18 Jan

Dracula contre Frankenstein : deux monuments de la littérature gothique vus par deux des plus grands maîtres de la BD d’horreur

Lorsque deux monstres de la BD fantastique rencontrent deux monstres dans le sens premier du terme, cela donne deux résultats… assez différents. Si le alors futur papa de Hellboy ne donne qu’un aperçu de son talent, le dessinateur star des célèbres pulps Eerie et Creepy, lui, s’en donne à cœur joie…

Pas tout à fait de la même génération (douze ans les séparent) Bernie Wrightson et Mike Mignola sont deux monuments de la bande dessinée d’horreur et fantastique, connus pour avoir donné naissance à deux créatures entrées au Panthéon du genre. Née en 1972 sous la plume de Wrightson, avec sa couleur verdâtre maladive, la Créature des Marais est d’ailleurs presque à l’opposé de Hellboy, la ‘chose’ grande gueule et soupe-au-lait sortie de l’imagination de Mignola vingt-deux ans plus tard. Mais les deux dessinateurs se sont aussi frottés à deux mythes de la littérature fantastique du XIXème siècle souvent associés, Frankenstein et Dracula. Sauf qu’ils ne l’ont pas fait au même niveau de carrière et pour les mêmes raisons, ce qui explique sûrement ce résultat inégal.

Autant le dire tout de suite, la réussite de cette xième adaptation de Dracula est avant tout une histoire de point de vue. Si vous êtes fans de Mignola et du roman de Bram Stoker, vous risquez d’être déçus. Déjà parce qu’on tient là une œuvre de ‘jeunesse’ du premier – elle date de 1992, alors qu’il n’avait que trente-deux ans et que son style n’était pas encore tout à fait figé. Et ensuite parce que c’est une commande qui est en fait une adaptation, et la nuance mérite d’être soulignée, du film de Francis Ford Coppola du même nom sorti la même année. Une adaptation d’ailleurs limite trop fidèle qui suivant pas-à-pas le script originel, jusqu’à la coiffure moumoutée de Gary Oldman en comte Dracul. Mais malgré ce corset parfois étouffant, ce choix d’un superbe noir et blanc au contraste très marquée souligne, déjà, son obsession pour le clair-obscur et les symboles religieux. Et cette nouvelle édition contient quelques précieux ‘bonus’, comme des croquis au crayon qui démontrent combien, déjà, Mignola avait très tôt une vision bien précise de ce qu’il voulait faire.

© Delcourt / Roy Thomas & Mike Mignola

Or si ce Dracula est une œuvre de jeunesse, Frankenstein – Le Monstre est Vivant est à l’inverse une œuvre testamentaire. D’ailleurs trop malade, Wrightson n’a pas pu la finir et à confier lui-même à Kelley Jones d’en achever le quatrième et dernier chapitre. Réalisé avec Steve Niles, le scénariste de 30 Jours de Nuit qui signe d’ailleurs aussi la préface, c’est la suite plus ou moins officieuse et (très) personnelle du Frankenstein de Mary Shelley dont Wrightson avait réalisé une adaptation saluée par tous en 1975 et considérée comme son chef d’œuvre absolu.

Wrightson a toujours été fasciné par les parias, ceux qui sont rejetés par une société qui ne veut pas d’eux car trop ‘différents’, quelque soit le sens pris par ce mot. Son Frankenstein n’est jamais vraiment effrayant ni brutal, mais perdu, mélancolique, apeuré et pourtant épris d’humanité. Il n’est pas le monstre qu’on le voudrait croire, ce sont les autres qui le sont, ces êtres humains parfois si propres sur eux et pourtant si cruels et psychotiques. Alors que le texte est écrit à la première personne, de nombreuses fois, la vision, dantesque, de l’auteur s’étale sur de pleines pages aux détails hallucinants de finesse. Très contemplative, la quête de sens de Frankenstein prend ici une tournure quasi-philosophique mais sans jamais se départir d’une beauté graphique à la fois tragique et grandiose. Seul le trait moins assuré  Kelley Jones terni quelque peu le tableau, même si grâce aux croquis de travail adjoints ici en bonus dont il s’est servi, on se rend compte que Wrightson avait une vision très précise de ce qu’il voulait faire. C’est ce qu’on appelle une sortie par la grande porte ! Reste plus à espérer qu’un jour, comme son compère Richard Corben, et même de façon posthume, ce dernier soit enfin reconnu par ses pairs comme l’un des grands dessinateurs de son époque…

Olivier Badin  

Dracula de Roy Thomas & Mike Mignola, Delcourt, 19,99€

Frankenstein – le Monstre est vivant de Steve Niles, Bernie Wrightson & Kelley Jones, Soleil, 19,99€

@ Soleil / Steve Niles, Bernie Wrightson & Kelley Jones

La maison d’édition Rouquemoute soufflera ses deux bougies au festival BD d’Angoulême

Lancer une maison d’édition aujourd’hui ne peut se faire sans la passion. C’est justement ce qui anime Maël Nonet depuis des années. En 2016, après avoir navigué dans la communication et le dessin de presse, il crée Rouquemoute, une maison d’édition qui préfère l’humour à la morosité. Rencontre…

Maël Nonet © éric guillaud

Ne vous imaginez pas un immeuble chic et central, Rouquemoute est installé à Rezé dans le quartier du 8 mai, un immeuble anodin, un espace de coworking au dernier étage, 80 mètres carrés à tout casser, quelques bureaux, des étagères et surtout beaucoup de cartons. L’édition nécessite un peu de place et permet très rarement de faire fortune.

La suite ici

09 Jan

L’Invasion des imbéciles ou la bêtise humaine pour les nuls

Si c’est en lâchant des flatulences au clair de lune que certains célèbres acteurs convoquaient les extra-terrestres, c’est en passant, l’arme à gauche que la centenaire Yvonne, elle, se retrouve face à des êtres venus d’un autre monde à qui elle va devoir faire un peu de pédagogie si elle veut sauver ses fesses…

Alors c’est vrai, ça pique un peu les yeux lorsqu’on commence par vouloir mettre dans la même phrase les mots ‘roman graphique’, ‘roman graphique’ et, euh, ‘extra-terrestres’. Mais c’est justement ce qui fait tout l’intérêt de ce beau petit livre signée Tiphaine Rivière, déjà remarquée en 2015 pour Carnets de Thèse. Car oui, c’est quoi la bêtise humaine ? Comment l’expliquer ? Et c’est quoi le rapport avec la Bretagne nom de Zeus ?

Véritable tatie Danielle, Yvonne attend presque avec impatience la mort de son lit d’hôpital, lassée depuis longtemps de ses contemporains. Sauf que lorsque le moment arrive enfin, elle se retrouve non pas face à un mec barbu en pagne posé sur un nuage mais bien face à des extra-terrestres ressemblant à des sortes de lemmings aux yeux exorbités qui lui réclament de prouver sa « contribution à l’humanité » si elle ne veut pas être annihilée. Dos au mur mais pas si gâteuse que ça, mamie improvise et se propose alors de les aider à se prémunir du pire virus sévissant sur Terre : la bêtise. Avec en guise de souris de laboratoire, le petit village breton où elle a vécu « 66 ans » et où elle « connaît tout le monde ». Incognito, elle se retrouve flanquée d’un binôme au nom tordu de 0*) :YU à qui, exemples à l’appui, elle tente d’explique l’inexplicable : comment réussit-on parfois à être aussi con ?

Du grand n’importe quoi ? Loin de là. Parce que malgré ce pitchimprobable, Rivière aborde son sujet avec humour et légèreté, ce qui ne l’empêche pas sur le plan graphique d’alterner saynètes intimes et planches quasi-psychédéliques. Certes, le propos frôle par moments trop le cours magistral – notamment lorsque Yvonne se met à citer le philosophe Gilles Deleuze comme d’autres parlent du temps qu’il fait – et perd à sa moment là un peu de son côté ludique. Mais, fait rare, on apprend aussi en s’amusant. Et la conclusion, qu’on vous laisse découvrir, se permet même un peu de sarcasme bienvenu. Surtout, on se dit qu’Yvonne, elle, était loin d’être une imbécile…

Olivier Badin

L’invasion des Imbéciles de Tiphaine Rivière, Seuil, 16,90€

© Seuil / Tiphaine Rivière

14 Déc

Chroniques de Noël : Black in white America : quand l’éditeur de BD Steinkis fait dans la photographie

Noël approche et vous séchez affreusement côté cadeaux ? Pas de panique, les Chroniques de Noël sont là pour vous venir en aide avec des bandes dessinées qui pourraient faire de l’effet au pied du sapin, des bandes dessinées mais pas seulement. Voici un livre autour des photos de Leonard Freed sorti chez un éditeur plus connu sur ce blog pour son catalogue de bandes dessinées…

Ne cherchez pas, ce livre Black in white America n’a aucun lien avec le neuvième art si ce n’est effectivement l’éditeur qui s’est fait un nom sur le marché du livre avec des bandes dessinées.

Mais, comme le rappelle son site internet, Steinkis publie des livres qui « déclinent les thèmes des relations entre les peuples, les cultures, les civilisations ; des questions d’identité et d’appartenance ou du rôle et de l’intégration des minorités, qu’elles soient religieuses, ethniques, sexuelles, etc ».

Black in white America s’inscrit pile-poil dans ce créneau-là. Il s’agit d’un reportage photographique de Leonard Freed, publié initialement en 1968 après six années passées à sillonner les États-Unis et à amasser une conséquente collection de clichés autour de la vie quotidienne des Noirs, un périple qui l’a entraîné de la Louisiane à New York, en passant par la Géorgie, la Caroline du Nord ou la Virginie.

Dans ces photos, on y lit bien évidemment la misère du peuple noir encore soumis à la ségrégation raciale mais aussi ces moments de bonheur qui émaillent forcément toute vie, ici des enfants jouant autour d’une bouche à incendie, là des musiciens de jazz, des femmes endimanchées ou des sportifs, et puis ces moments de lutte, de joie intense et d’espoir aux côtés du révérend Martin Luther King ou durant la marche sur Washington pour les droits civiques.

Des photos prises su le vif qui hier témoignaient du bienfondé et de l’urgence du mouvement des droits civiques et aujourd’hui d’un passé qui a profondément marqué le pays au point que, comme le souligne la préface, « la question raciale demeure enracinée dans conscience nationale américaine ». Forcément riche d’enseignements !

Eric Guillaud

Black in white America, de Leonard Freed. Steinkis. 35€

09 Déc

Chroniques de Noël : Des plumes & Elle, un bijou graphique signé Paul Salomone

Noël approche et vous séchez affreusement côté cadeaux ? Pas de panique, les Chroniques de Noël sont là pour vous venir en aide avec des bandes dessinées qui pourraient faire de l’effet au pied du sapin. On commence cette année avec Des Plumes & Elle de Paul Salomone…

Débuter notre série de chroniques par cet album nous apparaissait comme une évidence tant il partage avec Noël un côté chaleureux, magique, féérique et poétique. Aux manettes, Paul Salomone. En compagnie de Wilfrid Lupano, l’auteur a précédemment signé le western spaghetti L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu.

Changement de style, changement de registre, Paul Salomone nous entraîne cette fois dans le monde de la nuit et plus précisément dans cet univers tellement singulier des danseuses de cabaret. Athlète de haut niveau, Paul Salomone ne connaissait rien de ce monde de la nuit même s’il a toujours été intrigué par celui-ci. Pour écrire Des Plumes & Elles, il s’est rendu dans différents cabarets emblématiques de Paris, d’autres moins connus, et discuté avec nombre de danseuses.

« Certaines scènes s’inspirent de spectacles vivants auxquels j’ai assisté », confie-t-il dans une interview accordée au magazine Casemate de décembre 2018. « Je me suis attardé sur le cabaret, et me suis principalement intéressé à la dichotomie entre le ressenti de la danseuse et celui du spectateur, difficile à exprimer par les mots, d’où mon choix du dessin et de la poésie ».

Poétique, Des Plumes & Elle l’est assurément. Par le dessin, par la palette de couleurs choisies, par le thème bien évidemment, par le choix d’une unique voix off (pas de dialogues) et par la conception de l’album en elle-même, particulièrement soignée. Magnifique !

Eric Guillaud

Des Plumes & elle, de Paul Salomone. Delcourt. 21,90€

15 Nov

Batman White Knight : quand l’homme chauve-souris joue les méchants

On ne le répétera jamais assez, aussi cliché soit-il : entre les mains d’un auteur, un vrai, même le plus rabâché des sujets peut (re)devenir passionnant. Sean Murphy est l’un de ses petits génies : preuve en est ici avec le mythe pourtant vu et revu du ‘Batman contre le Joker’ revisité d’une manière fascinante car osant remettre en question la question universelle du bien et du mal.

Certes, axer son récit sur la relation haine/amour qui semble unir d’une façon quasi-perverse depuis toujours l’alter-ego de Bruce Wayne avec son plus grand adversaire n’est pas exactement une nouveauté en soit. Dès 1986, le grand Frank Miller avait fait basculer le héros masqué dans l’âge adulte avec la cultissime mini-série Dark Knight où pour la première fois, il apparaissait presque aussi paranoïaque et psychotique que son ennemi, rendant ainsi volontairement flou la frontière séparant les bons des méchants on va dire.

Ici, aux commandes à la fois des dessins et du scénario, le surdoué Sean Murphy qui nous avait très impressionné il y a quelques années avec le tortueux Punk Rock Jesus reprend à peu près comme point de départ le même postulat mais lui fait ensuite prendre une tournure inattendue : alors qu’il l’arrête pour la xième fois le Joker, pris de fureur, Batman le tabasse quasiment à mort sous les yeux des caméras, choquant l’opinion publique.

Mais surtout, grâce à une surdose de médicaments expérimentaux, ce dernier redevient alors Jack Napier, l’individu posé et intelligent qu’il était avant de sombrer dans la folie et de devenir le plus grand criminel de Gotham. Et alors que le super-héros est rejeté par la population et s’isole encore plus, Napier devient le ‘chevalier blanc’ (d’où le titre) de la ville qu’il a décidé de purger de sa corruption généralisée. Ce que ne l’empêche pas de jouer un double-jeu dangereux…

Rendre le Joker – ou plutôt ici Jack Napier – tour-à-tour pathétique puis touchant et enfin amoureux (si) tout en inscrivant le tout dans un contexte politico-social résonnant terriblement avec l’époque actuelle, il fallait oser. Ou avoir un sacré talent. Murphy a les deux. Son trait à l’ancienne, le côté très effilé de ses personnages et sa maitrise du clair-obscur (bien mis en valeur par le coloriste Matt Hollingsworth) donne déjà une belle épaisseur supplémentaire au récit.

Mais c’est bien son écriture qui fait toute la différence, même si on le sent un chouia moins inspiré lorsqu’il se sent obligé d’insérer quelques bastons obligatoires (on reste dans du comics, n’oublions le cahier des charges !). Tout en évitant le manichéisme, il réussi à nous faire découvrir plus d’un demi-siècle après leur création une nouvelle facette de ce duo iconique de la pop culture. Chapeau bas donc, White Knight rejoignant Dark Knight (notez la complicité des titres) au panthéon des meilleures relectures jamais écrites du culte crée par Bob Kane et le scénariste Bill Finger en 1939.

Olivier Badin

Batman White Knight, de Sean Murphy et Matt Hollingsworth. Urban Comics/DC Comics, 22,50€

© Urban Comics/DC Comics – Sean Murphy et Matt Hollingsworth

Belzebubs : quand musique metal, BD et humour font bon ménage

Le bonhomme a beau être finlandais et avoir le sang froid, on détecte tout de suite le clin d’œil et le sourire amusé lorsqu’on le rencontre au dernier Comic Con à Paris en Octobre dernier. Allez oui, on ne va pas se mentir, on a sciemment choisi un t-shirt de metal (vous voulez tout savoir ? De Darkthrone, allez hop) histoire d’être reconnu comme l’un des siens. Car même si ce trentenaire qu’est JP Ahonen a dû récemment sacrifier ses cheveux longs, ses tatouages trahissent très vite sa passion pour la musique metal. Une passion qu’il a décidé de mélanger avec l’autre grande entreprise de sa vie, le dessin. Et le résultat est détonnant…

© Marjaana Malkamäki / Daily Hero

Après Perkeros traduit en 2014 en français, Belzebubs réunit tous ses strips d’une page d’abord publié sur internet et tournant autour d’une drôle de famille et sa façon de gérer les petits problèmes du quotidien, des relations avec la belle-famille en passant par la crise d’adolescence de leur fille ainée ou les vacances. Â cela près que papa est un musicien de black-metal (littéralement, le ‘métal noir’, terme désignant une forme très véloce et agressive du heavy-metal) et que toute la famille est habillée en noir et a fait copain-copain avec les (soi-disantes) forces obscures. C’est totalement décalé, très drôle et a le mérite surtout de ne pas s’adresser qu’aux fans de ce style de musique, même si les plus chevelus d’entre vous qui se sont par exemple déjà rendus une fois au Hellfest seront ceux qui se marreront le plus…

 ma connaissance, cette bande-dessinée est l’une des toutes premières tentatives de marier BD, humour et le monde très codifié et pas du tout humoristique pour le coup du black-metal. Tu savais quand même qu’a priori, les fans de ce style assez extrême de musique ne sont pas réputés pour avoir un énorme sens de l’humour non ?

JP Ahonen. (sourire) Oui, on me l’a beaucoup dit et j’en suis bien conscient mais je voulais faire mon truc malgré tout. J’aime ce côté complètement décalé, cet écart entre cette famille un peu bizarre portant des corpsepaints (littéralement ‘peintures de cadavres’, désignant le maquillage monochrome outrancier dont sont affublés les musiciens de black-metal-ndlr) et adorant les démons confrontée aux petits soucis très banals de la vie de tous les jours. Et d’après ce que m’ont dit pas mal d’amis, à ma propre surprise il semble que pas mal de fans ou de musiciens de la scène trouvent le résultat très drôle donc…

© Glénat / JP Ahonen

N’as-tu pas été à un moment toi-même musicien de metal ?

Oui, au début des années 2000 mais je ne jouais pas un style aussi extrême, c’était plus proche de l’état d’esprit d’un Sentenced par exemple, un groupe alors très populaire chez nous en Finlande qui mélangeait metal, rock traditionnel et rock gothique (http://www.sentenced.org). Mais lorsque je suis parti à l’université, j’ai décidé de me concentrer sur le dessin plutôt. Après, même si je n’ai pas joué de black-metal, j’en connais les codes et je pense que cela m’a donné une certaine légitimité. Je comprends cette musique si tu vois ce que je veux dire et je suis tout à fait, je pense, capable d’en voir les bons côtés comme les plus, disons, risibles… Mais je reste avant tout un fan de musique et Belzebubs est une sorte de déclaration d’amour au genre metal dans son ensemble.

Est-ce que tu penses que le fait que tu sois finlandais ait joué aussi ? Tout le monde ne sait pas forcément mais chez vous, le metal est pratiquement un style ‘grand public’… Pas plus tard qu’au mois de Septembre, un groupe de chez vous de pur black-metal tout ce qu’il y a de plus sérieux du nom d’Archgoat (archgoat666.bandcamp.com) voyait même son quatrième album The Luciferian Crown atterrir directement à la deuxième place des charts !

Bien sûr ! En Finlande, personne ne te regarde de travers si tu dis que tu écoutes du metal, bien au contraire. On a envoyé Lordi gagner l’Eurovision et tu peux entendre dans les supermarchés des chansons  de Nightwish (www.youtube.com/user/Nightwishofficial) pendant que tu fais tes courses… En fait, c’est tellement accepté et rentré dans les mœurs que cela en devient presque plus cool du tout d’aimer le metal, du moins depuis une dizaine d’années. Heureusement, depuis peu de nouveaux styles de musique absolument horrible style du hip-hop chanté en Finnois sont en passe de le supplanter donc avec un peu de chances, le genre va redevenir underground et plus cool… (sourire)

© Glénat / JP Ahonen

Avec plus de 200,000 habitants, ta ville de résidence Tempere est la troisième du pays et a une bonne petite scène black-metal. En connais tu personnellement certains membres ?

Pour être honnête, non. Je sais qu’un groupe comme Horna par exemple (horna666.bandcamp.com) qui existe depuis plus de vingt ans est de Tempere mais c’est tout. En fait, même si j’aime bien le black, je suis avant tout pus friand d’un style de metal plus classique et progressif, moins extrême disons. Mais l’ironie de l’histoire est que depuis que je fais Belzebubs, je reçois régulièrement de la part de lecteurs des suggestions et très souvent, elles sont plutôt bonnes je dois dire. J’ai par exemple découvert grâce à ça Diadem of Dying Stars, un groupe grecque assez planant…

 partir de quel moment t’es-tu dit que mélanger BD et musique metal serait une bonne idée ?

Dès l’adolescence pour tout te dire. J’étais au collège avec KP Alare (avec lequel il a co-signé ‘Perkeros’ qui parlait déjà de metal-ndlr) et je me souviens très bien qu’on nous a demandé de réaliser un exposé sur les religions. Les autres ont choisi l’hindouisme, l’islam ou encore le judaïsme mais KP et moi, on a préféré prendre le satanisme ! Sauf qu’en guise d’exposé, nous avons réalisé un faux documentaire sur un ado soi-disant possédé, avec des interviews de ses parents, de sa petite amie etc. Sauf que c’était à chaque fois moi ou KP déguisé et cela a bien fait marré les gens de notre classe. Je me souviens m’être dit à ce moment là que mélanger l’occulte et l’humour était une formule qui marchait bien.

© Glénat / JP Ahonen

Belzebubs a commencé d’abord sur internet. Pourquoi ?

On peut parler d’un bel accident en gros. Belzebubs a commencé il y a trois ans environ : je souffrais alors d’une sorte de dépression lié à un sentiment d’épuisement général. Cela faisait des années que je faisais des caricatures pour des journaux locaux ou nationaux et je me sentais de plus en plus harassé par toutes les contraintes que cela impliquait de devoir fournir un dessin par jour ou par semaine.

Mon inspiration était devenue trop fluctuante et je butais sur des détails stupides… J’avais adoré faire Perkeros et j’ai alors ressenti le besoin de faire quelque chose de plus personnel où je n’aurais pas à me prendre la tête. J’ai alors décidé de participer à un concours en ligne et j’ai très spontanément commencé à dessiner deux musiciens de black-metal tenant à bout de bras un t-shirt – noir, évidemment – en essayant d’en déchiffrer le logo, vu que dans ce style la tradition veut que les groupes aient, justement, des logos tellement tordus qu’on ne puisse pas les lire… (sourire) Cela m’a fait marrer or sans le savoir, j’avais alors donné naissance à Belzebubs car ces personnages alors pas tout à fait définis ont commencé à trotter dans ma tête.

J’ai commencé à dessiner un certain nombre de strips autour d’eux, sans véritable objectif si ce n’est d’en accumuler suffisamment pour, si possible, ensuite proposer à un journal plus tard. J’ai fini par les publier moi-même un par un sur le net à partir de Septembre 2016, justement pour rester en phase avec cette idée de ne pas se prendre la tête, mais sans rien n’en attendre de plus. Et puis je ne sais même pas comment, au bout de six mois, les connections ont décollées presque d’un coup sans que je fasse quoi que ce soit, à part profiter du bon vieux bouche-à-oreille.

J’imagine que ce succès est aussi dû au manque de contrainte que t’offre internet : contrairement à mes autres travaux, je ne dois absolument respecter ni un format ni une date butoir. Il peut se passer trois semaines sans que je ne mette rien en ligne ou au contraire, si je suis inspiré, je peux en publier trois d’un coup si je veux. Et puis je rajouter un peu d’animation, faire un grand format ou à l’inverse un petit etc. Et cette liberté m’a fait un bien fou !

© Glénat / JP Ahonen

Belzebubs se partage en deux axes bien précis : d’un côté la vie de famille et de l’autre, celle du groupe du papa et ses difficultés à donner des concerts etc. Pourquoi insistes tu sur cette double facette ?

Parce que j’aime m’amuser avec ces types très sérieux qui veulent faire des chansons à la gloire des forces des ténèbres avec des pentacles et des clous dans tous les sens et les confronter à des problèmes très basiques de la vie de tous les jours. J’adore ce contraste et c’est ce qui est le plus drôle à réaliser.

Oui mais on pousse le bouchon encore plus loin car si j’ai bien compris, un album de Belzebubs – le groupe – est prévu pour Mars prochain… C’est vrai ?

Oui, tout à fait ! D’ailleurs ils ont déjà sorti un premier morceau pour lequel j’ai réalisé un clip (www.youtube.com/watch?v=sxzb00dqNg4) et je travaille actuellement sur le script d’un deuxième. Le disque est enregistré et est en cours de mixage…

Mais qui joue dessus ? Toi ?

Je ne peux rien te dire, à part que non, je ne joue pas dessus car je n’ai pas le niveau… (sourire) Officiellement, ce sont les quatre personnages de la BD qui seront crédités, c’est tout ce que je peux te dire.

Est-ce que l’on peut considérer ce futur album comme une sorte de bande originale de film ?

Pas exactement, je les vois plutôt comme deux entités bien séparées, même si elles sont très liées. Tu peux apprécier l’une sans aimer l’autre mais disons que si tu fais attention, tu trouveras sur ce disque plein de clins d’œil et de détails qui expliquent un peu la ‘mythologie’ Belzebubs telle qu’elle est présentée sur la BD. J’aime beaucoup cette idée de lier plusieurs médias entre eux autour du même univers et si j’en ai les moyens et que le succès est au rendez-vous, j’espère bien amplifier ce mouvement. Bref, il y a du boulot et c’est tant mieux, je ne fais que commencer.

Propos recueillis par Olivier Badin

Belzebubs par JP Ahonen, Glénat, 9,95€

07 Nov

Cahiers de la mer de Chine : Christian Cailleaux nous embarque sur la goélette scientifique Tara

Christian Caillaux est de la trempe des écrivains voyageurs, le genre d’homme à ne pas rester en place, à toujours désirer voir plus loin, de l’autre côté de l’horizon. Lui qui a vécu et crapahuté un peu partout sur la planète, depuis le Congo-Brazzaville jusqu’à Montréal, nous offre régulièrement son regard à travers des romans graphiques. Le dernier en date, Cahiers de la mer de Chine, est un carnet de voyage qui nous embarque à bord de la goélette scientifique Tara…

Connaissez-vous Tara ? Tara est une goélette française qui sillonne les océans avec pour double mission la recherche scientifique et la défense de l’environnement.

Durant deux ans, de 2016 à 2018, la goélette navigue sur les eaux de l’océan Pacifique. 100 000 km, 70 escales avec l’objectif « d’ausculter de manière inédite la biodiversité des récifs coralliens et leur évolution face au changement climatique et aux pressions anthropiques ».

A son bord, des marins bien sûr, des scientifiques et des artistes, huit en tout, invités à donner leur vision de l’expédition. Chistian Cailleaux est l’un d’eux. Avant d’embarquer, il expliquait à Mathieu Poulhalec des éditions Dupuis : « Je sais déjà que ce sera une expérience extraordinaire avec véritablement du sens et de l’engagement (…) Il y a 20 ans,  je voyageais le coeur léger et surtout bercé d’insouciance et d’illusions. Aujourd’hui, ce n’est plus possible ! Les bouleversements du globe sont tels qu’il faut forcément donneur sens à son usage du monde. Ceci dit, je compte bien également réaliser des images pour le seul plaisir du geste et de la création ».

Ces images, les voici aujourd’hui rassemblées dans ce cahier avec quelques lignes de l’auteur pour en expliquer le contexte. Paysages, vie à bord, marins et scientifiques au travail… Christian Cailleaux nous dévoile un peu de son expérience à bord de Tara, avec cette subtilité graphique qui caractérise son travail et nous embarque toujours très loin. Un très bel ouvrage au format cahier graphique de 64 pages, accompagné d’une sérigraphie originale signée et numérotée. Sublime !

Eric Guillaud

Cahiers de la mer de Chine, de Cailleaux. Dupuis. 28€.