17 Sep

Pénis de table et Vagin tonic : parlons bien, parlons sexe !

Accros du porno, retournez illico au dodo. Ces deux bandes dessinées sorties à quelques semaines d’intervalle traite du sexe mais de manière pédagogique. Vous croyiez tout savoir sur la chose ? Oui bien sûr, vous êtes un cador, un bon coup, vous avez tout expérimenté et connaissez votre partenaire sur le bout de la langue. À votre place, j’y jetterai tout de même un œil…

La vie est parfois bien faite. Alors que les éditions Casterman publiaient en juin l’album Vagin Tonic de Lili Sohn, les éditions Steinkis répliquaient fin août avec Pénis de table de Cookie Kalkair. Pas de jaloux, pas de jalouses, il y en a donc pour tout le monde en cette rentrée, choisissez votre camp ou pas, vous pouvez lire les deux indépendamment de votre sexe, ce serait même plutôt recommandé.

Tout tout tout, vous serez tout sur cette drôle d’affaire. Pas d’images cochonnes dans ces deux livres mais une approche légère et décomplexée du sexe, drôle et sans tabous. Inutile de vous faire un dessin, le premier, Vagin Tonic, traite du sexe féminin et de tout ce qui va avec, depuis l’orgasme jusqu’à la contraception, en passant par la masturbation, le point G, l’hymen, les règles… Le deuxième, Pénis de table, fait de même ave le sexe masculin en abordant lui-aussi la masturbation et l’orgasme, mais aussi les fantasmes, la performance, l’orientation sexuelle. Petite subtilité du récit, la chose est abordée ici sous la forme d’une discussion entre sept hommes aux sexualités diverses qui ont accepté de mettre leur sexe, leurs croyances, leurs pratiques… sur la table. D’où l’excellent titre en forme de jeu de mot.

Dans les deux cas en tout cas, pas de chichis, on parle franco de tout, histoire de tordre le cou à tous les clichés. Des livres à laisser traîner chez vous, ça peut servir à quelques ados en questionnement !

Eric Guillaud

Vagin Tonic de Lili Sohn. Casterman. 20€ – Pénis de table, de Cookie Kalkair. Steinkis. 18€

15 Sep

Poussière : Geoffroy Monde dépoussière les utopies écologiques (interview)

On le connaissait jusqu’ici pour ses univers absurdes hérités de gens comme Goosens ou Gotlib, il a fait sa rentrée avec Poussière, un récit de science fiction à forte connotation écologique et au graphisme absolument surprenant, Geoffroy Monde change d’univers et le fait bien…

Ce qui saute aux yeux de prime abord, ce sont les couleurs, des aplats aux tons pastel au milieu d’une nature luxuriante, bienvenue sur la planète Alta ! C’est là que Geoffroy Monde déroule son histoire, celle d’un peuple confronté à la colère de la nature, une colère qui prend les traits de cyclopes géants. À chaque fois, c’est le même scénario, les cyclopes attaquent, les humains répliquent, les tuent, mais ils sont systématiquement ressuscités par les Augures parce qu’ils feraient partie intégrante de l’équilibre écologique de la planète. Et les attaques sont de plus en plus violentes et dévastatrices…

Après toute une série de récits humoristiques, le Lyonnais Geoffroy Monde se frotte à la science fiction avec bonheur, mettant en place dès ce premier volet de la trilogie un univers surprenant et passionnant. Les planches sont magnifiques, la palette de couleurs est subtile, le scénario, habile et même audacieux… et la question écologique omniprésente mais pas plombante, de quoi nous donner envie de lui poser quelques questions. Interview…

De rien, Serge & demi-Serge, Papa Sirène et Karaté Gérald… On te connaissait jusqu’ici pour tes univers absurdes, tu débarques sans crier gare dans le monde de la SF avec Poussière. Pourquoi ce changement radical ?

Geoffroy Monde. Je lisais pas mal de comics étant gamin, et j’avais toujours gardé dans un coin de ma tête qu’un jour je me lancerai dans une grande aventure de science fiction à ma sauce. Il a principalement fallu que j’attende d’avoir le niveau technique (et le style graphique) qui me semblait nécessaire pour ça – en plus de parvenir à trouver une histoire qui me motiverait suffisamment pour une saga de trois tomes.

Et plus généralement, j’aime m’essayer à des choses différentes (aussi bien en m’essayant à d’autres formes d’art qu’expérimenter au sein même des métiers de l’illustration). Je trouve aussi important de pouvoir me dire tous les 4-5 ans que ce que je produis n’a rien à voir avec ce que je produisais auparavant. Je suis pas mal incapable de faire la même chose très longtemps.

© Delcourt / Monde

C’est une remise en cause totale de ton travail y compris de ton approche graphique. Comment s’est opéré le changement ? Pratiquement, techniquement, comment as-tu procédé ?

Geoffroy. Pour trouver ce nouveau style, je me suis « simplement » lancé dans le dessin de Poussière, et ai réussi à l’apprivoiser au fil des pages. Mais il existe une première version des pages du début du tome 1 qui sont radicalement différentes de celle imprimée, quand je m’imaginais faire l’intégralité de la bd dans un style réaliste et peint tout en volume. C’était très laborieux et plutôt laid, je n’avais pas le niveau. Et même pour la version imprimée, je suis beaucoup revenu sur le dessin de la première partie du tome, puisqu’arrivé à la moitié de sa production, j’avais une maitrise plus claire du style graphique dans lequel je m’étais lancé. Inutile de dire qu’il continue à se perfectionner alors que j’évolue actuellement dans le dessin du tome 2. 

On sent pas mal d’influences dans ce premier volet, je pense beaucoup en le lisant aux débuts d’Aquablue de Vatine et Cailleteau même si ça n’a rien à voir graphiquement . Es-tu un grand lecteur de SF ? Qu’est-ce qui a pu t’influencer ?

Geoffroy. Je lis quasiment aucune SF, mes souvenirs de lectures importantes dans ce genre remonte à priori aux comics du collège ; mais bon j’ai quand même lu des albums de SF, vu des films, tout ça, qui ont nécessairement nourri ma première excursion dans ce genre – mais je pourrais pas vraiment citer de titres précis. Je sais par contre que j’ai jamais lu d’Aquablue mais je vois le genre.

L’influence plus identifiable, pour moi, ce sont les jeux vidéos du type JRPG auxquels je joue régulièrement (Breath of fire, Final Fantasy, etc.), et qui je pense ont une empreinte plus marquée sur l’univers de Poussière.

Il y a une autre influence précise, en BD, qui a relancé clairement mon envie de faire une grande saga de science fiction (cette envie qui existait en sommeil depuis gamin) : Gaspard de La Nuit, de Joan de Moore. Ce qui s’y passe, graphiquement comme narrativement, n’a à peu près rien à voir avec Poussière. Mais l’ensemble d’albums qui la compose a refait poindre en moi l’envie de produire une œuvre de cette forme et de cette ambition.

© Delcourt / Monde

L’écologie est au coeur de l’album avec ces cyclopes qui personnalisent la colère de la nature. Est-elle aussi au coeur de tes préoccupations quotidiennes ?

Geoffroy. Je dirais que l’écologie est modérément dans mes préoccupations quotidiennes, je ne suis pas particulièrement plus engagé là-dedans que le français moyen qui fait son tri et ne laisse pas sa TV en veille. Les préoccupations écologiques qui habitent l’univers de Poussière auront un angle particulier, mais je peux pas trop en parler plus pour le moment. Dans un premier temps, avec ce tome 1, je délivre une vision assez basique du problème (la nature est en colère et se retourne contre les humains).

On l’a vu encore avec le typhon qui s’est abattu sur le Japon ces derniers jours, la nature ne fait pas de cadeaux, comme tes cyclopes. C’est une remise en place nécessaire, salutaire, de l’homme selon toi ?

Geoffroy. Non ; je ne suis pas climato sceptique, je suis d’accord avec l’idée que l’activité humaine est à l’origine des dérèglements climatiques. Mais j’ai une autre interprétation de cette causalité, qui n’implique pas vraiment de notion de bien nécessaire (ou même de mal).

© Delcourt / Monde

Aurais-tu pu aborder des questions environnementales comme celles que tu abordes ici par l’humour ?

Geoffroy. J’imagine que oui, puisque je suis assez mauvais pour parler sérieusement d’à peu près n’importe quel sujet. Je fais des efforts dans mes réponses, là.

Les couleurs font ici réellement parties du récit, elles sont magnifiques et surprenantes. Peux-tu nous en dire un mot ? Comment les as-tu imaginées, réalisées ? 

Geoffroy. Je suis d’avis qu’une palette réduite est plus efficace visuellement qu’une palette très variée qui imiterait pourtant la diversité du réel. Je galère beaucoup à trouver mes palettes, c’est souvent un moment angoissant de la réalisation des planches. J’ai essayé de m’intéresser aux théories de colorimétrie (couleurs complémentaires, hue et saturation, etc) mais le lendemain j’oublie tout donc au final j’avance plus à tâtons.

© Delcourt / Monde

À quoi vont ressembler les prochaines semaines de Geoffroy Monde ?

Geoffroy. Beaucoup de dédicaces prévues un peu partout pour Poussière (librairies et festivals), tout ça est encore en cours d’organisation. Et entre deux escapades, j’avance sur la colorisation du tome 2, qu’on compte sortir en janvier.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 12 septembre 2018

Poussière tome 1, de Geoffroy Monde. Delcourt. 15,50€

14 Sep

L’Âge d’or: Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil signent l’album de la rentrée, une fable politique au cœur du Moyen-Âge

Quand beaucoup d’auteurs se contentent de rester dans leur zone de confort, de peur de dérouter les lecteurs, Cyril Pedrosa n’hésite pas à se remettre en question et quelque part en danger à chaque album. La preuve avec le premier volet de L’Âge d’or réalisé avec Roxanne Moreil. Alors, chef-d’oeuvre ?

© Chloe Vollmer-Lo

Oui. Autant le dire tout de suite, L’Âge d’or est un petit chef-d’oeuvre, presqu’un miracle, d’abord graphique, c’est ce qui saute aux yeux en premier lieu lorsqu’on ouvre l’album, puis scénaristique. Autant le dire également tout de suite, Roxanne Moreil qui co-signe justement le scénario de cet album est la compagne de Cyril Pedrosa. Voilà pour le carnet mondain.

La suite ici

10 Sep

Le Chemisier de Bastien Vivès : pas qu’une simple histoire de fringue !

On connaissait le faible pour ne pas dire le penchant de Bastien Vivès pour les poitrines qui en imposent. En cette rentrée 2018, il ne lâche rien et les habille cette fois d’un chemisier de soie qui change tout…

Un chemisier de soie peut-il bousculer une vie ? Oui, du moins sous la plume et le pinceau de Bastien Vivès. Lui qui, régulièrement, nous met face à des personnages féminins à poitrine généreuse, parfois trop (Les Melons de la colère, Les Requins Marteaux), poursuit sur sa lancée avec une nouvelle héroïne, Séverine, étudiante en lettres à la Sorbonne, totalement inhibée et atone. Jusqu’au jour où elle débarque chez un couple pour faire du baby-sitting et doit enfiler le chemisier en soie de la mère de famille à la suite d’un petit dérapage de vomi.

Elle que personne ne regardait, n’écoutait, attire subitement le regard et occupe l’esprit de tous les hommes qu’elle croise. Comme par magie. Mais ce n’est pas un tour de magie, le chemisier a simplement dévoilé les formes de son corps et surtout révélé sa personnalité. Elle se sent mieux, elle se sent femme, relève la tête, redresse le corps et décide enfin de vivre sa vie, ne plus la subir.

Mais que représente ce chemisier à ses yeux ? Et aux nôtres ? L’accessoire indispensable de la femme moderne et libérée qui travaille et a des responsabilités ou l’attribut d’une soumission aux exigences et fantasmes de la gent masculine ? On peut légitimement se poser la question.

« D’ailleurs… », explique Bastien Vivès dans une interview pour les éditions Casterman, « elle a un rapport d’attraction et de répulsion avec ce vêtement. Elle veut le rendre et elle veut le garder. Elle veut l’utiliser mais elle est aussi piégée par lui. Bien sûr, ce n’est pas aussi simple, mais je voulais qu’on se pose la question : quand tu mets le chemisier, que se passe-t-il ? Le chemisier a-t-il des pouvoirs magiques ? Ou bien, c’est Séverine qui dévoile sa personnalité et qui, même sans le chemisier, reste splendide ? »

« Le défi… », poursuit-il « était de dessiner exactement la même personne qui, sur un dessin n’a pas l’air très intéressante et, sur le dessin d’après, est la femme la plus belle du monde »

Défi relevé haut la main par un Bastien Vivès que l’on présentait il y a quelques années encore comme le petit jeune à la mode, la nouvelle coqueluche et qui a gagné en quelques albums essentiels le rang d’auteur phare du 9e art.

Avec sa touche graphique de plus en plus sobre, épurée, et cette façon qu’il a et que j’adore d’effacer parfois le regard de ses personnages, l’auteur de Polina, Le Goût du chlore ou encore de Lastman, embarque le lecteur dans cette belle histoire de 200 pages sans jamais l’abandonner en cours de route. Le Chemisier se lit d’un trait, c’est beau, c’est légèrement érotique, c’est surtout très bien écrit. Une leçon de simplicité et d’efficacité !

Eric Guillaud

Le Chemisier, de Bastien Vivès. Casterman. 20€ (sortie le 12 septembre)

© Casterman / Vivès

08 Sep

Nick Cave, Vince Taylor, Symphonie carcérale… pour une rentrée en BD et en musique

Vous avez le blues de la rentrée ? Rien de mieux qu’un peu de décibels pour l’éliminer. Régulièrement, la BD s’intéresse au monde de la musique. En voici quelques exemples…

On commence par une biographie singulière, celle d’un chanteur non moins singulier qui a fait ses débuts sur la scène punk australienne avant de rejoindre Londres et de devenir une star du rock avec son groupe The Bad Seeds. Vous avez deviné, il s’agit bien évidemment de Nick Cave. L’auteur allemand Reinhard Kleist, connu des deux côtés du Rhin pour avoir mis en images quelques destins exceptionnels comme Elvis Presley (Petit à Petit), Johnny Cash (Dargaud), le boxeur Hertzko Haf ou encore Castro (Casterman), offre ici un portrait à l’image du chanteur, complexe, tourmenté, qui mélange sa vie réelle et l’univers de ses chansons. Kleist remonte à son enfance et notamment aux séances de lecture avec son père, pour dérouler le tapis rouge d’une vie qu’il a voulu différente. C’est la rencontre décisive avec le musicien Mick Harvey ou avec sa muse Anita, ce sont les premiers concerts en Australie sous le nom de The Boys Next Door, puis l’installation à Londres, Berlin, l’écriture du premier roman… Pour les fans et les autres. (Nick Cave, Mercy on me, Casterman. 23,95€)

Cette histoire-là commence en plein Blitz. Londres est sous les bombes et le jeune Brian Maurice Holden n’a que les histoires de son grand frère pilote d’avion tout vêtu de cuir pour oublier le sinistre quotidien. Brian Maurice Holden n’est pas encore Vince Taylor mais ll n’aura de cesse dès lors de faire plus de bruit que les sirènes. L’album de Marc Malès au dessin et d’Arnaud le Gouëfflec au scénario paru en mai dernier retrace sa vie depuis cette enfance en Angleterre jusqu’à sa mort en Suisse à l’âge de 52 ans, en passant bien sûr par son heure de gloire sur les scènes françaises et sa chute vertigineuse, gloire et déchéance d’une star, une vie pour le moins rock’n’roll que notre duo d’auteurs met en images avec une très grande justesse, grâce notamment à l’utilisation du noir et blanc et à un trait inspiré de la bande dessinée des années d’après guerre. (Vince Taylor, L’Ange noir, Glénat. 22€)

Dans un style très différent, Symphonie Carcérale nous embarque derrière les barreaux, ceux de la prison de Fresnes où Romain Dutter occupe le poste de coordinateur culturel, mission consistant à mette en place des ateliers de théâtre, d’écriture, de musique et bien évidemment à proposer des concerts. Quand on parle de concerts en prison, on pense bien évidemment à Johnny Cash et à son mythique album At Folsom Prison au sein de la prison d’état de Folsom devant un parterre de prisonniers. C’est un peu l’idée ici. D’ailleurs, Romain y fait référence dans les pages de l’album. Comme il fait référence aussi au concert des Sex Pistols dans la prison de Chelmsford Top Security en 1976, à celui de Trust à Fleury-Mérogis en 1980 ou encore celui de Metallica dans la prison de San Quentin en 2003. Au-delà de son expérience de coordinateur, de son combat pour faire entrer un peu de liberté et de chaleur humaine dans le milieu carcéral, le récit de Romain Dutter mis en images par Bouqé qui signe ici son premier roman graphique nous raconte surtout la prison et les hommes qui la peuplent, avec une touche d’humour bienvenue. (Symphonie carcérale, Steinkis. 20€)

Eric Guillaud

06 Sep

Didier, la 5e roue du tracteur : Ravard et Rabaté vérifient si le bonheur est dans le pré…

De vaches, une prairie, un tracteur, un agriculteur sur le tracteur et au loin des éoliennes… La couverture ne trompe pas, François Ravard et Pascal Rabaté nous embarquent à la campagne pour ce nouvel album savoureusement titré Didier, la 5e roue du tracteur, l’histoire d’un agriculteur qui aimerait bien connaître l’amour avant de mourir…

Bon, ne vous inquiétez pas, Didier, l’agriculteur en question, n’est pas encore à l’article de la mort même s’il pense le contraire lorsque son médecin l’osculte pour quelques problèmes d’hémorroïdes. C’est emmerdant, certes, mais pas mortel. Il ressort donc avec une ordonnance adéquate et une adresse internet notée sur un post-it : meetic.fr.

Car oui, Didier n’a pas un mais deux problèmes, le cul pour parler crument et le coeur.

« je vais mourir et cela sans même avoir connu l’amour … Je parle du grand amour, celui qui aide à vous lever le matin et vous donne envie de vous coucher le soir… Celui qui rafraîchit les journées et réchauffe les nuits… Celui qui rend beau… qui rend bon… »

Un poète je vous dis. Voilà pour le bonhomme, le héros de François Ravard et Pascal Rabaté, un gars qu’on adore dès les premières pages, un peu gros, un peu petit, un peu naïf, un peu bourru, un peu fainéant, un peu porté sur la bouteille, mais gentil, très gentil. Un anti-héros magnifique !

« Didier, 45 ans, jamais marié, agriculteur, habite en Bretagne (France), bonne hygiène, surtout le samedi, cherche le grand amour de 35 à 55 ans ».

Et hop, c’est fait. Grâce à sa soeur et au Régis de service, un fermier ruiné qui vient de voir sa ferme vendue aux enchères et qui squatte chez lui, Didier est sur Meetic, il n’y a plus qu’à attendre les premières touches. Pendant ce temps-là, la soeurette et le fermier ruiné s’envoient en l’air. Il n’y a pas de raison !

Si le bonheur ne court pas forcément les prés, il est assurément dans les pages de cet album, un savant cocktail d’humour bio et d’humanité avec des personnages élevés au bon air de la campagne, quelques scènes d’anthologie, un graphisme fin et élégant, et un regard tout en finesse sur les difficultés de la vie paysanne, la solitude, les dettes qui poussent certains à la faillite et parfois au suicide. Mais le propos ici reste léger et drôle, un soupçon décalé, de quoi voir le monde rural sous un nouvel angle. Allez hop, tout le monde à la campagne !

Eric Guillaud

Didier, la 5e roue du tracteur, de Ravard et Rabaté. Futuropolis. 17€

© Futuropolis / Ravard & Rabaté

03 Sep

De la Syrie à la Turquie : le premier volet de L’Odyssée d’Hakim signé Fabien Toulmé

Fabien Toulmé fait partie de ces rares auteurs qui se sont faits un nom dans le milieu du neuvième art en l’espace d’un album seulement. C’était en 2014 avec Ce n’est pas toi que j’attendais, un bouleversant récit autour de la trisomie 21 de sa fille. Il est de retour aujourd’hui avec L’Odyssée d’Hakim, l’histoire vraie et forte d’un migrant syrien en trois volumes…

On les voit tous les jours, de nos propres yeux ou par l’intermédiaire des caméras de télévision, ceux qu’on appelle les migrants et qu’on devrait plus surement appeler les réfugiés nous rappellent qu’ailleurs, pas si loin de chez nous finalement, une guerre atroce a généré des millions d’exilés et des centaines de milliers de morts.

On connait plus ou moins l’histoire, on en a en tout cas entendu parler dans les médias, on s’émeut devant les chiffres ou la photo d’un enfant retrouvé mort sur une plage de la Méditerranée, mais que connaît-on de tous ces hommes, de toutes ces femmes, de ces enfants qui arrivent sur notre territoire au risque de leur vie et s’entassent dans des camps de fortune plus ou moins tolérés par une population locale, indifférente dans le meilleur des cas ? Rien. Ou presque…

Le déclic de cet album ? Fabien Toulmé s’en explique dans un préambule graphique. « De façon curieuse, l’envie de faire un livre sur les migrants qui traversent la Médterranée est apparue alors qu’avait lieu une catastrophe sans aucun lien avec cette problématique… Le crash d’un avion ».

© Delcourt / Fabien Toulmé

Vous vous en souvenez sûrement, en mars 2015, un pilote dépressif de la Germanwings précipite son avion avec 150 personnes à bord contre un flanc de montagne. L’événement tourne en boucle pendant des jours et des jours dans les journaux télévisés. Pendant ce temps-là, un autre drame se joue sur la Méditerranée, 400 migrants se noient. Juste de quoi faire une brève en fin de journal !

« Il est beaucoup plus difficile de ressentir de la compassion pour des chiffres cités en fin de journal que pour des personnes dont nous connaissons l’histoire ou au moins dont nous arrivons à l’imaginer ».

C’est là que Fabien Toulmé décide d’écrire l’odyssée d’une famille de réfugiés. Il part à la recherche de celle-ci et la trouve grâce à une amie journaliste. Lui s’appelle Hakim, elle, Najmeh. Ils ont un fils, Hadi, 3 ans.

© Delcourt / Fabien Toulmé

Et le récit à proprement parler commence ici, au moment de la première rencontre entre Fabien Toulmé, qui se dessine dans les scènes d’entretien, et la famille syrienne. Pendant des heures, des jours, l’auteur enregistre le témoignage d’Hakim, sa vie avant la guerre, sa jeunesse, son métier de pépiniériste, les premières manifestations contre Bachar el-Assad, les premiers morts… et finalement son exil forcé, un long cheminement qui le conduira de la Syrie jusqu’en France…

Fabien Toulmé nous avait époustouflé avec le récit autobiographique Ce n’est pas toi que j’attendais, la quasi-autofiction Les deux vies de Baudouin, tous deux édités chez Delcourt, il récidive avec cette  histoire vraie prévue en trois volumes. C’est passionnant, bien écrit, bien dessiné, narrativement ingénieux, un vrai travail d’auteur, exceptionnel, utile et nécessaire pour enfin nous faire poser un vrai regard sur la question des migrants, un regard humain qui se fiche des chiffres, dépasse les différences, pour se focaliser sur l’histoire d’un homme comme tant d’autres, juste contraint de fuir son pays à la recherche d’une vie normale. Bravo Fabien, on adore et on attend la suite avec impatience !

Eric Guillaud

De la Syrie à la Turquie, L’Odyssée d’Hakim tome 1, de Fabien Toulmé. Editions Delcourt. 24,95€ (en librairie le 5 septembre)

26 Août

Pages d’été. The Forgotten Man, l’adaptation graphique d’un ouvrage de référence sur la grande dépression

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Certains livres nécessitent du temps, à la fois pour se décider à les ouvrir et une fois ouverts, pour tout simplement les lire. The Forgotten Man est de ceux-là, du moins en ce qui me concerne, un livre épais de 320 pages à la thématique on pe peut plus sérieuse, un récit graphique de prime abord un peu rugueux adapté d’un ouvrage économique lui-même rugueux mais de référence sur la grande dépression américaine, celle qui a causé tant de malheur, brisé tant de vies dans les années 30.

Le livre à l’origine de cette adaptation graphique est signé de l’économiste et éditorialiste Amity Shlaes. ll a été traduit en plusieurs langues, parmi lesquelles l’allemand, l’italien ou encore le chinois, et est aujourd’hui étudié, précise l’avant-propos, dans les écoles et universités américaines. La vision qu’il offre sur la Grande Dépression va à l’encontre du consensus établi dans la culture populaire autour du New Deal, la politique interventionniste mise en place par le président américain Franklin Delano Roosevelt pour lutter contre les effets de la Grande Dépression aux États-Unis.

Amity Shlaes a effectué un important travail de recherche dans les fonds d’archives pour écrire ce livre en privilégiant l’aspect humain, l’individu, plutôt que la théorie. Le fameux homme oublié, The Forgotten Man, est celui qui a enduré la Grande Dépression et n’a pas trouvé le soutien espéré et promis par le New Deal. C’est son histoire et celle de millions d’hommes et de femmes que raconte The Forgotten Man.

Publié en France par l’éditeur Steinkis en février dernier, l’adaptation graphique de l’Américain Paul Rivoche (Mister X, Batman : Black & White…) offre un visage à ces hommes et à ces femmes. C’est dense, parfois un peu compliqué pour nous européens, mais passionnant et riche d’enseignement sur ce qu’était l’Amérique d’hier. Quant au dessin, le trait réaliste en noir et blanc de Paul Rivoche nous embarque immédiatement dans l’ambiance de ces années sombres.

Eric Guillaud

The Forgotten Man, nouvelle histoire de la grande dépression, d’Amity Shlaes et Paul Rivoche. Steinkis. 22€

Steinkis / Shlaes & Rivoche

22 Août

Pages d’été. Sous les bouclettes : un combat contre l’adversité signé Gudule et Mélaka

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Sorti en avril dernier mais logiquement disponible encore aujourd’hui dans toutes les bonnes librairies, Sous les bouclettes raconte une histoire vraie, un drame familial comme on a tous pu en vivre, l’histoire d’une sale maladie qui s’invite à votre table sans y être conviée.

La romancière Gudule est l’héroïne de cette histoire mais la narratrice est sa propre fille, Mélaka, qui va l’accompagner dans la maladie, partageant son quotidien, ses angoisses, assistant à sa lente déchéance physique et psychique.

Alors que son ancien compagnon est mort d’un cancer de l’estomac et qu’elle vient tout juste de retrouver un nouvel amoureux, Gudule s’inquiète de ne plus pouvoir se servir normalement de sa main gauche.

Mélaka pense à un problème musculaire, les médecins diagnostiquent une lésion cérébrale. Le début de la fin ! Hospitalisation, opération, radiothérapie, chimiothérapie… Mélaka raconte ce sinistre quotidien, la maladie dans toute son horreur, mais aussi les petits moments de bonheur, comme des miracles au milieu de la tourmente.

Elle raconte aussi par une succession de flashbacks la vie de Gudule, ex-femme de l’auteur de BD Paul Karali, mère non seulement de Mélaka mais aussi d’Olivier Ka, également auteurs de BD, dévoilant au fil des pages une personnalité attachante et touchante. Ces flashbacks illustrent « Les Solitudes », des textes écrits par Gudule elle-même. Un récit forcément poignant !

Eric Guillaud

Sous les bouclettes, de Gudule et Mélaka. Delcourt. 18,95€

13 Août

Pages d’été. Wannsee, la fameuse conférence qui a scellé le sort de millions de Juifs racontée par Fabrice le Hénanff

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Autant vous le dire tout de suite, rien de léger, drôle ou simplement distrayant dans cet album. Fabrice Le Hénanff, à qui l’on doit déjà l’excellent thriller H.H. Holmes ou le biographique Modigliani, prince de la bohème raconte ici avec une très grande précision la fameuse et sinistre conférence de Wannsee qui réunit précisément le 20 janvier 1942 quinze hauts responsables du Troisième Reich, représentants de la SS et des institutions étatiques, pour organiser ce qu’ils appelèrent la solution finale à la question juive.

Le temps de lecture de l’album, environ 1h30, est à quelque chose prêt le temps que dura cette conférence, 1h30 pour sceller le sort de millions de Juifs en Europe et tout ça dans la plus grande discrétion, le tout autour d’un bon repas et de quelques bonnes bouteilles. C’est absolument glaçant et le dessin ainsi que les couleurs de Fabrice le Hénanff contribuent à nous plonger dans l’atmosphère morbide et cynique de ce triste épisode de notre histoire !

Comme le précise en introduction Didier Pasamonik, l’auteur de cet album n’est pas un historien mais un transmetteur, quelqu’un qui utilise les recherches effectuées depuis plus de 70 ans par les spécialistes autour de la seconde guerre mondiale et plus précisément ici de la solution finale imaginée par les Allemands. Wannsee reste cependant une oeuvre de fiction, l’auteur racontant sur environ 80 pages la réunion mais aussi ses à-côtés, offrant une présentation du contexte et de ses protagonistes… Un album aussi fort qu’essentiel !

Eric Guillaud

Wannsee, de Fabrice Le Hénanff. Casteman. 18€

© Casterman / Le Hénanff