Vingt-cinq ans après la fin de la dictature, le gouvernement chilien vient de reconnaître pour la première fois la possibilité que le poète Pablo Neruda ait été assassiné par le régime de Pinochet après le coup d’état qui a renversé le président socialiste Salvador Allende. Tout ça pour dire combien cette période est aujourd’hui encore ressentie par le peuple chilien comme une blessure profonde, une déchirure, un passé dont il se serait bien passé et qu’il aimerait parfois effacer. Impossible hélas!
Maudit Pinochet serait-on tenté de crier depuis notre vieille Europe. Maudit Allende! afffichent Jorge González et Olivier Bras en couverture de leur album publié chez Futuropolis. Une provocation ? Non. Impossible de taxer le scénariste Olivier Bras de sympathie pour le dictateur, bien au contraire. Il écrit d’ailleurs en postface que Salvador Allende continue d’incarner « pour beaucoup une personnalité politique inspirante, un homme aux convictions marquées qui mérite bien un piédestal« .
Alors pourquoi ce titre ? Tout simplement parce que l’album retrace la grande histoire du Chili à travers la petite histoire d’un gamin, Leo, dont la famille n’a pas fui comme beaucoup de Chiliens le coup d’Etat de 1973 marquant l’instauration de la dictature mais l’arrivée au pouvoir du socialiste Salvador Allende, trois petites années auparavant.
Éduqué dans le culte du général Augusto Pinochet, Leo grandit en Afrique du Sud avant de rejoindre l’Angleterre, se rapprochant sans le savoir du général Pinochet qui vient de subir une intervention chirurgicale en urgence dans une clinique londonienne. Et c’est là qu’il est arrêté pour génocides, tortures et disparitions, sur intervention de la justice espagnole. Une sacré coïncidence qui va amener Leo à retourner dans son pays lorsque Pinochet libéré retournera lui-même à Santiago. Leo y accompagne sa petite amie, une journaliste française chargée de couvrir l’événement. Au cours de ce séjour, le jeune homme va approcher la réalité de la dictature et remettre des années d’éducation, de croyances, en question.
Absolument passionnant et assurément émouvant. Maudit Allende! prépublié dans La Revue dessinée retrace une période très sombre du Chili avec force et précision. Rien d’étonnant, le scénariste Olivier Bras est journaliste et a notamment couvert le Chili pour Libération et RFI. Il signe ici son premier roman graphique – et quel roman! – avec un très grand dessinateur argentin Jorge González, dont on a déjà dit le plus grand bien dans ce blog. Il a notamment signé Bandoneon, Chère Patagonie et Retour au Kosovo. Comme dans chacun de ses albums, Jorge González nous invite à vivre ici une nouvelle expérience graphique et narrative singulière, un va et viens entre des planches très sombres, parfois juste esquissées, correspondant à la période de dictature, et des planches en couleur plus légères, correspondant à l’après dictature. C’est beau, tellement beau qu’on en pleurerait !
Eric Guillaud
Maudit Allende!, de González et Bras. Editions Futuropolis. 20 €
En 2012, Jorge González nous avait accordé une longue et passionnante interview au moment de la sortie de l’album Chère Patagonie. Une interview à retrouver ici !