09 Jan

Un auteur de BD en trop : histoire cruellement drôle dans le milieu du neuvième art signée Daniel Blancou

Vous pensiez qu’auteur de bande dessinée était un métier d’avenir ? Qu’on pouvait s’enrichir à tous les coups ? Redescendez sur Terre et lisez donc les aventures de ce pauvre Daniel, auteur de base pour ne pas dire auteur de fond qui trouve son salut – provisoire – dans le plagiat…

Vous le voyez sur la couverture ? Oui, tout en haut à droite, avec son gilet rouge, seul, affreusement seul, à l’écart d’une foule attirée par la promesse d’une dédicace. C’est l’auteur de BD en trop, Daniel de son prénom, responsable et coupable d’albums profondément dispensables comme le dernier en date, un documentaire sur les difficultés du commerce des chenilles alimentaires en Centrafrique.

Rien de très sexy mais Daniel est capable de pire encore. Son prochain ouvrage doit traiter des conséquences de la grippe aviaire dans les Bouches-du-Rhône. À moins que ce ne soit de la grippe espagnole en Alsace. On s’y perd, lui aussi, mais peu importe, puisqu’il ne traitera au final de rien du tout, son éditeur venant de lui faire savoir qu’il était contraint de « resserrer son catalogue sur les titres qui ont du potentiel ». Ça calme!

Il a pourtant gagné un prix à Angoulême notre Daniel. Mais c’était il y a 20 ans dans la catégorie scolaire. Depuis, il est dans la cagade jusqu’au cou comme il dit. Alors, pour s’en sortir, pour payer son loyer, il va jouer avec le feu, plagier le travail d’un jeune gamin écervelé mais fichtrement talentueux. Son éditeur lui prédit un succès énorme, le livre est sélectionné au festival d’Angoulême…

Très bel album proposé par Daniel Blancou (Être riche, Sous le feu corse: L’enquête du juge des paillotes…), et les éditions Sarbacane, un grand format avec dos toilé rouge du meilleur effet, des planches de toute beauté, une narration, un scénario et un dessin des plus soignés, et un regard sur le métier d’auteur et le monde du neuvième art qui pourrait bien calmer les ardeurs de certains. Follement drôle mais tellement vrai !

Eric Guillaud

Un auteur de BD en trop, de Daniel Blancou. Sarbacane. 22,50€

© Sarbacane / Blancou

08 Jan

Les Next-Men, les X-Men oubliés des années 90 pour la génération X

Après 2112, Delerium continue sa campagne de réhabilitation des œuvres ‘oubliées’ du dessinateur John Byrne en éditant pour la première fois en France la saga Next Men. Des mutants tous sauf gentils bien éloignés de leurs très sages cousins les X-Men.

John Byrne est une légende vivante du monde des comics. Un canadien qui a commencé timidement en bas de l’échelle chez Marvel mais qui a, ensuite, préfiguré dès la fin des années 70 la tournure plus ‘adulte’ qu’allait prendre le genre la décennie suivante. D’abord en prenant en main les X-Men puis Les Quatre Fantastiques pour transformer ces jadis héros un chouia caricaturaux en des personnages complexes et presque shakespeariens.

Au sommet de sa gloire au milieu des années 80, il accepte de partir chez la concurrence DC Comics pour relancer la série Superman. Encore un succès. Pourtant c’est vers une maison d’édition plus modeste qu’il émigre ensuite en 1991 (Dark Horse, l’éditeur de Hellboy), transfert qui lui permet surtout d’avoir un contrôle éditorial absolu et de passer à quelque chose de plus mature. Le résultat se nomme Next Men, resté bizarrement non-traduit en France jusqu’à ce que la petite mais costaude maison indépendante Delirium au mauvais/bon goût (Creepy, Richard Corben, The Mask) décidément impeccable ne décide de réparer cette injustice.

© Delirium / John Byrne

Il y a six mois paraissait 2112, sorte de vrai-faux prologue, une histoire indépendante qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu pour comprendre la saga des Next Men. Elle a malgré tout permis de ‘poser’ l’univers qui en rappelle pas mal d’autres. Ce n’est pas d’ailleurs pas pour rien que le titre Next Men rappelle, forcément, celui des X-Men car on retrouve ici pas mal des thématiques déjà développées par Byrne dans la célèbre série. Notamment la difficulté à vivre sa différence ou à se faire accepter par une société que vous voulez aider mais qui a pourtant peur de vous. Le style graphique non plus n’a pas trop évolué et a désormais une patte très 80’s un peu datée, avec ses corps bodybuildés et ses expressions très figées. Limite, on pourrait même au début du récit se dire que le dessinateur radote, avec ce personnage de Scanner par exemple qui ressemble énormément à celui de Scott Summers (alias Cyclope des X-Men) ou ce pitch de départ où un savant fou financé par le gouvernement en secret travaille sur des cobayes humains aux mutations incontrôlables qui finissent par s’échapper.

Sauf qu’assez rapidement dans ce premier tome (trois sont prévus au total), Byrne montre qu’il a bien compris que le monde a évolué vers quelque chose de plus brut et plus violent et les comics avec lui. Â ce titre, la scène la plus révélatrice est celle où l’une des mutantes en passe d’être violée par des rednecks dans un bar mal famé éventre à la main ( !) l’un de ses agresseurs. Un geste aussi inattendu que très brutal pour le lecteur habitué au style finalement très policé des Quatre Fantastiques… 

© Delirium / John Byrne

Cette rupture de ton est assez révélatrice et est bientôt suivie par des scènes de sexe plus ou moins explicites (là aussi, une première pour l’auteur) ainsi que par des personnages de moins en moins manichéens. En gros, ici, personne n’est vraiment noir ni blanc et tout le monde a du sang sur les mains. Et surtout, des années avant Matrix et l’avènement d’internet, Byrne aborde ici pour la première fois la notion de monde virtuel, les héros ayant ‘grandi’ dans un monde imaginaire sous contrôle, sans savoir que pendant tout ce temps leurs corps aient maintenus en vie dans des caissons sous surveillance.

Les Next Men sont donc un peu les doubles maléfiques des X-Men, ce qu’ils auraient pu devenir si la maison Marvel n’avait alors pas été obsédée par le politiquement correct. Une œuvre qui met un peu de temps à démarrer mais qui se révèle avec le recul comme l’un des chaînons manquants, et donc indispensables, entre les comics des années 80 et ceux, plus moralement incorrects, des années 90.

Olivier Badin

Next Men de John Byrne. Delirium. 26€

05 Jan

Hey June : Fabcaro et Evemarie racontent 24 heures de la vie d’une trentenaire sur un air des Beatles

Peut-on rire de tout et surtout peut-on rire d’un rien ? Avec Fabcaro, oui. L’auteur de Zaï zaï zaï zaï est de retour en ce mois de janvier avec un nouvel album réalisé en compagnie de la dessinatrice Evemarie dans la collection Pataquès des éditions Delcourt. Et c’est tout bon pour les zygomatiques…

Certains en font des tonnes pour nous faire rire, lui non ! Pas de tartes à la crème chez Fabcaro, pas de gags clownesques tendance peaux de banane, non, plutôt un humour froid, décalé, à l’anglaise. Un humour tout en finesse qui a conquis les amoureux du neuvième art et pas seulement.

Zaï zaï zaï zaï, l’album qui lui a changé la vie, a été tiré à l’origine à 2500 exemplaires par l’éditeur indépendant 6 Pieds sous terre, avant de s’envoler et d’atteindre aujourd’hui des sommets avec près de 200 000 exemplaires vendus et des adaptations en cours ou à venir au théâtre et au cinéma.

Fort de ce succès, Fabcaro aurait pu se reposer sur ses lauriers mais l’homme n’est pas du genre à faire et refaire ce qu’on attend de lui. Tout en gardant un esprit indépendant même si aujourd’hui les grandes maisons d’édition se le disputent, Fabcaro multiplie les expériences en solo ou en duo, CONversations, avec Jorge Bernstein aux éditions Rouquemoute, Moins qu’hier (plus que demain) chez Glénat, Formica, une tragédie en trois actes aux éditions 6 pieds sous terre et aujourd’hui Hey June avec Evemarie au dessin chez Delcourt.

© Delcourt / Fabcaro & Evemarie

« Elle pourrait bien finir seule et aigrie avec un chat empaillé à regarder des documentaires sur les glaciers en Islande en buvant de la Suze »

Elle, c’est June, la trentaine, illustratrice de métier, un peu flemmarde, un peu fauchée, un peu railleuse, un peu sans filtre aussi, très indépendante et farouchement débordée par le quotidien. Enfin, débordée, débordée, pas tant que ça en fait. Hey June illustre justement 24 heures de sa vie, pas de quoi en faire un bouquin proclament les auteurs en dernière de couverture. Ils l’ont pourtant fait, et c’est tant mieux, on rit de bon coeur, on s’amuse du personnage qui n’est autre que l’alter égo de papier de la dessinatrice Evemarie, le tout avec un dessin très agréable et une bande originale de luxe, chaque page, chaque gag, ainsi que le titre de l’album, faisant référence à une chanson des Beatles. Jouissif !

Eric Guillaud

Hey June, de Fabcaro et Evemarie. Delcourt. 9,95€ (en librairie le 8 janvier)

© Delcourt / Fabcaro & Evemarie

03 Jan

Amertume apache, Joann Sfar et Christophe Blain relancent avec bonheur les aventures de Blueberry

Blueberry est un personnage culte de la bande dessinée francophone, un personnage qui a fait rêver plusieurs générations de lecteurs depuis son apparition il y a maintenant 57 ans dans les pages du journal Pilote grâce au génie de deux hommes aujourd’hui disparus : Jean Giraud et Jean-Michel Charlier. Mais c’est bien connu, les héros, les vrais, ne meurent jamais totalement. Celui-ci fait même un retour spectaculaire avec Joann Sfar au scénario et Christophe Blain au dessin…

Culte, tellement culte que certains pouvaient légitimement s’inquiéter de cette renaissance sous la plume et le pinceau de deux auteurs qui ne l’ont pas créé et ne l’ont même pas vu naître.

Mais Joann Sfar (Le Chat du rabbin, Petit Vampire…) et Christophe Blain (Isaac le pirate, Quai d’Orsay…) ne sont pas des perdreaux de l’année et s’ils ont accepté l’un et l’autre de reprendre les aventures de Blueberry, c’est avec la ferme intention de s’approprier le personnage sans pour autant le réinterpréter.

© Dargaud / Sfar & Blain

C’était une de leurs exigences : garder le cap de la série, retrouver le héros comme on l’a connu à la grande époque, développer un scénario et un dessin qui s’inscrivent dans la continuité, tout en y glissant leur petite touche personnelle.

« À aucun moment on n’a voulu faire un Blueberry à la façon de Sfar et de Blain… », expliquent les auteurs à nos confrères de BFM TV, « On a voulu faire un Blueberry premier degré. Il n’y ni distance, ni pastiche »

Et le résultat est là. Magistral ! Avec un côté sombre, mélancolique, que l’on retrouve jusque dans le titre de l’épisode, Amertume apache. Il faut dire que Blueberry n’est pas un héros comme les autres, il a même toutes les qualités et défauts du parfait anti-héros, mal coiffé, mal rasé, on le dit indiscipliné, frondeur, insolent, buveur…

© Dargaud / Sfar & Blain

Bien sûr, il y aura toujours quelques grincheux de service pour trouver à redire mais un sondage rapide auprès d’aficionados de la première heure conforte mon impression première, cette reprise est une vraie réussite !

Et l’histoire ? Amertume apache nous ramène à Fort Navajo où le meurtre de deux Indiennes par une bande de jeunes blancs membres d’une communauté religieuse fait craindre une nouvelle guerre. Après avoir tenté, sans succès, d’arrêter les meurtriers Blueberry part seul à la rencontre des Apaches…

Eric Guillaud

Une aventure du lieutenant Blueberry, Amertume Apache, de Sfar et Blain. Dargaud. 14,99€

31 Déc

2020 c’est maintenant, une sélection de BD SF pour préparer l’avenir

2020. Pour les plus de 50 ans, dont je fais partie, ça commence sacrément à sentir le futur au niveau du compteur. 2001 représentait déjà une sacrée odyssée, alors que dire de la décennie qui s’ouvre dans quelques heures? Tous les futurs sont possibles, en voici quelques-uns…

On commence avec Renaissance, série emmenée par Fred Duval, Frédéric Blanchard et Emem. Le deuxième volet sorti en septembre ne fait que confirmer tout le bien qu’on en pensait à la parution du premier en octobre 2018, Renaissance est LA série SF du moment. Rien de bien étonnant quand on connaît un minimum le pedigree des auteurs, tous biberonnés à la science-fiction depuis leur plus tendre enfance, le premier s’étant fait connaître comme le scénariste des séries Carmen Mc Callum, Travis ou encore Jour J, le second ayant traîné son œil de designer et de directeur de collection sur quantité de titres, enfin Emem ayant un temps repris le dessin de Carmen Mc Callum avant de se consacrer pleinement à Renaissance. Si le dessin est au top, le scénario n’est pas en reste, bien au contraire. Nous sommes en 2084, la Terre agonise, le réacteur nucléaire du Tricastin a explosé, la tour Eiffel a les pieds dans l’eau, les champs de pétrole texans sont bombardés par les Sécessionnistes, des épidémies de grippes ravagent la Chine, le Sahara a été déclaré zone invivable pour tout le monde, la Californie et l’Oregon sont en guerre…  Bref, tout va mal, jusqu’au moment où une fédération de civilisations extraterrestres, Renaissance, beaucoup plus avancée et pacifique, décide d’intervenir et de sauver l’humanité. A moins que ce ne soit la planète. « L’un n’empêche pas l’autre, l’autre n’implique pas l’un! » nous rappelle la voix off au début du tome 2…(Renaissance tome 2, de Fred Duval, Frédéric Blanchard et Emem. Dargaud. 14€)

Préférence Système est l’un des meilleurs récits d’anticipation de l’année, l’un des meilleurs bouquins tout court. Ugo Bienvenu qui, dit-il, détestait la SF il y a encore cinq ans et dû s’y reprendre à huit fois pour arriver au bout de 2001, L’Odyssée de l’espace pour comprendre en quoi le film de Kubrick était un chef d’oeuvre (Les Cahiers de la BD n°9), nous plonge ici dans un univers qui pourrait bien ressembler à notre avenir proche, un monde littéralement noyé sous les données numériques, obligé de faire le ménage en permanence en supprimant d’un clic d’un seul des pans entiers de notre patrimoine culturel.

Et sur quel dossier le Bureau des Essentiels, chargé de gérer le stockage, doit-il présentement se pencher ? Je vous le donne en mille, ou plutôt en deux mille un. Oui, exactement, 2001, L’Odyssée de l’espace, le film mais aussi tout ce qui le concerne de près ou de loin, les photos de tournage, les articles de presse, les partitions de musique, les croquis de production, les storyboards, les citations… bref tout, jusqu’au nom, jusqu’à son souvenir, envoyés à la poubelle. Tout ça pour gagner 1100 go ! Ça peut faire peur… (Préférence Système, d’Ugo Bienvenu. Denoël Graphic. 23€)

La lutte de quelques individus pour exister dans une société ultra-technologique où l’humain a cédé le pas aux machines est l’une des thématiques les plus usées de la science-fiction. À ce titre-là, Flesh Empire ne se démarque donc franchement pas. Mais en fait, il assume carrément ses emprunts à droite et à gauche, que cela soit du côté cinématographique (TronBlade Runner) ou littéraire (un personnage qui se nomme Ray Zimov en forme de clin d’œil à l’auteur Isaac Azimov par exemple). Car peu importe le fond, c’est vraiment dans la forme qu’il se démarque.

Avec son noir et blanc ultra-contrasté et surtout ses formes géométriques à la fois limpides et complexes, chaque planche semble ici presque irréelle, presque mathématique. Certaines s’étalent parfois sur des double-pages hallucinantes, dans tous les sens du terme. Les gestes y sont comme figés et les hommes et les machines se confondent dans un seul et même jet. Un style qui résonne en fait avec ce monde peut-être pas si éloigné de nous qu’il décrit, cet univers du futur nommé ‘singularity’. Une sorte de super-conscience virtuelle y régente en dictateur toute la population et emmagasine, tel un disque dur géant, les personnalités de chaque individu pour ensuite mieux les réinjecter à l’infini dans de nouveaux corps, assurant ainsi leur immortalité. Mais aussi leur asservissement. Glacial et figé, véritable claque visuelle, ce récit cyberpunk pas si simpliste qu’il n’y paraît d’abord est unique. Une œuvre d’art à part entière à l’identité très singulière qui dépasse le simple cadre de la SF. (Flesh Empire de Yann Legendre. Casterman. 19€)

Initiée par le dessinateur Griffo et le scénariste Jean Van Hamme dans les années 80, S.O.S. Bonheur est une série de science-fiction sociale et politique naviguant dans un monde où le bonheur de chacun est garanti par l’Etat et régi par des lois qui empêchent finalement toute initiative personnelle, toute alternative individuelle. Santé, sécurité publique, emploi, sexe, vacances et même retraite…tout est sous contrôle, totalement verrouillé, au point de rendre ce monde totalement ubuesque et irrespirable. Après une prépublication dans les pages du magazine Spirou, S.O.S. Bonheur paraît en albums en 1988 et 1989, puis en intégrale en 2001. Il faut attendre 2017 pour qu’une suite soit imaginée, prenant la forme d’une nouvelle saison. Jean Van Hamme est remplacé au scénario par Stephen Desberg. Pour le reste, rien ne change fondamentalement, Griffo est toujours au dessin et les albums, le deuxième vient de sortir, retracent en une suite d’histoires courtes, les destins croisés d’hommes et de femmes confrontés à la toute-puissance d’un état despotique. (S.O.S. Bonheur, de Griffo et Desberg. Dupuis. 20,95€)

La carrière d’écrivain de Stefan Wul – alias Pierre Pairault, un dentiste ( !) parisien – a finalement été assez courte. Mais l’homme a malgré tout marqué de son empreinte la science-fiction française des années 50. Son œuvre est aujourd’hui de nouveau célébrée avec une nouvelle adaptation en bande dessinée, un gros morceau, l’ultime livre de Wul sorti en 1977 et baptisé Noô…

L’éditeur aime parler ici autant de ‘space opera’ que de ‘voyage initiatique’. ‘Space opera’ car le tout se passe de l’autre côté de l’univers, dans un monde où l’ultra-moderne se mélange à la nature la plus sauvage et où les hommes côtoient de drôles créatures évoquant des sortes d’oiseaux . Et ‘initiatique’ car tout tourne autour d’un jeune homme du nom de Brice. Arraché à la mort sur Terre par son père adoptif, il se retrouve, malgré lui, au plein cœur d’une rébellion qui l’oblige à fuir Grand’Croix, la capitale où il vivait, pour échapper aux forces gouvernementales lancées à sa poursuite.

L’intérêt de Noô est d’avoir permis la rencontre entre un dessinateur assez rôdé à la SF (Alexis Sentenac) et un auteur (Laurent Genefort) qui évoluait dans la même sphère mais, lui, en tant qu’auteur de romans et de nouvelles. C’est d’ailleurs sa première adaptation BD. Une relative inexpérience qui se ressent parfois dans le rythme général, des dialogues assez verbeux succédant parfois à des scènes plus graphiques sans trop crier gare, comme si en voulant rester le plus possible fidèle à l’esprit original du livre il avait tenu absolument à faire rentrer presque trop de choses dans ce premier volume.

En même temps, dans toute trilogie digne de ce nom, le rôle de celui qui ouvre le bal est de justement ‘poser le décor’ comme on dit et c’est ce que fait Soror. Et puis autant Sentenac semble, limite, manquer de place pour s’exprimer durant les (longues) phases de dialogues, autant lors des passages plus contemplatifs qui s’étalent parfois sur une pleine page, il donne alors toute l’ampleur de son talent. Un essai donc peut-être imparfait donc mais transfiguré par quelques moments de pure beauté et qui donne surtout envie de (re)découvrir Stefan Wul. (Noô, volume 1, de Laurent Genefort et Alexis Sentenac. Comix Buro/Glénat. 14,50€)

Dans un futur proche, la survie de l’humanité est sérieusement compromise par les bouleversements climatiques. L’air est devenu irrespirable, l’eau du robinet n’est plus potable, les derniers mammifères vivants, et bientôt les oiseaux, sont regroupés dans un conservatoire… Et plutôt que de changer ses habitudes, chacun se résigne à la prochaine disparition de la vie sur Terre. Jusqu’au jour où l’astrophysicienne Cécilia Bressler de l’agence spatiale européenne découvre une planète qui pourrait bien ressembler à la nôtre. Elle présente même des lueurs semblables à celles de nos villes. Le seul hic, c’est que cette planète, baptisée Gamma Cephei Bb, se trouve à 45 années-lumière… Tout le monde espère découvrir la première civilisation extraterrestre, événement qui pourrait provoU.C.C.quer le sursaut nécessaire à l’espèce humaine… De quoi nous faire réfléchir un peu plus sur notre comportement face aux enjeux écologiques actuels ! (Des milliards de miroirs, de Robin Cousin. FLBLB, 23€)

C’est l’un des best-sellers de la bande dessinée de science-fiction, 20 ans d’existence, 20 albums au compteur, des centaines de milliers d’exemplaires vendus dans plusieurs langues, des séries parallèles… et un vingtième album essentiel qui dévoile enfin les origines de Nävis, l’héroïne de la série, seule humaine à bord du Sillage, un gigantesque convoi multiracial explorant l’espace à la recherche de planètes à coloniser. Un graphisme sublime, des planches d’une beauté plastique exemplaire, une narration sans faille, une héroïne toujours aussi attachante… De la très très très bonne SF made in France. (Sillage tome 20, de Buchet et Morvan. Delcourt. 14,50€

Didier Tarquin. Ce nom vous dit forcément quelques chose. C’est le dessinateur de l’une des séries phares de l’heroic fantasy en BD, Lanfeust de Troy. Il revient en auteur complet cette fois sur une aventure SF dont le premier volet est sorti au début de l’année 2019 et le second il y a un petit mois. U.C.C. Dolores, c’est son nom, a tout du western intergalactique et peut-être déjà tout d’un classique du genre. « Quand on parle de western en bande dessinée… », explique l’auteur, « il y a une oeuvre qui vient immédiatement à l’esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J’avais envie de retrouver ça, de faire quelques chose de très classique – de néo-classique, disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c’était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part ».  Inutile de vous dire que le résultat est graphiquement sublime. Quand à l’histoire, celle d’une orpheline élevée dans un couvent qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un croiseur de guerre baptisé U.C.C. Dolores, on ne peut être que conquis ! Suite et fin au prochain tome. (U.C.C. Dolores tome 2, de Didier Tarquin et Lyse Tarquin. Glénat. 13,90€)

Eric Guillaud et Olivier Badin

20 Déc

Chroniques de Noël. Préférence Système, un futur possible imaginé par Ugo Bienvenu

Noël approche et vous séchez affreusement côté cadeaux ? Pas de panique, les Chroniques de Noël sont là pour vous venir en aide avec des bandes dessinées qui pourraient bien faire de l’effet au pied du sapin. Comme celle-ci, Préférence Système, un récit d’anticipation qui fait froid dans le dos…

On a du mal à croire que l’auteur de ce récit, Ugo Bienvenu, détestait la SF il y a encore 5 ans et qu’il lui a fallu huit tentatives avant d’arriver au bout de 2001, L’Odyssée de l’espace pour comprendre en quoi le film de Kubrick était un chef d’oeuvre (interview de Cahiers de la BD octobre décembre 2019).

Oui, on a du mal à le croire tant son récit paru chez Denoël Graphic est lui aussi un véritable bijou de SF, un voyage vers un futur assez effrayant, d’autant plus effrayant que l’auteur le rend quasi-familier par ses décors, piochant dans son quotidien, ici son appartement, là une maison qui a appartenu à ses grands parents, là encore un jouet de son enfance…

« Pour raconter des choses vraies, il faut partir de la précision du familier, prendre des éléments déjà habités », a-t-il confié aux Cahiers de la BD.

Tout ça pour nous dire, pour vous dire, que ce monde décrit dans Préférence Système est pour demain matin.

© Denoël Graphic / Bienvenu

Et dans ce monde-là, l’explosion quantitative des données numériques est devenue un sérieux problème au point qu’un bureau spécial, le « Bureau des Essentiels », a été crée pour en gérer le stockage et donc le déstockage. Ainsi, régulièrement, d’un clic d’un seul, des pans entiers de notre patrimoine culturel sont purement et simplement effacés de notre mémoire collective pour libérer de la place.

Prenez 2001 L’Odyssée de l’espace justement. Le film mais aussi les photos de tournage, les articles de presse, les partitions de musique, les croquis de production, les storyboards, les citations… bref tout, jusqu’au nom, jusqu’à son souvenir, envoyés à la poubelle par la décision des juges du « Bureau des Essentiels ». 1100 go de gagner !

© Denoël Graphic / Bienvenu

« Il me semble qu’au-delà  de sa rentabilité, ce film a été déterminant esthétiquement, narrativement… Il nous permet de comprendre nos ancêtres. Leur conception des robots, de l’évolution… Il interroge notre passé et continue de questionner notre futur! ».

L’archiviste du « Bureau des Essentiels », Yves Mathon, a beau prendre la défense du film, le jugement est sans appel : « Nous ordonnons l’exécution du mandat de destruction du dossier X-22057 ».

2001 L’Odyssée de l’espace aux oubliettes ! Comme tant d’autres films, écrits, oeuvres d’art…  Aux oubliettes ou presque car Yves Mathon ne supporte pas ce système et sauvegarde secrètement certaines données dans la mémoire de son robot domestique…

Une lueur d’espoir ? Dans ce monde finalement très sombre, déshumanisé, où le présent ne se nourrit plus du passé, où les hommes ne cherchent plus un lien dans une histoire commune, Yves incarne l’esprit de résistance et semble nous dire qu’un autre futur est possible ! À nous de le vouloir…

Eric Guillaud

Préférence Système, d’Ugo Bienvenu. Denoël Graphic. 23€

19 Déc

Chroniques de Noël : Alice au pays des merveilles… et nous avec

La période de Noël est propice aux ‘beaux livres’ comme on aime le dire. Mais au-delà de son format XL et de sa luxueuse présentation, cette nouvelle adaptation du célèbre roman de Lewis Carroll est avant tout une belle déclaration d’amour à ce texte plein de faux-semblants qu’on nous a, pendant des années, faussement présenté comme un conte pour enfants…

Oubliez les versions successives de Walt Disney et de Tim Burton. Elles n’ont pas, malgré leur succès auprès du jeune public, réussit à masquer la vérité : oui, publié pour la première fois en 1885, Alice Au Pays Des Merveilles est surtout une grosse pilule de LSD. Un trip plein de chapelier fou, de lapin toujours en retard et d’hallucinations qui n’en sont pas peut-être pas tant que ça… Il aurait été donc très tentant pour l’illustrateur Daniel Cacouault d’illustrer cette Xe adaptation d’une façon très psychédélique et délurée. Trop même.

Intelligemment, cet illustrateur qui vit entre Paris et Nantes, et qui enseigne, entre autres, à l’école des Gobelins a donc préféré puiser dans son expérience passée sur les contes de Grimm pour à la fois s’ancrer complètement dans l’univers victorien d’origine avec ses haut-de-forme, ses robes opulentes ou ses coiffes raphaelites tout en baignant le tout dans une atmosphère doucereuse de rêve éveillé.

En gros, prenez le compatriote de Carroll, le célèbre peintre John Martin, ôtez à ses oeuvres leurs symboliques guerrières voire sataniques et vous obtiendrez plus ou moins le même résultat.

© Bragelonne / Caroll & Cacouault

Ici, Alice n’est plus une enfant mais pas encore tout à fait une adulte. Elle rencontre des créatures fantastiques dont on ne sait si elles lui veulent du bien et du mal, tout comme on ne sait jamais ici si on nage en plein fantasme ou si ces forêts de champignons géants, par exemple, existent vraiment.

En fait, en gardant toutes ces frontières floues sans jamais en gommer la beauté intrinsèque, Daniel Cacouault, qui avoue avoir été aussi influencé par le travail du grand réalisateur japonais d’animation Hayao Miyazaki, rend hommage de la plus belle façon au texte d’origine dont il respecte, voire sublime, le parti-pris malicieux.

À ce titre, la postface où le traducteur Maxime Le Dain explique toute la difficulté, mais donc aussi l’intérêt, de traduire un texte bourré de références plus ou moins cachées à la culture anglo-saxonne populaire du XIXème siècle est aussi éclairante. Alors, un ‘beau livre’ comme on dit donc ? Oh que oui. Mais pas que…

Olivier Badin

Alice Au Pays Des Merveilles de Lewis Carroll, illustré par Daniel Cacouault et traduit par Maxime Le Dain, Bragelonne, 35€

© Bragelonne / Caroll & Cacouault

2020, année de la BD : des centaines d’événements partout en France annonce le ministre de la Culture

Le ministre de la Culture Franck Riester a lancé mercredi 18 décembre BD 2020, une année qui aura pour objectif de mettre en valeur « la formidable vitalité de la bande dessinée, le savoir-faire et la créativité de nos artistes, la richesse et la diversité des œuvres, et un patrimoine remarquable ».

2020 année de la BD ! C’est officiel depuis hier avec le discours de lancement prononcé par le ministre de la Culture Franck Riester, 2020 sera donc une année nationale de la BD avec quatre marraines et parrains, Florence Cestac, Catherine Meurisse, Jul et Régis Loisel, des centaines d’événements annoncés à travers la France et des actions en faveur des auteurs. 

Plus de 300 événements partout en France

Le détail des rendez-vous n’est pas encore connu mais le ministre parle de plusieurs centaines d’événements au plus près des Français.

« Tout au long de l’année 2020, nous allons promouvoir la bande dessinée, dans toute sa diversité, partout en France et dans le monde, favoriser l’intégration de cet art à nos politiques culturelles et veiller à mieux accompagner tous les créateurs (…) Pour cela, la bande dessinée doit s’enraciner dans les manifestations culturelles proposées dans tous nos territoires, trouver plus de place encore dans les bibliothèques et les médiathèques qui sont nos premiers services culturels de proximité.  Je sais que nous pouvons déjà compter sur les initiatives de nombreuses collectivités territoriales. Je pense en particulier, bien entendu, à Angoulême, devenue depuis de nombreuses années la capitale mondiale de la bande dessinée ».

Une commande publique nationale d’estampes

« Pour enrichir notre patrimoine et le faire circuler partout en France, j’ai décidé de lancer une commande publique nationale d’estampes. Cette commande mettra en valeur le travail des artistes de la BD. Leurs œuvres intégreront les collections du centre national des arts plastiques et pourront aussi être empruntées auprès des artothèques ».

La langue française en avant

« Le dynamisme de la BD française hors de nos frontières pourra naturellement s’appuyer sur la francophonie. Créer en langue française, cette langue que nous partageons avec 300 millions de locuteurs à travers le monde, est aussi une chance dans une compétition internationale toujours plus intense. Je sais pouvoir compter sur les actions menées par l’Institut français pour permettre aux œuvres de nos créateurs de rencontrer un public toujours plus large ».

Des actions dans les écoles

« Vous le savez, l’un de nos objectifs prioritaires est que 100 % des enfants de 3 à 18 ans bénéficient d’actions d’éducation artistique et culturelle à l’école. Dans cette perspective, je souhaite que la bande dessinée y trouve toute sa place. Je salue l’implication du Ministère de l’Education nationale et de la jeunesse dans « BD 2020 » pour travailler ensemble dans cette direction. Ainsi, nous permettrons que nos enfants se familiarisent avec le 9e art et aillent à la rencontre des créateurs, qui sont déjà nombreux à s’engager pour la transmission de leur art. Créer en langue française, cette langue que nous partageons avec 300 millions de locuteurs à travers le monde, est aussi une chance dans une compétition internationale toujours plus intense. Je sais pouvoir compter sur les actions menées par l’Institut français pour permettre aux œuvres de nos créateurs de rencontrer un public toujours plus large ».

Des actions concrètes au service des auteurs et des créateurs

« Au début de cette année, j’ai demandé à Bruno Racine de mener une mission d’analyse et de prospective autour des artistes auteurs, de leur place dans notre société. Son travail est aujourd’hui achevé. Il me sera remis prochainement et nous permettra d’envisager des actions concrètes au service des auteurs et des créateurs. Je veux faire de BD 2020 une chance pour entreprendre un certain nombre d’expérimentations au service des créateurs. Une occasion de conforter les éléments de connaissance dont nous avons besoin pour conduire notre action ».

L’intégralité du discours est disponible ici

16 Déc

Chroniques de Noël. La Tournée : une bonne dose d’humour british façon Andi Watson…

Noël approche et vous séchez affreusement côté cadeaux ? Pas de panique, les Chroniques de Noël sont là pour vous venir en aide avec des bandes dessinées qui pourraient bien faire de l’effet au pied du sapin. Comme celle-ci, La Tournée, une histoire savoureusement kafkaïenne au graphisme joyeusement minimaliste…

Vous imaginiez la vie d’écrivain fascinante, les tournées de dédicaces effervescentes, les rencontres incessantes ? Alors cet album-là pourrait bien vous amener à réviser quelque peu votre jugement.

Certes, G.H. Fretwell, le héros de cette histoire, n’a rien d’un écrivain célèbre, non seulement il n’est pas connu du public, mais pire encore, il n’est pas reconnu par ses pairs. Juste un petit écrivain qui vérifie tous les jours si la chronique littéraire du journal La Tribune parle enfin de son dernier livre baptisé « Sans K ».

C’est justement pour la promotion de celui-ci qu’il entame une tournée des librairies. Mais à chaque étape, c’est la même histoire, le libraire n’a pas reçu ses livres ou, plus pathétique encore, aucun lecteur ne daigne se présenter.

Les jours se suivent et se ressemblent, pluvieuses, tristes, jusqu’au moment où l’une des libraires, Rebecca, sans K, comme le nom de sa femme, disparaît après son passage. Il est le dernier à l’avoir vue vivante, la police le soupçonne…

Avec un dessin minimaliste, un trait simple, presque simpliste, en tout cas léger, tellement léger qu’il en deviendrait évanescent, Andi Watson nous embarque dans une histoire aussi burlesque que dramatique autour d’un pauvre type qui ne maîtrise plus rien, que ce soit dans sa vie personnelle ou professionnelle.

Connu pour ses romans graphiques qui explorent les relations entres les hommes et les femmes, parmi lesquels Breakfast After Noon (nominé aux Eisner Awards en 2001), l’auteur aborde dans ce polar à l’atmosphère très british la condition pas toujours enviable de l’écrivain. 272 pages pour rire tout de même à ses dépends et se donner envie d’en connaitre un peu plus sur Watson. Six albums ont été publiés à ce jour aux éditions Ça et Là La Tournée fait partie de la sélection officielle Angoulême 2020.

Eric Guillaud

La Tournée, d’Andi Watson. Çà et Là. 22€

© Çà et là / Watson