04 Sep

Les Années douces (tome 1), de Taniguchi et Kawakami. Editions Casterman. 15 euros.

« Je ne dis pas Monsieur le professeur. Je l’appelle le maître. Sans majuscule, le maître, simplement ». Ainsi commence ce récit adapté du roman d’Hiromi Kawakami par l’une des plus grandes signatures de la bande dessinée japonaise, Jirô Taniguchi. Et ces quelques mots, attribués à l’héroïne, Tsukiko, donnent la couleur de l’album. Comme le titre d’ailleurs, Les Années douces. Sur près de 200 pages, l’auteur du Gourmet solitaire, d’Un Zoo en hiver ou encore de Quartier lointain (Alph’Art du meilleur scénario 2003)  nous plonge effectivement dans un univers de douceur, de délicatesse, de bonheur ! L’histoire ? Simple comme une rencontre. Une rencontre entre une jeune femme célibataire de 37 ans, Tsukiko, et un homme de 30 ans son aîné, Harutsuna Masumoto. Autrefois, Harutsuna fût son professeur de japonais. Aujourd’hui, c’est un vieil homme veuf et solitaire. C’est au café qu’ils se sont rencontrés. Ils s’y retrouvent régulièrement au hasard de leur emploi du temps. Entre les deux, doucement, tranquillement, s’établit une relation amicale, complice, et bientôt, Tsukiko et Harutsuna provoquent les rencontres, les sorties, les promenades…  Comme tous les livres de Jirô Taniguchi, Les Années douces ne se consomme pas, il se déguste, se savoure, planche après planche, vignette après vignette, en prenant son temps, en flânant, en s’arrêtant sur un dessin, sur un mot, sur un silence. Une belle histoire d’amour et un récit intimiste comme seul Jirô Taniguchi sait les écrire ! E.G.

Largo Winch (diptyque 5/8 et 6/8), de Francq et Van Hamme. Editions Dupuis. 22 euros.

Voir Venise… et mourir. Largo Winch, le héros de papier le plus riche et parmi les plus célèbres de la planète BD, vient illuminer cette rentrée 2010 avec deux histoires rééditées dans la fameuse collection Gold à tirage limité. Lancée début 2010 pour fêter le vingtième anniversaire de la série, cette somptueuse édition comptera à terme huit volumes qui pourront être rangés dans une mallette, tels de précieux lingots d’or. Il faut dire que Largo Winch, avec ses romans, ses récits en bande dessinée, ses adaptations pour la télévision ou le cinéma, vaut de l’or pour l’éditeur et pour ses créateurs, Francq et Van Hamme. C’est en tout cas une des plus belles réussites contemporaines alliant de façon très subtile action, aventure, glamour et intrigues politico-financières !

A peine le temps d’écrire cette chronique que le sixième volet de cette luxueuse édition est arrivé chez nos libraires préférés avec au sommaire deux nouvelles histoires, Golden gate et Shadow, et un plongeon dans le milieu du showbiz avec un Simon en vedette de feuilleton et un Largo en prise directe avec des escrocs sans scrupules ! E.G.

24 Août

Page noire, de Frank Giroud, Denis Lapière et Ralph Meyer. Editions Futuropolis. 17 euros.

Carson McNeal ! Dans le petit monde de la littérature new-yorkaise, on ne jure plus que par lui. Des livres qui se vendent comme des petits pains et une plume comme on n’en a plus vu depuis Steinbeck. C’est peu dire ! Bref un écrivain de génie comme le suggère Kerry Stevens, critique littéraire au grand magazine Tales & Writers. Un écrivain de génie mais totalement inconnu. McNeal n’est jamais paru en public, ne s’est jamais déplacé pour recevoir ses nombreux prix et n’a jamais été interviewé par qui que ce soit. De quoi alimenter tous les fantasmes et éveiller la curiosité naturelle de Kerry. Celle-ci va donc monter un stratagème pour récupérer l’adresse de Carson McNeal et provoquer leur rencontre. En plein travail d’écriture pour son prochain roman, McNeal accepte de lui ouvrir sa porte… et son coeur. En apparence du moins car McNeal va utiliser cette rencontre pour son héroïne du moment, Afia, une jeune Palestinienne qui a vu toute sa famille se faire massacrer par les Phalangistes au Liban…

Trois grands noms de la bande dessinée et à l’arrivée un album tout à fait remarquable, tant par son écriture que par sa mise en images. Et son histoire ? Franchement singulière et captivante avec ces deux récits racontés en alternance et ces trois personnages principaux très attachants et à forte épaisseur humaine, l’ambitieuse Kerry, le très secret Carson et la paumée Afia . « Page noire raconte l’histoire de deux femmes et d’un homme », explique Denis Lapière. « Le récit met en scène deux enquêtes qui, à un moment donné, vont se télescoper. Avec Frank, nous avons écrit chacun notre partition, lui les scènes avec Kerry, moi celles concernant Afia, soit les deux tiers du livre. Puis, ensemble, nous avons écrit le dernier tiers ». Un travail à deux mains très important selon Frank Giroud pour qui « l’écriture est au centre du récit à travers une réflexion sur la relation entre fiction et réalité. C’est un thème qui m’est cher et autour duquel je tourne depuis plusieurs années, notamment dans Le Décalogue ». Ajoutez à cela le traitement graphique de Ralph Mayer, imposant deux styles différents pour chaque récit, styles fusionnant lorsque les deux femmes, la critique littéraire et l’héroïne du roman, se rencontrent, et vous obtiendrez l’une des très belles surprises de la rentrée. Absolument incontournable ! E.G.

23 Août

Libérale attitude, de Pluttark. Editions Fluide Glacial. 10,40 euros.

Privatiser les forces de l’ordre pour créer un nouveau secteur concurrentiel, maintenir le pouvoir d’achat en élargissant le crédit à tous les aspects de la consommation, y compris au paquet de nouilles, reculer l’âge de la retraite à 98 ans, autoriser la vente d’organes pour que ceux qui n’ont plus rien aient quand même quelque chose à monnayer, organiser les Oscars des Ressources humaines pour récompenser les meilleurs plans sociaux… Aucun doute, Pluttark a quelques idées pour sortir notre beau pays de la crise, remettre tout le monde au travail, enfin surtout les plus pauvres, et relancer la consommation de luxe… Un beau pays où l’ultralibéralisme serait roi et décomplexé…

Vous rêviez d’un monde meilleur ? Pluttark l’a imaginé ! Comme son aîné et homonyme, le célèbre Plutarque, l’auteur de Libérale attitude pourrait bien marquer son époque et influencer lourdement notre devenir collectif si notre Président à tous tombe par hasard sur ce livre et décide de s’en inspirer ! Un grand merci donc à Pluttark qui avait signé précédemment Bipèdes, un documentaire fascinant sur le plus célèbre des mammifères, album déjà remarqué à l’époque pour le ton cynique employé avec force et – il faut bien l’avouer – avec un certain talent. Bien sûr, chaque histoire, en strip ou en illustration pleine page, est faite pour rire… et on rit même si c’est souvent bête et méchant ! A lire cet été avant de retourner au boulot et retrouver nos chefs préférés… E.G.

09 Août

Sous le ciel d’Atacama, de Christin et Balez. Editions Casterman. 15 euros.

Tout le monde connaît Christin. Pierre Christin ! Fameux scénariste qui a notamment collaboré avec Bilal, Mézières ou encore Annie Goetzinger. Mais cette fois, l’homme ne nous propose pas un récit de science fiction ou d’espionnage mais un reportage, un reportage en bande dessinée bien sûr, intitulé Sous le ciel d’Atacama et portant sur un projet un peu fou, baptisé Alma (Atacama Large Millimeter Array). Il s’agit en fait d’un chantier gigantesque situé à 5000 mètres d’altitude et estimé à un milliard d’euros financé par l’Europe, l’Amérique du Nord, le Chili, l’Australie, le Japon… A terme, un spectaculaire réseau d’antennes géantes, braquées vers le ciel, devrait permettre d’écouter les étoiles. Et les étoiles, Christian Mézières en connait un rayon, lui qui a promené son mythique personnage Valerian à travers toute la galaxie.  Récit de bande dessinée, prépublié dans le magazine XXI, Sous le ciel d’Atacama propose aussi un carnet illustré du voyage des auteurs ainsi que des photos, des croquis et des textes. E.G.

31 Juil

Quand souffle le vent des îles, adaptation de la nouvelle d’Anatole Le Braz, par Debois et Fino. Editions Soleil. 13,50 euros.

Direction la Bretagne et plus précisément la région de Perros-Guirec pour cette aventure qui se déroule au coeur de la lutte des douaniers bretons contre les fraudeurs. Nous sommes à la fin du XIXe siècle, Julien le Denmat, de retour de la guerre de Crimée, y est nommé lieutenant des douanes. Mais personne ne semble l’attendre. Ni les douaniers déjà sur place qui trompent l’ennuie dans l’alcool, ni le maire local qui aurait su imposer une loi martiale dans sa ville et, donc, mettre fin à toutes infractions. C’est pourtant une contrée merveilleusement aménagée pour la fraude, se dit Le Denmat en prenant ses nouvelles fonctions. Etrange ! Etrange, d’autant que son prédécesseur à été retrouvé assassiné…

Quand souffle le vent des îles est l’adaptation en bande dessinée d’une nouvelle signée Anatole Le Braz, auteur de nombreuses oeuvres poétiques ou romanesques qui mettent en scène la Bretagne et les mystères de son époque. Le scénariste François Debois (Les contes de Brocéliande, Les Contes de l’Ankou, la Quête du Graal…) et le dessinateur Serge Fino (Zodiac killer, L’Etrangleur de Boston, Cerbères…) ont mené à bien ce projet donnant à l’album cette atmosphère si particulière aux terres celtes. Pour les amoureux du vent, de la mer et des légendes… E.G.

Sicilia bella, Cosa Nostra (tome 1), de Clarke. Editions Le Lombard. 10,95 euros.

La Sicile : son soleil, sa mer, ses églises, son huile d’olive et… sa mafia, connue aussi sous le nom de Cosa nostra, de Camorra ou encore, comme l’écrit Clarke en ouverture de cet album, de « Mêle-toi de tes oignons, le touriste, ou ton chien va devoir apprendre à nager ». Mieux vaut en rire ! C’est justement le parti pris par l’auteur dans cette nouvelle série lancée en avril dernier. Clarke, que l’on connaît déjà pour Mélusine (éd. Dupuis) mais aussi pour les excellents volumes publiés sous les titres Durant les travaux, l’exposition continue puis Histoires à lunettes, nous livre ici une série d’histoires courtes de 3 à 5 pages à mourir… de rire !  Racket, omerta, corruption, trafic en tout genre, règlement de compte, rapt, le parrain, les femmes, les hommes politiques, les journalistes… tout et tout le monde passe à la moulinette de l’humour façon Clarke. Une parodie bourrée de clins d’oeil et de références. Et forcément, ça fait mouche ! E.G.

26 Juil

L’Ordre naturel des choses, Le Tueur (Tome 8), de Jacamon et Matz. Editions Casterman. 10,40 euros.

Le tueur est de retour pour la suite et fin de cette aventure qui nous aura entraîné du Venezuela à Montréal, en passant par Cuba. Un diptyque réunissant tous les ingrédients qui ont fait le succès de la série, à commencer par le texte et les dialogues finement ciselés façon polar, le graphisme racé, la narration énergique et le personnage principal, solitaire, froid et cynique à souhait. Comme un tueur ! Précis aussi. Très précis et très méthodique. Capable de toucher sa cible de très loin comme ici. Un général, le général Contreras. Depuis le toit d’un building voisin, le tueur est en position. Il sait que son domaine est plutôt les maris jaloux, les juges trop curieux, les témoins gênants, les hommes d’affaires, les politiciens ou encore les autres truands. Mais les relations internationales, c’est franchement pas son truc. Ca l’ennuie ! Alors pourquoi tirer sur ce général ? Juste un espoir, celui de se sortir d’une très fâcheuse posture…

Lancé en novembre 1998, il y a maintenant douze ans, Le Tueur fait aujourd’hui partie des grands classiques de la bande dessinée noire. Plus de 200 000 exemplaires ont déjà été vendus sur l’ensemble de la série et une option aurait été prise pour son adaptation au cinéma par David Fincher, réalisateur notamment de Seven, et Brad Pitt. En attendant, le dessinateur Luc Jacamon et le scénariste Matz signent un huitième opus 100% énergique et efficace ! E.G.
 

24 Juil

Rue des Chiens marins, de Constant. Editions Le Lombard. 14,50 euros.

C’est un album surprenant. Très surprenant ! Michel Constant, son auteur, nous invite en effet à bord d’un U-Boot de la Kriegsmarine pendant la Seconde guerre mondiale. Un univers clos où les odeurs de sueur et de vomi ne font que rajouter à une tension déjà fortement palpable entre les hommes d’équipage. Parmi eux, Josef, un jeune homme issu des quartiers pauvres de l’Allemagne. Ses parents, ses deux frères et lui partageaient une petite maison face à la mer baltique, rue des Chiens marins. Un drôle de nom ! Et un drôle d’oiseau ce Josef qui, pour ne pas sombrer totalement dans la folie, s’invente un compagnon, un confident, un phoque, à qui il raconte sa jeunesse, ses parents, ses frères, leurs jeux… et la belle Emma, une jeune juive qui habitait sa rue et dont il était tombé amoureux. Entre le quotidien du sous-marinier, seulement rythmé par les remontées à la surface et les poursuites de navires ennemis, et une jeunesse à l’insouciance brisée nette par les circonstances, Michel Constant nous montre toute l’horreur de la guerre avec des gamins allemands qui se demandent bien ce qu’ils font là. Et c’est l’un des points forts de Rue des Chiens marins qui offre une vision de la guerre côté allemand, ce qui n’est pas encore si courant. « Aujourd’hui, on peut commencer à en parler… », constate l’auteur, « Le traumatisme bien entretenu par Hollywood est apaisé. Il n’y a bien sûr rien d’excusable, mais je tenais à dire que, oui, c’était avant tout beaucoup d’innocents – en tout cas d’ignorants. A deux ou trois arrangements près, j’aurais pu situer quasiment la même histoire dans un char américain au Vietnam. La vraie question, pour le héros, c’est : qu’est-ce que je fous là ? ». Une histoire finalement universelle ou la réalité historique est juste agrémentée d’un brin de loufoquerie ! E.G.

22 Juil

La vallée du Rift, Les Munroe (tome 1), de Perrissin et Pavlovic. Editions Glénat. 13 euros.

Direction le Kenya pour cette grande saga familiale proposée par le dessinateur croate Boro Pavlovic et le scénariste Christian Perrissin, à qui on doit déjà quelques albums remarquables comme Martha Jane Cannary (éditions Futuropolis), El Nino (éd. Humanoïdes Associés) ou encore les derniers récits de Barbe rouge (éd. Dargaud). Dans cette nouvelle série, publiée aux éditions Glénat, les auteurs nous invitent dans le secret d’une famille de Blancs aristocrates, les Munroe, à la tête d’une plantation de café vieillissante. Alors que Robert, le père, s’apprête à faire un beau mariage qui pourrait sauver son entreprise, son fils Sean emprisonné pour le meurtre de sa petite amie issue des bidonvilles de Nairobi, se fait la belle. Un problème de plus pour Robert…

D’une facture assez classique, La vallée du Rift offre une belle ouverture à cette série qui respire l’Afrique à toutes les cases. E.G.