07 Nov

San-Antonio, Frédéric Dard, François Boucq et les autres…

Attention, ça sent le sapin à plein nez, pas celui qui finit par nous servir de maison pour l’éternité mais celui qui s’invite chaque année dans notre salon avec une déco parfois douteuse. Oui, ça sent le sapin parce qu’un bouquin comme ça, ça s’emballe et ça s’offre !

Bien sûr, on n’enseigne pas San-Antonio dans les écoles mais vous ne pouvez pas ne pas connaître. C’est un pan de notre patrimoine littéraire, un mythe, 50 ans de bons et loyaux services, 175 volumes, des centaines de millions d’exemplaires vendus un peu partout et surtout un univers à la Frédéric Dard, unique, du polar trafiqué à l’humour, au jeu de mots et à la grivoiserie.

Ce très beau livre publié par les éditions Dupuis sous label Aire Libre -Champaka réunit les 175 couvertures réalisées par François Boucq, l’auteur de Jérôme Moucherot, Bouche du Diable et du Bouncer, un énorme chantier lancé par les éditions Fleuve Noir en 2000 et qui se poursuit aujourd’hui encore avec les couvertures des Nouvelles aventures de San-Antonio écrites par le fiston, Patrice Dard.

En bonus, l’excellente interview de Frédéric Dard par Antoine de Caunes, réalisée en 1985 pour le magazine Metal Hulrlant, un texte de François Rivière, spécialiste du roman populaire et de San-Antonio, ainsi qu’une mise en avant du travail de François Boucq signé Eric Verhoest. Un très beau cadeau je vous dis !

Eric Guillaud

San-Antonio, de Boucq et Dard. Dupuis. 28,95€

04 Nov

Les Grands espaces : Quand Catherine Meurisse rêvait de Versailles

C’est un petit coin de paradis, un Versailles en mode familial, avec son potager à la française et en son milieu la statue d’un nain de jardin en guise de Roi-Soleil. C’est un petit coin de paradis à l’abri du temps qui passe trop vite, à l’abri de la cupidité des hommes, un petit coin de paradis qui doit tout à la nature, à la littérature et à la peinture…

Mais à qui appartient ce petit coin de paradis ? À l’auteure du livre elle-même, Catherine Meurisse, ou du moins à ses souvenirs de jeunesse. Catherine n’est alors qu’une toute jeune-fille lorsque ses parents décident de s’installer à la campagne. « Les filles, la campagne sera votre chance », avaient-ils décrété comme une nouvelle évidence. Et voilà toute la petite famille partie s’installer dans une ferme en ruine, au milieu de nulle part, à proximité de pas grand chose.

L’imagination au pouvoir

Il fallait avoir de l’imagination pour espérer redonner fière allure à ce lieu. Les parents n’en manquèrent pas, le père dessinant dans sa tête le plan de la future habitation, « là, ce sera la salle à manger. Ici, je vois bien la cuisine… », la mère plantant tout ce qu’elle pouvait, ici un rosier provenant du jardin de Marcel Proust, un autre du jardin de Montaigne, là un figuier venant de chez Rabelais, des ancolies de la grand-mère, des hêtres, des prunus, des cognassiers, des acacias et autres merisiers. Bref, de quoi remettre la nature en ordre de marche.

© Dargaud/Rita Scaglia

Et lorsque la pollution agricole s’invite aux portes du jardin, sous la forme d’un épandage de sang d’abattoir, la mère ne jardine plus, elle entre en résistance, plante une haie pour freiner les vents et les odeurs. Comme un pied de nez au remembrement. « Patience! Dans quelques années, on aura un parc superbe comme au château de Versailles ».

Catherine réclame sa part de château. Elle gagne un petit lopin de terre divisé en carré, comme à Versailles, à la Le Nôtre. À elle d’y faire pousser ce qu’elle veut. Des campanules, des acanthes, des benoîtes écarlates, des rhodantes, des clarkias… ? Pourquoi pas un parterre à la Zola, le fameux paradou de La Faute de l’abbé Mouret. « Tu crois que Zola a mis de l’engrais? », demande-t-elle à sa mère.

Peu à peu, à grand coup de boutures et de littérature, le paradis prend forme. Mais pendant ce temps, tout autour, c’est l’enfer qui se dessine ! Les arbres disparaissent, les lotissements grignotent l’espace, les agriculteurs carburent au roundup, les lignes à haute tension poussent comme des champignons, les forêts de panneaux publicitaires barrent l’horizon…

Le Louvre comme refuge

La famille de Catherine a envie de voyager. Mais pas de quitter le paradis pour l’enfer. C’est une nouvelle fois la littérature et plus précisément Marcel Proust qui indique la bonne direction : le Louvre. C’est là que Catherine découvre le beau, c’est là aussi que naît sa vocation pour le dessin. « En arrivant au Louvre, j’ai eu l’impression que j’arrivais dans une seconde maison… », confie-t-elle sur France Culture, « J’étais attirée par les peintures qui représentaient de la verdure, des prés, des arbres, tout ce que j’avais autour de moi mais il fallait que je vois ça à travers les yeux des artistes ». Lorsqu’elle retrouve son jardin, c’est dorénavant pour le dessiner, le peindre.

Après La Légèreté, qui s’apparentait à « un cheminement, une tentative de refaire surface » , un retour à la vie après l’attentat de Charlie auquel elle a miraculeusement échappé, Catherine Meurisse nous raconte dans ce nouvel album d’où elle vient, ce qui l’a nourri dans sa jeunesse, la nature bien sûr mais aussi la littérature et la peinture avec pour horizon commun la liberté, la beauté et les grands espaces, réels ou imaginaires. Une chronique de l’enfance tendre, poétique érudite et pleine d’humour emmenée par un trait au crayon sensuel. Pour voir le monde autrement !

Eric Guillaud

Les Grands espaces, de Catherine Meurisse. Dargaud. 19,99€

L’Info en + Catherine Meurisse sera en dédicace à Nantes, à la librairie Les Bien-Aimés, le samedi 10 novembre

© Dargaud/Meurisse

02 Nov

Il est l’un des dessinateurs de Spawn, rencontre avec Brian Haberlin à l’occasion de la sortie du tome 16 de la saga en France

À la base, nous voulions profiter de la dernière édition française du Comic Con qui s’est tenue à Paris fin octobre pour parler avec Brian Haberlin de son travail sur Spawn. Le tome 16 des aventures de la créature horrifique de Todd McFarlane Révélations ayant été enfin traduit en français au début de l’année, l’occasion était trop belle. Sauf que cet Américain n’est pas du genre à tenir en place deux secondes, ce qui explique aussi qu’en vingt-cinq ans de carrière dans le milieu des comics il a occupé tous les postes imaginables : scénariste, dessinateur, coloriste, producteur et on en passe.

© Tous droits réservés

Donc bien qu’il parle avec plaisir du passé avec son interlocuteur (Monsieur est un professionnel, ne l’oublions pas), Brian pense, déjà, au futur. Et en deux temps trois mouvements, après avoir dégainé sa tablette et avant même qu’on ait posé la moindre question, il est déjà debout et exulte comme un gamin devant sa dernière trouvaille en montrant en avant-première sa prochaine production pour enfants qui devrait sortir en avril prochain aux États-Unis.

Une œuvre ultra-connectée qui ne se contente pas d’être simplement lue mais qui permet d’interagir avec elle et d’offrir bien plus, allant des secrets de fabrication à de véritables jeux…

En même temps, c’est cette vision, littéralement, en trois dimensions qui lui a ouvert les portes alors très fermées de ce petit milieu après plusieurs tentatives infructueuses. Pourtant, ce passionné de longue date aurait pu démarrer sa carrière dès l’âge de dix-huit ans après que le mastodonte Marvel lui ait proposé un poste de coloriste. Mais de son propre aveu, l’obligation de déménager à New-York, alors qu’il reste ancré sur la côte ouest, et « le salaire ridicule qu’ils m’ont alors proposé ont pas mal refroidi mon ardeur. J’ai préféré aller à l’université à la place pour y étudier la production et le story-boarding ».

Des études qui au milieu des années 80 lui ont permis de commencer à travailler à la télévision, « sans que jamais le virus des comics ne me lâche, jamais ». À ses heures perdues, il continue de dessiner tout en se passionnant pour l’ébauche en 3D alors naissante et se rend régulièrement à des conventions pour essayer de se vendre, sans succès.

Le déclic se produit finalement en 1993 lorsqu’un ami lui propose de partager sa table au Comic Con à San Diego. « J’ai alors décidé de faire les choses en grand ! J’avais notamment modélisé en trois dimensions une représentation de Green Lantern avec un gigantesque panneau. J’avais aussi installé des écrans télé qui diffusaient en boucle une animation aussi en 3D de Spawn en mouvement… Et là, d’un seul coup, tous les gens qui avaient jusqu’à maintenant refusé ne serait-ce que de me recevoir se sont intéressés à ce que je faisais».

À partir de là, les choses vont assez vite : il devient le coloriste que l’on s’arrache grâce à sa connaissance des nouveaux outils informatiques et crée son propre studio. Il croise assez rapidement la route de Todd McFarlane qui, impressionné par son travail sur le personnage de Witchblade, lui propose de bosser sur lui, offre qu’il refuse « plusieurs fois » avant de finalement l’accepter en 2006. En plus de devenir le rédacteur-en-chef de la série, il se charge aussi de sa colorisation avant d’en devenir le dessinateur attitré en 2008, donnant à la série une impulsion très différente, moins cartoonesque et encore plus horrifique.

© Delcourt / McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke, Noora

À l’écouter, tout ceci est la faute en quelque sorte du scénariste attitré de la série David Hine, présent aussi au Comic Con et qui viendra d’ailleurs lui dire au revoir pendant notre entrevue. Il faut dire que le britannique était déjà allé assez loin : dans les épisodes réunis en France dans le tome 15 (sorti en 2017) au titre révélateur Armageddon, il proposait rien de moins que la bataille finale tant attendue entre le Bien et le Mal, aboutissant à la destruction de notre monde (tout en douceur, on vous l’a dit !) avant de le voir récréé de toutes pièces par Spawn, devenu démiurge suprême.

« David voulait aller jusqu’au bout, être extravagant pour faire mieux table rase du passé. Ce reboot (technique très en vogue dans le comics qui permet de reprendre les choses à zéro sur de nouvelles bases) nous a permis de donner naissance à une nouvelle version de Spawn, plus terre-à-terre mais aussi encore plus sombre. David lisait beaucoup de manga japonais d’horreur à ce moment-là et avait été assez marqué par leur approche plus adulte mais encore plus dérangeante».

Une influence surtout ressentie dans le premier des douze épisodes que l’on retrouve aujourd’hui dans Révélations, récit tournant d’un immeuble ‘maudit’ où ses habitants sont tous affectés d’une façon particulièrement traumatisantes pour le lecteur…

© Delcourt / McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke, Noora

Haberlin quitte la série après deux années, tout simplement parce qu’il était titillé comme il l’avoue aujourd’hui d’être à nouveau « en charge de mes propres créations et pas de celles des autres », et ce même si ses relations avec McFarlane n’en n’ont pas souffert. D’ailleurs, en partant, il nous laisse un exemplaire du crossover Witchblade/Spawn qu’il a réalisé et qui vient de sortir aux Etats-Unis, tout en nous donnant rendez-vous en 2019 avec, entre autres, une adaptation visiblement très rétro-futuriste du Phare du Bout du Monde de Jules Verne. On vous avait bien dit que ce type là ne s’arrêtait jamais…

Olivier Badin

Spawn Tome 16 : Révélations, de McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke et Noora. Delcourt, 27,95€

30 Oct

Les Mauvaises herbes : le témoignage poignant d’une esclave sexuelle de l’armée japonaise recueilli par Keum Suk Gendry-Kim

Oksun ne rêve que d’une chose : aller à l’école. Comme son petit frère. Mais la jeune Coréenne n’ira jamais. Pire encore, à 16 ans, elle sera vendue par ses parents à une famille de restaurateurs comme bonne à tout faire. C’est le début d’une descente aux enfers qui la conduira jusqu’en Chine où elle deviendra une « femme de réconfort » pour les soldats japonais…

Si le terme « femmes de réconfort » est encore aujourd’hui d’usage au sein de certaines organisations gouvernementales et associations sud-coréennes, « esclaves sexuelles » serait pourtant plus adapté à la situation et le plus répandu sur le plan international. L’auteure Keum Suk Gendry-Kim utilise quant à elle une très jolie métaphore pour les désigner, les mauvaises herbes, car, comme l’explique en postface l’historienne Sun Myungsuk, « tout comme elles, elles se redressent après que le vent les a fait plier ou malgré le fait qu’on les a piétinées ».

200 000. Elles furent environ 200 000 femmes, des Coréennes bien sûr, mais aussi des Taïwanaises, des Indonésiennes…, à s’être retrouvées esclaves sexuelles de l’armée japonaise dans les années 30 et 40, pendant la guerre sino-japonaise. Oksun Lee est l’une d’entre elles, une « mauvaise herbe » parmi tant d’autres.

Son histoire commence dans les années 30 du côté de Busan. Très jeune, Oksun aide ses parents. Son frère a la chance d’aller à l’école, elle, elle n’ira pas. La misère impose des choix ! Comme celui de la vendre un peu plus tard à un couple de restaurateurs, avec la promesse qu’elle aura à manger et peut-être même accédera à son rêve: l’école. Mais là non plus elle n’ira pas. Elle servira tout simplement de bonne à tout faire avant d’être à nouveau vendue pour travailler dans un bistrot. Mais durant l’été 1942, Oksun est enlevée et emmenée en Chine pour devenir une esclave sexuelle de l’armée japonaise.

Avec beaucoup de pudeur, les scènes violentes sont intelligemment suggérées, Keum Suk Gendry-Kim raconte les années d’horreur vécues par Oksun Lee. La mauvaise herbe s’est pliée, a été piétinée, mais a survécu et témoigne aujourd’hui de son tragique parcours. Et l’intérêt du livre de Keum Suk Gendry-Kim est de ne pas s’arrêter à cette période d’esclavage. Le témoignage d’Oksun va bien au-delà, relatant sa vie après, son mariage, et surtout son retour en Corée du Sud plus de 60 ans après, espérant retrouver ses proches et enfin le bonheur. Ce ne sera pas vraiment le cas ! Un récit très fort, parfois très noir mais aussi, parfois, éclairé à le lueur de l’espoir.

Eric Guillaud

Les Mauvaises herbes, de Keum Suk Gendry-Kim. Delcourt. 29,95€

Providence : quand Alan Moore fait du Alan Moore et réécrit Lovecraft

Le créateur des Watchmen s’attaque à Cthulhu, les Yuggoth et tous les bestioles verdâtres et baveuses sorties de l’imagination de l’un des maîtres de la littérature fantastique de la première moitié du XXème siècle, Howard Philips Lovecraft. Et le résultat est à l’image du bonhomme : très personnel, très fouillé, parfois génial, parfois bien trop bavard mais jamais commun.

 

Alan Moore est un ogre. L’un des rares scénaristes de BD moderne ‘star’ dont tout le monde connaît au moins l’oeuvre majeure – Watchmen pour ne pas la nommer – même s’il ne l’a pas lu. Son physique d’ermite (ou d’homme des cavernes, au choix) très particulier, son égo disons gentiment quelque peu surdimensionné mais aussi et surtout son écriture ultra-dense et tortueuse lui ont donné cette image de personnage XXXL qu’il entretient savamment. D’ailleurs, histoire de ne surtout pas se méprendre sur ce pavé réunissant pour la première fois en français les douze volumes de la série Providence publiée initialement en 2010, c’est bien écrit en gros sur le revers : ‘la réinterprétation du monde Lovecraft par Alan Moore’. Même pas un mot sur le dessinateur Jacen Burrows, pratiquement relégué au rang de simple exécutant et que l’on sent d’ailleurs tout le long du récit comme presque figé, écrasé même pourrait-on dire, par son imposant patron…

© Panini Comics / Alan Moore & Jacen Burrows

Car il ne faut pas se tromper : ici, Alan Moore fait du Alan Moore. C’est-à-dire qu’il se réapproprie à sa façon l’univers de l’auteur fantastique, bien connu notamment des fans de jeux de rôles Howard Philips Lovecraft (1890-1937). Le titre fait d’ailleurs référence à la ville de naissance de Lovecraft… Ici, Moore s’est transformé en démiurge, refaçonnant le mythe de Cthulhu qui est au centre du travail de Lovecraft tout en y glissant ses obsessions personnelles, à commencer par cette idée récurrente dans son corpus que l’on n’est jamais mettre de son destin mais juste le pion de forces qui nous dépassent mais qui finissent toujours par amener là où elles veulent.

Si le tout commence presque de façon assez classique à travers la quête de Robert Black, jeune journaliste juif new-yorkais et homosexuel sur les vieilles croyances de la Nouvelle-Angleterre dans les années 20, très rapidement Moore s’amuse à déconstruire le récit comme pour mieux perdre le lecteur dans des dédales où, de toutes façons, tout est plus suggéré que montré. En ça, le scénariste est resté fidèle à l’esprit de Lovecraft, personnage d’ailleurs à part entière du récit dans sa seconde moitié !

© Panini Comics / Alan Moore & Jacen Burrows

Mais l’abondance de mots, sans parler de ses nombreuses insertions de textes pures censées être tirées du journal intime de Black et de digressions quasi-philosophiques rend le tout particulièrement ardu. Cela transforme ce que peut-être certains attendaient avant tout comme un ‘simple’ hommage (pas le genre de la maison, pourtant) en une sorte de réflexion métaphysique et très cosmique sur le monde du réel, celui des rêves et une autre dimension voisine de la nôtre attendant son heure pour dévorer notre monde. Les fans de la série TV Stranger Things apprécieront peut-être d’ailleurs la thématique mais ce côté hermétique en font un monstre exigeant qui est sûrement la marque des grandes œuvres mais qui, aussi, risque d’en laisser pas mal sur le palier de cet univers grandiloquent. Mais en même temps, n’est-ce pas le cas de tous les livres d’Alan Moore ?

Olivier Badin

Providence – L’Intégrale, Alan Moore & Jacen Burrows, Panini Comics, 36,95€

27 Oct

Artbook Chabouté : bricoles, gribouillis, fonds de tiroirs… et autres trésors graphiques

Des bricoles, des gribouillis, des fonds de tiroirs… un artbook fait de petits riens en somme, des petits rien qui ont pourtant tout du grand génie. Considéré comme l’un des maîtres du noir et blanc en France, Christophe Chabouté nous ouvre ici les coulisses de son imaginaire avec une très belle compilation de croquis, recherches graphiques, illustrations de couvertures et autres pièces d’expositions…

Quand il dessine des musiciens, on entendrait presque des notes de musique. Lorsqu’il dessine New York, on pourrait penser qu’il y a vécu toute sa vie. Et lorsqu’il met en scène des trois-mâts dans une mer déchaînée, on n’imaginerait pas un moment que l’homme n’a jamais mis les pieds sur un bateau. C’est tout le talent d’un raconteur comme Christophe Chabouté.

« Mon métier n’est pas de vendre des bouquins, mon métier est de raconter des histoires du mieux que je peux, d’embarquer des gens dans l’univers que je dessine, de leur donner envie de tourner les pages du livre qu’ils sont en train de lire et de préférence avec enthousiasme, curiosité et plaisir… ».

Par ces mots recueillis en 2014, à l’occasion d’une interview pour ce même blogChabouté nous expliquait son approche du métier. Modeste, discret, Alsacien d’origine, Oléronais d’adoption, l’auteur de Moby Dick, Un Peu de bois et d’acier, Tout seul ou encore de Terre-Neuvas, fait partie de la cour des grands, de ceux qui sont capables de nous faire voyager d’un seul coup de crayon.

L’artbook publié par les éditions Vents d’ouest en collaboration avec la galerie Huberty & Breyne en apporte une confirmation éclatante. 250 pages, des centaines d’illustrations, autant de trésors graphiques que certains d’entre vous ont peut-être aperçu sur le compte Facebook de l’auteur où il en poste très régulièrement. Un très très beau livre, indispensable pour tous les inconditionnels de l’auteur mais pas que….

Eric Guillaud

Artbook Chabouté, Vents d’Ouest. 39€ (en librairie le 31 octobre)

26 Oct

L’Aimant, Le roman graphique de Lucas Harari en compétition pour le prix Utopiales BD 2018

Ce n’est pas ce qu’on appelle une nouveauté, L’Aimant a paru en août 2017, il y a donc un peu plus d’un an. Alors pourquoi en parler ici et maintenant ? Tout simplement parce que l’album est en lice pour le Prix Utopiales BD 2018. L’occasion de se plonger ou replonger dans cette histoire singulière et marquante…

Une histoire singulière et plus largement un livre singulier. L’Aimant s’offre d’abord au regard, 150 pages en trichromie, un dos toilé rouge, une très belle illustration de couverture à l’atmosphère envoûtante et un titre magnétique. L’Aimant est un bel objet, le genre de livre qu’on aime laisser traîner de façon à pouvoir régulièrement jeter un oeil bienveillant dessus.

Et puis il y a l’histoire, construite autour d’une fascination, celle d’un jeune étudiant en architecture pour les – véridiques – thermes de Vals, érigées au coeur de la montagne suisse par l’architecte Peter Zumthor entre 1993 et 1996.

Pierre, le jeune étudiant en question, en avait fait son sujet de mémoire avant de faire une bouffée délirante et de perdre toutes ses recherches. Renouant avec ses études, Pierre décide de se rendre sur place et de percer le mystère de ce bâtiment. Car il en est persuadé, au-delà de leur intérêt architectural, les thermes de Vals renferment un secret, une porte dérobée…

Nourri dès sa plus tendre jeunesse à l’architecture grâce à des parents qui transformaient les moindres vacances en pèlerinages architecturaux, Lucas Harari a été immédiatement fasciné par ces thermes et « submergé par l’atmosphère », comme il le reconnait aujourd’hui dans une interview accordée à France Inter.

À l’esthétisme impeccable et un peu froid du bâtiment de Zumthor, Lucas Harari répond par un graphisme épuré tendance ligne claire troisième génération, héritée de Hergé, Chaland ou Ted Benoît. Certains y verront aussi une touche de Joost Swarte ou du Chris Ware dans l’aspect minutieux des planches, aussi minutieux que le travail de Peter Zumthor.

Plus proche du thriller que de la science-fiction, c’est sans doute sa petite touche fantastique qui lui permet aujourd’hui de se retrouver en lice pour le Prix BD 2018 du Festival international de la science-fiction de Nantes, aux côtés des albums All-Life, Essence, Contes ordinaires d’une société résignée, Ces Jours qui disparaissent et L’Homme gribouillé.

Eric Guillaud

L’Aimant, de Lucas Harari. Sarbacane. 25€

25 Oct

Petit Paul, Porn Story, Pour la peau : du sexe rien que du sexe

Attention, ces bandes dessinées-là s’adressent à un public averti, très averti. On n’y parle pas de voyage interplanétaire, d’ingénieur fou ou de crise de la trentaine mais de sexe, tout simplement de sexe…

Dans la bande dessinée érotique ou pornographique, il y a bien sûr les spécialistes, des gens comme Georges Pichard ou Guido Crepax, qui ont fait les beaux jours du genre. Il y a aussi les autres, assez nombreux finalement, classés dans la catégorie des auteurs classiques, qui s’y essaient le temps d’un album ou plus si affinité. C’est le cas de Bastien Vivès, auteur des honorables Polina, Le Chemisier ou encore Le Goût du chlore, qui a publié en septembre dans la collection Porn’Pop des éditions Glénat un livre intitulé Petit Paul contant l’histoire d’un gamin vivant à la campagne  avec son père et sa soeur Magali. Seule différence avec les autres gamins de son âge, Petit Paul a un sexe énorme qui affole la gente féminine au point de déclencher de violentes pulsions et de se faire violer. Bon, même si Bastien Vivès ne justifie aucunement ici la pédophilie, reste que ce livre est assez troublant, voire lourdement incommodant et ne peut trouver à mon sens sa seule justification dans la provocation. De leur côté, les cercles puritains n’ont pas manqué de réagir en lançant une pétition pour interdire le livre. Les enseignes Gibert et Cultura l’auraient retiré des rayons (Petit Paul, de Vivès. Glénat. 12,90€)

Beaucoup plus soft, bien que pornographique, Pour la peau de Sandrine Saint-Marc et Deloupy raconte une histoire plus classique, celle d’un jeune couple adultérin lancé dans une sulfureuse relation. Elle, c’est Mathilde, mariée sans enfant. Lui, c’est Gabriel, marié et papa. Tous les deux se sont rencontrés dans une fête. Depuis, ils se retrouvent une fois par semaine dans le bureau de Gabriel pour quelques minutes de plaisir partagé. Ils ne se voient jamais à l’extérieur, ne s’envoient jamais de SMS ou de mail et ne s’appellent pas. Bien sûr, au bout d’un moment, les pulsions sexuelles laissent un peu plus de place aux sentiments… (Pour la peau, de Saint-Marc et Deloupy. Delcourt. 17,50€)

On termine avec l’Allemand Ralf König et son livre Porn Story qui est à mes yeux le plus intéressant et finalement le moins pornographique des trois, même s’il en raconte l’histoire, tant au niveau de la technologie que des mentalités. Sous les yeux de son personnage Eberhard, et des nôtres, il fait défiler plusieurs décennies de porno, depuis les bobines super 8 jusqu’aux sites de streaming actuels. L’avantage avec Ralf König, c’est qu’on a une distance avec tout ça grâce à son sens de l’humour. Le sexe, ça peut être drôle aussi ! (Porn Story, de Ralf König. Glénat. 25€)

Eric Guillaud

18 Oct

Roger et les Humains, Zorglub, Les Mythics, Sibylline, Harmony, Dreams Factory, Dad, Lila, Frnck : une sélection de BD jeunesse pour les jours de pluie

Mais non il ne pleuvra pas, c’est pour rire. Mais il peut neiger et faire froid. Ou encore souffler un vent de novembre piquant. Bref, pour tous ces jours là, voici une petite sélection subjective mais assumée de bonnes lectures pour les plus jeunes…

On commence par une BD réalisée par un Youtubeur, LE youtubeur en chef, Cyprien, 12 millions d’abonnés sur sa chaîne, 2 milliards de vues et des sollicitations qui, forcément, viennent d’un peu partout. Alors pourquoi pas du côté de la bande dessinée ? En tandem avec le dessinateur Paka, Cyprien vient de sortir le deuxième tome de Roger et ses humains, une série mettant en scène le gamer fou Hugo, sa copine Florence et le robot de service Roger dans des aventures du quotidien légères et drôles. (Roger et ses humains, de Paka et Cyrpien. Dupuis. 15,95€)

Lui n’est pas YouTubeur, José Luis Munuera est auteur de bande dessinée à temps complet. Il a notamment mis en images Potamoks sur un scénario de Sfar, Nävis avec Philippe Buchet, imaginé une aventure de Spirou, Paris-sous-Seine, lancé seul Les Campbell et Zorglub dont voici le deuxième volet. Pour ceux qui n’auraient jamais lu un Spirou de leur vie, Zorglub est le grand méchant créé par André Franquin et Greg pour l’histoire Z comme Zorglub en 1959. Depuis 2017, il vit des aventures autonomes grâce au talent de Munuera. « Pour moi… », confiait-il à la sortie du premier épisode, « c’est un des personnages de la série les plus riches et les plus vrais, en fin de compte. Même si, au départ, il incarne un archétype, celui du savant mégalomane, celui du méchant des années cinquante, des James Bond des débuts, ce côté-là est contrebalancé par son profil de gaffeur impénitent, de crétin pitoyable qui essaie d’attirer l’attention du monde entier par ses inventions qui se révèlent de plus en plus ridicules ! A cause de, ou grâce à ces contradictions, c’est un personnage qui détient un charme et un potentiel dramatique formidables! ». Dans ce deuxième tome, on retrouve Zorglub dans le désert occupé à vendre ses dernières inventions diaboliques mais peu dangereuses (char d’assaut, chasseur F18, lanceur d’obus… tous gonflables) lorsque débarque sans crier gare un gamin qui veut apprendre le métier de méchant. Un stagiaire en somme. Très belle série… (Zorglub tome 2, de Munuera. Dupuis. 10,95€)

Prenez Patrick Sobral, auteur des Légendaires, plus de six millions d’exemplaires vendus, ajoutez Patricia Lyfoung, auteure de La Rose écarlate, plus d’un million d’exemplaires, complétez avec Philippe Ogaki, qui s’est fait connaître du grand public en adaptant la trilogie de Pierre Bordage Les Guerriers du silence en compagnie d’Algésiras et vous obtiendrez Les Mythics, une série qui met en scène six héros en lutte contre le mal à travers le monde. Après Yuko au Japon, Parvati en Inde, voici Amir en Egypte. (Les Mythics tome 3, de Sobral, Lyfoung, Ogagki. Delcourt. 10,95€)

Retour à quelque chose d’un peu plus bucolique avec les aventures de notre souris préférée, Sibylline, personnage savoureux créé en 1965 par Raymond Macherot pour le journal Spirou. Seize albums dans la série originale, une longue interruption entre 1985 et 2006, et un retour chez Casterman pour de nouvelles aventures sous la plume de Corteggiani et les pinceaux de Netch. Ce deuxième volet nous permet de retrouver nos personnages habituels ainsi que Kirivol, une chauve-souris qui rit et qui vole, enfin qui ne rit pas tant que ça. Après avoir tenté de chaparder le grimoire de Sibylline intitulé La Lune rousse, la chauve-souris se retrouve amnésique. Impossible de retrouver la route qui mène chez elle, au royaume de Ratapiniata. Sibylline et Tabou vont devoir l’aider… (Sibylline tome 2, de Corteggiano et Netch. Casterman. 9,90€)

Quatrième volume mais début d’un nouveau cycle pour cette série de Mathieu Reynès qui remporte un certain succès auprès des jeunes filles. Il faut dire que l’héroïne que l’on a pu découvrir dès novembre 2015 dans les pages du journal Spirou puis à partir de janvier 2016 en album est dotée d’un sacré tempérament et d’un pouvoir surnaturel qui fait fantasmer, la télékinésie, faculté métapsychique hypothétique de l’esprit qui permettrait d’agir directement sur la matière. Ça peut aider à déplacer des montagnes. Harmony, c’est de la SF pour tous plutôt bien écrite et mise en images.  (Harmony tome 4, de Reynès. Dupuis. 12,50€)

Direction Londres sous l’ère victorienne pour ce livre signé Jérôme Hamon et Suheb Zako. Direction Londres et plus précisément les quartiers ouvriers où règne surtout la misère. Comme pas mal d’enfants, la jeune Indira descend tous les jours au fond de la mine de charbon pour gagner presque rien mais suffisamment de quoi nourrir sa famille, en l’occurrence son père et son petit frère Elliot. Et rien ne l’empêchera de le faire, pas même cette mauvaise toux. Pourtant, tout le monde sait ici ce qu’elle signifie. La silicose. Et malgré toute sa bonne volonté, Indira ne parviendra pas à se lever un matin. Son petit frère tentera de la remplacer à la mine. Sans succès. Trop petit, il est refoulé. Mais la riche propriétaire des mines lui propose un autre travail… Un récit émouvant, avec une touche de steampunk, graphiquement sublime, prévu en deux volumes (Dream Factory tome 1, de Hamon et Zako. Soleil. 15,50)

Et voici déjà le cinquième tome de Dad. Il s’appelle Amour, gloire et beauté… enfin plus exactement, Amour, gloire et corvées. C’est moins glamour, plus turbin mais toujours aussi drôle. Publiées dans le journal Spirou dès 2013 et en album depuis 2015, les aventures de Dad et de ses quatre chipies de filles rencontrent un succès toujours grandissant. Et comme le titre le laisse suggérer, on parle dans les pages de ce nouvel opus de corvées (linge, vaisselle, repas, ménage…) mais aussi d’amour. Dad n’est pas qu’un père, c’est aussi un homme et aujourd’hui il rêve de rencontrer l’âme soeur. Ça ne sera pas facile facile… (Dad, de Nob. Dupuis. 10,95€)

« Cher journal, moi qui voulais tellement entrer chez les grands, c’est horrible parce que depuis que j’ai vu les autres, je me sens toute petite ! C’est même pire que ça : j’ai l’impression d’avoir rétréci ! Il y a tellement de monde dans mon collège, encore plus que dans un centre commercial. En fait, ça fait trop peur et je ne veux plus y aller, surtout que Coralie et Chaselyn sont dans une autre classe… ». Vous avez compris, fini la primaire, Lila débarque au collège et découvre un autre monde, plein de grands et grandes, les 3e, de quoi effectivement se sentir toute petite. Le contexte scolaire change mais le principe de cette BD reste le même offrant aux lecteurs et surtout lectrices une histoire plein d’humour mais aussi pleine d’infos sur la vie à l’école, le harcèlement, le premier baiser…  (Lila tome 3, de De La Croix et Roland. Delcourt. 14,95€)

Avoir un smartphone à l’âge de pierre, ça peut épater la galerie et les mammouths aux alentours mais au final ça ne sert pas à grand chose. Pas de réseau, pas d’autres abonnés à qui filer un coup de fil, Frnck s’en sert juste pour jouer à Banane 3 en mode difficile. Sauf qu’il ne lui reste plus que 14% de batterie. Et bien sûr aucune prise électrique dans un secteur de quelques milliers d’années. Bref, le temps risque de paraître bien long à notre gamin de 13 ans, ado d’aujourd’hui, geek pour toujours et préhistorique par erreur. Franck, c’est plus simple à prononcer, est en fait tombé dans une faille spatiotemporelle. Le truc idiot. Le voilà coincé avec des hommes poilus qui mangent les voyelles et de jolies jeunes filles qui tombent facilement amoureuses. On le plaint ! (Frnck tome 4, de Cossu et Bocquet. Dupuis. 10,95€)

Eric Guillaud

16 Oct

La Terreur des hauteurs : les aventures vertigineuses de Jean-C. Denis

Avec Jean-C. Denis, l’aventure peut commencer au bout de la rue, parfois même sans bouger de chez soi, avec le quotidien pour horizon, l’intime pour décor. Dans ce nouveau livre publié chez Futuropolis, l’aventure se déroule sur un sentier, mais pas n’importe quel sentier, le sentier des douaniers qui généralement longe et même surplombe le littoral. Vous n’y verrez toutefois pas de douaniers, pas plus de brigands, juste un auteur de bande dessinée, Jean-C. Denis him-self, bloqué, pétrifié, par le vertige…

Un escalier trop pentu, un chemin escarpé longeant une falaise… Inutile d’aller au sommet de l’Himalaya pour se faire une petite frayeur. Avec Jean-C. Denis, la peur est au bout du sentier des douaniers qu’il emprunte pour rejoindre la plage. Pas de danger réel et immédiat mais une peur irrationnelle qui parvient à le clouer sur place. Ceux et celles qui sont sujet(te)s au vertige comprendront et compatiront.

« La peur des hauteurs, celle du vide, sont des phobies largement partagées… », explique l’auteur, « Chacun les vit à sa façon. Ce qu’elles remuent en nous est intime, unique, personnel, mais ressemble à s’y méprendre à ce qui paralyse les autres, c’est ce qui m’a donné l’envie d’avancer ». Et de finir cette bande dessinée qu’il avait interrompu en 2008 au bout de quatre planches. « Je suis resté bloqué, tout comme le personnage en haut de l’escalier. Comment aborder un sujet aussi familier et incertain ? »

Finalement, le créateur des aventures de Luc Leroi, de La Beauté à domicile ou encore de Quelques mois l’Amélie trouvera la bonne façon d’en parler, en rendant visible l’invisible et le personnel, universel. C’est ce qu’il a toujours fait Jean-C. Denis, que ce soit à travers ses fictions ou ses rares récits autobiographiques dont celui-ci fait partie. C’est le deuxième en fait. On y parle vertiges mais aussi bande dessinée, on y croise un Luke Leroy plongé dans l’Ouest américain, un Philippe Druillet escaladant des balcons en pleine nuit, et un Jean-C. Denis perché sur un rocher à 14 mètres de hauteur, prêt pour le premier… et sans doute le dernier plongeon de sa vie.

Eric Guillaud

Les Terreur des hauteurs, de Jean-C. Denis. Futuropolis. 21€

© Futuropolis / Denis