13 Oct

Rencontre avec Marty Planchais, l’auteur de l’album Le Petit bourreau de Montfleury chez Sarbacane

c’est dans un blockhaus, oui oui, le DY10 situé à deux pas des Machines de l’île à Nantes que j’ai rencontré Marty Planchais, auteur du Petit bourreau de Montfleury paru aux éditions Sarbacane à la fin du mois d’août. Pourquoi dans un blockhaus? Tout simplement parce que c’est là qu’il a installé son atelier comme une vingtaine d’autres personnes, architectes, musiciens, dessinateurs. Un endroit surprenant, sans fenêtres, coupé du monde par des murs de deux mètres de large mais où règne une effervescence créative sans pareil. Marty Planchais m’y attendait pour parler de sa bande dessinée bien sûr mais aussi de ses influences, de Pratt, de la vie…

Capture d’écran 2016-10-12 à 16.24.14

Un peintre bourreau de père en fils, ce n’est quand même pas banal. Comment accouche-t-on d’une idée pareille ?

Marty Planchais. Un scénario, c’est 7 secondes d’intuition et ensuite 7 heures de travail par jour. Il y a eu beaucoup de lectures forcément. Des livres sur les bourreaux qui ont nourri mon scénario, des dizaines de livres, certains assez glauques qui relataient des exécutions et d’autres qui évoquaient plus simplement le quotidien de ces hommes. Et puis j’ai remarqué qu’il n’y avait pas d’autobiographies de bourreaux. Je pensais que ce serait intéressant de connaître leur quotidien, de partager leurs tracas et leurs passions, parce qu’ils ne tuent pas tous les jours ces gens-là. Et de fil en aiguille, j’en suis arrivé à ce bourreau post-impressionniste jaune et rouge, un peu à la Van Gogh, tourmenté, passionné par la peinture. Un bourreau qui n’a jamais tué et qui un beau jour doit choisir entre sa passion et son métier. Le Petit bourreau de Montfleury aborde cet aspect-là aussi : le choix, la liberté…

© Planchais - Recherches graphiques

© Planchais – Recherches graphiques

Ton album s’adresse autant aux enfants qu’aux adultes me semble-t-il. C’est ce que tu souhaitais dès le départ ?

M.P. Tout à fait. Evidemment, l’esthétique, le dessin rond, s’adressent avant tout aux enfants et l’éditeur l’a voulu comme ça. Mais j’ai dés le début souhaité que le livre soit ouvert à un plus large public. Les plus jeunes y apprennent ce qu’est la peine de mort, les plus âgés y découvrent de nombreuses références historiques et culturelles, des clins d’œil au fameux discours de Badinter en 1981, à Rimbaud avec ce poème en ouverture qui amène une certaine sérénité apparente, aux peintures de Van Gogh bien sûr, au cinéma aussi et à la bande dessinée, à Pratt plus précisément et à son album Les Helvétiques. Je ne voulais pas d’une histoire sans fond, banale, d’un petit bourreau qui, le matin, va à son travail…

Un clin d’œil à Pratt. Marty Planchais nous explique en images… 

Le personnage du bourreau est magnifique. Entre le personnage moyenâgeux et le super-héros. Comment l’as-tu imaginé ?

M.P. Dès la couverture, on voit bien que ce n’est pas un bourreau ordinaire. Je l’ai longtemps cherché graphiquement, essayant plusieurs techniques de dessin. Je voulais un personnage qui soit dans la rondeur, un peu gentillet, tout rouge, masqué pour faire super-héros, un peu naïf mais pas trop quand même…

© Planchais - Recherches graphiques

© Planchais – Recherches graphiques

On le voit sur la couverture, il est assez attirant, en tout cas pas repoussant…

M.P. Vraiment ? Tant mieux, c’est vraiment ce que je voulais, ça fait plaisir..

_________________________________________________

La chronique de l’album ici

_________________________________________________

Un maire qui veut faire preuve de fermeté pour flatter ses électeurs, un croque-mort qui se frotte les mains, des commerçants qui espèrent en tirer quelques menues monnaies et un peuple qui en redemande comme au spectacle. Si l’histoire est drôle au premier abord, le fond est assez noir…

M.P. Oui mais en même temps, ça met en lumière le personnage, parce que c’est une belle personne ce bourreau. Il résiste, ne se trahit pas et finit par faire son choix.

© Planchais - storyboard

© Planchais – storyboard

Amnesty International a apporté son soutien à l’album. Comment cela s’est-il concrétisé ?

M.P. Ça s’est fait un ou deux mois avant l’impression de l’album, grâce au super boulot de l’éditeur. C’est la première fois que cette organisation soutient un livre jeunesse. D’habitude, c’est plutôt des BD adultes.

Ça donne quoi concrètement ?

M.P. On rentre dans leur catalogue et puis c’est un label de qualité pour les professionnels comme pour les lecteurs. C’est une belle reconnaissance…

C’est ton premier album. Tu signes à la fois le dessin et le scénario. Pas trop difficile ?

M.P. Le dessin, le scénario… et la couleur qui est très importante ! Oui, c’était assez périlleux mais en même temps une belle aventure. Un an de travail, classiquement je dirais. Après, l’idée en elle-même, je l’avais depuis 3 ou 4 ans en tête. Ça a mûri petit à petit.

© Planchais - encrage

© Planchais – encrage

Tu as pu bénéficier de conseils ?

M.P. Oui, surtout pour le scénario (merci Emmanuel Gaudin!). Je le faisais lire et relire avec les textes qui sont aussi très importants. C’est pour moi plus important que le dessin. Avoir un bon scénario et un bon texte est la base. Après c’est de l’exécution… J’ai donc pas mal montré le scénario, assez peu les planches finalement.

Quelle technique as-tu employé pour l’album?

M.P. J’ai d’abord fait le storyboard au lavis, je l’ai scanné, regardé si ça collait bien avec les textes. Je suis ensuite passé à la conception des planches définitives, je les ai scannées elles-aussi. J’ai refait chaque planche au lavis pour donner de la matière, du relief, des nuances. J’ai scanné tout ça et fignolé sur Photoshop. Un gros travail que ces effets au lavis mais qui offrent plus de sensibilité aux planches et adoucissent le propos.

© Planchais - matière

© Planchais – matière

Quel a été ton premier coup de cœur BD ?

M.P. Hugo Pratt. Vers 11 ou 12 ans, j’ai acheté La Jeunesse. Je pensais que c’était le premier album à lire de la série. Je ne comprenais pas tout mais je ressentais une sensation très agréable. J’adorais les ambiances. Après, j’ai acheté De l’autre côté de corto (un livre d’entretiens avec Pratt, ndlr) pour bien connaître l’auteur et son oeuvre. Puis Les Celtiques, Les Helvétiques… Aujourd’hui, je possède toute sa production, pas forcément en édition originale d’ailleurs, c’est pas ce qui m’importe.

Et plus généralement, quelles sont tes influences ?

M.P. Rabaté, Christophe Blain, le talentueux Al Severin, Emmanuel Guibert, Denis Bodart, Christophe Gaultier, Tardi, Sergio Toppi, Dino Battaglia, tout le noir et blanc de cette époque-là et une BD qui m’a beaucoup marqué, L’homme de Java de Pierre-Yves Gabrion, un déclic, un vrai, il y a un côté Corto dans ses pages… Et Cyril Pedrosa qui est un collègue de bureau au DY10. Enfin, il y a la peinture avec Turner, le cinéma bien sûr…

© Planchais - planche définitive

© Planchais – planche définitive

Des projets ?

M.P. Oui, notamment l’adapation d’une oeuvre littéraire et des projets jeunesse.

Nous, on espère une suite au Bourreau

M.P. Il y aurait de quoi faire..

Merci Marty

Interview réalisée le 11 octobre 2016 à Nantes par Eric Guillaud – retrouvez la chronique de l’album ici

© Planchais

© Planchais

09 Oct

Le marathon de New York à la petite semelle : une BD de Sébastien Samson pour tous ceux qui aiment avaler les kilomètres

Capture d’écran 2016-10-08 à 14.39.55« Un récit qui ravira autant les inconditionnels de la course à pied que les coureurs du dimanche », prévient l’éditeur. Autant dire que pour moi, c’était mal barré. N’étant ni l’un ni l’autre, ce bouquin-là, pensais-je, allait m’ennuyer à mourir, autant qu’une compétition de ping pong retransmise à la radio. Mais non…

D’abord parce que ça ne parle pas du tout de ping pong, ensuite parce que le personnage principal qu’on voit suer sur la couverture de l’album est du genre normal pour moi, comprenez pas vraiment sportif, enfin parce que cette histoire est vraiment drôle et captivante.

Sébastien Samson, à la fois auteur et personnage central de cette bande dessinée raconte comment au détour d’un verre de vin avec des amis, il décide qu’il les accompagnerait au marathon de New York, non pas pour tenir les valises ou la buvette mais bel et bien pour participer, courir en somme.

Rires, sarcasmes… et puis l’évidence. Sébastien se lance dans un programme de remise en forme puis de préparation digne du bon marathonien.

Après des mois d’entraînement, direction New York, ses buildings, sa statue de la liberté, ses camions de pompier aux sirènes hurlantes… Mais le tourisme s’arrête là, place à la reconnaissance du parcours. Pas longtemps non plus. Pang, c’est le départ, Sébastien nous fait vivre le marathon de l’intérieur avec ses professionnels mais aussi ses amateurs et parfois ses coureurs excentriques, 42 kms de joies et de souffrances, 42 kms aussi de découverte, Sébastien nous offre une visite guidée de New York comme vous n’en n’avez jamais vue ailleurs en 5 heures et 44 minutes chrono.

De quoi me mettre au sport ? Pour vivre New York comme Sébastien l’a vécu, oui ! Demain, séance d’assouplissement, après-demain, footing. Terminé le vin, aux oubliettes le camembert et les cheesecakes, razzia sur les haricots verts. Enfin bon… je vais essayer !

Eric Guillaud

Le marathon de New York, de Sébastien Samson. Editions La Boîte à Bulles. 24€

9782849532669_Marathon-640

07 Oct

Le Spirou de… Frank Pé et Zidrou

SNXdCazNGz6MjsxzFoIUrh0ZXJnmpIi8-couv-1200Frank Pé en rêvait depuis ses débuts dans les années 80, il a fini par le faire. Un Spirou d’encre et de papier. Son Spirou à lui. 84 pages d’une beauté stupéfiante sur un scénario original recadré par Zidrou.

Dire qu’il en rêvait est un doux euphémisme. Lorsqu’il imagine le personnage de Broussaille à la fin des années 70 pour des chroniques sur la faune et la flore publiées dans les pages du journal Spirou et plus tard lorsque ce même Broussaille devient un personnage de BD à part entière, Frank ne cache pas son admiration pour le travail de Franquin. « Cette série était déjà ma réponse au Spirou de Franquin… », déclare-t-il aujourd’hui dans les pages de l’excellent magazine dBD.

Et il en a profité Frank Pé, il s’est fait plaisir comme il nous fait plaisir aujourd’hui. 84 pages au total, 2 ans de travail, des heures et des heures à peaufiner ses planches, à imaginer des machines délirantes, à réactualiser Spirou, Fantasio et les autres, à souffrir sur la couverture, pas assez ceci, trop cela, le cauchemar de l’auteur.

Et puis le voici le beau bébé, avec tous les thèmes chers à Frank Pé, l’écologie, les animaux dont il a toujours été un grand observateur, la poésie, le fantastique et le cirque, oui le cirque qu’on retrouve à toutes les époques de sa carrière, depuis ses premiers travaux à l’école Saint-Luc. Le cirque qui donne de si belles couleurs à ses planches. Et là aussi plane l’ombre de Franquin, les animaux bien sûr qu’on trouve en grand nombre dans les aventures de Spirou et Fantasio comme dans celles de Gaston Lagaffe, et le personnage de Noé imaginé pour l’aventure Bravo les brothers récemment réédité, un « chef d’oeuvre dont on ne pourrait changer un trait » dixit Frank Pé.

Après Frank Le Gall, Schwartz, Trondheim, Emile Bravo et quelques autres,COUV-BROUSSAILLE-1-vert les noms de Frank Pé de de Zidrou rejoignent donc la collection Le Spirou de… avec un récit empreint d’écologie et d’humanisme. Spirou et Fantasio, qui travaillent tous les deux pour le journal Le Moustique, reviennent d’un séjour en Palombie avec un sujet brûlant : les dégâts occasionnés sur la nature par la construction d’un barrage gigantesque. Mais la nouvelle rédactrice en chef refuse de publier leur papier. Spirou démissionne et décide de profiter de la vie, de se perdre dans les forêts, de traîner dans les musées, de flâner en ville ou pourquoi pas de se lancer dans la peinture. Bien sûr, rien de tout ne se produit…

Une histoire à la construction complexe avec plusieurs lignes de scénario simultanées mais limpide au niveau de la lecture, grâce notamment au travail du talentueux scénariste Zidrou.

Dans le même temps, les éditions Dupuis publient le premier volet d’une intégrale consacrée à Broussaille, une série follement poétique et magique publiée dans les pages du journal Spirou à partir de 1978, dans un premier temps sous la forme de chroniques puis sous la forme de BD. L’intégrale réunit toutes ces chroniques ainsi que les récits complets parus dans le journal entre 1978 et 1985, et deux albums, Les Baleines publiques et Les Sculpteurs de lumière. En route pour la poésie !

Eric Guillaud

L’info en + : Frank Pé sera à la librairie Bulle vendredi 14 et samedi 15 octobre pour une performance graphique et une séance de dédicaces. Plus d’infos ici…

La Lumière de Bornéo, Le Spirou de… Frank Pé et Zidrou. Editions Dupuis. 16,50€

Broussaille, L’intégrale tome 1, de Bom et Frank Pé. Editions Dupuis. 35€

04 Oct

Le joli mois de mai d’une ouvrière des piles Wonder raconté par François Bégaudeau et Élodie Durand

WONDER C1C4 OK.inddElle s’appelle Renée, respire les vapeurs de manganèse dix heures par jour pour fabriquer des piles chez Wonder sous la surveillance d’un petit chef autoritaire. Pas la grande vie dont elle est en droit de rêver. Pas d’argent, peu de loisirs, une chambre sous les toits et un tourne disque qui passe Sylvie Vartan en boucle. « Comme un garçon moi j’ai ma moto, comme un garçon je fais du rodéo… ».

Et puis vient le mois de mai, le joli mois de mai. 1968, ses grèves étudiantes, ses occupations d’usines et d’universités, ses manifestations, ses moments de folie collective, de libération des corps et des esprits.

« Soyez réalistes, demandez l’impossible », recommande un des slogans. Sur les barricades ou pas très loin, Renée rencontre Antoine qui l’entraîne dans un milieu bien éloigné du sien, un milieu d’intellectuels, d’anarchistes, d’artistes… Finies l’usine, la suie noire, les vapeurs de manganèse, Renée s’émancipe, opte pour la couleur, une robe rouge, et la liberté…

Pour écrire cet album, François Bégaudeau au scénario et Elodie Durand au dessin se sont inspirés d’une vidéo tournée en 68 à l’usine Wonder par une équipe de cinéastes étudiants à l’IDHEC (école de cinéma). Loin des récits convenus sur cet événement, les auteurs nous offrent une escapade poétique, utopique et excentrique.
Eric Guillaud
.
Wonder, de François Bégaudeau et Élodie Durand. Éditions Delcourt. 17,95€
Capture d’écran 2016-10-04 à 19.45.46

01 Oct

Lila – Pommes, poires, abricots : une histoire de poussée mammaire signée Séverine de la Croix et Pauline Roland

LILA_C1C4.inddUn truc de filles me disais-je. Inutile de le cacher, l’album de Séverine de la Croix et Pauline Roland s’est retrouvé au plus bas de ma « pile de livres à chroniquer d’urgence », jugeant le sujet abordé dans ses pages loin de mes préoccupations d’homme…

Jusqu’au jour où mes deux filles, respectivement 11 et 12 ans, ont exhumé l’album et se sont enfermées dans leur chambre pour le lire ou plus exactement le dévorer. Rires, exclamations, rires à nouveau… Apparemment, Lila, pommes, poires, abricots avait trouvé son lectorat. Il fallait que je me penche sur l’affaire…

Alors je l’ai lu. Et relu. Et j’ai moi aussi ri de bon coeur. Si mes filles sont le coeur de cible de l’album, Séverine de la Croix et Pauline Roland on aussi souhaité s’adresser aux parents, notamment aux pères dont je fais partie, pour leur expliquer comment aborder cet instant délicat où les seins commencent à pointer le bout de leur téton et affirmer que l’adolescence n’est plus très loin.

Un instant délicat pour les filles, mais aussi pour les papas et les mamans. Alors, les auteures ont choisi d’aborder le sujet avec beaucoup d’humour et de recul. Sous une forme originale mêlant bande dessinée et journal intime, Lila – pommes, poires, abricots explique mine de rien la poussée mammaire mais aussi plus largement la puberté, la fonction du soutien-gorge, les bonnets, les garçons… Bref tout ce qu’il faut savoir à cet âge-là. Triplement lu et approuvé !

Eric Guillaud

Lila – pommes, poires, abricots, de Séverine de la Croix et Pauline Roland. Editions Delcourt. 14,95 €

© Delcourt / De La Croix & Roland

© Delcourt / De La Croix & Roland

30 Sep

Dad a les nerfs à vif et le porte monnaie à sec

sVlvsvsS0KejC2pg1XjYGDKbBzULTdeC-couv-1200C’est la crise ! Les factures tombent comme les feuilles mortes en automne et il n’y a plus un sou dans la tirelire, mais vraiment plus un sou…

Dad doit prendre des mesures drastiques, réduire les dépenses, interdire les douches qui durent des plombes, rogner sur les forfaits téléphoniques des filles, rendre une petite visite de courtoisie à son banquier et trouver un vrai travail, enfin un travail quoi…

Toujours aussi pétillantes ces histoires de Dad, le plus grand papa poule de la bande dessinée francophone. Quatre filles et pas une mère en vue, Dad doit tout gérer seul alors forcément ce n’est pas facile tous les jours. Surtout quand les finances s’en mêlent et quand une ex décide de taper l’incruste…

Des histoires courtes pour rire tout simplement. Et c’est déjà énorme!

Eric Guillaud

Les Nerfs à vif, Dad (tome 3), de Nob. Editions Dupuis. 10,60 

28 Sep

Pas de retour en Ostalgie de Hagedorn et Fras ou comment une jeune enfant prend conscience de son homosexualité dans la Pologne communiste aux éditions Steinkis

9791090090712-PasDeRetourEnOstalgiePetite, elle dévorait les contes de fées et les romans au point de s’imaginer en Robinson Crusoé, vivant seule sur une île au milieu de l’océan. Mais dans la vraie vie, elle habitait Szczecin en Pologne, une ville sinistre, un immeuble sinistre à côté d’une église sinistre. Tout y était sinistre. Même les gens. Elle y passa 11 ans de sa vie, une enfance « catholique, patriarcale et polonocommuniste, donc dépressive, oppressive et répressive » confie-t-elle aujourd’hui dans ce roman graphique publié chez Steinkis…

Elle, c’est Wandzia, alias Wanda Hagedorn. Aujourd’hui, elle vit en Australie mais a passé toute sa jeunesse en Pologne dans un appartement partagé. D’un côté, une vieille femme allemande, de l’autre sa famille. Entre un père communiste jusqu’au bout de l’ennui et une mère bigote, le quotidien de Wanda n’avait rien de très sexy.

C’est avec sa grand-mère Helena, une femme pétillante, qu’elle s’ouvrit au monde, à la littérature d’abord, à l’amour ensuite.  « Comme la lecture, elle était pour moi un refuge et une force. Elle me donnait tout ce que j’essayais d’obtenir de maman : un enthousiasme absolu, un amour inconditionnel, de la tendresse et des encouragements ». Cette grand-mère connut une grande histoire d’amour avec une femme. Pour Wanda, ce ne fut certainement pas la seule. « Grand mère cachait son orientation sexuelle, plus complexe que ne le laissaient croire les apparences ».

Au fil des pages, Wanda nous ouvre sa boîte à secrets. Elle nous parle de cette grand-mère tant aimée qui mourut de la maladie d’Alzheimer, mais aussi de ses soeurs et de son père, un « pervers narcissique » colérique et violent avec qui elle eut des rapports plus que conflictuels jusqu’au bout. Elle évoque aussi son homosexualité naissante. Une homosexualité difficile à vivre on imagine dans ce contexte.

Malgré tout, malgré cette sinistrose ambiante, malgré son père, Wanda Hagedorn s’est réalisée. Bien sûr, il n’y aura aucun retour en Ostalgie pour elle, pas de regrets pour cette époque grise que le dessinateur, polonais lui-aussi, Jacek Fras, a parfaitement su restituer à travers les 220 pages de ce très beau roman graphique.

Eric Guillaud

Pas de retour en Ostalgie, de Wanda Hagedorn et Jacek Fras. Editions Steinkis. 20 €

27 Sep

Nuit noire sur Brest : Cuvillier, Galic et Kris nous racontent un épisode méconnu de la guerre d’Espagne sur le sol breton

790514_01 « L’ouvrage de Patrick Gourlay ferait un excellent scénario de film », écrivait Yannick Guérin, journaliste à Ouest France au moment de la sortie du livre Nuit franquiste sur Brest. En attendant un hypothétique film, Cuvillier, Galic et Kris en ont tiré une bande dessinée chez Futuropolis, un récit aussi rocambolesque que vrai. L’histoire d’un sous-marin républicain réfugié dans la rade de Brest…

C’est un événement quasiment oublié, effacé de la mémoire collective par les années noires de la deuxième guerre mondiale, enseveli sous les décombres de la ville bombardée sans relâche entre 1940 et 1944. Un événement qui resurgit aujourd’hui grâce aux recherches de l’historien Patrick Gourlay publiées dans le livre Nuit franquiste sur Brest, aujourd’hui adapté en bande dessinée par le trio Cuvillier – Galic – Kris.

Cet événement-là, cette histoire-là commence le 29 août 1937 lorsqu’un sous-marin républicain espagnol fait irruption dans la rade de Brest, poussé là par une avarie. En Espagne, la guerre civile oppose alors républicains et nationalistes dans un bain de sang épouvantable. En France, le Front populaire doit faire face aux attaques de l’extrême droite. Un contexte particulièrement sous tension, complexe, qui ne va pas laisser cet événement au rang de simple anecdote.

Ce sous-marin, l’un des six de l’armée républicaine, attise très rapidement la convoitise des Franquistes qui, eux, n’en possèdent pas. Un commando est chargé de s’emparer du navire avec l’appui de quelques fascistes locaux. La ville devient le terrain de jeu d’espions, de contre-espions, de femmes fatales, d’anarchistes, de communistes, de phalangistes. Une histoire pour le moins mouvementée mettant en scène de nombreux personnages dans un contexte brûlant, le tout racontée avec talent par notre trio picardo-breton. Un plongeon dans le Brest des années 30 avec la guerre pour seule horizon.

Eric Guillaud

Nuit noire sur Brest, de Cuvillier, Galic et Kris. Editions Futuropolis. 16 €

© Cuvillier, Galic et Kris

© Cuvillier, Galic et Kris

25 Sep

Théodore Poussin, bientôt le retour…

FullSizeRenderThéodore Poussin. Un nom pareil, ça ne s’oublie pas. il a beau avoir disparu des écrans radars pendant 10 ans, l’annonce de son retour n’a fait qu’un tour dans le monde de la bande dessinée. Il faudra juste patienter une petite année pour retrouver sa frimousse et ses aventures au long cours…

Un petite année, oui, pour tenir l’album entre nos mains ! Le dernier voyage de l’amok sera son nom, une treizième aventure annonciatrice – on l’espère – d’une longue série à venir.

Un an, c’est long, très long. Alors, histoire de nous faire patienter, les éditions Dupuis ont une belle idée, marketing certes, mais un belle idée quand même : offrir d’ici la rentrée 2017 l’album dans une version en noir et blanc, quatre cahiers pour autant de chapitres, accompagnés à chaque fois de recherches graphiques et d’un entretien avec l’auteur.

Du beau boulot, farouchement collector, au tirage limité à 2800 exemplaires. Le premier volet est sorti en mai, le deuxième en septembre. Deux autres sont programmés d’ici l’automne 2017.

Si vous êtes un fan inconditionnel de Théodore Poussin comme moi ou si vous rêvez de retrouver l’atmosphère des grandes aventures de Tintin ou de Corto Maltese, dont Théodore est la juste symbiose, alors jetez-vous sur ces cahiers. C’est beau, c’est grand, c’est original, c’est du génie pourait-on dire dans un élan d’enthousiasme contrôlé. Merci Frank Le Gall, merci Dupuis, de nous faire rêver à nouveau…

Eric Guillaud

Cahiers Théodore Poussin, de Frank Le Gall. Editions Dupuis. 13€

Martha & Alan, Emmanuel Guibert poursuit la mise en images des souvenirs d’Alan Ingram Cope à L’Association

PlancheS_52641

Qu’est ce qui fait qu’une vie mérite ou non d’être racontée ? Bonne question. Peut-être que toutes les vies le méritent finalement et que tout ou presque réside dans la façon de raconter.

En ce sens, la vie d’Alan Ingram Cope n’a rien de fondamentalement extraordinaire ou héroïque. Depuis seize ans pourtant, Emmanuel Guibert nous en livre régulièrement des épisodes avec une façon à lui qui rend l’ordinaire passionnant. Tout commence en 2000 avec le premier volet de La Guerre d’Alan. L’auteur pose en une centaine de pages, un peu moins peut-être, les bases de ce qui le fera connaître du grand public. Un trait sobre et épuré, une narration simple et efficace, une écriture aussi limpide que l’eau d’une rivière de montagne, un récit qui oscille entre la biographie et le documentaire. Cette signature-là se retrouvera dans tous les albums de la série mais aussi dans la trilogie Le Photographe, publiée entre 2003 et 2006.

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

La Guerre d’Alan raconte la guerre à travers le quotidien du GI californien Alan Ingram Cope, débarqué en France le 19 février 1945, précisément le jour de ses 20 ans, après des mois d’entrainement sur sa terre natale.

À la fin de la guerre, Alan Ingram Cope choisit de rester en France et se retire pour ses derniers jours sur l’île de Ré. C’est là, par le plus grand des hasards, que les chemins de l’ancien GI et de l’auteur de BD se croisent. Nous sommes en 1994. Emmanuel Guibert tombe sous le charme des talents de conteur du vieil homme. Entre les deux hommes se noue une solide amitié. « Alan pratique volontiers l’understatement… », confie l’auteur dans une interview pour lemonde.fr, «Il est quelqu’un qui « euphémise » ce qu’il raconte par une certaine douceur et une volonté de ne pas appuyer son propos. Faisant cela, il raconte souvent des anecdotes de très forte portée, d’une manière transparente, cristalline, fluide – anecdotes qui, du coup, peuvent passer le filtre d’une sensibilité qui s’arrêterait à la lettre de ce qui est dit. »

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

Pendant cinq ans, Emmanuel Guibert enregistre Alan parlant de sa vie, de la guerre, de ses parents, des ses amours, de choses futiles et de pensées essentielles. Des heures et des heures de conversation, jusqu’en 1999. Alan est emporté par un cancer.

De 2000 à 2008, Emmanuel Guibert nous raconte donc la vie du GI Alan Ingram Cope. Trois volumes en tout et une belle reconnaissance dans le milieu de la BD et au-delà. Mais l’auteur ne s’arrête pas là. « Dès le début… », explique-t-il en 2012 à Morgan Di Salvia pour le site ActuaBD, « j’ai su que je raconterais toute sa vie. L’effet d’optique, c’est que « La Guerre » est sortie en premier lieu. Je n’ai pas annoncé la couleur en disant qu’il y aurait d’autres choses après. Donc, la plupart des gens pensaient que je faisais un récit de guerre. À l’époque, je savais déjà qu’il y aurait L’Enfance et L’Adolescence« .

En 2012 sort la préquelle L’enfance d’Alan dans laquelle Emmanuel s’attache à retranscrire les souvenirs d’enfance de son ami. Il nous offre par la même occasion un fabuleux témoignage sur la vie quotidienne aux Etats-Unis avant-guerre.

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

Dans Martha et Alan enfin, l’auteur se penche sur la première histoire d’amour de son ami. Son prénom est Martha. Alan la rencontre à l’âge de 5 ans. Ensemble, ils partagent pendant quelques années des moments joyeux avant que les liens ne se distendent. La mère d’Alan décède. Son père se remarie avec une jeune femme de 20 ans qui entreprend d’éponger les dettes de son nouveau mari. Nous sommes au coeur de la Grande Dépression. Un moment très difficile pour Alan et sa famille. Juste avant de partir pour la guerre, le jeune homme revoit Martha, le temps d’apprendre qu’elle a attrapé la polio.

Avec un trait vaporeux comme les souvenirs et des dessins en double page sans cases, sans bulles, Emmanuel Guilbert nous embarque avec beaucoup de justesse, d’émotion et un brin de nostalgie dans cette nouvelle tranche de vie. Un véritable hommage à l’ami Alan en même temps qu’un fabuleux témoignage sur l’Amérique du XXe siècle !

Eric Guillaud

Martha et Alan, d’Emmanuel Guibert. Editions L’Association. 23 €