme qu’il croit aimer, lui met le grappin dessus. Elle veut le mariage. Lui n’a rien contre. Mais pour ça, Frog doit devenir quelqu’un de bien avec un travail sérieux…

L’auteur de cet album, Phicil, n’est pas seulement scénariste, dessinateur et accessoirement professeur dans une école de bande dessinée, il est aussi titulaire d’une maîtrise de musicologie. Ceci explique celà, Le Petit rêve de Georges Frog est le concentré de ses deux passions, un concentré éclatant de tendresse, d ‘humanité, un regard éclairé sur l’univers du jazz, son histoire, une ode à l’amour, à la passion et à la liberté, mais aussi un plongeon dans l’Amérique des années 30. Un travail admirable, un graphisme au charme immédiat, des planches aux atmosphères envoûtantes grâce notamment aux couleurs de Drac qui a signé plusieurs albums de Phicil et une très très belle histoire. (Re)conquis !

Eric Guillaud

Le Petit rêve de Georges Frog, de Phicil et Drac. Éditions Soleil. 27€

© Soleil / Phicil et Drac

© Soleil / Phicil et Drac

20 Juin

Bianca, Jardin d’Eden, Heidi au printemps, Sous les étoiles… Quand la BD flirte avec l’érotisme

sousLesEtoilesLe printemps a été torride aux éditions Delcourt avec quasiment coup sur coup la publication de plusieurs albums érotiques, d’un côté la réédition du classique Bianca de Guido Crepax, de l’autre trois nouveautés signées Laura Scarpa, Gilbert Hernandez et Marie Spénale…

On commence par le plus ancien, publié en février, Sous les étoiles, un album de l’Italienne Laura Scarpa qui met en scène des histoires de sexe et d’amour inspirées de faits réels vécus par l’auteure elle-même ou ses amies, et publiées à heidiAuPrintempsl’origine dans le magazine italien Blue dans les années 90. Des histoires de sexe au téléphone, dans une église, sur une plage, en solo, à deux ou plus, qui reste assez classiques. Sous les étoiles navigue entre la BD d’auteur et la BD érotique (Sous les étoiles, de Laura Scarpa. 16,95€).

Attention attention, le titre, le personnage, la couverture, le graphisme et l’atmosphère pourraient faire penser à un livre jeunesse mais Heidi au printemps s’adresse surtout aux jeunes adultes avec un contenu explicite. Si on retrouve bien dans ses pages l’héroïne de la romancière suisse Johanna Spyril, celle-ci a bien grandi – le titre initial de cette BD était d’ailleurs Heidi a grandi – elle est adolescente et en passe de découvrir l’amour. C’est la première bande dessinée de Marie Spénale mais vraisemblablement pas la dernière, tant l’album dans sa globalité est une petite merveille qui prend le 682c81387dd3e7f20ea500ba3c82e0e0temps – on est en Suisse – de raconter une vraie histoire qui n’est pas le prétexte à une enfilade de scènes érotiques. Elle sont d’ailleurs très rares et plutôt vers la fin du bouquin. Une petite douceur ! (Heidi au printemps, de Marie Spénale. 16,95€)

Vous vous êtes toujours demandé comment Eve, Abel et Caïn avaient été conçus ? Ou Comment était la vie à bord de l’arche de Noé, à quoi on pouvait bien s’y occuper ? Gilbert Henandez vous le dévoile dans ce petit album Jardin d’Eden où les pénétrations succèdent aux fellations et vice-versa. Créateur avec ses frères, Jaime et Mario, du célèbre Love and Couv_305303Rockets, Gilbert Hernandez propose ici une relecture de la bible en apportant la contradiction aux créationnistes américains qui pensent que l’homme et la femme ont été créés spontanément par Dieu. (Jardin d’Eden, de Gilbert Hernandez. 12,50€)

Une réédition pour finir, celle de Bianca par LE spécialiste de la bande dessinée érotique, Bruno Crepax, à qui l’on doit par ailleurs la série Valentina, mais aussi La Vénus à la fourrure, l’adaptation en BD d’Histoire d’O ou encore d’Emmanuelle. Ce volume est une édition complète des aventures de Bianca, initialement parues en deux tomes en 1969 et 1987. On y retrouve le graphisme réaliste et raffiné de l’auteur ainsi que ce côté fantastique et psychédélique qui est sa signature. Ici, pas de pornographie mais de l’érotisme à toutes les pages avec la belle Bianca qui fit dire à Wolinski, nous rappelle l’éditeur, « Ça m’embête d’être amoureux d’une femme dessinée par un autre, parce que je ne peux pas la séduire ». (Bianca, de Crepax. 24,95€) 

Eric Guillaud

 

15 Juin

Hate, Chroniques de la haine : le livre qu’il faut emmener au Hellfest

HATE_couvertureBon ok, ce n’est pas tout à fait un livre de poche, il prend un peu de place et surtout pèse plus d’un kilo et demi, c’est un peu lourd dans un sac à dos, j’en conviens, mais c’est LE livre qu’il faut emmener au Hellfest cette année…

Pas besoin de concentration extrême, les décibels ne devraient donc pas gêner votre lecture, Hate, Chroniques de la haine est un album avare en dialogues mais généreux en graphisme. Adrian Smith, homonyme du guitariste d’Iron Maiden, y développe sur près de 300 pages un univers incroyablement noir et violent « où le soleil gèle et la lune brûle, où les forts dévorent les faibles », nous prévient l’éditeur.

Réalisé principalement sur ordinateur, la nuit, après son travail d’illustrateur chez Games Workshop et sur les romans de Dan Abnet, Hate, Chroniques de la haine fait immédiatement penser au travail de Philippe Druillet qu’il considère d’ailleurs comme un dieu.

Peu de textes et pas de couleurs, tout est ici en noir et blanc. Normal me direz-vous, il n’y a plus de soleil, mais ce n’est pas la seule raison : « J’adore le noir et blanc. Je pense que la couleur gêne le lecteur et qu’elle n’est souvent pas nécessaire. Elle dissimule de nombreux éléments intéressants. Le noir et blanc est plus direct, il montre tout », explique l’auteur à Jérôme Lachasse de bfmtv.com.

Une atmosphère lourde, très lourde, où la violence est pourtant plus souvent suggérée que montrée, et c’est là toute la force du récit de Smith : « Je n’ai pas besoin de faire quinze planches pour décrire une bataille… », confiait-il dans une récente interview d’Olivier Badin pour ce même blog, « je trouve beaucoup plus fort de dessiner l’avant et l’après. On revient toujours à cette notion d’atmosphère, je préfère suggérer plutôt que tout montrer. Et puis je trouve beaucoup plus fort une simple image des piles de corps et des vautours tournant autour une fois que les armes se sont tues».

À peine édité, Hate, Chroniques de la haine est déjà un livre de référence dans le milieu de la dark fantasy.

.Eric Guillaud

Hate, Chroniques de la haine, d’Adrian Smith. Éditions Glénat. 30€

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Wonder Woman : La première super-héroïne de l’histoire a bien grandi…

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l'édition française

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l’édition française

Profitant de la sortie le 7 Juin dernier de sa première adaptation cinématographique, plusieurs séries consacrées à Wonder Woman sont opportunément (ré)édités, histoire de ce rendre compte que ce personnage plus complexe qu’il n’y paraît est à chaque fois un bon reflet de son époque et de la lutte pas toujours gagnée pour l’égalité des sexes…

Dès ses débuts en 1941, Wonder Woman est une sorte de paradoxe : créée à la base avant tout pour répondre à ceux qui (déjà) accusaient les comics d’être sexistes et de n’offrir aucun modèle féminin, la première super-héroïne de l’histoire avait beau être une pin-up capable de soulever un tank ou de défendre l’univers, son identité secrète la reléguait au simple rôle de secrétaire, comme si une femme ne pouvait au final n’être que la subalterne d’un homme dans la vraie vie. La sortie simultanée de ‘Dieux et Mortels’ (en deux tomes) et de ‘Terre-Un’ (cinq tomes) est d’autant plus intéressante qu’on tient là deux réécritures clefs de son histoire, témoignant de l’évolution de la société depuis la seconde guerre mondiale, de notre vision de la femme et des comics en général.

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l'édition française

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l’édition française

Le premier est le plus gros morceau : signé par Georges Pérez au dessin, il revient sur ses origines sur l’ile de Themyscira, refuge d’amazones immortelles à l’écart des hommes depuis plus de 3,000 ans et comment l’intrusion accidentelle d’un pilote de l’US Air Force va tout chambouler et l’obliger à se confronter au monde réel et à Arès, le dieu de la Guerre. Le tout est sorti initialement en 1986 et cela se sent car baignant dans une certaine tradition (noblesse des sentiments, patriotisme, héros forcément bien intentionnés). Reste qu’en plus d’être un bon co-scénariste et d’être un fin connaisseur de la mythologie grecque qu’il a injecté ici à fortes doses, Pérez vit avec son temps et ose donc pour la première fois aborder certaines thématiques plus adultes, en premier lieu le féminisme et la prolifération des armes atomiques mais sans jamais que cela ne prenne le pas sur ce qui fait toute la saveur d’un comics classique. Mais son héroïne reste bien sage et limite asexuée, ce qui est loin d’être le cas de la dernière incarnation en date de Wonder Woman signée Yanick Paquette…

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l'édition française

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l’édition française

Même si l’histoire est à la base la même, avec le dessinateur canadien au crayon flamboyant et haut en couleur, la princesse Diana a des courbes renversantes digne d’un mannequin, tombe amoureuse d’un Steve Trevor ici à la peau noire tout en laissant aussi fortement sous-entendre sa possible bisexualité et n’est plus la petite fille sage respectueuse des règles érigées par les dieux. Quant aux hommes, ils ne sont plus seulement bêtes mais aussi et surtout violents et dangereux. Ce premier épisode tient donc limite plus du pamphlet anti-phallocrates que d’un comics plein de pif, paf et boum. Il est surtout en phase avec le ton du film qui vient de lui être consacré et qui est sur les écrans depuis le 7 Juin dernier, bien loin de l’image un peu kitsch mais ô combien culte de celui de son adaptation télé entre 1976 et 1979 dont l’actrice principale était devenue une icône gay. Oui, en trente ans, la vision de la femme a bien évolué. Et Wonder Woman aussi.

Olivier Badin

Wonder Woman : Dieux et Mortels, de George Pérez, Greg Potter et Len Wein, Urban Comics, 35 euros

Wonder Woman : Terre-Un,  de Yanick Paquette et Grant Morrison, Urban Comics, 15 euros

11 Juin

Edelweiss : une histoire d’amour aussi belle que la montagne signée Mazel et Mayen

Couv_305582« Pourtant, que la montagne est belle », chantait Jean Ferrat. Elle est belle, toujours, inaccessible, souvent, et cruelle, parfois. Olympe en sait quelque chose. Dans sa famille, la montagne a toujours été une raison d’être et une façon de mourir…

Pour ceux qui seraient nuls en botanique, l’edelweiss est une petite plante de montagne. C’est aujourd’hui le nom donné à cet album de bande dessinée paru aux éditions Vents d’Ouest et signé Cédric Mayen pour le scénario, Lucy Mazel pour le dessin et les couleurs. Sur une petite centaine de pages, les auteurs nous racontent deux histoires d’amour, l’une relativement classique, un homme une femme, chabadabada, chabadabada, et l’autre qui l’est moins, entre une famille et la montagne. 

Et au centre de tout ce petit monde, Olympe, une jeune femme qui souhaite vivre avec son temps, libre de travailler, libre de choisir choisir sa vie, libre de vivre ses passions.

Lorsqu’elle rencontre Edmond en 1947, elle accepte le mariage mais refuse en femme indépendante d’enfouir ses rêves, SON rêve. Elle veut marcher dans les pas de sa tante Henriette, une légende dans la famille, la première femme à avoir fait l’ascension du Mont Blanc , « une femme fière et têtue comme Olympe ». Mais le souvenir de sa mère morte justement lors d’une ascension est encore très vif auj sein de la famille et freine son désir, d’autant qu’un autre accident de montagne vient subitement endeuiller la famille…

On ne peut pas parler de la montagne sans la connaître, sans l’aimer. Et on ne peut logiquement pas rester insensible à une histoire qui parle de passion et d’amour dans un même élan. Quelle différence d’ailleurs entre passion et amour ? La montagne ou Edmond, Olympe a choisi les deux à la vie à la mort. Une très belle histoire pleine d’émotions, emmenée par le graphisme délicat et les couleurs aériennes de Lucy Mazel.

Eric Guillaud

Edelweiss, de Mayen et Mazel. Editions Vents d’Ouest. 17,50€

© Vents d'Ouest / Mayen et Mazel

© Vents d’Ouest / Mayen et Mazel

08 Juin

Les Losers : la seconde guerre mondiale vue par le créateur des « 4 Fantastiques », Jack Kirby

Capture d’écran 2017-06-08 à 23.32.26Une bande de faux bras cassés dont la main ne tremble jamais et qui donne du fil à retordre aux méchants, sauf qu’ici les héros portent le casque et l’insigne de l’US Army avec en face, les forces de l’Axe. Nourri par sa propre expérience de soldat lors de la phase finale du conflit, Jack Kirby donne ici SA vision de la seconde guerre mondiale, forcément pleine de fureur et de bravoure

Le nom de Jack Kirby, qui aurait fêté ses cent ans cette année, évoque tout un pan de la culture, pardon de la mythologie comics, l’homme ayant contribué avec le dessinateur Steve Dikto et surtout Stan Lee a jeter dans les années 60 toutes les bases de l’empire MARVEL dont il a alors lancé toutes les franchises qui encore aujourd’hui en constituent les bases : ‘Les 4 Fantastiques’, ‘Spider-Man’, ‘X-Men’… En gros, si vous étiez un gamin américain à cette période là passionné de comics, plus la moitié de votre collection portait sa signature. En langage commun, on appelle ça un monument, voilà.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Mais même s’il a passé toute sa carrière à faire la navette entre DC et MARVEL, Kirby a aussi tâté autre chose que les aventures de types en spandex et à cape, dont le comics de guerre, héritage des années 40 où le patriotisme à tout va avaient poussé les autorités à embaucher les héros de BD pour combattre le nazisme. Certes, la série ‘Les Perdants’ (‘les Losers’ en VO, titre ô combien ironique bien sûr) consacrée aux aventures de quatre baroudeurs de la Seconde Guerre Mondiale aux noms dignes de ‘L’Agence Tout Risques’ (capitaine Storm, Sarge, Johnny Cloud et Rafale !) existait avant que Kirby en prenne, brièvement, les rênes en 1975 et a d’ailleurs perduré après lui. Mais dès le premier des douze épisodes qu’il a réalisé (scénarios inclus), le alors vétéran de 58 ans l’a tout de suite retravaillé pour la faire entre dans son moule.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Dans le monde de Kirby, que l’on soit en haut d’un gratte-ciel de Manhattan en train de combattre un super-méchant ou au corps-à-corps dans la jungle au prise avec des fantassins japonais, le trait est le même. Les hommes ont des carrures de golem, les sentiments – bons ou mauvais – sont tous exacerbés et les héros n’écoutent que leur courage alors que leurs ennemis, eux, ne connaissent que la traitrise. Peu d’explications sur le pourquoi-du-comment ni de moments de répit avec lui : en général, dès les premières cases, les membres de ce commando spécial à qui on demande de faire le sale job pour les autres est souvent largué en plein terrain miné et en général, ça canarde très vite derrière.

Même si le style assez figé et très emphatique de Kirby avait déjà pris un petit coup de vieux au milieu des 70’s, il a su garder une vraie force dramatique. Et puis on ne passe pas autant d’années à dessiner des super-héros sans que, forcément, cela ressurgisse d’une façon ou d’une autre et même si ‘Les Perdants’ n’ont à leur actif aucun super pouvoir, ils ont en eux quelque chose de surhumain, dépassant leur nature de ‘simples’ mortels pour devenir ‘plus’. Dans le meilleur épisode du lot (‘Les Partisans’), il ajoute même un doigt de surnaturel histoire un petite touche macabre particulièrement efficace. Et puis aussi manichéen que soit le résultat, Kirby distille par ci et là un brin de poésie voire même d’ironie dans le choix de ses personnages secondaires, comme avec Panama Fattie mafieuse au look de Fat Mamma sentimentale ou celui de ‘Pumpkin le Martien’, soldat gringalet amateur… De comics.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Pour les amateurs éclairés de Kirby, le résultat vaut donc le détour, surtout que ce recueil sort à l’occasion de plusieurs évènements en partenariat avec le conseil général de Moselle et centrés autour de la thématique des relations entre BD et guerre. D’ailleurs, en plus d’avoir organisé entre le 3 et le 5 Juin dernier un festival consacré au neuvième art, le château de Malbrouck accueille jusqu’au 29 Octobre prochain une exposition ‘Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles’ dont une partie est spécialement dédiée à Jack Kirby, lui-même soldat de l’US Army lors de la bataille de Dornot en Septembre 1944. Bref, une page d’histoire couplée à l’une des pièces manquantes de l’héritage de l’un des (très) grands maîtres du comics dont on attendait la traduction depuis quarante ans.

Olivier Badin

Les Losers, de Jack Kirby, Urban Comics, 22,50€

Plus d’infos sur l’expo « Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles » ici

Intégrale Valhardi : un troisième volume sous la griffe du scénariste Jean-Michel Charlier

6vz5Y8CUBKSYkEM4OsLqVb83JTKl6Ko3-couv-1200Même s’il a joué les grands frères pendant une grande partie de la deuxième guerre mondiale, accompagnant une génération de lecteurs en mal d’aventures et de liberté, Jean Valhardi n’a jamais fait partie des héros les plus populaires du journal Spirou, il a même été l’objet au tout début des années 50 d’un « désamour ambiant ». Mais l’heure de gloire n’était plus très loin…

Un « désamour ambiant ». Ce sont les termes employés par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault qui signent une nouvelle fois une introduction très documentée et passionnante à ce troisième volet de l’intégrale Valhardi. « C’est pourtant dans ce climat hostile… », précisent-ils, « que le personnage connut bientôt une renaissance totalement inattendue sous l’impulsion d’un nouveau scénariste, Jean-Michel Charlier ».

À l’époque, Jean-Michel Charlier n’était pas encore le monument du neuvième art à qui nombre d’auteurs se réfèreront bientôt mais il partageait déjà avec Franquin, Morris ou encore Hubinon les faveurs de l’éditeur qui voyait en lui, en eux, l’avenir du journal Spirou et plus largement de la bande dessinée franco-belge. Après les aventures de Buck Danny lancées en 1947 avec Victor Hubinon, le voici donc au secours de Valhardi dont il signa trois récits. Le premier, ô combien mythique, devait s’appeler Valhardi contre le monstre mais prit finalement pour nom – espérant passer entre les mailles de la censure française un tantinet frileuse, Le Château maudit.

Outre Le Château maudit et le conséquent dossier de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault constitué de documents inédits, photos, croquis, planches…, ce troisième volume de l’Intégrale Jean Valhardi contient Le Rayon Super-Gamma, La Machine à conquérir le monde et Jean Valhardi et les êtres de la forêt. Un tournant avant le retour aux affaires de Jijé, ni plus ni moins le créateur du personnage avec Jean Doisy en 1941!

Eric Guillaud

Intégrale Jean Valhardi (tome 3), de Paape, Delporte et Charlier. Éditions Dupuis. 35€

07 Juin

Capitaine Fripouille : une aventure de cape et d’épée gentiment contestataire signée Alfred et Olivier Ka

capitaineFripouilleAprès le très remarqué « Pourquoi j’ai tué Pierre » qui abordait le thème de la pédophilie, le duo magique Olivier Ka – Alfred se reforme autour d’une magnifique histoire qui nous parle cette fois de résistance…

C’est un peu le pot de terre contre le pot de fer. Dans le village de Palladipelledipollo – respirez – tout appartient à Federico Jabot. L’auberge, les restos, le musée, les magasins de jouet ou de bricolage… Tout sauf la petite librairie Fellini d’Ernesto et Fabiola qui a résisté jusqu’ici aux vélléités hégémoniques de Jabot.

« Jabot a tout racheté! Il est comme un ogre qui dévore tout sans rien laisser aux autres. Son appétit est sans fin, il prend tout », s’énerve Fabiola.

Mais les clients se font de plus en plus rares dans la petite librairie malgré les efforts d’Ernesto et Fabiola. Et la banque, qui appartient bien évidemment à Federico Jabot, réclame le remboursement de l’emprunt. C’est précisément à ce moment-là que débarque Capitaine Fripouille, le papa de Fabiola, un personnage haut en couleurs qui se décrit comme « un vieux renard rusé, un malin fûté, un roublard et un coriace! Mais aussi un explorateur, un justicier, un philosophe et un marin exceptionnel!!! », bref un super-héros qui tombe à pic pour remotiver les troupes et appeler à la résistance…

Résister ! c’est bien là le mot d’ordre de cette aventure de cape et d’épée « libertaire » pour reprendre le terme d’Alfred, publiée dans la collection « Les Enfants gâtés » des éditions Delcourt. Résister à Jabot et en filigrane à la mondialisation, à l’oppression, à l’hégémonie des multinationales, résister à l’uniformisation pour cultiver la différence, voilà ce qu’y trouveront les plus grands car Capitaine Fripouille n’est pas réservé aux petits. Un très très bel album, au format approprié pour profiter pleinement du jolie coup de crayon d’Alfred et de cette aventure qui combine action et humour.

Eric Guillaud

Capitaine Fripouille, d’Alfred et Olivier Ka. Éditions Delcourt. 14,50€

© Delcourt / Alfred & Ka

© Delcourt / Alfred & Ka

03 Juin

Mildiou : un des premiers albums de Lewis Trondheim réédité à L’Association

3543Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu au Neuvième art connaissent aujourd’hui Lewis Trondheim, au moins de nom. A l’époque de Mildiou, publié en 1994 au Seuil, ce n’était pas tout a fait le cas même si les plus pointus en la matière sentaient déjà que quelque chose de neuf frémissait sous la plume et le pinceau de l’auteur…

Et de fait, Lewis trondheim fait aujourd’hui partie des auteurs connus et reconnus de la bande dessinée, un auteur qui a contribué à faire avancer le genre grâce à sa technique du dessin direct, aux contraintes techniques qu’il s’est souvent imposées à son ton décalé mais aussi grâce son approche zoomorphique, à ses personnages (le lapin, le chat, le canard…) qui revenaient d’un livre à l’autre mais pas dans le même rôle…

Depuis, Lewis Trondheim a produit une quantité invraisemblable de livres, dans tous les genres, il a reçu l’Alph-Art Coup de coeur en 1994 pour l’album Slaloms, il été ordonné Chevalier des Arts et Lettres en 2005 et couronné Grand Prix à Angoulême en 2006… Il a aussi co-fondé la maison d’édition L’Association en 1990, laquelle réédite aujourd’hui – on y revient – l’album Mildiou qui n’a rien perdu de sa force et de sa farce.

Sur près de 150 pages, Lewis Trondheim nous offre une énorme scène de bagarre entre le gentil Lapinot qui ne demandait rien à personne et le méchant Mildiou, un usurpateur et oppresseur de première qui compte défendre bec et ongles ou plus justement museau et griffes sa place de roi qu’il a volé de la pire façon. Une bagarre sans fin où l’intelligence de l’un attise la bêtise de l’autre et vice-versa. Mildiou, c’est de l’action, beaucoup d’action, mais c’est aussi une sacrée leçon de mise en scène, des dialogues savoureux, un sens de l’absurde incroyable, bref un bouquin à découvrir ou redécouvrir au plus vite et à garder pas trop éloigné de sa table de chevet.

Eric Guillaud

Mildiou, de Lewis Trondheim. Editions L’Association. 13€

© L'Association / Trondheim

© L’Association / Trondheim

02 Juin

Hate, chroniques de la haine : rencontre avec l’auteur Adrian Smith à l’occasion de son passage à Paris

© Fef 2017

© Fef 2017

Baroque, épique, homonyme d’un des guitaristes d’iron Maiden (ceci expliquant cela ?) et bien connu des fans de jeux de plateaux, l’un des maîtres de la ‘dark fantasy’ Adrian Smith voit son premier livre intégralement signé de sa main paraître en français, alors qu’une exposition à la galerie Glénat à Paris salue son talent d’illustrateur…

« De toutes façons, je ne me considère pas comme un dessinateur de comics. Cela ne m’intéresse pas plus que ça et je ne crois pas que les fans du genre aiment beaucoup ce que je fais non plus de toute façon… », lâche Adrian Smith avant de se marrer doucement, avec ce mélange de punk sur le retour (t-shirt noir, cheveux longs blancs, regard amusé) et de flegme typiquement britannique. Mais d’une certaine HATE_couverturemanière, il a raison. C’est avant tout comme illustrateur que cet Anglais né en 1969 dans le Sussex est connu, notamment pour son travail pour Games Workshop, célèbre boîte de figurines pour jeux de plateaux dont les stars incontestées restent ‘Warhammer’ et son extension futuriste ‘Warhammer 40,000’. Soit des mondes imaginaires autour desquels des millions de nerds armés tout juste d’un dé et de quelques pots de peinture se retrouvent régulièrement pour écharper du troll à tout-va à coups de sort d’épées à double main ou de sort de boule de feu niveau 14. Des mondes peuplés de créatures hypertrophiées, aux muscles proéminents et armées jusqu’aux dents à faire passer le bestiaire du ‘Seigneur des Anneaux’ pour le village des Bisounours et où Smith à faire voler les têtes, un peu comme un John Frazetta des temps modernes gonflé aux OGM.

 

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

‘Les Chroniques de la Haine’ ne sont pas exactement ses premiers pas dans les comics. Avant cela, il avait déjà fait des couvertures pour le magazine anglais ‘Toxic’ avant de signer en 2005 ‘Broz’ (sorti en deux tomes chez éditions Nickel). Sauf que ‘Hate’ se révèle être une œuvre beaucoup plus personnelle dont la réalisation s’est étalée sur près de trois ans. « Tout est parti d’une illustration toute bête de celui qui allait devenir le personnage central de l’histoire. C’était vraiment sous le coup de l’inspiration du moment et je l’ai faîte sans vraiment savoir ce que j’allais en faire, juste pour mon plaisir. Mais je ne sais pas, il y avait quelque chose en elle qui me disait que derrière, il y avait tout une histoire à raconter. J’ai donc commencé à dessiner page par page l’histoire, chacune m’entraînant car je ne suis pas scénariste ! C’était très organique et quelque chose de très égoïste en même temps car je l’ai vraiment faîte avant tout pour moi, souvent entre minuit et cinq heures du matin lorsque j’avais fini mon ‘vrai’ boulot, tu sais, celui qui permet de payer le loyer… » rajoute t’il en souriant. « C’est un peu comme une maîtresse que ma femme m’autorise à avoir, du moins à certaines heures. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Smith n’y croit pourtant tellement pas qu’une fois fini, il décide de mettre gratuitement l’intégralité à disposition via les réseaux sociaux, jusqu’à ce qu’un éditeur américain décide d’en faire une première sortie papier sur le continent américain il y a trois ans, avant que Glénat ne s’en empare en 2016 afin d’en publier les deux volumes pour le territoire français. Une transcription rendue encore plus facile grâce par la facilité de la traduction, vu le peu de dialogue. « Et encore, je n’en voulais pas du tout ! C’est un ami qui m’a conseillé d’en mettre un petit peu, histoire de donner quelques repères aux lecteurs. Et puis le héros est muet et en partie sourd donc je voulais que le lecteur ressente et vive l’aventure de la même façon que lui. Et puis le plus important pour moi était l’atmosphère. C’est aussi pour cette raison que j’ai décidé de tout faire en noir et blanc, j’avais peur que la couleur ne devienne une trop grande distraction. Et puis pour être honnête, cela m’a aussi permis de travailler plus vite. »

À l’inverse de ses nombreux confrères américains dont les héros gigotent comme s’ils étaient atteints de la maladie de Parkinson, Smith est très avare en mouvement. Il y en a ici très peu, l’action devenant presque comme les vignettes de pellicule d’un film muet d’heroic fantasy oublié de la grande époque du cinéma expressionniste allemand. « Je n’ai pas besoin de faire quinze planches pour décrire une bataille, je trouve beaucoup plus fort de dessiner l’avant et l’après. On revient toujours à cette notion d’atmosphère, je préfère suggérer plutôt que tout montrer. Et puis je trouve beaucoup plus fort mettons une simple image des piles de corps et des vautours tournant autour une fois que les armes se sont tues. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Monochrome et parfois plus proche du concept-art que la BD pure, ‘Hate’ n’est pas fait pour tout le monde. Autant immersif que contemplatif, son monde est aussi ahurissant de beauté que laid car cruel et sans pitié. Pas de grande explication, pas de philosophie cosmique ni d’ode à l’aventure ici mais juste des créatures parfois grotesques et effrayantes qui vit par l’épée et meurt par l’épée. Son trait incroyablement précis est un condensé de l’essence même de la dark fantasy, celle sublimée par les écrivains Robert E. Howard (‘Conan’) ou Karl Edward Wagner (‘Kane’). Bonne nouvelle : il commence tout juste à travailler à la suite, ou plutôt à un préquel dont l’action se situera donc avant celle de ‘Hate’.

Histoire de compléter votre lecture, un petit conseil : passer dans le 3e arrondissement à Paris jeter un œil à l’exposition consacrée à l’auteur jusqu’au 21 Juin. Soit la douzaine de planches originales réalisées entièrement à la main (le reste a été fait à l’aide d’outils numériques) plus que quelques acryliques peintes spécialement pour l’occasion qui permettent de se rendre compte de la masse de travail accomplie.

Olivier Badin

Hate : Chroniques de la Haine d’Adrian Smith, Glénat, 30 euros

Exposition Adrian Smith, jusqu’au 21 Juin, 22 Rue de Picardie, 75003 Paris. Plus d’infos ici

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