10 Mai

Torpedo reprend du service avec Abuli au scénario et Risso au dessin

Vous avez aimé Torpedo 36 ? Alors vous aimerez Torpedo 72. Le tueur à gages a certes pris de la bouteille mais n’a rien perdu côté gâchette. Question de caractère…

Bon ok, il a pris des rides et du bide, laissé filer pas mal de blé, emmagasiné quelques regrets éternels et même chopé la tremblotte mais il est toujours debout notre Lucas Torelli aka Torpedo. Il est même préférable de se tenir à bonne distance et surtout de ne pas lui chercher des poux dans la tête. Tueur à gages un jour, tueur à gages toujours !

C’est ce que va apprendre à ses dépens un journaliste tendance branquignol en enquêtant sur un meurtre vieux de 30 ans, celui du mafieux Piero Caputo. Histoire d’abreuver le peuple en histoires bien sordides, le journaliste en question balance dans un de ses articles le nom de Torpedo comme étant celui du meurtrier. Alors, forcément, ça fait rapidement désordre dans le milieu…

On ne l’avait pas vu dans de nouvelles aventures depuis 18 ans mais le revoici enfin, dans un contexte autre, après celui des années 30 celui des années 70, avec au scénario, comme au bon vieux temps, Enrique Sanchez Abuli et au dessin, prenant la relève de Jordi Bernet, l’Argentin Edouardo Risso (Fulu, 100 Bullets…). Pas de – mauvaises – surprises, Torpedo 72 est un petit bijou de polar bien noir et jouissivement irrévérencieux à consommer en noir et blanc et/ou en couleurs. À vous de voir!

Eric Guillaud

Torpedo 1972, de Abuli et Risso. Vents d’Ouest. 12,50€

@ Vents d’Ouest / Abuli & Risso

08 Mai

Rahan fête ses cinquante ans avec une nouvelle intégrale aux éditions Soleil

C’est peut-être l’un des héros de bande dessinée les plus populaires. Son nom en tout cas est connu de tous. Rahan revient avec une nouvelle intégrale réunissant l’ensemble de ses aventures. 26 volumes à paraître tout au long de l’année…

Si vous étiez un fidèle lecteur de Pif Gadget dans les années 70/80 alors vous connaissez forcément Rahan. Ce personnage est apparu dans les pages du numéro 1239 du 24 février 1969, premier de la fameuse formule Pif Gadget qui remportera immédiatement un succès considérable, avec des tirages évoluant entre 500 000 et 1 million d’exemplaires en fonction du gadget.

Cette période correspond à l’âge d’or du journal et constitue bien évidement une belle rampe de lancement pour notre héros humaniste au cheveux longs et au collier de griffes évoluant dans un univers préhistorique imaginaire.

Bien sûr sa notoriété dépassa très vite et largement le seul cadre du journal grâce à ses albums parus chez divers éditeurs à partir de 1973 et notamment chez Soleil qui en propose une version en intégrale dès 1992.

Prévue en 26 tomes, cette nouvelle version a été remaquettée et préfacée par Louis Cance, l’un des dessinateurs et scénaristes des aventures de Pif le Chien. Toute une époque !

Eric Guillaud

Rahan, de Lécureux et Chéret. Soleil. 18,95€ le volume

06 Mai

Direction l’Océan Indien avec Robinsons Père & fils de Tronchet et Tropique de la violence de Gaël Henry

Mayotte et l’île aux Nattes, un archipel français et une île malgache distants de quelques centaines de kilomètres, deux mondes et deux romans graphiques aux histoires très différentes sous le soleil des tropiques…

Tronchet est de retour ! Le papa de Raymond Calbuth, des Damnés de la Terre associés ou de Jean-Claude Thergal pour ne citer que ces albums-là signe cette fois un récit de voyage adapté de son roman paru en 2017 chez Elytis.

Pas de franche rigolade au programme mais le témoignage d’une aventure qui l’a amené lui et son fils sur l’île aux Nattes pendant six mois.

L’idée ? Partir sans date de retour histoire de voir combien de temps un occidental urbain du XXIe siècle peut survivre sans smartphone, sans internet et sans électricité.

Derrière le décor paradisiaque, palmiers et lagons bleus à volonté, eau à 30°, Didier Tronchet et son fils goûtent à la vie simple voire rudimentaire, pas de mails, sans eau courante, sans électricité, mais avec des moustiques, des aiguilles d’oursins et des scolopendres au venin redoutable, de quoi vite regretter son petit confort européen et parfois trouver le temps long, très long…

Dans un registre très différent, Tropique de la violence, paru chez Sarbacane, se déroule à Mayotte et raconte l’histoire d’un gamin d’origine comorienne, Moïse, adopté par une jeune infirmière française en mal d’enfant.

Mais en approchant de l’adolescence, le comportement de Moïse change, il en veut à sa mère, lui réclame sans arrêt de l’argent, sèche l’école, traîne avec un gang et finit par commettre un meurtre tandis que sa mère décède d’un accident cérébral. Il l’a retrouve inanimée dans la maison, n’appelle pas les secours, ni les voisins, donne à manger à son chien et retourne à ses occupations.

Tout est dit dans le titre, cette histoire de Nathacha Appanah aujourd’hui adaptée en bande dessinée par Gaël Henry est d’une violence inouïe, offrant une photographie de Mayotte bien différente de celles qu’on peut trouver habituellement sur les cartes postales ou les guides touristiques.

Faut-il le rappeler, Mayotte est submergée par l’immigration clandestine créant des tensions intercommunautaires fortes et exaspérant les Mahorais. Le bidonville de Gaza, que l’on découvre dans ces pages, est le plus grand de France. Il compte plusieurs milliers d’habitants qui espèrent tous une vie meilleure. Qui a suggéré déjà que la misère pouvait être moins pénible au soleil ?

Eric Guillaud

Tropique de la violence, de Gaël Henry d’après le roman de Nathacha Appanah. Sarbacane. 23,50€

Robinsons, père et fils, de Tronchet. Delcourt. 17,95€

02 Mai

Il Fallait que je vous dise : un témoignage rare et capital sur l’IVG signé Aude Mermilliod

Près de 220 000 femmes avortent chaque année en France. C’est beaucoup. Pourtant, que sait-on vraiment de l’IVG, de ce droit acquis chèrement il y a maintenant 45 ans et régulièrement remis en question ici ou là ? Pas grand chose. Les témoignages de femmes qui y ont eu recours sont très rares. Celui d’Aude Mermilliod est en cela essentiel…

56 millions d’avortement à travers le monde, 216 700 en France, 5 millions de femmes hospitalisées suite à un avortement à risque… voilà pour les chiffres aussi froids que peuvent l’être des chiffres. Et après ? Comment une femme en vient-elle à choisir l’IVG ? Comment le vit-elle ? Comment est-elle prise en charge ? Comment se passe l’acte en lui-même ? Autant de questions qui restent sans réponse pour la plupart d’entre nous.

« Ce qui était important pour moi… », explique Aude Mermilliod, « c’était d’être la plus honnête possible par rapport à des sentiments qui ne sont pas facilement audibles. Je me suis dit : Si tu décides de raconter, il faut vraiment tout dire, même si cela pourra faire lever un sourcil à certains ou que d’autres se diront que tu es un peu givrée sur les bords ».

Et elle raconte tout Aude Mermilliod dans cet album. Depuis le test de grossesse jusqu’à l’avortement. Elle raconte ses états d’âme, ses colères, les jugements des uns, les maladresses des autres. Elle raconte surtout sa détermination à avorter, dès le premier instant et ce sentiment de culpabilité qui ne la quittera pas de si tôt. Elle dit tout, ne cache rien, jusqu’aux scènes les plus intimes. C’est ce qui rend finalement son récit passionnant.

Ce qui le rend également passionnant, c’est la deuxième partie de l’album consacrée à Martin Winckler aka Marc Zaffran, connu comme romancier et essayiste mais surtout comme médecin féministe. Aude raconte cette fois l’histoire de cet homme, les chemins qui l’ont amené à pratiquer l’IVG, son apprentissage… D’un témoignage personnel, Il Fallait que je vous dise se fait dès lors témoignage universel.

« L’arrivée de Martin dans cet album en fait d’avantage un livre sur l’avortement, avant c’était un livre sur « mon » avortement. Mais avant tout, cela reste un album relatant deux témoignages. J’ai vécu l’avortement comme un deuil. J’ai vraiment personnifié cet enfant que je n’ai pas eu, ce qui est souvent un problème pour autrui. On est supposée être un peu triste, parce que sinon, cela veut dire que l’on n’a pas pris la mesure de ce qu’on a fait, mais si on l’est trop, on va s’entendre dire : « Mais c’est toi qui l’a choisi, c’est quoi ton problème ? » Comme si c’était si simple… ».

Pas si simple effectivement. Les 167 pages de l’album au graphisme plutôt sobre et efficace pour ce genre de récit l’attestent. Mais l’ambition d’Aude va plus loin encore : « J’ai l’espoir que ce livre puisse amener du réconfort et aussi donner des clés aux hommes qui accompagnent les femmes. C’est un moment où elles sont rarement dans la verbalisation ou l’explication. Elles sont dans l’émotionnel pur, alors si je peux donner quelques pistes… ».

Eric Guillaud

Il Fallait que je vous le dise, d’Aude Mermilliod. Casterman. 22€ (en librairie le 7 mai)

@ Casterman / Mermilliod

27 Avr

L’Hiver en été : un artbook exceptionnel consacré au travail de Jean-Pierre Gibrat

Que celui ou celle qui ne s’est jamais laissé(e) aller à la rêverie devant un dessin de Jean-Pierre Gibrat se dénonce immédiatement ou se taise à jamais. Mattéo, Le Vol du corbeau, Le Sursis, Les Gens honnêtes… En une quarantaine d’années et un chapelet d’albums, l’auteur a profondément marqué le neuvième art d’une écriture romanesque et d’un trait bigrement raffiné…

C’est un peu Noël à Pâques, un beau cadeau au milieu des œufs, une petite douceur printanière qui a pour nom L’Hiver en été et pour auteur Jean-Pierre Gibrat. C’est un artbook, que dis-je un sublime artbook comme on en voit peu, comme on en rêve souvent, mis en forme par l’auteur lui-même pour les éditions Daniel Maghen.

Il suffit de découvrir la couverture et ce grand format pour comprendre qu’on risque de passer du temps à admirer le travail, détailler les illustrations, ausculter les planches et se perdre dans les croquis réunis ici, un survol de ses 20 dernières années de création, du Sursis à Mattéo, en passant par Le Vol du corbeau.

C’est beau, forcément, mais ce n’est pas tout. L’ouvrage est aussi passionnant, instructif. Bâti autour d’un entretien avec la journaliste Rebecca Manzoni, Jean-Pierre Gibrat se dévoile, parle de son travail, de son trait, de ses personnages, de sa famille, de la musique, de Jimi Hendrix dont il est un fan absolu, de sa passion pour la première moitié du XXe siècle, du communisme et de ceux qui y ont cru… Bien sûr, il évoque aussi très longuement LA femme dont il ne se lasse de dessiner les contours avec ce trait « comme personne » et cette légère dissymétrie qui donne du caractère, du relief, de la vie à ses personnages.

« J’utilise la dissymétrie pour booster l’expression… », explique Jean-Pierre Gibrat, « parce que l’expression ne vient pas de la forme elle-même. La structure d’un visage raconte un caractère, mais ce qui le renforce, c’est la dissymétrie. Elle contribue à augmenter la beauté, alors qu’on pourrait penser le contraire. On n’imagine pas forcément que, dans l’esthétique d’un visage touchant, il faut mettre de la dissymétrie ».

Un magnifique ouvrage qui associe intelligence du propos et beauté du trait. Ça fait du bien !

Eric Guillaud

L’Hiver en été, de Gibrat. Editions Daniel Maghen. 39€

25 Avr

Stray Bullets : le polar culte de David Lapham en version intégrale

Clairement, on nous avait mis l’eau à la bouche. C’était à la fin du siècle précédent, Dark Horse France publiait deux volumes de Stray Bullets et puis… plus rien ! Fort heureusement, les éditions Delcourt reprennent aujourd’hui les choses en main et nous promettent une édition digne de ce polar choc de David Lapham. Quatorze histoires se trouvent d’ores et déjà réunies dans ce qui constitue le premier volume d’une intégrale, de quoi se sustenter largement cette fois et envisager la vie en noir…

La sortie des deux premiers recueils de Stray Bullets chez Dark Horse France eut l’effet d’un uppercut, pas moins, pour tous les amoureux du comics. C’était en 1996. On découvrait sous nos yeux ébahis le talent de ce jeune auteur américain David Lapham et ses histoires noires et radicales qui nous entraînaient dans les bas-fonds de le société américaine. Deux volets, une petite réédition chez Bulle Dog au début des années 2000 et plus aucune nouvelles de ce côté-ci de l’Atlantique, tandis que de l’autre côté l’aventure se poursuivait avec aujourd’hui une bonne quarantaine d’histoires au compteur.

Mais les choses devraient rentrer dans l’ordre grâce à l’intervention salvatrice de la maison d’édition Delcourt, laquelle vient de publier le premier volume d’une intégrale, quatorze histoires courtes au programme, dont sept inédites en France. C’est un bon début, poursuivons le combat!

Amateurs et amatrices d’histoires moralement correctes, passez votre chemin. Ces aventures ne s’appellent pas Stray Bullets, Balles perdues en français, pour rien. Des balles perdues, il y en a à toutes les pages, ça flingue comme jamais, souvent sans raison véritable, offrant une vision noire, très noire, de la société américaine. Rien que dans le premier récit, on dénombre pas moins de huit cadavres entassés dans une voiture, plus une place dans le coffre ou sur la banquette arrière. Et on nous dit que Ça ressemble à de l’amour, c’est en tout cas le titre de cette ouverture.

Stray Bullets, ce sont des histoires noires à la Tarantino mâtinées d’Ellroy, un plongeon sans fin dans la criminalité avec un casting de malade, une galerie de personnages plus tarés les uns que les autres, triés sur le volet de la dégénérescence la plus totale, camés, escrocs, dingues et paumés, c’est violent, c’est macabre, c’est noir, c’est nihiliste à souhait mais il y a un sens à tout ça, explique l’auteur, « intensifier l’émotion de choses que j’ai vécues ou de choses assez universelles que nous pouvons tous comprendre ». Touché en plein coeur !

Eric Guillaud

Stray Bullets, de Lapham. Delcourt. 34,95€

@ Delcourt / Lapham

21 Avr

Ni vu ni lu de Jean-Christophe Mazurie : l’important est d’argumenter

Peut-on parler de tout et surtout de ce qu’on ne connaît pas ? Pour Jean-Christophe Mazurie, c’est oui. Dans ce petit livre paru dans la collection Pataquès des éditions Delcourt, l’auteur dit tout le mal – ou parfois le bien – qu’il pense de livres ou de films sans en avoir lu une ligne ou vu une image…

Vous avez lu Elle & Lui de Marc Levy ?  Non ? Jean-Christophe Mazurie non plus, ce qui ne l’empêche pas d’avoir son opinion et de la partager ici, « à chier! ». Et d’argumenter. « Dire q’on aime pas Marc Levy, c’est afficher une certaine exigence quant à la littérature, la vraie ». Imparable.

Et tout y passe, films ou livres, séries ou retransmissions sportives, depuis Intouchables d’Olivier Nakache et Eric Toledano jusqu’à Soumission de Michel Houellebecq, en passant par Les Nouvelles familles de Christine Boutin, Un Tournant  de la vie de christine Angot, 50 nuances de grey de E.L. James ou encore Star Wars de George Lucas. Même la Coupe du monde de football a sa petite chronique : « La coupe du monde, c’est comme la mort : impossible d’y échapper ».

Non seulement, Jean-Christophe Mazurie argumente mais il nous apprend les techniques pour briller en société sans lire en tenant d’entrée une position, « c’est à chier », et en anticipant une éventuelletuelle contradiction : « N’importe quel imbécile le voit tout de suite ».

Que rajouter à ça ? Rien, c’est drôle et ça vous rappellera peut-être certaines personnes qui ont toujours un avis sur tout même sur des sujets qu’ils ne connaissent absolument pas. Le livre qu’il faut avoir lu – ou non – pour briller dans les soirées mondaines.

Eric Guillaud

Ni vu ni lu, de Jean-Christophe Mazurie. Delcourt. 12€

@ Delcourt / Mazurie

Shazam ou comment un super-héros boy-scout des années 40 revient sur le devant de la scène

Malgré sa très belle couverture un peu sombre signée Alex Ross, la série Shazam est un pur produit de son époque, celle des années 40 où le alors nouveau business des comics était perçu quasiment comme un outil d’éducation vertueux outre-Atlantique. À l’occasion de la sortie de l’adaptation cinéma, retour sur un héros très (trop ?) propre sur lui oublié du public…

La manne des super-héros ne semblant pas vouloir se tarir, pourquoi Hollywood s’en priverait-elle ? Le schtroumpf, c’est que l’on ne peut pas avoir un film des Avengers ou de Batman tous les trimestres donc il faut bien taper dans le bas de l’étagère pour essayer, malgré tout, de récupérer quelques miettes à moindres frais. Et puis l’astuce a eu un succès inespéré avec Black Panther donc pourquoi se gêner ? D’où la surabondance de jadis seconds rôles désormais propulsés au premier rang (Docteur Strange, Aquaman, Miss Marvel etc.) alors qu’il ne le méritait pas vraiment…

Le cas de Shazam est encore plus problématique : non seulement ce héros là est-il complètement inconnu du grand public français mais en plus, il ne colle pas vraiment à l’état d’esprit actuel car on tient là le reliquat d’une époque depuis longtemps révolue dite de ‘l’âge d’or’ des comics américain. Aujourd’hui, le comics est devenu bien souvent adulte, avec les thématiques qui vont avec, sombres et torturées. Shazam apparaît donc presque anachronique avec sa vision du monde très monochrome, où les gentils sont très gentils et les méchants très méchants. C’est là la force de cette anthologie mais aussi sa limite, même si la parution originale de ces quinze épisodes s’étale sur près de quatre vingt ans. À ce propos, ce volume est sous-titré ‘les récits les plus magiques’ et ce n’est pas anecdotique : sur quinze épisodes, un bon tiers datent des années 40 et 50 et d’une certaine façon, le personnage n’est jamais vraiment sorti de ces codes-là.

Une première précision linguistique : avant d’être le nom d’une célèbre application pour téléphone portable, ‘shazam’ est surtout l’équivalent anglo-saxon de ‘abracadabra’, soit le mot que le jeune Billy Batson doit prononcer pour se transformer en Mister Marvel, le véritable nom de notre héros du jour mais qui n’a pas conservé pour la titraille, histoire probablement d’éviter la confusion avec le héros de Marvel portant déjà ce sobriquet un tantinet pompeux il est vrai. Shazam est aussi le nom du sorcier vieux de trois mille ans à la longue barbe digne de Merlin l’Enchanteur qui vit, reclus, dans une caverne et qui a décidé de donner au jeune homme le pouvoir de se transformer à sa guise en super-héros pour, évidemment, défendre la veuve et l’orphelin.

Vous l’avez compris à ce pitch presque enfantin, on est ici bien loin de la violence gratuite et du tragique à tous les étages. Mister Marvel et ses sidekicksMarvel Junior ou Mary Marvel (oui, toute la famille !) sont politiquement très corrects, remplis de bons sentiments et lâchent à peine ‘saperlipopette’ voire ‘flute et reflute !’ lorsque leurs ennemis leur échappent, même s’ils finissent toujours pas gagner bien sûr. Mais avec ses couleurs quasi-pop art avant l’heure, son mélange des genres complètement foutraque par moments (le mythe de l’Atlantide, un message écolo avant l’heure avec ce combat entre Mister Marvel et la Terre elle-même fatiguée d’être maltraitée par l’homme etc.) et son charme suranné, il y a quelque chose d’assez rafraichissant dans tout ça, même si d’un autre temps. Cela dit, pour les fans de la BD US de l’époque, on retrouve quand même quelques figures, dont l’un des scénaristes de Superman et surtout l’un des dessinateurs phares de la saga ‘Flash Gordon’ en la personne de Manuel ‘Mac’ Raboy.

Initialement, Shazam était la série d’une petite maison d’édition concurrente qui décida de jeter l’éponge au milieu des années 50, interrompant ainsi sa parution. Il faudra attendre Janvier 73 et son rachat par DC (Batman, Superman) pour qu’il retrouve le chemin des marchands de journaux, presque inchangé. Sauf qu’entretemps, les comics, eux, ont beaucoup changé et plutôt intelligemment, son nouveau propriétaire a décidé de le recentrer vers un public plus jeune, notamment via une adaptation en dessin animé et c’est encore cette orientation qui prime aujourd’hui, mais sans le charme vintage de sa première version. Une BD de super-héros destiné aux fans mais au final qui plaira surtout donc aux grands enfants aux cheveux gris amateurs de serials de la grande époque.

Olivier Badin

Shazam Anthologie, collectif, Urban Comics/DC, 25 €

@ Urban Comics/DC

20 Avr

L’âge de Pierre : une histoire pas du tout préhistorique signée Davy Mourier et Héloïse Solt

Non, L’âge de Pierre n’est pas un nouvel épisode des aventures de Rahan, Pierre est tout simplement le nom du héros de cette histoire et l’âge, l’une de ses grandes préoccupations, une thématique qui n’a rien de préhistorique…

Vous allez me dire : on ne les compte plus les albums traitant des trentenaires, généralement parisiens, qui n’arrivent pas à quitter le monde de l’adolescence. Et vous avez raison. Mais peu importe le nombre, chaque auteur a sa propre vision de la chose. Et celle de Davy Mourier au scénario et d’Héloïse Solt au dessin est plutôt originale.

Avec un vrai Tanguy pour le coup, un gars qui n’habite plus chez lui, certes, mais qui retourne sous les jupes de sa maman au moindre coup dur, au moindre pet de travers. Et une mère capable d’appeler fiston aux moments les moins opportuns, dans le train par exemple qui le ramène à Paris.

« Je ne sais pas quand je redescends en Ardèche… Je viens d’en partir. Oui, j’ai mangé la tartiflette ».

« Monsieur. Contrôle des billets ». Un peu Tanguy sur les bords mais pas insensible au charme féminin. La contrôleuse SNCF du jour, Manon de son prénom, finira dans son lit le soir même. Comme pas mal de conquêtes de ses conquêtes. Mais de là à s’investir plus d’une nuit, renoncer à sa tranquillité, à sa liberté, pas question. Sauf si…

@ Delcourt / Mourier & Solt

Sauf si un éditeur lui propose de raconter en BD le début de son engagement avec une femme. Oui, Pierre est un auteur de BD. enfin jusqu’ici, il s’est contenté de raconter ses histoires de fesses sur un blog. Cette fois, on lui propose un vrai album en papier avec une vraie histoire.

Mais quelle histoire ? Manon bien sûr. Contre toute attente, il accepte de se mettre en couple avec elle… dans le seul but de mettre son quotidien en images.

Une chose est sûre, ça sent le vécu ! D’ailleurs, l’éditeur ne se prive pas de préciser que toute ressemblance avec la vie de Davy Mourier serait purement volontaire. L’âge de Pierre est une autofiction. À la fois homme de télé, de théâtre et auteur de BD, Davy Mourier développe ici un scénario drôle et intelligent initialement écrit pour un projet de film. Il en fera quand même un court métrage disponible ici…

À noter pour firnir l’excellent travail d’Héloïse Solt qui signe ici son premier album de bande dessinée. Transfuge de l’illustration jeunesse, Héloïse développe en a ramené un trait vivifiant qui colle parfaitement à l’approche à la fois intimiste et léger du récit.

Eric Guillaud

L’âge de Pierre, de Solt et Mourier. Delcourt. 17,95€

17 Avr

Les esclaves oubliés de Tromelin : une nouvelle édition enrichie à l’occasion d’une exposition au Musée de l’Homme à Paris

Publié en 2015 sous le parrainage du Château des Ducs de Bretagne à Nantes qui proposait déjà une réflexion sur cette tragédie de l’histoire, l’album Les esclaves oubliés de Tromelin a récemment été réédité en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturel à Paris qui à son tour présente une exposition…

L’île de Tromelin ne vous dit peut-être pas grand chose. Et c’est normal. Tromelin est un caillou ou plus précisément un banc de sable posé au milieu de l’océan indien à 500 kilomètres de la terre la plus proche.

1700 m du nord au sud, 700 m d’est en ouest, une végétation assez réduite, des oiseaux, des Bernard-L’Hermite par dizaines de milliers et les traces presque imperceptibles mais bien réelles d’une présence humaine ancienne.

_________________________________

L’interview de l’auteur en 2015

_________________________________

L’île a en effet été habitée au XVIIIe siècle pendant 15 ans par des esclaves laissés là après le naufrage du navire qui devait les emmener vers un destin tout aussi funeste. 15 ans à tenter de survivre et au bout du compte, huit rescapés, 7 femmes et un enfant de 8 mois sauvés en 1776 après plusieurs tentatives de sauvetage. Une histoire incroyable mais bien réelle que nous raconte avec passion et talent l’auteur de bande dessinée Savoia, déjà connu du grand public pour avoir mis en images le récit autobiographique de la Polonaise Marzena Sowa, Marzi (éd Dupuis).

© Dupuis / Savoia

© Dupuis / Savoia

Et plus que le simple mais déjà conséquent récit de ce naufrage et des quinze années passées sur l’île, Savoia met également en images la mission archéologique qu’il a accompagnée sur l’île de Tromelin en 2008, mission chargée justement de comprendre comment avait pu être la vie de ces naufragés.  Et c’est passionnant de bout en bout, le lecteur suit les découvertes de l’équipe d’archéologues en même temps qu’il vit la lente tragédie silencieuse des esclaves.

Publié initialement en 2015, Les esclaves oubliés de Tromelin fait partie de ces albums essentiels sur l’histoire du monde, un témoignage puissant et intemporel. La preuve avec cette édition enrichie (nouvelle jaquette et chronologie de l’esclavage et de son abolition) publiée à l’occasion de l’exposition présentée au Musée de l’Homme à Paris.

L’exposition est visible jusqu’au 3 juin 2019. Une rencontre avec l’auteur Sylvain Savoia s’y déroulera le Jeudi 23 mai à 15h.

Eric Guillaud

Les esclaves oubliés de Tromelin, de Savoia. Editions Dupuis. 22€

@ Dupuis / Savoia

RSS