04 Oct

Marc Jaguar, héros malgré tout…

Avec un  nom pareil, on pourrait légitimement penser qu’il a fait carrière. Marc Jaguar, ça ne s’invente pas pour un héros de papier, photographe-reporter de son état. Pourtant, le destin en a décidé tout autrement. Cette deuxième aventure de la série, commencée il y a plus de soixante ans, trouve son épilogue aujourd’hui seulement…

Elle avait pourtant bien démarré cette histoire. Lancé sur la route au volant d’une superbe Renault Frégate de 1954, Marc Jaguar, accompagné de Peter Lavolige, prend la direction de la Bretagne pour quelques jours de repos bien mérités. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au moment où les deux hommes sont témoins d’un accident entre une voiture et une estafette. Rien de bien méchant mais un voleur des petits chemins profite de la situation pour subtiliser la valise d’un des conducteurs accidentés. Lorsque celui-ci découvre ce qu’elle renferme, il s’en débarrasse au plus vite en la jetant dans une mare.

Pourquoi ? Que contenait-elle ? C’est justement la question que vont se poser pendant plus de soixante ans les lecteurs ce cette aventure avortée. Nous sommes en 1956, sept planches de ce deuxième récit de Marc Jaguar ont été publiées dans le journal Risque-Tout avant qu’il ne cesse de paraître. L’histoire s’arrête là, Maurice Tillieux envisage de la reprendre en 1977 devant l’insistance de son ami François Walthéry. Deuxième coup du sort, Maurice Tillieux décède brutalement début 1978. Fin !

Enfin pas tout à fait. En 2016, le projet de donner une suite et une fin aux Camions du diable est finalement relancé avec aux commandes François Walthéry, Etienne Borgers et Jean-Luc Delvaux. Ils reprennent l’aventure au tout début en reproduisant à l’identique les planches déjà existantes et la poursuivent en levant bien évidemment le voile sur le mystère de la valise. En fait, c’était des  💬💤👁️🤚et un 👾👿👽☠️. Non, je ne vous le dirai pas. La réponse est dans l’album, un très bel album, au scénario dynamique, bourré de suspense, d’action et de rebondissements, au graphisme particulièrement élégant, inscrit dans la lignée de l’école de Marcinelle et aux atmosphères dignes des aventures de Gil Jourdan… un régal et un héros qui pourrait bien renaître !

Eric Guillaud 

Les Camions du diable, de Tillieux, Borgers, Delvaux, Walthéry. Dupuis. 17,50€

Utopiales 2018 : un peu de lecture en guise d’échauffement

Le festival international de science-fiction de Nantes revient pour une 19e édition du 31 octobre au 5 novembre avec un menu comme toujours très copieux, et ce dans tous les domaines, du cinéma au jeu vidéo, du spectacle vivant aux sciences, de la musique aux arts plastiques, sans oublier bien sûr la littérature. Histoire de se mettre dans l’ambiance, voici déjà une petite sélection de bandes dessinées…

On commence avec Bolchoi Arena, un album signé Boulet et Aseyn, un Nantais, paru aux éditions Delcourt. Ce premier volet nous embarque assez habilement dans l’univers du monde virtuel. Les premières pages sont à cet égard assez bluffantes, déstabilisantes, le lecteur ne sachant plus très bien sur quel niveau d’imaginaire il se trouve. L’histoire ? Dans un futur proche, internet n’est plus. Mais pas de panique les geeks, le réseau mondial de réalité virtuelle, le Bolchoi, l’a remplacé offrant des possibilités beaucoup plus infinies. Vous rêviez d’explorer l’espace aux commandes de votre propre vaisseau spatial ? Le Bolchoi vous le permet et sans bouger de votre canapé. Marje, jeune étudiante en astrophysique va y goûter et ne jamais s’en remettre. Une histoire bien ficelée, un trait léger, des couleurs pastel et une belle présentation avec jaquette transparente. On embarque ! (Bolchoi Arena, de Boulet et Aseyn. Delcourt. 19,99€)

Attention talent ! Énorme talent. Vincent Perriot, que certains d’entre vous ont peut-être découvert avec Belleville story chez Dargaud ou Taïga rouge chez Dupuis, débarque cette fois avec Negalyod, un somptueux récit de science-fiction de 200 pages qui rappellera sans doute de très bons souvenirs aux amoureux de Gir, aka Moebius, aka Giraud. Une influence assumée dans la forme, un trait fin et précis comme le maître, des couleurs signées Florence Breton, coloriste de Blueberry, Major Fatal ou L’Incal, mais aussi dans le fond avec un récit où la poésie n’a d’égale que la beauté et la grandeur des paysages désertiques qui nous émerveillent à chaque page. « J’avais une sensation d’enfance… », explique l’auteur, « je voulais traduire cette énergie primaire, primate, des chevaux, des grands espaces… Ce rapport à l’enfance, c’est aussi la rapport à l’évasion, je voulais donc faire des grands espaces, moi qui habite en ville ». C’est beau, à couper le souffle, entre futurisme et archaïsme, une architecture inspirée des dogons, des vaisseaux spatiaux qui sont des hybrides de bateaux océaniens. « Je ne voulais pas d’une science fiction trop futuriste ». Une aventure au souffle épique fantastique mettant en images Jarri Tchapalt, un berger du désert qui voit son troupeau de dinosaures décimé par un camion météorologique et bien décidé à se venger. Pour cela, il prend la direction de la ville qu’il n’a jamais approchée. L’auteur évoque un « album de résistance » qui soulève des problématiques écologiques et éthiques liées aux avancées scientifiques et techniques. Un très très bel album. (Negalyod, de Vincent Perriot. Casterman. 25€)

Le duo Stan & Vince est de retour chez Delcourt et ça c’est plutôt une bonne nouvelle. Les auteurs de la quasi-mythique série Vortex, neuf tomes publiés entre 1993 et 2003 chez Delcourt donc, se lancent uà nouveau dans un récit de science-fiction mais cette fois écrit par… Lewis Trondheim himself. Oui oui, le prolifique auteur français, papa entre autres des aventures de Lapinot, des multiples séries Donjon, du Roi Catastrophe mais aussi de Ralph Azham, des Petits riens, de Maggy Garrisson... et on pourrait continuer comme ça longtemps, très longtemps, signe donc ici le scénario de Density. Les deux premiers tomes sont disponibles. Ils racontent l’histoire de Chloé, une jeune femme qui se découvre un super-pouvoir, celui de modifier sa densité corporelle. De quoi se payer de bons trips en apesanteur et accessoirement sauver la Terre d’une invasion extraterrestre. Maman, j’ai peur ! (Density 1 et 2, de Lewis Trondheim, Stan et Vince, Walter. Delcourt 15,50€ le volume)

Et puis merde. Non non, je ne pars par en vrille, c’est simplement le titre de ce 36e volet des aventures de Jeremiah, aventures post-atomiques toujours plus crépusculaires imaginées par l’immense Hermann depuis sa Belgique natale. Et on retrouve Jeremiah et Kurdy dans une mauvaise passe, à pied depuis que leurs deux motos ont grillé dans l’incendie de leur hôtel, à pied et avec la milice aux fesses. Pas de quoi les faire paniquer, nos deux anti-héros parviennent à se faire la belle et se réfugier dans une espèce de paradis vert en plein désert avec, bien évidemment, des gens peu fréquentables et profondément tordus. La laideur du monde dans toute sa splendeur !  (Et puis merde, Jeremiah 36, de Hermann. Dupuis. 12€)

Il suffit parfois de quelques lettres apposées sur une couverture pour avoir la garantie d’un grand moment de lecture. Et lorsque ces quelques lettres forment les noms de Fred Bernard et Benjamin Flao, alors le paradis n’est plus très loin. En tout cas pour nous lecteurs. Car pour le personnage principal de ce récit, Achille Antioche, c’est une toute autre histoire. Pour connaître le paradis, cet amoureux de la belle mécanique va d’abord devoir passer par le purgatoire des pilotes et comprendre les raisons de sa mort. Car oui, avant même la première case du récit, Achille Antioche est mort. Mort dans une voiture qui n’est pas la sienne, une Porsche 911, plongée dans un étang gelé. C’est tout ce qu’on sait à ce stade du récit. Est-ce un accident ? Un meurtre ? Mystère… Essence, album de Fred Bernard et Benjamin Flao, sorti en janvier de cette année, concourt pour le Prix BD 2018 des Utopiales. (Essence, de Fred Bernard et Benjamin Flao. Futuropolis. 27€)

Les deux premiers tomes de Colonisation sont respectivement sortis en janvier et avril 2018, le prochain est annoncé pour janvier 2019. Juste le temps de les lire deux ou trois fois en contemplant le somptueux dessin de l’Italien Vincenzo Cucca. Chaque planche de ce space opera est une petite merveille de finesse et de dynamisme aux ambiances sidérales extraordinaires. Côté scénario, Denis-Pierre Filippi nous convie dans un futur où l’homme a dû quitter la Terre surpeuplée pour coloniser d’autres planètes. Un exode de masse à bord d’une multitude de vaisseaux spatiaux dont certains se sont perdus dans l’immensité de l’espace et sont sujets à des pillages. Colons et extraterrestres rencontrés sur la route s’unissent pour retrouver les nefs perdues. Une série qui nous en met plein la vue ! (Colonisation tomes 1 et 2, de Cucca et Filippi. Glénat. 13,90€ le volume)

Changement radical de style avec ce livre paru aux éditions Rue de Sèvres. Pas de vaisseaux spatiaux ici, encore moins d’extraterrestres, mais un monde, notre monde, qui a fini par se scinder en deux, d’un côté ceux qui comptent et dirigent, les Inspirés, de l’autre, les sans noms qui subissent. Et comme décor à tout ça, un San Francisco qui ne ressemble plus au San Francisco d’aujourd’hui, une ville ravagée par un grand tremblement de terre au XXIe siècle. Dans ce contexte, le  jeune Jonas espère bien quitter son milieu modeste pour rejoindre l’élite. Tout paraît impossible, insurmontable mais la révolte, que dis-je, la révolution Sire, n’est peut-être pas très loin ! (Eden, de Colin et Maurel. Rue de Sèvres. 15€)

On termine avec l’une des séries majeure du catalogue Delcourt en matière de science-fiction, Travis, le fameux camionneur de l’espace. Vingt ans que ça dure, treize albums, quatre cycles. Bon, le Travis d’aujourd’hui n’a plus grand chose de camionneur-livreur mais il a gardé son assurance rapatriement et ça, ce n’est pas tout à fait négligeable par les temps qui courent. On retrouve en effet Travis dans une très mauvaise situation au début de ce nouvel album, retranché dans un bunker encerclé de cyborgs en plein coeur d’un Mexique déchiré par la guerre entre les cartels de narcotrafiquants. Heureusement, son fidèle Pacman lui envoie une tarentule géante de métal en guise de taxi. « Tout ça en moins de 15 minutes ! Moins de temps qu’il ne faut pour te faire livrer une pizza sur Brooklyn mec ! ». Pas question de livrer pour autant une pizza, Travis doit exfiltrer un vieil ordinateur du siècle précédent qui pourrait contenir une « saleté d’I.A. à l’intérieur », une I.A. à l’origine de pas mal de malheurs. De l’action, beaucoup d’action, du suspense, une touche d’humour, des technologies futuristes, un trait affirmé, un découpage dynamique, des personnages aux caractères bien trempés… Un savant cocktail au service du pur divertissement ! (Travis tome 13, de Quet et Duval. Delcourt. 14,50€)

Eric Guillaud

Plus d’infos sur le festival ici

03 Oct

Les Cahiers de la BD : un 5e numéro en kiosque

Relancés en septembre 2017 par Vincent Bernière, notamment rédacteur en chef à Beaux-arts Magazine pour les hors série BD et éditeur freelance chez Delcourt, Les Cahiers de la BD poursuivent leur bonhomme de chemin. Le numéro 5 est disponible depuis ce matin avec un dessin de Riad Sattouf en couverture et la question centrale : Comment raconter le monde en BD ?

Il est rudement beau, ce cinquième numéro. Avec en couverture un dessin de l’auteur quasi-incontournable de la rentée, Riad Sattouf, qui vient de sortir le quatrième volet de L’Arabe du futur. Mais ça, vous devez le savoir.

Pour le reste, ce nouveau numéro s’intéresse à la manière de raconter le monde en BD. Guerre, économie, politique… il fait le tour de la question dans un dossier thématique très dense avec bien sûr une interview de Riad Sattouf, mai aussi de Troubs, Lisa Mandel, Damien Roudeau…

On y cause aussi des tribulations de Valentin le Vagabond, du Petit théâtre de Spirou réalisé par l’excellent mais rare auteur Al, de la collection d’estampes Mel Publisher, des secrets de l’encrage. On y rencontre le mangaka Atsushi Kaneko, la dessinatrice Catherine Meurisse qui a échappé de peu au massacre de Charlie Hebdo, en arrivant en retard à cause d’un chagrin d’amour, du livre monstre d’Emil Ferris…

Il est beau et il est costaud, près de 200 pages pour 12,50€. Toujours aussi cher mais toujours aussi collector !

Eric Guillaud

30 Sep

Le voyage de Marcel Grob : interview du scénariste Philippe Collin

On le sait depuis toujours, encore plus peut-être depuis Maus de Spiegelman, la bande dessinée est un médium extraordinaire pour raconter le monde, témoigner, s’indigner, se révolter. C’est peut-être même le médium le plus embrassant comme le dit Philippe Collin dans cette interview. En tout cas, son livre, qu’il vient de signer chez Futuropolis en compagnie de Sébastien Goethals, Le Voyage de Marcel Grob, en est une nouvelle preuve. Interview…

Bonjour Philippe, Le Voyage de Marcel Grob est soutenu par France Inter, maison pour laquelle vous travaillez. Ça vous fait plaisir je suppose ?

Philippe Collin. Absolument ! Ça me fait très plaisir. On ne sait jamais comment la chaîne peut réagir quand on y travaille mais elle a été très bienveillante avec moi. Et ça me touche. Ça fait 20 ans que j’y travaille, en ce moment avec L’Oeil du tigre, une émission diffusée le dimanche.

Marcel Grob a-t-il vraiment existé ? Ou est-ce qu’il incarne d’une certaine manière l’histoire de tous les Malgré-nous ?

Philippe Collin. Marcel Grob est mon grand oncle, donc oui il a parfaitement existé. Je l’ai même bien connu lorsque j’étais enfant et adolescent. Et tout ce qui est raconté dans cet album est issu de son livret militaire que j’ai récupéré en 2012 (…) où tout était consigné en long, en large et en travers. Les deux tiers du récit sont authentiques et le tiers restant, romancé. Si Marcel Grob est bien réel, les deux personnages qui l’accompagnent sont issus pour leur part d’un croisement de témoignages.

© Futuropolis / Collin & Goethals

C’est un projet qui vous tient à coeur depuis longtemps semble-t-il. Pour quelles raisons ?

Philippe Collin. Pour deux raisons principales. Une première qui me concerne directement et une deuxième qui me dépasse.

Celle qui me concerne d’abord. Enfant, je savais que Marcel avait fait la guerre du mauvais côté. Mais en 1995, j’avais alors 20 ans, j’ai appris qu’il avait fait la guerre chez les Waffen-SS et non pas dans la Wehrmacht comme 100.000 autres Alsaciens et Lorrains qu’on appelait les Malgré-nous. Ce qui sous-entendait immédiatement engagement volontaire. Ce qui n’a plus rien à voir ! On a affaire là à quelqu’un qui est embarqué idéologiquement. Je lui ai posé des questions, une fois, deux fois, trois fois, il a toujours refusé de répondre, alors j’ai fini par rompre avec lui. Je ne l’ai jamais revu. Il est mort en 2009. Je ne suis même pas allé aux obsèques parce que je ne voulais pas allé aux obsèques d’un SS, au risque aussi de croiser ses camarades de régiments, d’autres SS.

cet album est un album de la réparation, pour moi, pour lui, mais aussi pour tous ces gamins, ces Alsaciens, les 100.000 autres

Mais en 2012, mon oncle a récupéré le dossier militaire de mon grand oncle. Et là, il y a deux choses qui sont venues s’entrechoquer. D’une part, depuis 2015, les historiens ont travaillé et dévoilé l’histoire de ces 10.000 gamins « kidnappés » et offerts à Himmler. Ensuite, j’ai montré le dossier de Marcel Grob à des amis historiens spécialistes du nazisme, dont Christian Ingrao qui est commissaire scientifique sur l’album. Ils ont remarqué l’absence de trois lettres sur le dossier du grand oncle, trois lettres essentielles qui prouvaient qu’il n’était pas volontaire mais contraint et forcé. Je me suis aperçu avec un peu d’effroi de mon mauvais jugement et de ma précipitation à le condamner. Donc, et ça me tient à cœur, cet album est un album de la réparation, pour moi, pour lui, mais aussi pour tous ces gamins, ces Alsaciens, les 100.000 autres.

La raison qui me dépasse maintenant. J’ai tenu à ce qu’on dédie l’album à toute la jeunesse d’Europe, parce que les systèmes totalitaires commencent et finissent toujours par s’emparer de la jeunesse. J’ai 43 ans, je suis d’une génération qui a sur les épaules la charge de transmettre la mémoire dans les années qui viennent. Nous sommes les derniers à avoir des grands parents qui ont connu la guerre. Ils sont tous en train de disparaître. D’un autre côté, partout en Europe, les populismes montent d’une manière assez flagrante, que ce soit en Italie, en Hongrie, en Suède ou en Allemagne où l’AfD (parti allemand d’extrême droite, ndlr) commence à faire des scores, encore improbables il y a 10 ans. Arrive donc le moment où nous allons devoir affronter les populismes mais avec quelles armes ? Peut-être en commençant par raconter ce qu’il s’est passé de manière généreuse et intelligente. Il faut sensibiliser le citoyen européen. Ça m’importe mais ça me dépasse totalement, c’est un mouvement d’ampleur dans lequel je place un petit caillou. Mais si chacun met un petit cailou, ça peut être costaud à un moment donné. Ce récit répond à cette envie que j’avais au fond de moi.

© Futuropolis / Collin & Goethals

On aurait tendance à détester le personnage de Grob au début du récit, on est sans doute plus dans la compassion à la fin. Était-ce une volonté de votre part ?

Philippe Collin. Oui absolument. Mais si on regarde bien, il n’y a pas de jugement à la fin, je veux laisser le lecteur libre de se faire une opinion. Effectivement c’est orienté, je ne vais pas le cacher, il y a une forme de compassion, mais libre à chacun de décider si Marcel aurait pu faire autrement.

Les bandes dessinées sur les Malgré-nous sont très rares, comme les fictions ou documentaires d’une manière générale. C’est toujours un sujet tabou selon vous ?

Philippe Collin. C’est un sujet effectivement tabou. Par exemple, je sais qu’il y a encore une crispation sur la mémoire de ces choses-là en Alsace. C’est un problème parce que beaucoup de gens en France pensent encore qu’ils ont été collabos. Et par ailleurs, je peux vous dire que la sortie de l’album crée aussi des crispations. Il y a des libraires qui sont impatients, d’autres qui sont inquiets, enfin du moins tracassés, il y a des journalistes qui veulent en parler, d’autres qui attendent de voir… C’est assez intéressant de voir comment tout ça se présente. En 2018, la plaie n’est pas totalement cautérisée !

© Futuropolis / Collin & Goethals

L’affiche rappelle une image forte du film Dunkerque de Nolan ? Est-ce un clin d’oeil ou un pur hasard ?

Philippe Collin. il y a effectivement un clin d’œil mais pas à Nolan. On s’est inspiré de l’affiche de Little Bouddha, film de Bernardo Bertolucciparce qu’on la trouvait forte dans l’idée des contre-courants. Il y a un flot de moines bouddhistes et un gamin qui tente de résister à ce flot, ça correspondait exactement à ce qu’on voulait, c’est à dire qu’il y a le flot de l’histoire qui embarque Marcel et lui qui essaie de s’en sortir. Pour en revenir à Nolan, c’est aussi une très bonne comparaison mais on ne l’avait pas du tout vue à l’époque.

Quel regard portez-vous sur la production (cinéma, littérature…) autour de la deuxième guerre mondiale ? Quelles sont vos références dans ce domaine ? Et peut-être vos influences pour cet album ?

Philippe Collin. Sur la production, il y en a beaucoup, beaucoup trop peut être, il y a des choses un peu cyniques d’un point de vue commercial et donc mal traitées, aussi bien en BD qu’au cinéma.

Concernant les influences, j’ai demandé à l’éditeur de publier à la fin du livre une bibliographie et une filmographie. Toutes les réponses sont là. Il y a les films que j’ai vus ou revus, les livres que j’ai lus, il y a ce qui m’importe, des romans, des essais historiques, par exemple le livre de Christian Ingrao qui s’appelle Croire et détruire. il raconte comment des jeunes qui ont fait des hautes études linguistiques ou humanistes se retrouvent embarqués dans le nazisme. Le lieutenant de la Waffen-SS dans notre récit est tiré de ce type de personnages. C’est un être ambigu, engagé, nazi, mais en même temps profondément humain, lecteur de Goethe et de Dostoïevski. Voilà ce qui a pu m’influencer !

© Futuropolis / Collin & Goethals

Pourquoi avoir choisi le médium bande dessinée pour raconter cette histoire ?

Philippe Collin. Excellente question. Au départ, j’avais la possibilité d’en faire un roman mais dans l’optique de ce que je vous ai évoqué tout à l’heure, avec la charge qui nous échoie de transmettre la mémoire, je me suis dit que c’était le médium le plus embrassant. Je pense qu’un ado de 15 ans peut lire ce roman graphique, que sa mère peut le lire, que son grand père peut le lire. Et ce qui m’intéresse dans l’objet qui est le nôtre en 2018, c’est l’échange entre générations. il n’y a que la BD qui peut promettre ça.

Par ailleurs, je viens d’un milieu populaire et j’ai grandi avec des images, des bandes dessinées. J’ai commencé à lire avec de la BD pas avec Balzac.

Est-ce qu’il y une BD qui vous a particulièrement marqué ?

Philippe Collin. il y a le chef d’oeuvre absolu, Maus d’Art Spiegelman. À l’époque, ça m’a beaucoup perturbé, on avait là un livre d’une puissance incroyable. J’ai été frappé par sa lecture, avec des émotions aussi fortes que devant un film. Ce livre est une sorte de talisman !

© Futuropolis / Collin & Goethals

Comment avez-vous rencontré Sébastien Goethals et comment le projet s’est-il mis en route ?

Philippe Collin. Ça, c’est le talent de l’éditeur, en l’occurrence  Sébastien Gnaedig de Futuropolis, qui un jour m’a dit : « laisse moi faire, je pense que j’ai trouvé la bonne personne pour toi. Et cette personne a ton âge, partage les mêmes réflexions que toi et sait prendre en charge une histoire qui n’est pas portée par un scénariste de BD. Nous nous sommes rencontrés et on s’est entendu tout de suite. C’est le talent de Sébastien Gnaedig et je lui suis reconnaissant, c’est une histoire qui m’importait beaucoup et et je ne voulais pas que ce soit mal fait.

Au départ, j’avais écrit un récit qui s’apparentait plus à un synopsis de cinéma. Avec Sébastien Goethals, le dessinateur, on a repris le texte et on l’a retravaillé pour que ça ressemble à un découpage de BD. On l’a fait rentrer dans les cases. Et c’était jubilatoire !

C’est votre premier scénario de bande dessinée, comptez-vous renouveler l’expérience ?

Philippe Collin. Je vais vous répondre oui parce que tout ce que j’ai vécu était du plaisir. Donc, on est en train de discuter avec tout le monde. Mais pour le moment on est concentré sur la sortie de l’album, c’est important…

Merci Philippe, l’album sera disponible le 11 octobre.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 27 septembre 2018

La chronique de l’album ici

Le voyage de Marcel Grob et Chroniques de Francine R., deux destins dans la tragédie de la deuxième guerre mondiale

Ces deux histoires-là n’ont à priori pas grand chose en commun si ce n’est le contexte bien évidemment de la deuxième guerre mondiale et le caractère tragique des destins de Francine R et Marcel Grob,  deux vies bousculées, volées, par cet acharnement de l’homme à vouloir parfois anéantir toute humanité. Deux histoires vraies, deux témoignages essentiels au coeur de l’horreur…

On commence avec Le Voyage de Marcel Grob, album qui traite d’un sujet assez rarement abordé en bande dessinée, comme au cinéma, les Malgré-nous. Philippe Collin, co-scénariste de l’album, par ailleurs animateur, producteur et auteur pour la radio et la télévision, est un passionné d’histoire et plus précisément d’histoire contemporaine. Il est d’ailleurs titulaire d’une maîtrise dans ce domaine. Autant dire que ce projet lui tenait particulièrement à cœur. Il le porte depuis longtemps, imagine un temps en faire un roman avant de se lancer dans l’aventure d’une bande dessinée avec Sébastien Goethals, co-scénariste et dessinateur.

« je me suis dit que c’était le médium le plus embrassant… », nous a confié Philippe Collin dans  une longue interview à retrouver ici, « Je pense qu’un ado de 15 ans peut lire ce roman graphique, que sa mère peut le lire, que son grand père peut le lire. Et ce qui m’intéresse dans l’objet qui est le nôtre en 2018, c’est l’échange entre générations. il n’y a que la BD qui peut promettre ça. »

Le Voyage de Marcel Grob n’est pas un travail universitaire, ni un documentaire mais le récit en grande partie authentique du parcours d’un grand oncle de Philippe Collin.

« Tout ce qui est raconté dans cet album est issu de son livret militaire que j’ai récupéré en 2012 (…) où tout était consigné en long, en large et en travers. Les deux tiers du récit sont authentiques et le tiers restant, romancé. Si Marcel Grob est bien réel, les deux personnages qui l’accompagnent sont issus pour leur part d’un croisement de témoignages ».

Tout commence, ou tout finit serait-on tenté d’écrire, en 2009 lorsque Marcel Grob, 83 ans, est arrêté et déféré devant un juge qui l’interroge sur son passé de SS. Marcel Grob, ou Marzell Grob comme on l’appelait enfant, est un Alsacien qui a ce titre, et comme plusieurs dizaines de milliers d’Alsaciens pendant la guerre, a été incorporé de force dans l’armée allemande, pour sa part dans la Waffen-SS.

Mais ce qui intéresse plus précisément le juge, c’est sa participation au massacre de Marzabotto, petit village d’Italie, le 29 septembre 1944. C’est le massacre de civils le plus meurtrier perpétré par les nazis en Europe. Il aurait fait plus de 1830 victimes. Le massacre d’Oradour-sur-Glane en France en avait fait un peu plus de 600. L’horreur dans les deux cas !

© Futuropolis / Collin & Goethals – Le voyage de Marcel Grob

Interrogé par le juge, Marcel Grob raconte donc ce passé trouble depuis son incorporation en juin 1944 jusqu’à la Libération où il échappe de justesse à un peloton d’exécution. Et bien sûr, Grob détaille l’épisode Marzabotto et sa participation au massacre, malgré lui affirme-t-il…

Le Voyage de Marcel Grob appartient à cette catégorie de livres nécessaires participant à la construction d’une mémoire collective qui aurait parfois tendance à effacer certains chapitres comme l’histoire de ces Malgré-nous ou comme l’exode massive de 1940. Un livre nécessaire, passionnant, très bien construit, qui met an avant toute la complexité de cette guerre pour les gens de l’époque mais aussi pour nous encore aujourd’hui.

Chroniques de Francine R. raconte une toute autre trajectoire, à l’opposée même de celle de Marcel Grob, celle d’une ancienne résistante et déportée prénommée Francine, une lointaine cousine cette fois de l’auteur Boris Golzio, cousine dont il a découvert l’existence tardivement.

© Glénat / Golzio – Chroniques de Francine R.

Boris Golzio rencontre pour la première fois la vieille dame en 1997 et c’est en 2000 qu’il décide d’enregistrer son témoignage, un témoignage brut, pas forcément dans l’ordre chronologique mais très détaillé. Longtemps, l’auteur conserve cette matière avant de se décider à en faire une bande dessinée.

« Ma première intention… », explique-t-il, « était de déposer le témoignage de Francine aux archives du centre mémorial de Ravensbrück, dans sa version brute (…) Mais comme c’était assez fouillis et que je voulais comprendre le récit, je l’ai ensuite mis en ordre chronologique. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il méritait d’être partagé et donné à lire au plus grand nombre ».

Pour le texte, Boris Golzio s’appuie sur la parole de Francine, en respectant son langage, sa façon de parler. Peu de dialogues en conséquence, essentiellement une voix off, celle de la lointaine cousine. Pour le dessin, l’auteur opte pour un trait relativement naïf qu’il explique ainsi : « Ayant dès le départ pris le parti de la naïveté au sens premier du terme, je n’ai pas spécialement réfléchi en ces termes. J’ai pris les choses comme elles venaient et je me suis astreint à éviter tout enrichissement ou tout virtuosité graphique ».

Par les paroles de Francine, par le dessin de Boris Golzio, le lecteur plonge frontalement dans l’horreur la plus absolue, la déportation, la vie dans les camps, notamment dans celui de Ravensbrück où a été déportée Francine, le travail forcé, la faim, la torture, la mort.

Fort heureusement, quelques-uns et quelques-unes sont revenu(e)s de l’horreur et ont offert leur témoignage à l’humanité. Chroniques de Francine R. en est un parmi tant d’autres, essentiel comme tous les autres.

Eric Guillaud

Le voyage de Marcel Grob, de Philippe Collin et Sébastien Goethals. Futuropolis. 24€ (en librairie le 11 octobre)

Chroniques de Francine R., de Boris Golzio. Glénat. 19,50€

29 Sep

Intégrale Buck Danny 13 : Bergèse aux commandes

C’est l’un des plus grands héros de papier de l’après-guerre, un gars qui a été capable de faire oublier aux plus jeunes les difficultés du quotidien, capable aussi de faire naître pas mal de vocations. L’aviateur Buck Danny est de retour dans une treizième édition intégrale sans son créateur Jean-Michel Charlier, décédé en juillet 1989…

Vous avez remarqué la couverture et plus précisément les auteurs crédités. Il n’y en a qu’un, Bergèse. Jean-Michel Charlier qui a créé le personnage avec Hubinon au lendemain de la guerre est mort le 10 juillet 1989 laissant Bergèse seul aux commandes.

Un nom s’efface mais une légende apparaît. Comme le dit Bergèse dans sa lettre d’adieu à Charlier, reproduite en ouverture de cette treizième intégrale, « La BD a maintenant ses classiques, au même titre que la littérature, la musique ou le cinéma, et ton oeuvre y aura toujours une place de choix ».

Jean-Michel Charlier reste effectivement encore à ce jour un maître du neuvième art et ses oeuvres, des pièces maîtresse du patrimoine graphique franco-belge. Bergèse lui poursuit donc l’aventure avec Jacques de Douhet dans un premier temps puis seul, signant huit albums entre 1994 et 2008 avant de laisser sa place à une autre équipe.

Dans cette intégrale, quatre aventures, Les Secrets de la mer noire, L’Escadrille fantôme, Zone interdite et Tonnerre sur la Cordillère, le court récit La Mascotte, ainsi qu’un dossier très complet signé Patrick Gaumer réunissant photos, illustrations, découpages de planches, extraits d’interviews…

Eric Guillaud

Buck Danny Intégrale 13, de Bergèse. Dupuis. 28,95€

24 Sep

Spawn – Dark Ages : le monstre de Todd McFarlane s’exporte au Moyen Âge

Alors que l’on parle d’une nouvelle adaptation cinématographique qui devrait laver l’affront de celle (ratée) des années 90, l’univers Spawn continue de s’étendre. Ce nouveau spin-off s’étale du XIIe au XVIe siècle et est surtout l’un de ces avatars les plus échevelés. Quinze ans après sa parution originale, il a donc enfin droit à une traduction française classieuse à la hauteur de sa sauvagerie débridée…

Alors d’abord, attention : bien qu’il soit crédité (en premier qui plus est) sur la couverture, a priori, Todd McFarlane n’a pas contribué à cette variation moyenâgeuse de sa plus célèbre créature. Preuve en est qu’en 2018 le personnage de Spawn est devenu si énorme qu’il a désormais échappé à son créateur. Il faut dire que cela fait longtemps que le Canadien a pratiquement laissé tomber le dessin pour devenir un pur gestionnaire de son empire en grande partie bâti justement sur les bénéfices engrangés par sa série star dans les années 90. D’où d’ailleurs quantité de dérivés plus ou moins réussis au cours des années, tous centrés autour de la même trame : celle d’un héros au grand cœur déchu, réclamant vengeance même par delà la mort et finissant par vendre son âme au diable (Faust, es-tu là ?) pour revenir sous la forme d’un démon (le ‘Spawn’ donc) qui, invariablement, finit par découvrir que sa destinée n’est pas totalement entre ses mains…

Enfin traduite en français en deux volumes (le premier était sorti l’année dernière), la série de vingt-huit épisodes parue sur le continent nord-américain entre 1999 et 2001, Spawn – Dark Ages représente en quelque sorte l’apothéose absolue de tous ces à-côtés, en concentrant à la fois toutes les qualités mais aussi tous les défauts.

@ Delcourt / collectif

Alors on l’a souvent dit : Todd McFarlane est un peu le Michael Bay (ou le Luc Besson, histoire de faire plus français) de la BD ‘adulte’ américaine. Ses personnages sont souvent taillés à la serpe, les scénarios souvent assez simplistes et les ressorts dramatiques attendus, voire limite éculés, histoire de pouvoir concentrer toute son énergie sur l’adrénaline pure et la virtuosité visuelle. En ça, Dark Ages est un pur produit McFarlanien : régulièrement, le découpage grandiloquent donne lieu à des cases pleines pages (voire à des doubles !) aux couleurs flamboyantes et pleines de furie et rien n’est épargné aux lecteurs. Initialement ancré dans un XIIe siècle âpre dans une Angleterre où la vie humaine n’a finalement que peu de valeur, elle suit le retour de feu Lord Covenant, jeune noble plein d’idéaux parti faire la croisade au Moyen-Orient où il est mort brûlé et écartelé par les infidèles et ensuite recruté par l’Enfer pour mener, malgré lui, la guerre au Bien sur Terre.

Presque grotesque avec ses muscles hypertrophiés et pourtant franchement flippant avec ses cheveux longs blancs parsemés et surtout ce visage ressemblant plus à un crâne grimaçant qu’à un être humain, le Spawn est plus que jamais un personnage XXL comme McFarlane les aime. Pétri de doutes certes mais avec un fond d’humanité en lui mais avec lequel tout finit toujours dans le sang. Dans le premier tome, Liam McCormack-Sharp, qui signait aussi l’encrage, en avait sublimé la splendeur presque décadente, presque jusqu’à l’outrance. En prenant sa suite, Nat Jones dévoile un style moins personnel et sensuel mais en contrepartie très proche de celui du ‘maître’ et surtout encore plus cruel. Là où McCormack-Sharp et le scénariste Brian Holguin jouaient pas mal avec le symbolisme religieux et la morale, Jones et son compère Steve Niles se révèlent beaucoup plus cruels et sanglants, faisant du Spawn presque une victime et multipliant les combats épiques avec des monstres encore plus baveux et inhumains que lui.

@ Delcourt / collectif

Disons que si la première partie de la saga se rapprochait plus dans l’esprit de l’heroic fantasy d’un Robert E. Howard (créateur de Conan), la seconde (et dernière) se veut, elle, plus digne d’une partie de jeu vidéo de tir à la première personne. Décapitation, tortures à gogo, cannibalisme : c’est gore et assumé. De fait, on ne tient pas forcément là la meilleure porte d’entrée pour les néophytes, vu qu’on plonge de plain-pieds dans la bidoche fumante et les terres ravagées par la Peste. Les auteurs se sont avant tout amusés avec la matrice créée par McFarlane en 1992 pour la plonger dans un monde barbare et brutal où visuellement, rien n’est trop épique ni trop sanglant, quitte à relayer un peu au second plan toute notion de psychologie ou à hâter un peu trop une conclusion qui laisse sur la faim. Mais cela fait quand même deux fois trois cent cinquante pages de fureur et de combats homériques et surtout, un pur concentré de l’esprit Spawn…

Olivier Badin

Spawn – Dark Ages, collectif. Delcourt, en deux volumes. 27,95€

23 Sep

Je reviens vers vous : un peu d’humour noir dès que possible avec Olivier Tallec

S’il y a une expression qui agace, c’est bien celle-là : « Je reviens vers vous ». Bien sûr Monsieur le directeur, pas de souci Madame la Responsable des Ressources humaines, vous vous renseignez et vous revenez vers moi. Dans la mesure du possible, mieux vaut en rire comme le fait le génial Olivier Tallec…

Et il en rit plutôt deux fois qu’une Olivier Talllec, d’abord avec ses dessins, toujours drôles par eux-mêmes, puis avec les légendes qui les accompagnent, quelques mots qui finissent de vous basculer complètement dans le monde du loufoque, de l’absurde, de l’humour un peu féroce voire totalement cruel. L’auteur, qui a plusieurs dizaines d’ouvrages jeunesse à son actif, signe ici le troisième volet d’une exploration plus adulte de l’illustration.

Après Bonne Journée, Bonne Continuation, voici donc Je reviens vers vous. Au menu : des poules qui perdent la tête, des hérissons pas très mode, des Pères Noël qui jouent avec leur vie, des mouches qui lisent l’horoscope, des vaches sur trampoline pour offrir du vrai milkshake, des escargots en séance de bronzage… bref de quoi rire de bon coeur et revenir vers Olivier Tallec dès que possible !

Eric Guillaud

Je reviens vers vous, d’Olivier Tallec. Rue de Sèvres. 14€ (en librairie le 3 octobre)

21 Sep

La mort vivante : Olivier Vatine et Alberto Varanda conjuguent le mythe de Frankenstein au féminin

Que cela lui plaise ou non, son nom est à jamais lié à celui d’Aquablue, la mythique série de science fiction qu’il a créée et dessinée dans les années 80/90 avec Thierry Cailleteau au scénario. Depuis il a travaillé dans l’animation comme concepteur de décors ou storyboarder, il a créé et un temps co-dirigé le label Série B des éditions Delcourt, lancé de nouvelles séries ici ou là, créé à nouveau un label, Comix Buro, qui portera plusieurs projets dont dernièrement ce one-shot dessiné par l’extraordinaire Alberto Varanda…

Vous vous souvenez de Frankenstein et de sa sombre créature ? Avec sa sale gueule grossièrement recousue, son corps de géant vert et ses paluches de gorille ? Oubliez tout ça, la créature s’appelle aujourd’hui Lise, elle a une belle chevelure blonde et un corps d’enfant.

Oui, La Mort vivante revisite le mythe de Frankenstein avec au coeur du récit une gamine, cette fameuse Lise, morte dans un bête accident, une chute de plusieurs mètres sur un chantier de fouilles archéologiques.

Sa mère, Martha, une riche Terrienne, inconsolable, fait kidnapper un éminent nanobiologiste installé sur Mars. Sa mission : ressusciter Lise. Et pour ça, Martha est prête à tout, même à donner de sa personne. Pas d’assemblage de cadavres dans ce cas présent mais la création d’un embryon, une insémination artificielle et un développement en incubateur. La science avance mais les mythes ont la vie dure. La Lise ainsi clonée ne réagira pas vraiment comme prévu…

Si le scénario est particulièrement bien ficelé et nous tient en éveil jusqu’à la fin, le graphisme n’est pas en reste. Il y a du Schuiten et du Gustave Doré dans ces quelque 70 pages, du Schuiten et du Gustave Doré mais aussi beaucoup de talent. Alberto Varanda (Petit Pierrot, Bloodline…) signe de magnifiques planches au trait minutieux, précis, élégant, et aux atmosphères gothiques et fantastiques exceptionnelles. Mélange de SF et d’horreur, La Mort vivante est l’adaptation quasi-fidèle d’un roman de Stefan Wul paru en 1958. La Mort vivante, de Vatine et Varanda. Glénat. 15,50€

Comix Buro : une rentré en force

Trois autres albums griffés Comix Buro viennent de sortir en cette rentrée. Il s’agit du one-shot La Véritable histoire des Franges de l’Espagnol Juanjo Rodriguez J., l’histoire fictive d’un groupe de rock qui aurait allumé le feu en mai 1968 avec une de leurs chansons, le tome 1/2 de L’Orphelin de Perfide de Hautière et Adrián, adaptation graphique d’un roman de Stefan Wul, et le tome 1 de Héros du peuple, de Boutin-Gagné, Hautière et Vatine, avec pour héros des justiciers d’un nouveau genre. Trois albums disponibles aux éditions Glénat.

Eric Guillaud