08 Fév

Cinq questions à… Blan et Galou, auteurs de Sois gentil, tais-toi et dors!

Blan et Galou… Galou et Blan… Derrière ces pseudos dignes de héros de dessin animé se cachent deux jeunes auteurs de BD bien décidés à croquer la vie et partager avec nous un humour décalé et corrosif. Ils viennent de publier Sois gentil, tais-toi et dors aux éditions Blandine Lacour. Rencontre…

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Quel a été votre premier coup de cœur BD ?

Galou. Mon premier coup de cœur remonte aux années 80. Je suis tombé sur une BD d’Hislaire, Bidouille et Violette : une histoire d’amour impossible entre deux adolescents séparés par deux mondes. C’était à la fois drôle, ténébreux, tragique et d’un romantisme digne de Roméo et Juliette. J’ai découvert à cette occasion qu’il n’y avait pas que les romans qui pouvaient nous emporter et que bien des sensations pouvaient être ressenties à la lecture d’une BD. Mon second coup de cœur, le coup fatal, c’est Bill Watterson avec son Calvin et Hobbes. Alors là, je dois dire que son travail m’a mis K.O. Encore aujourd’hui, je prends plaisir à étudier ses planches et je ne me lasse jamais devant autant de sommets d’inventivité.

Blan. Trois auteurs m’ont donné du plaisir et l’envie d’en donner aussi, à travers des mini-histoires tout en finesse : Scott Adams, Andy Riley et Martin Vidberg.  Dilbert, Bunny et les patates me font sourire et réfléchir. J’aime quand le texte et le dessin visent juste, quand ils sont efficaces et sans chichi. J’ai aussi redécouvert Sempé tardivement, je n’avais pas saisi toute la subtilité de certaines scènes plus jeune.

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lire la chronique de l’album

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Quelle a été son influence sur votre travail, sur votre démarche ?

Galou. Sans doute le noir et blanc que Watterson utilise à la perfection. J’ai beaucoup de mal à traiter un dessin avec de la couleur, je trouve que l’on perd en authenticité. J’aime ce côté un peu brut, un peu brouillon que le noir et blanc apporte et que la couleur a tendance à dissimuler.

Blan. Celui qui m’a décidé à faire de la BD, c’est Galou ! Il s’amusait à croquer sa vie et ses amis, c’est comme ça qu’est née La p’tite Blan. J’ai trouvé ça drôle et touchant, et je me suis dit que ce serait génial de pouvoir raconter l’histoire que j’aurais aimé pouvoir lire plus jeune à la place de Tom-Tom et Nana : une BD dont le personnage principal n’est pas forcément hétérosexuel, une BD légèrement déviante, une BD pour dire ce que je n’avais pas osé dire tout ce temps !

Comment qualifiez-vous votre style ?

Galou. Avant de rencontrer Blan, l’idée de devenir dessinateur ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Je dessinais des petits personnages pour les coller dans la rue, principalement des mains que je faisais sortir des bouches d’égouts, des distributeurs ou des toilettes publiques, mais je n’avais jamais pensé à faire de la BD. Je n’ai fait aucune école, mais je me suis lancé, je me suis fait la main sur Coming Soon, Naissance d’une déviante (notre premier tome) et depuis je dessine tous les jours des heures pour faire évoluer mon style ! Dans un premier temps, le trait était plutôt minimaliste, je ne m’encombrais pas de détails, j’allais à l’essentiel. Peu à peu, mon dessin a évolué : toujours épuré, avec un esprit « premier jet », mais avec plus de détails. J’apprends en regardant ce que font les autres et en faisant vivre mes personnages. J’essaie de ne pas m’enfermer dans une case/un style, mais de faire au mieux avec ce que je sais faire !

Blan. Humoristique et engagé, caustique et percutant. En tout cas c’est comme ça que j’aimerais qu’on le perçoive. Pour moi le top du style, c’est Desproges, si un jour quelqu’un trouve qu’on s’en approche, même de loin, ce sera la grande classe !

Quel a été l’élément déclencheur pour votre dernier album et le but recherché ?

Galou. Après avoir sorti les trois tomes de La p’tite Blan, nous avions envie de travailler sur quelque chose de différent et l’idée de Sois gentil, tais-toi et dors s’est naturellement imposée. Nous trouvions cela marrant de mettre en situation deux personnages qui partagent le même lit, mais pas toujours les mêmes envies ! L’idée était de dire tout fort ce que les hommes n’entendent même pas à voix basse : arrêtez de faire vos gros lourds, si votre femme ne veut pas faire l’amour avec vous, ce n’est pas à cause des migraines ou des règles, c’est seulement parce qu’elle n’a pas envie de vous là, maintenant. Et à en juger par l’accueil que Sois gentil, tais-toi et dors a reçu lors du Festival de BD d’Angoulême, il semble que beaucoup de femmes se soient reconnues sous le regard gêné de leur mari. Je me souviens en particulier de cette femme qui a tenté de convaincre sa belle-fille de ne pas l’acheter en lui disant que « cela pourrait porter à confusion » si elle l’offrait à son mari. Elle l’a pris quand même..

Blan. L’idée, c’est toujours de faire sourire mais à contre-pied de ce qu’on a l’habitude de trouver en rayons. Les BD dans lesquelles les femmes s’en prennent plein la poire pullulent, alors dans Sois gentil, tais-toi et dors on voulait remettre les choses et les hommes à leur place. Le lit est certainement l’endroit idéal pour ça…

Quels sont vos projets ?

Galou. Dans un premier temps nous allons travailler sur la suite des péripéties de La p’tite Blan avec un tome 4 dans la lignée des trois précédents. En parallèle, j’aimerais sortir une BD un peu plus personnelle sur mon expérience de quarantenaire pré-pubère, célibataire, immature et au chômage. D’ailleurs, à ce propos, si quelqu’un a quelque chose à me proposer (femme, homme, travail ou les trois), je suis preneur !

Blan. J’ai hâte de sortir un nouvel opus de La p’tite Blan et de publier la première BD 100% Galou. Dans le même temps, on continue de travailler beaucoup sur nos dessins d’actualités (www.laptiteblan.fr) car ça nous semble essentiel par les temps qui courent de réagir et de faire réfléchir… On travaille aussi pour des entreprises, c’est moins essentiel mais c’est amusant et ça permet de se remplir l’estomac !

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Interview réalisée par mail le 7 février 2012 – Eric Guillaud

07 Déc

Interview d’Etienne Davodeau à l’occasion de la sortie de l’album Les Ignorants

Ne cherchez pas de super-héros dans les livres d’Etienne Davodeau, il n’y en a pas ! Ce qui intéresse avant tout cet auteur installé dans le Maine et Loire, c’est d’explorer le réel, la vie de tous les jours, le travail des gens ordinaires. Avec son nouvel album, Les Ignorants, il raconte une double initiation, celle d’un vigneron à la bande dessinée et celle d’un auteur à la viticulture. Rencontre…

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire un mot sur votre rencontre avec le vigneron Richard Leroy ? Peut-être vous connaissiez-vous avant ce projet ?

Etienne Davodeau. Je le connaissais en tant que voisin, nous vivons dans le même village. Nous sommes rapidement devenus amis. C’est la façon, radicale et vivante, dont il parlait de son travail qui m’a incité à aller vers lui. En l’écoutant, je me disais souvent que sa description du milieu du vin aurait pu s’appliquer à celui de la bande dessinée.

Parler de son métier, de son travail, n’est pas une évidence pour tout le monde. Est-ce que la proposition de cette initiation croisée a été tout de suite acceptée et comprise (dans la démarche) par Richard Leroy ?

E.D. La réaction de Richard a été exactement celle que je raconte dans les deux premières pages du livre. Ma proposition – je j’ignorais alors – coïncidait avec un moment où il avait envie, pour sa famille, pour ses proches, de « raconter son travail ». Il a aussi fallu qu’il accepte de consacrer du temps à la découverte de la bande dessinée.

A-t-il joué le jeu comme vous l’espériez ? Et vous-même, pensez-vous avoir été à la hauteur de ses attentes ?

E.D. Il aurait été difficile pour moi qu’il laisse tomber l’expérience au bout de six mois sous le prétexte qu’elle l’emmerdait. Non seulement le risque ne s’est jamais présenté, mais je dois avouer que la tenue de ce livre doit beaucoup à son implication sans faille, qui est allée bien au-delà de ce que j’espérais. Pour ce qui me concerne, si je peux sans doute faire un ouvrier viticole potable, mes aptitudes à la dégustation ont souvent consterné mon patron vigneron. On s’est bien amusés.

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Lire la chronique de l’album ici

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Auriez-vous pu transposer « Les Ignorants » dans un autre domaine que la viticulture ?

E.D. Certainement. Mais se serait-on amusés autant ?

Au final, qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

E.D. J’ai découvert l’invraisemblable complexité du métier de vigneron tel que le pratiquent ces mecs-là. C’est aussi un très rude métier, qui met le corps à l’épreuve. Au final, ce sont les rencontres qui me resteront en mémoire: Richard Leroy fasciné par le rapport qu’entretient Emmanuel Guibert avec ses livres, les moments magiques passés dans les vignes et la cave de Jean-François Ganevat…

Dans une interview de mars 2010 accordée au site evene.fr, vous disiez refuser l’étiquette de militant. Comment vous définissez-vous alors ? Journaliste ? Documentariste ?

E.D. Très simplement, je me définis comme auteur de bande dessinée. Point. Je pratique une bande dessinée de fiction (Chute de vélo, Lulu femme nue) ou pas (Les mauvaises gens, Les Ignorants). Et j’aime bien l’idée qu’on ne parvienne pas à étiqueter précisément ce genre de livres. Journaliste, sûrement pas. Auteur, oui. J’ai juste envie d’emmener la bande dessinée où elle va encore peu -le récit du réel, du quotidien- . Je suis persuadé qu’elle a, pour explorer ces domaines, des aptitudes qu’on sous-estime encore.

Le réel est effectivement omniprésent dans votre œuvre. Souvent, vos personnages sont des gens ordinaires, parfois des losers magnifiques comme vous dites. Rassurez-nous, Richard Leroy fait plutôt partie des gens ordinaires ?

E.D. Richard Leroy est un homme qui a empoigné son destin à deux mains et qui se consacre avec passion à la tâche qu’il s’est librement assignée: écouter, comprendre et accompagner trois hectares de coteaux pierreux plantés de chenin dont il donnera le vin à boire à d’autres êtres humains. Et la rencontre avec ces gens est la finalité réelle de ce projet. Ça me semble un projet de vie infiniment respectable. Ordinaire si on veut, exigeant sûrement, racontable, certainement.

Vous aimez mettre en exergue les petites choses de la vie, celles qu’on a tous les jours sous nos yeux et qu’on finit par ne plus voir. Quelles peuvent être ici ces fameuses petites choses…

E.D. Elles sont là, près de nous. Elles nécessitent juste une sorte d’acuité qui nous permettra d’en comprendre la valeur. Je suis à peu près convaincu que dans chaque vie humaine, on trouverait une histoire digne d’être racontée. Un exemple? Élever des enfants, cette expérience « banale », n’est ce pas aussi parfois une sorte de vaste saga pleine de coups de théâtre, d’émotions diverses et de suspens?

Pour la première fois peut-être, votre album suscite moins la réflexion que la curiosité. Qu’est ce qui vous intéressait de découvrir au départ ? Qu’est ce que ous avez vu au final ? Certains considèrent Rural comme plus militant avec une histoire d’agriculteurs qui souhaitent se lancer dans le bio et qui sont dans le même temps confrontés à un projet d’autoroute devant traverser leurs terres ?

E.D. « Les ignorants » est conçu comme un pari. Je m’y suis lancé sans rien avoir préparé. Au départ, n’existait en moi qu’une sorte d’intuition qui, si elle se vérifiait, mettrait en évidence des points de contact entre ces deux pratiques: faire du vin, faire des livre. J’avais plus de questions que de réponses. Mes questions étaient: pourquoi consacrer sa vie à faire du vin, des livres? Pour qui les fait-on?

Par ailleurs, si j’aime raconter des expériences militantes (et je ne suis pas sûr que celle de Richard ne le soit pas!) je n’ai jamais considéré mes livres eux-mêmes comme « militants ». La question de savoir lequel l’est plus que l’autre est donc, à mes yeux, sans objet.

Quelles sont vos influences ? Des auteurs de bande dessinée ? Des documentaristes ? Des militants ? Des gens ordinaires ?

E.D. Elles sont multiples et variées. Par exemple, le travail de Daniel Mermet, homme de radio, n’est pas pour rien dans ma façon de faire de la bande dessinée. Le cinéma social britannique non plus. Mais plus largement, je me nourris de toutes sortes de récits, qui n’ont souvent rien de commun avec la teneur de mes livres. J’aime le travail de ceux qui tracent leur propre route. Les suiveurs m’exaspèrent.

Le cinéma, vous y pensez en vous rasant le matin ? C’est un bon support pour aborder le réel, filmer le travail… Plus généralement, quels sont vos projets ?

E.D. Je commence à réfléchir sur le scénario d’un livre qui s’inscrira dans la fructueuse collaboration Futuropolis-Le Louvre. Par ailleurs, avec mon camarade Joub, je réalise un nouveau bouquin qui fera suite au triptyque Geronimo, que nous avons réalisé ensemble.

J’accompagne avec intérêt et curiosité les projets d’adaptation cinématographique qui peuvent naître autour de mes livres. C’est flatteur et enthousiasmant. Ces projets me permettent de vérifier une chose que je savais déjà : La liberté de travail que nous procure la bande dessinée est infiniment supérieure à celle que permet le cinéma. J’aime la bande dessinée, je ne suis pas un cinéaste frustré, et je pense que ceux qui considèrent la bande dessinée comme du cinéma au rabais se trompent lourdement.

Ma liberté de travail n’est pas négociable.

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Interview réalisée par Eric Guillaud le 12 novembre 2011

21 Sep

Rencontre avec Barroux, l’auteur du roman graphique On les aura! publié au Seuil…

Auteur de livres jeunesse et de carnets de voyage, Barroux fait une entrée remarquée dans l’univers de la bande dessinée avec un roman graphique singulier tant d’un point de vue graphique que scénaristique. Il s’agit d’une adaptation – très réussie – du journal d’un poilu, journal qu’il a de ses mains sauvé de la destruction et donc de l’oubli. Explications…

Vous avez découvert le carnet de ce poilu dans une rue de Paris. Pouvez-vous nous préciser les circonstances ce cette fabuleuse trouvaille et comment l’idée de l’adapter en BD a germé dans votre esprit ?

Barroux. « Je marcherai, c’est pas si loin… » De la place de la Bastille à la place de la République, je marche. C’est une belle journée d’hiver, il fait un froid polaire mais le ciel est bleu sans nuage. Devant moi, deux hommes en bleu de travail vident une cave et déversent sur le trottoir, meubles fatigués, livres moisis, vieilles revues des années cinquante. Au milieu, une boîte en carton bouilli attire mon regard. A l’intérieur, se trouve un cahier d’écolier et une croix de guerre. J’ouvre le cahier et je lis ces lignes : « 3 août 1914, c’est le jour du départ, la mobilisation est décrétée, il faut partir… ». C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai glissé le cahier et la croix de guerre dans mon sac avec le sentiment d’avoir sauvé un bout d’histoire de la destruction. Plus tard, au calme, je me suis rendu compte que le texte retraçait les 3 premiers mois de la guerre de 14, jour après jour. L’idée d’illustrer ce journal commence à germer. Il aura fallu 2 ans de travail, entre la recherche iconographique, le découpage, les esquisses et les illustrations finales pour que le livre voit le jour.

Quel a été dès lors votre souci majeur pour donner naissance à cette adaptation ?

B. Respecter la mémoire de cet homme, réaliser des images fortes mais sans être redondantes avec le récit. Récit que j’ai décidé de laisser intacte, à la virgule près.

Une adaptation qui met en lumière un aspect peut-être moins connu, moins traité, moins vu, de la Grande guerre…

B. Ce texte, non censuré par l’armée, est un voyage dans le temps… J’ai l’impression d’avoir mis des images sur le récit d’un homme, avec ses doutes, ses craintes, ses peurs mais aussi des moments de joies.

La guerre de 14 est-elle une période qui vous passionne particulièrement ?

B. Non, pas vraiment. Mais j’avais mon fil conducteur, le texte. J’ai beaucoup travaillé en bibliothèque, j’ai amassé beaucoup de documents de toute sorte. Maintenant, je suis incollable.

Pouvez-vous nous expliquer la technique utilisée précisément pour cet album ?

B. J’ai travaillé au crayon, à la mine de plomb sur un papier aquarelle Arches 300gr. Le crayon est ensuite fixé et vernis avec un vernis teinte ou teinté « chêne clair ».

Pourquoi avoir choisi le noir et blanc et opté pour des textes placés au dessous des vignettes ?

B. Le noir et blanc s’est imposé dès le début du projet. Je trouvais que le texte placé de cette manière donnait une grande modernité à l’ensemble, comme un fil conducteur qui nous porterait à travers l’action, à travers l’histoire, à travers la guerre.

C’est votre première incursion dans l’univers de la BD. Qu’en retenez-vous et êtes vous prêt à renouveler l’expérience ?

B. J’ai pris beaucoup de plaisir à mettre en image ce récit vieux de 100 ans. Une nouvelle porte s’est ouverte dans ma carrière d’illustrateur et je suis déjà en quête de mon prochain « roman graphique ». J’ai déjà une petite idée.

Quel regard portez-vous sur la production du secteur jeunesse et comment vous y situez-vous ?

B. Beaucoup de livres, beaucoup d’histoires… Difficile de trouver sa place pour ma part. J’avance, j’expérimente, j’assemble, je teste, je doute beaucoup et quand j’ai trouvé, je recommence. Sur chaque livre, j’essaye de trouver le bon cadrage, la bonne technique, l’image la plus adaptée au récit sans coller au texte. Prendre de la distance par rapport au travail de l’auteur.

Des projets ?

B. Un carnet de voyage sur le Cap vert pour un éditeur parisien. Plusieurs livres pour enfants dont un pour Blue Apple Books à New York. Et j’espère, un prochain « roman graphique ».

Avez-vous déjà imaginé que quelqu’un tombe sur votre livre et reconnaisse l’histoire et le carnet d’un parent ?

B. Oui, bien sûr. Les notes prises dans le cahier continuent jusqu’en 1917. Après cette date, que s’est-il passé ? J’imagine qu’il a survécu, j’imagine qu’il habitait Paris. Qui était-il vraiment ? Sa famille ? Son métier ? Le reste de sa vie ? … Pour le moment, il garde tout son mystère.

Interview réalisée par Eric Guillaud le 21 septembre 2011.

Retrouvez la chronique de l’album On les aura ! en cliquant ici.

14 Juin

Rencontre avec le dessinateur Stéphane Douay à l’occasion de la sortie du second tome de la série Commandant Achab…

Après la trilogie Matière Fantôme, réalisée avec Hugues Fléchard au scénario, le Caennais Stéphane Douay s’associe à Stéphane Piatzszek pour mettre en scène les aventures du commandant Achab, un drôle de flic, unijambiste, ronchon et amateur de pétards. Rencontre…

Quel a été votre premier coup de foudre graphique ?

Stéphane Douay. Bizarrement, ce fut Gotlib. J’adorais son univers et sa façon de faire les mains des filles. Puis Milton Caniff, Alex Raymond ou encore Eisner…

Quel a été leur influence sur votre propre graphisme ?

S.D. L’influence est assez diffuse en fait. On commence par recopier tout ce qui nous tombe sous la main, on arrange le tout pour en faire une histoire puis on prend ses distances. On commence à trouver son propre truc.

Comment qualifiez-vous votre style ?

S.D. Pseudo ligne claire semi-réaliste. Je cherche encore.

Comment êtes-vous passé d’un récit SF à un polar ? Avez-vous dû adapter votre dessin ?

S.D. J’ai envie de tout faire. Dans le sens d’essayer des genres différents. La SF m’attire beaucoup. A chaque histoire, j’ai le sentiment qu’il me faut adapter mon dessin à ce qui doit être raconté. Les nuances ne sont pas flagrantes mais elles existent. Je suis passé de la SF au polar comme on passe du camembert au livarot. Ca n’a pas le même goût mais quand on aime le fromage, c’est toujours bon.

Quelle est la genèse de cette nouvelle série ? Et comment se passe votre collaboration avec le scénariste ?

S.D. Au départ, Stéphane Piatzszek avait conçu son histoire pour une série télé. C’est devenu une BD et aux dernières nouvelles, il semblerait que ça puisse devenir une série télé. Notre collaboration se passe très bien. Il m’envoie son scénario, on en discute, je découpe tout l’album, on en discute, je rajoute, j’enlève, on en discute et puis j’attaque et on ne discute plus !!

Comment voyez-vous l’avenir de la série ? Du personnage ?

S.D. L’avenir de la série est entre les mains des lecteurs. Imaginez une arène romaine avec au milieu le personnage et tout autour, sur les gradins, les lecteurs. Si ces derniers sont assez nombreux, ils lèveront le pousse, sinon…

Dans quels univers vous sentez-vous le plus à l’aise ? Qu’aimez-vous par dessus tout dessiner ?

S.D. Je ne me pose pas la question de cette manière. Avant tout, c’est l’histoire que l’on me propose qui m’accroche. J’y vois alors le plaisir que je peux prendre à la dessiner, comment découper telle ou telle scène, la meilleur façon de raconter. C’est ça qui m’intéresse avant le dessin.

Quels sont vos projets ?

S.D. Un album dans la collection BD jazz, un projet avec Siro qui me propose un scénario très drôle et que j’ai très envie de concrétiser. Et puis faire de la planche à voile mais sans voile et sans planche… De la natation en fait.

Propos recueillis le 16 juin 2010 par Eric Guillaud.

 

Retrouvez la chronique du second volet de la série Commandant Achab ici-même !

04 Mar

Rencontre avec Tébo, auteur de Cosmik Comiks, septième volet des aventures de Samson et Néon paru aux éditions Glénat…

 
  
Un septième volet de Samson et Néon dans les bacs, l’album In Pipi véritas annoncé pour mars, un cinquième Captain Biceps sur la table de travail et des adaptations en dessin animé actuellement diffusées sur France3… Bref, il y a suffisamment de raisons pour que nous ayons eu envie de poser quelques petites questions à Tébo. Cinq questions pas plus, car l’homme est très occupé même s’il sait rester disponible et accessible… 
 
Vous êtes vraiment caennais ou c’est la seule ville qui a accepté de vous accorder un visa ?
 
Tébo. Je suis né à Caen et je vais mourir à Caen. Et ma maman m’a interdit de déménager de cette ville… Je suis un enfant très obéissant… 
 
Néon, extraterrestre rose, Captain Biceps, super-héros à la combinaison rouge et jaune… Vous n’en avez pas assez de dessiner des héros improbables ? N’auriez-vous pas envie de faire des albums un peu plus sérieux ? Des autobiographies, des BD-reportages ou même des livres de poésie ? Quel regard portez-vous sur la BD ?
 
Tébo. J’adore les héros improbables. Je viens de finir d’écrire un scénario pour Nicolas Kéramidas (dessinateur de Luuna, Donjon et Tyko des sables) qui parle d’Alice au Pays des merveilles qui se retrouve téléportée dans une jungle où tous les singes l’appellent Tarzan. Je pense continuer à faire des albums peu sérieux tout au long de ma vie et de ma carrière… Mais j’ai encore un paquet d’idées et de scénarios dans mon cabas et j’ai envie de réaliser des histoires d’horreur, de science fiction, de polar et d’heroïc fantasy. Par contre, je n’ai rien dans mes poches pour l’autobiographie, la bd-reportage et le livre de poésie. J’ai toujours un regard d’enfant quand je lis de la BD. J’en lis tous les soirs avant de me coucher. J’espère que le format papier existera encore longtemps.
 
Deux séries qui connaissent le succès, dont une réalisée avec Zep, deux adaptations pour la télévion… Vous êtes plutôt du genre à avoir la grosse tête, les chevilles qui enflent ou les doigts qui démangent ? Comment vivez-vous le succès et comment l’expliquez-vous ?
 
Tébo. Ce sont mes héros qui sont des stars. Moi, je suis un inconnu… On ne me reconnait pas dans la rue, les filles ne m’envoient pas leurs slips… Auteur de BD, c’est pas très rock. Donc, non, je n’ai pas la grosse tête. Avoir des séries qui marchent est vraiment agréable et surtout rassurant pour l’avenir. J’ai toujours eu peur de ne plus avoir de boulot dans la BD. Plus maintenant (enfin, pas pour cette année). J’ai des demandes d’éditeurs qui veulent travailler avec moi (généralement, c’est plutôt l’auteur qui demande à l’éditeur) ainsi que des producteurs de séries animées qui me demandent de leur trouver des concepts pour des futurs projets. Sinon, je n’explique pas le succès d’une série… Je ne fais pas d’étude de marché sur les lecteurs pour savoir de quoi va parler mon prochain album. Je travaille dur pour que les lecteurs aient du plaisir à lire mes albums tout en ayant du plaisir à les réaliser.
 
Sincèrement, pouvez-vous nous dire où vous allez chercher tout ça ? Quelles sont vos influences, vos inspirations ? Croyez-vous donner une bonne image aux enfants ? Que vous disent-ils quand ils vous croisent sur les festivals ou ailleurs?
 
Tébo. Ce n’est pas très simple d’expliquer d’où viennent les idées… Je pense que c’est une mécanique, une habitude que l’on a (et que l’on travaille) depuis tout petit. Depuis que je sais tenir un crayon, j’ai toujours inventé des personnages, des monstres, des héros. Une fois le personnage créé, je leur inventais une vie, des ennemis, des aventures. On commence par des histoires simples qui au fil du temps deviennent plus complexes, plus abouties. En bref, ça ne me tombe pas tout cuit sur la page blanche, je bosse ! Mes influences lorsque j’étais enfant et ado, il y en a eu plusieurs : Jack Kirby (créateur de Hulk, Les 4 fantastiques, Captain America…), Gotlib (Rubrique-à-brac…), Franck Margerin (Lucien) et Liberatore (Ranxerox). Savoir si je suis une bonne image pour les enfants ? Boah !! Je veux juste être une cour de récréation pour eux. Ce qui est drôle, c’est que l’image de la BD a changé auprès des parents. A mon époque, elle était mal vue. Maintenant, les parents me remercient durant les festivals car leurs progénitures ont pris goût à la lecture. C’est plutôt un beau compliment de leur part. Tandis que les enfants sont généralement intimidés lorsqu’ils me voient et ne me décrochent pas un mot (les parents sont les premiers surpris). Mais si les mêmes gamins viennent me voir avec un copain, ça devient la nouba ! C’est à celui qui parlera le plus fort pour me raconter ce qu’il a aimé dans l’album. J’ai vraiment un super public !
 
Quels sont vos projets pour tout à l’heure, demain et après-demain ?
 
Tébo. J’ai commencé le tome 5 de Captain Biceps avec mon ami Zep au scenario. Je suis l’invité d’honneur du festival de Pau (qui a lieu du 2 au 4 avril) et du festival de BD de Caen (Bulles en folies les 19 et 20 juin). Je dois leur fournir des idées et  réaliser leurs affiches. Je vais me lancer dans la création (scenario et dessin) d’une nouvelle série pour la télévision avec mon ami Tehem (auteur de Zap collège et de Malika Secouss) et écrire un polar un peu fantastique avec de l’action dedans pour mon ami Jérome d’Aviau (auteur de Inès et de Ange le terrible). Peut-être qu’après je prendrai deux jours de vacances avec ma femme et mon fils.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 4 mars 2010.

  

Retrouvez la chronique de l’album ici !

  

15 Fév

Rencontre avec Aurélien Ducoudray et Eddy Vaccaro, auteurs du magnifique album Championzé paru aux éditions Futuropolis.

Eddy Vaccaro et Aurélien Ducoudray viennent de réaliser Championzé, la biographie du boxeur Amadou M’Barick Fall, dit Battling Siki, premier Français champion du monde… noir. Magnifique dans la forme, étonnant et instructif dans le fond, nous avons souhaité poser cinq questions aux auteurs, histoire d’en savoir un peu plus sur eux et sur leur album…

Comment vous est venue l’idée de réaliser cette biographie de M’Barick Fall ?

Aurélien Ducoudray. En fait, je suis tombé sur la vie de Siki complètement par hasard. C’est en feuilletant une épaisse encyclopédie de la boxe à la recherche d’infos sur le celèbre champion noir americain Jack Johnson ( accusé lui aussi de tricherie dans son combat contre le sympathique fermier blanc Jeffries !!) que je suis tombé sur une note de bas de page renvoyant à une note de trois lignes, à la fin de l’encyclopédie, au chapitre des combats truqués ! Cette note disait en tout et pour tout : cas identique en France pour le match entre le franco-sénégalais Battling Siki et l’idole Georges Carpentier… Après cette réponse en forme d’énigme, il ne restait plus qu’a suivre la piste !!

Eddy Vaccaro. Luc Brunschwig (Directeur de collection de Futuropolis à l’époque) m’a proposé le scénario d’Aurélien et j’avais une amie qui venait d’apprendre qu’elle était la descendante de Battling Siki (rousse à la peau blanche je précise). Un signe du destin, je n’ai pas pu dire non haha !

Etes-vous avant tout des passionnés de boxe, des amoureux du continent africain ou des fans du genre biographique ?

A.D. Passionné de boxe oui, mais pas érudit !! Je connais les grandes histoires, Ali, Cerdan, Jack Johnson et tous les autres grands champions, mais juste en amateur ! Par contre, du continant africain, complètement amoureux !! Mon premier métier ( photographe de presse) m’a amené a parcourir quelques pays africains ( Sénégal, Mali, Burkina, Togo, Bénin…) pour réaliser de nombreux reportages ( les albinos au Sénégal, la mendicité dans les ecoles coraniques, le Dieu football, le systeme scolaire…) et l’occasion d’accompagner la vie de Siki a été comme un vrai voyage de retour ! J’ai pu y glisser tout ce que j’aime de l’afrique ! C’est a dire tout ! L’Afrique , c’est simple, elle est tellement généreuse qu’on est obligé de tout prendre !! Avec Championzé, c’était un peu aussi une façon de lui redonner quelquechose, un fils perdu, peut être…

E.V. Je ne suis pas du tout passionné de boxe, en revanche j’ai toujours aimé le sport, le pratiquer aussi, pour le plaisir et le dépassement de soi. Mais avec Battling Siki, c’est plus l’histoire d’un homme qui m’intéresse, le contexte social, l’immersion dans son monde, ses joies, ses peines, ses doutes, ses forces… Donc oui, j’aime bien les biographies ou le décorticage de la vie d’un personnage ou d’une époque. J’adore par exemple les émissions radio comme 2000 ans d’histoire ou Rendez-vous avec X sur France Inter. Et j’ai dévoré en une seule fois le livre de Jean-Marie Bretagne sur Battling Siki ! Pour l’Afrique, c’est différent, j’ai depuis plusieurs années l’envie d’y aller et je me suis découvert la passion de la dessiner ! D’ailleurs, on a un projet de BD sur l’Afrique avec Aurélien.

Et pour vous Aurélien, la priorité était de dresser le portrait d’un grand champion de boxe ou de brosser le tableau d’une société, d’une époque, d’une mentalité ?

Aurélien Ducoudray. En fait, le portrait de l’époque s’est imposé de lui même, la seule certitude que l’on avait sur Siki est qu’il était noir et sénégalais !! Toutes les autres informations sont doublées, voire triplées par des informations contraires !! Au final, on se retrouvait devant une histoire en forme de baobab : le tronc, c’était Siki, et les centaines de branches, c’était le ressentiment des témoins de l’époque ! On a décidé de ne rien couper !! Je pense que l’histoire de Siki est indissociable de son époque, celle d’un racisme larvé, quotidien, quasi normal et totalement accepté… souvent employé dans les articles de presse sous la forme de l’humour… un humour qui pourrait être drôle s’il n’était pas nauséabond, de la tête de nègre a la salle noire de monde, aux policiers bêtes noires de Siki !! En même temps, on a choisi de ne pas taper avec une massue sur les gens de l’époque,en les dépeignant comme d’horribles racistes caricaturaux. Leurs propos sont utilisés dans le contexte de l’époque. Ils correspondent a un moment de l’histoire, a une mentalité donnée, qui j’espère n’existe plus… J’espère… Pourtant, je pense qu’il existe encore des milliers de Siki de nos jours,  plus dans le domaine de la boxe mais dans celui du travail : quand on voit par exemple la difficulté pour obtenir un entretien d’embauche quand on a une couleur de peau un peu trop foncée, ou une adresse un peu trop HLM…

Le graphisme est très particulier, oscillant entre le réalisme généralement utilisé dans les biographies et l’humoristique un peu « à l’ancienne ». C’est un choix délibéré et assumé ou il s’agit tout simplement du style graphique d’Eddy. Quelle technique avez-vous d’ailleurs utilisé ?

E.V. J’ai travaillé avec des crayons plus ou moins gras, un peu d’encre et beaucoup de correcteur blanc que j’utilise comme de la peinture blanche (c’est pratique et il n’y a pas à tremper le pinceau). C’est une technique rapide qui permet de retranscrire une variété très large d’ambiances ou des sensations avec le maximum de rapidité.  Pour les « Gueules » des personnages ou certaines illustrations, c’est effectivement mon style naturel auquel j’ai ajouté l’influence des journaux d’époque, Le Miroir devenu Le Miroir des sports après la 1ère guerre mondiale, La Baïonnette, le journal des tranchées, et un journal sur la boxe des années 20. J’y ai découvert des illustrateurs (notamment Gus Bofa) qui ressemblent pas mal à ce qui peut se faire dans la BD actuelle et même qui en sont des influences assumées.

A.D. Le  côté cartoon est complètement voulu car je trouve qu’il sert les personnages, les expressions sont tout de suite reconnaissables et je trouve que c’est un joli pied de nez que de se servir des icônes graphiques de l’époque pour justement en dénoncer le coté banania !!

Quelles sont vos influences, vos envies ?

A.D. Mes influences ? Toutes les bonnes histoires racontées par n’importe qui sous n’importe quelle forme !! Film romans, BD, articles de journaux, tout ! Et sans prétention, Godard a coté de Godzilla, d’obscurs cineastes russes au dernier film d’horreur anglais !! Tout est bon a prendre ! Après, côté envies, nous allons nous atteler a deux nouvelles biographies de boxeurs chez Futuropolis ! Celle de Young Perez, un Juif tunisien français champion du monde de boxe dans les années 30 qui fut déporté a Auschwitz, et celle de Primo Carnera, ancien lutteur de foire devenu symbole du fascisme italien sous Mussolini et devenu champion du monde de boxe en ayant  truqué tous ses combats !! Et pour ceux qui ont apprécié Championzé, jetez vous sur le livre de Jean-Marie Bretagne, Battling Siki, qu’on remercie au passage pour ces nombreuses informations !

E.V. Je lis peu mais j’aime beaucoup le roman graphique en noir et blanc ou couleur. Je n’aime pas trop la BD avec beaucoup d’effets graphiques. je trouve que certaines histoires manquent vraiment de fond, voilà, j’ai besoin de fond, de sens, pas de « délire de djeuns! ». Là je vais me faire traîter de vieux réac haha ! J’apprécie vraiment une certaine « école italienne » avec des auteurs qui développent leur travail de manière très personnelle, avec un grande maîtrise et un belle élégance poétique ( Gipi, Manuele Fior, Mattoti, Gabriella Giandelli…). Et puis des peintres aussi, Gauguin, Turner, Alechinsky, Matisse… Mon envie principale est de raconter des histoires avec du fond et de développer petit à petit un style personnel qui évoluera avec mes expériences, ma vie. Pour l’instant j’ai encore l’impression d’appartenir à une école que certains appellent « la nouvelle BD française » et ou la « BD indé » mais qui n’est plus si nouvelle, ni indépendante.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 11 février 2010.

Retrouvez la chronique de l’album ici