Après Come Prima qui lui valut un Fauve d’or au festival d’Angoulême en 2014, Alfred nous revient avec Senso, l’histoire d’une rencontre fortuite dans le décor d’une Italie qui lui est chère…
C’est typiquement le genre de mésaventure qui peut arriver à tout le monde. Elle est d’ailleurs arrivée à Alfred à l’occasion d’un festival près de Rome : « aucune chambre n’avait été réservée à mon nom, et pendant un temps, la perspective de passer la nuit à errer dans cet hôtel vieillot plein de tableaux et d’objets insolites m’avait amusé ».
Cette mésaventure avait rejoint l’un des carnets que l’auteur remplit chaque jour d’anecdotes, de dessins, de souvenirs et autres rêves. Jusqu’au jour où une étincelle se produit et lui permet de relier toutes ces idées, toutes ces pistes, pour en faire une histoire. C’est de cette mésaventure qu’est né Senso: « C’était l’élément qui allait tout relier, et permettre à l’histoire de commencer ».
Et l’histoire commence avec un personnage, Germano Mastorna. Il n’est pas auteur de BD comme Alfred, il est vaguement producteur de groseilles bio, mais il se retrouve lui-aussi sans chambre dans un hôtel à la déco d’un autre âge quelque part en Italie du sud. Errant de canapé en fauteuil, l’homme finit par tomber sur une très vieille connaissance qui n’est autre que le patron des lieux. Il se marie justement ce jour-là et invite Germano à la fête.
Au point où il en est, Germano accepte l’invitation. Il s’y ennuie un peu, beaucoup, à la folie, jusqu’à sa rencontre avec Elena. Lui n’aurait jamais dû être là, elle ne voulait pas venir, une rencontre inattendue, une nuit pour se mentir un peu, arrêter le temps qui passe, peut-être prendre une autre direction, trouver un sens (senso en italien) à la vie…
Après Le Désespoir du singe sur un scénario de Jean-Philippe Peyraud, Pourquoi j’ai tué Pierre avec Olivier Ka, Je mourrai pas gibier, adaptation du roman de Guillaume Guéraud, et bien sûr Come Prima, Alfred nous offre ici une comédie à l’italienne avec un héros légèrement lunaire, une chaleur étouffante et un décor époustouflant de beauté qui a tout de l’Italie sans en refléter un lieu défini : « C’est un mélange de mes Italies. Des endroits que je connais ou dans lesquels j’ai vécu, et que je mélange les uns aux autres. Mes origines italienne sont toujours très présentes, mais je triture différentes périodes , différents endroits, pour en restituer une Italie imaginée, théâtralisée, personnelle… ».
Une Italie comme on peut se l’imaginer, écrasée de soleil, magnifique.. et un parc, extraordinaire, sans limites, quasiment sorti d’un rêve où les deux personnages vont se libérer, se rapprocher, s’aimer. « Le parc prend racine dans tous ces souvenirs : le jardin botanique de Rome, celui de Naples, un parc caché de Venise dans lequel ma fille a fait ses premiers pas et surtout la Villa Rocca, à Chiavari, l’endroit d’où vient ma famille ».
Avec un dessin plutôt sobre destiné avant tout à servir l’histoire, Alfred nous invite à un magnifique voyage au coeur de l’Italie mais aussi au coeur des sentiments humains. Sublime !
Eric Guillaud
Senso, d’Alfred. Delcourt. 23,95€