29 Déc

Au pied du sapin… Quelques bandes dessinées pour toute la famille…

  

La torture des cadeaux de denrière minute… Tout le monde connait ! Compatissants que nous sommes, voici donc une petite sélection d’albums pour toute la famille, à glisser discrètement sous le sapin…

   Bon, pour commencer, la troisième saison de Paddock Les Coulisses de la F1 s’adresse, il est vrai, prioritairement à un lectorat… comment dire… plutôt passionné de F1 et donc masculin. Mais les gags en une page du scénariste Pat Perna et du dessinateur Juan restent malgré tout largement « grand public » et assez fins même si on y voit beaucoup de tôles froissées et de filles défroissées. Retour sur le paddock donc avec l’écurie Broken Arms et ses nouvelles couleurs, rose comme le papier hygiénique Cali-Net du nouveau sponsor. Fort heureusement, le champion Michaël Choumaker a rejoint l’écurie et risque bien de faire passer les bolides au rouge vif… Drôle et léger ! 

Si vous êtes plutôt du genre  »histoire de princesse et de pays merveilleux », alors, un conseil, oubliez ce livre ! D’ailleurs, l’héroïne nous prévient d’entrée dans une préface à multiples facettes. Façon intellectuel, ça donne : « On pourrait dire qu’il s’agit d’un opus introspectif. C’est le cas, n’est-ce pas, mais même si l’introspection reste le centre de mes préoccupations, j’ai toutefois ciblé mes recherches sur les objets affectifs de mon entourage.. qui ne sont pas moi (n’est-ce pas), mais qui, paradoxalement, me définissent ». Pour faire simple, l’auteure Hélène Bruller a décidé de ne plus parler d’elle comme dans Hélène Bruller est une vraie salope ou Je veux le prince charmant, mais de ses amis. Façon pédante, ça donne: « J’ai beaucoup parlé de moi dans mes précédents albums… Il est temps que je parle des autres… de mes amis… mes amis à moi… ». Et la voilà donc partie à brosser le portrait de son entourage, à sa façon, au vitriol. Et tout le monde en prend pour son grade : les voisins, les collègues de bureau, la famille… et nous tous ! Ca dynamite, ça disperse, ça ventile, ça éparpille façon puzzle…

Au scénario : un Lillois. Au dessin : un Rouennais. Résultat : Eclipse, un triptyque de science fiction qui vient de s’achever avec la sortie en octobre dernier du troisième volet intitulé Schwarz. Avec un style graphique beaucoup plus réaliste, sobre et élaboré que celui employé dans Mâchefer (éd. Vents D’Ouest), Sébastien Vastra offre une belle et dynamique mise en images du scénario d’Ozanam. L’histoire se déroule au XXIVe siècle et raconte les aventures et mésaventures intergallactiques de la jeune Mika lancée à la recherche de son père étrangement disparu. Les amateurs de science fiction tendance Verhoeven (Total Recall, Robocop, Hollow man…) se régaleront ! 

Dans le détail :

Paddock, Les Coulisses de la F1, de Pat Perna et Juan. Editions Vents d’ouest. 9,40 euros.

Love, de Hélène Bruller. Editions Drugstore. 13,90 euros.

Schwarz, Eclipse (tome 3), de Ozanam et Vastra. Editions Vents d’ouest. 13 euros.

Souvenirs de l’éternel présent, Les Cités obscures, de François Schuiten et Benoît Peeters. Editions Casterman. 18 euros.

  

Bienvenue à Taxandria. Ici vit Aimé, un enfant. Le dernier ! Il a une dizaine d’années, le crâne rasé et le monde qui l’entourre n’est plus qu’un amas de pierres et de ferrailles. Plus un oiseau, plus une fleur, pas d’eau, pas de vent, uniquement des ruines et des carcasses de machines inventées autrefois par les hommes. Quelques survivants aussi, contraints de subir l’éternité. Car Taxandria est  aujourd’hui, demain aussi, le pays de l’éternel présent. Le temps s’y est figé. Et Aimé a donc tout le loisir de se poser des questions sur ce monde pour le moins étrange. Et il s’en pose beaucoup ! Jusqu’au jour où il trouve enfin des débuts de réponses dans un grand  livre rouge qui conte l’histoire du grand cataclysme. Un livre absolument interdit ! Et ce que le jeune Aimé y découvre est stupéfiant. Au commencement de tous ces malheurs : les hommes de Taxandria bien sûr qui ont agi par orgueil et vanité. Ils ont voulu partout un monde à l’image de Taxandria. Il fallait dupliquer, dupliquer les mondes, dupliquer les hommes et pourquoi pas dupliquer le soleil. C’est justement ce qu’ils ont fait, déclenchant un processus irrémédiable : fonte des neiges, incendies, raz de marée, tremblement de terre… et l’éternité pour pleurer !

S’il s’inscrit parfaitement dans la série des Cités obscures, ce récit n’était pas destiné à l’origine à devenir un livre mais un film du cinéaste belge Raoul Servais, intitulé Taxandria. C’est ce que nous confient les auteurs, François Schuiten et Benoît Peeters, en fin d’album. Une bien longue histoire qui commença au début des années 70 avec les premiers éléments conçus par Raoul Servais lui-même. S’en suivit une multitude de péripéties, d’aventures et de mésaventures et, à l’arrivée, un film présenté en 1994 au festival de Gand que tout le monde a aujourd’hui oublié. Dès 1987, François Schuiten fut contacté pour concevoir graphiquement le monde de Taxandria. Il réalisa pour celà d’innombrables dessins qui ne trouvèrent jamais leur place dans le film.  « Depuis lors… », explique Benoît Peeters, « ce matériau était en attente. Nous ne savions trop comment l’aborder. Sans doute fallait-il d’abord que nous fassions le deuil de Taxandria pour regarder ces images avec un oeil neuf. Bien plus que du film achevé, c’est des premières versions du scénario, élaborées par le seul Raoul Servais, que s’est nourri Souvenirs de l’éternel présent… ». Dans la lignée graphique des albums précédents, Souvenirs de l’éternel présent permet aux auteurs d’aborder des thèmes qui leur sont chers comme l’ordre établi, la décadences de la société industrielle, l’environnement… Un très beau récit fantastique et un univers vraiment personnel ! E.G.

L’Homme bonsaï, de Fred Bernard. Editions Delcourt. 14,95 euros.

  

Petite séance de rattrapage ! L’Homme bonsaï a été publié en août dernier aux éditions Delcourt. C’est vrai que l’affaire remonte maintenant à quatre mois et que quatre mois dans le monde de l’édition, c’est long et largement suffisant pour voir disparaître, parfois mis au rebut, des dizaines de titres. Mais L’Homme bonsaï a ce petit quelque chose en plus qui fait de lui un album au long cours, un album qui peut rester des mois sur les étagères de vos librairies préférées, des mois aussi sur votre table de chevet, avant que vous ne vous décidiez finalement à l’ouvrir… et tomber sous le charme. C’est l’effet du petit quelque chose en plus, un savant mélange d’aventure, d’exotisme et de poésie qui se mérite, se doit d’être dégusté et non englouti dans une frénésie consommatoire ! L’histoire est celle d’un homme, Amédée, devenu matelot par la force des choses et qui d’aventures en mésaventures se retrouve seul sur une île perdue de la mer de Chine avec un arbre qui lui pousse sur la tête. Récupéré par des pirates chinois, Amédée devient un butin particulièrement précieux dont on prend grand soin. Chaque jour, un vieux Chinois l’éffeuille, l’ébourgeonne, l’ébranche, l’élague… et peu à peu, Amédée devient l’Homme bonsaï, une véritable force de la nature qui va dès lors régner sur les océans et prendre une revanche sur le destin… « Cest un cauchemar au départ, ce n’est pas très gai… », explique Fred Bernard, « Un mauvais rêve que j’ai vraiment fait, dans lequel un arbre me poussait sur la tête. Je perdais mes cheveux, mes cils, mes sourcils, tous mes poils et je maigrissais à vue d’oeil, et cet arbre qui poussait, poussait, allait me tuer ! A ce moment là, j’avais un ami qui était malade et qui faisait une chimio… Il n’avait pas d’arbre sur la tête, mais il avait tous ces symptômes-là… ». Publié initialement sous la forme d’un livre jeunesse, avec François Roca au dessin, L’Homme bonsaï rencontre ici un lectorat plus adulte même s’il reste d’une grande accessiblité. Au récit jeunesse qui mélangeait déjà piraterie et mystères de l’Orient, fantastique et destinée tragique, le récit en bande dessinée s’enrichit d’une magnifique histoire d’amour entre le fameux Amédée et la femme d’un puissant marchand chinois, la belle et ténébreuse Changaï Li, histoire qui est d’ailleurs à l’origine de cette reprise en bande dessinée, explique l’auteur : « La première motivation était de réinsérer une histoire d’amour que j’avais pensée dès le départ et que je n’ai pas mis dans L’Homme bonsaï illustré par François parce qu’elle n’avait pas du tout sa place en jeunesse ». Un album magnifique, surprenant, envoûtant, à découvrir au plus vite ! E.G.

09 Nov

Adamson (tomes 1 et 2), de Pierre Veys et Carlos Puerta. Editions Delcourt. 13,95 euros le volume.

  

       

     

     

    

    

    

    

    

    

    

    

Londres, 1913.  Alors que le monde entier à les yeux rivés sur l’Autriche et l’Alllemagne et que chacun se prépare à entrer en guerre, l’explorateur Sir Henry Adamson est contacté par le gouvernement britanique désireux de lui confier une mission particulière. Très particulière et hautement confidentielle, bien qu’elle n’ait absolument rien à voir avec le conflit qui se profile sur le continent. Non, Sir Henry Adamson est chargé de monter en urgence une expédition afin de retrouver et tenter d’expliquer un phénomène étrange découvert en mer par les marins de deux morutiers anglais. Et cette découverte serait une porte, une porte vers une autre dimension, un autre monde. Le gouvernement y voit là, la plus fabuleuse découverte depuis les débuts de l’humanité. Adamson, lui, qui pensait mettre fin à ses jours il y a encore quelques temps, y voit enfin l’accomplissement de sa destinée, peut-être la plus grande aventure de sa carrière. De quoi enthousiasmer l’homme qui a en a pourtant vu beaucoup mais qui ne peut cette fois imaginer ce qui l’attend…

Une surprise. Une très belle surprise même ! En quelques lignes, en quelques traits, le scénariste Pierre Veys et le dessinateur Carlos Puerta parviennent à planter le décor de cette nouvelle série et à capter illico l’attention de tout lecteur normalement constitué. Adamson est un récit qui surprend. Qui surprend d’abord par son graphisme, ses couleurs et ses atmosphères. L’Espagnol Carlos Puerta, auteur précédemment de La Maison de Pollack Street (éd. Arko) et de El Perdicion (éd. Caravelle) en est le responsable direct et bienheureux. Qui surprend aussi par son scénario, original, bien ficelé et  alliant avec succès - ce n’est pas toujours le cas - l’aventure, la science fiction et le fantastique. Pour cette partie du travail, c’est Pierre Veys qui s’y est collé, un auteur plus connu jusqu’ici pour ses récits humoristiques tels que Baker street (éd Delcourt), Philipp et Francis (éd. Dargaud) ou plus récemment l’adaptation de Bienvenue chez les Ch’tis (éd. Delcourt). A noter que les tomes 1 et 2 sortent simultanément. Vraiment remarquable ! E.G.

Déni de fuite, Jérôme K. Jérôme Bloche (tome 21), de Dodier. Editions Dupuis. 10,40 euros.

  

Cette affaire là, Jérôme K. Jérôme Bloche n’a pas eu besoin d’aller bien loin pour la trouver. Tout simplement devant son bureau, sur le palier pour être tout à fait précis. C’est là, un matin, qu’il découvre une gamine de 3 ans, seule, un peu perdue, réclamant son papa qui se serait, d’après elle, absenté pour acheter du lait. Mais depuis, plus rien ! Volatilisé le papa. Alors, Jérôme, en bon professionnel, enfile aussitôt sa casquette de détective, ou plus précisément son chapeau mou à la Maigret, et part à la recherche de ce papa dont il retrouve très rapidement la trace. Enfin, une trace… sur la chaussée ! L’homme a été renversé par un chauffard qui s’est bien évidemment envolé. Le papa bien amoché est à l’hôpital. Pour Jérôme K. Jérôme Bloche commence une autre mission : retrouver le fameux conducteur…

Un scénario en forme d’énigme, une narration simple et efficace, un héros égal à lui-même, coiffé de son feutre, engoncé dans son vieil imperméable à la Columbo et à califourchon sur son solex, des personnages secondaires attachants, un graphisme toujours aussi élégant… Le nouveau Jérôme K. Jérôme Bloche est sorti et bien entendu, c’est un bonheur ! Un vrai et grand bonheur. Depuis son apparition dans les pages du supplément Spirou Album + en 1982, ce héros, ou plus exactement cet anti-héros, a imposé un nouveau style de détective privé, plus humain, plus sensible, plus proche du commun des mortels. Un peu à l’image de son auteur, le Dunkerquois Alain Dodier. 27 ans, 21 albums, des centaines de pages… Jérôme K. Jérôme Bloche est aujourd’hui beaucoup plus qu’un personnage ou qu’une série. C’est un univers, une griffe, une façon de concevoir le Neuvième art. Et cette façon là, nous, on aime et on en redemande ! E.G.

L’info en +

Rendez-vous sur le site Culturebox pour visionner un reportage passionnant des équipes de France3 sur Alain Dodier et son dernier album Déni de fuite : c’est ici : culturebox.france3.fr/all…

J’ai le cerveau sens dessus dessous, de David Heatley. Editions Delcourt. 32,50 euros.

  C’est un ouvrage particulier. Très particulier ! Et en même temps très intéressant. J’ai le cerveau sens dessus dessous fait en effet partie de ces albums qui  ne peuvent faire l’unanimité mais qui, quelque part, font avancer la bande dessinée. David Heatley, son auteur, est présenté comme le petit dernier de la nouvelle génération d’auteurs américains de graphic novels. Les célèbres Chris Ware (Jimmy Corrigan, éd. Delcourt) et Daniel Clowes (Ghost World chez Vertige Graphic, Caricature chez Rackham, David Boring chez Cornélius…) en ont fait, dit-on, leur petit protégé. On ne peut rêver mieux comme parrains ! Inconnu en France jusqu’à ce jour, il débarque avec un album – son premier – en forme d’autobiographie sexuelle. Et l’Américain Joe Matt, pourtant spécialiste en la matière (Le Pauvre type chez Delcourt, Epuisé et Strip-tease au Seuil…), pourrait bien passer pour un petit rigolo. En effet, si celui-ci ne nous cachait déjà pas grand chose de sa vie intime, de sa sexualité, de son addiction à la pornographie, de ses relations tumultueuses avec les filles, David Heatley va encore plus loin, n’hésitant pas à aborder la sexualité intime dès l’enfance. C’est direct, parfois cru, voire dérangeant, mais aussi émouvant lorsqu’il parle de sa famille, de son père et de sa mère. Si son trait relativement brut n’a rien à voir avec celui de Chris Ware, David Heatley explore lui aussi les formes narratives, passant de planches plutôt classiques avec une dizaine de vignettes à des planches contenant 48 vignettes, alternant les planches en couleur et celles en noir et blanc, insérant ici ou là des morceaux de textes…. Publié dans la collection Outsider, J’ai le cerveau sens dessus dessous a nécessité un travail éditorial et de fabrication exceptionnel à l’équipe Delcourt afin que l’édition française respecte scrupuleusement l’édition américaine. Mission réussie, l’album est magnifique ! E.G.

Marilyn, de l’autre côté du miroir, de Christian de Metter. Editions Casterman. 18 euros.

  Norman a encore une fois oublié l’anniversaire de sa mère ! De quoi rendre furieux son frère qui lui demande dès le lendemain des explications. « C’est quoi ce coup-ci ? », lui hurle-t-il au téléphone, « t’as passé la nuit avec Marilyn Monroe ? ». Il ne croit pas si bien dire car même si Norman lui-même ne le sait pas encore, il a effectivement passé la nuit avec Marilyn Monroe… et avec Truman Capote. Lui, le jeune homme si ordinaire, si timide, si rêveur, qui souhaite devenir écrivain dans ce New York bouillonnant de la fin des années 50, oui, lui, Norman, a rencontré dans un bar celui qu’il considère comme le plus grand écrivain de tous les temps et la comédienne la plus glamour de la planète. Même si celle-ci était déguisée en brune pour passer incognito ! Et de cette rencontre entre Norman et Marilyn va naître une relation peu ordinaire qui va les conduire un soir d’hiver sur le bord d’une route de campagne enneigée avec pour moyen de transport un coupé Peugeot 203 en panne et pour hébergement de secours un étrange manoir avec d’étranges habitants…

Quel homme n’a pas rêvé de passer une nuit avec Marilyn ? Le héros de Christian de Metter a eu cette chance ! Réalité ? Fantasme ? Le récit ne donne pas la réponse. A chacun de se faire sa propre opinion. Mais l’intérêt de Marilyn de l’autre côté du miroir n’est pas uniquement là ! Avec ce nouvel album, Christian de Metter affiche une nouvelle fois cette propension à inviter le lecteur dans son univers, à lui faire croire à l’impossible, au songe, à le guider entre le réalisme d’un quotidien banal et le fantastique de quelques envolées poétiques. Depuis 2000 et sa première bande dessinée, Emma (éd. Triskel), Christian de Metter trace sa route, marquant peu à peu le Neuvième art d’une oeuvre essentielle, riche, puissante, tant sur le plan du scénario avec des histoires, des angles, des personnages, hors du commun, que sur le plan du graphisme, avec cette sublime touche picturale. Indispensable ! E.G.

Aventures humoristiques, Intégrale Spirou et Fantasio (tome 8), de Franquin, Greg, Delporte, Peyo et Gos. Editions Dupuis. 22 euros.

  Ce huitième volume de l’Intégrale regroupe les quatres dernières aventures écrites par un Franquin fatigué, lassé, malade. Pourtant, même si un message de la rédaction du journal Spirou reproduit ici au beau milieu de l’aventure QRN sur Bretzelburg annonce l’interruption des aventures des deux héros, Franquin étant « très souffrant », rien , absolument rien, dans les pages ne nous indique une quelconque baisse de régime de la part de l’auteur, QRN sur Bretzelburg figurant même parmi les meilleurs récits de la série. Avant que Jean-Claude Fournier ne reprenne la destinée de ces personnages créés par Rob-Vel, alias Robert Velter, en 1938, André Franquin offre donc à la postérité le susdit QRN sur Bretzelburg (version remontée pour l’album), un récit court mêlant complètement les univers de Spirou et Fantasio et de Gaston Lagaffe, intitulé Bravo les brothers, un roman illustré, commande à l’origine de la SNCF, Les Robinsons du rail, et l’utime récit Panade à Champignac. Comme dans les volumes précédents, un dossier d’une vingtaine de pages contenant de nombreuses illustrations replace chaque récit dans son contexte de création. E.G.

Liberté, Arabico (tome 1), de Halim Mahmoudi. Editions Quadrants. 10,50 euros.

C’est l’histoire d’un gamin. Un gamin comme les autres. Ou du moins, qui aurait du être comme les autres, joyeux, inscouciant, dévorant la vie à pleines dents. Mais ce gamin là ne s’appelle pas Jérôme ou François, Paul ou Jean-Michel. Non, dans le quartier, on l’appelle Arabico. Il est français d’origine algérienne. Et mine de rien, ça change pas mal de choses ! Pas moyen pour lui de faire un pas dans le quartier sans être suspecté par la police d’intelligence avec l’ennemi (reste à déterminer l’ennemi !), impossible d’aller à l’école sans une kyrielle de papiers qui attestent sa nationalité française et, bien sûr,  impossible d’échapper à la dissertation sur l’identité. Justement, du haut de ses 13 ans, Arabico se demande bien ce qu’il est. Un Arabe ? Un Français ? Un Maghrébin ? Pour sa mère, il n’y a aucune différence entre un Maghrébin et un Arabe. « En plus Maghrébin, ça veut dire quoi ? », s’exclame-t-elle, « … Que tu n’es ni arabe, ni français!!! Ca ne se dit même pas chez nous ça : Maghrébin ! ». Bon, c’est sûr, ça ne l’aide pas vraiment à y voir plus clair mais au moins sa carte d’identité, elle, indique bien qu’il est français. Oui, mais voilà… Arabico a perdu cette fameuse carte d’identité, le sésame pour une vie supposée meilleure. Alors que les images des sans-papiers arrêtés et expulsés du pays tournent en boucle sur les écrans de télévision, Arabico prend peur et se cache. Pour peu que la police lui tombe dessus…

Arabico n’est pas une fiction, ni une autobiographie ! Alors, c’est quoi au juste ? Réponse : Arabico est une auto-fiction, pour reprendre les termes employés par l’auteur lui-même. « Je n’ai pas perdu ma carte d’identité… », confie-t-il dans une interview, « mais effectivement j’ai vécu les mêmes humiliations / menaces face aux institutions (scolaires, policières, sociales…). Autant de souffrances soit diffuses soit frontales qui laissent des marques durables à l’intérieur… ».

Un auteur normand !

Halim Mahmoudi n’a effectivement pas eu à inventer. Ce récit est inspiré de ses propres expériences et de celles qu’il a pu reccueillir dans la cité dite « sensible » où il a longtemps vécu, une cité d’Oissel, près de Rouen. Enfant de la banlieue, Halim Mahmoudi veut aujourd’hui témoigner… et  « faire passer un message, surtout dans ce climat de diabolisation grandissante des étrangers, de lois punitives, de programmes politiques qui  nous prennent pour cible, comme des ennemis intérieurs, comme si cette lente asphyxie, cette condamnation à mort sociale ne suffisait pas à elle seule ». Arabico parle de ce quotidien dans les cités mais, attention, pas des violences urbaines souvent pointées du doigt par les médias et les politiques. L’album parle avant tout de ces violences beaucoup plus discrètes mais tout autant dévastatrices, celles que l’on peut qualifier de sociales et d’intimes. « De nombreux artistes venant de quartiers parlent de la rue mais pas de chez eux, à la maison ». En racontant le quotidien de ce petit garçon, l’auteur nous ouvre donc les portes de cette intimité et nous offre un témoignage direct, sincère, fort et bouleversant, un regard neuf et objectif sur les frustrations, les souffrances, les peurs, les doutes, les difficultés de l’intégration, sur la vie en somme de toute une frange de la population, issue de l’immigration…

Liberté, égalité, fraternité.

A l’heure où vont se tenir partout en France des débats sur l’identité nationale, le récit d’Halim Mahmoudi trouve une résonnance toute particulière. Prévu en trois volets, Liberté, Egalité et Fraternité, Arabico décryptera les trois grandes étapes de la vie du personnage : la sortie de l’enfance, c’est l’objet de ce premier tome, la sortie de l’adolescence puis l’entrée dans l’âge adulte. Arabico est un récit d’une rare intensité dans la lignée des bandes dessinées militantes d’un Baru (Le Chemin de l’Amérique, L’Autoroute du soleil, L’Enragé…) ou des bandes dessinées documentaires d’un Davodeau (Rural!, LesMauvaises gens,  Un Homme est mort…). Et comme dirait le jeune héros de Halim Mahmoudi : « Fils d’immigrés, c’est français ou étranger, ça ? ». E.G.

Sous son regard, de Marc Malès. Editions Vents d’ouest. 17,99 euros.

  Couv_95609Une Packard ? Quelle idée ! L’agence de location ne pouvait trouver mieux pour énerver Jack Barton. Lui proposer une Packard pour ses vacances… Et puis quoi encore ? A lui, le flic qui a justement passé tant de temps et d’énergie et risquer sa vie à pourchasser le fameux Gang Packard , une bande de pilleurs de banques qui agissaient vite et bien, et surtout sans jamais avoir recours à la  violence. Du moins jusqu’à ce fameux jour où un policier en moto se mit en travers de leur route… L’horreur ! Mais le gang avait été finalement démantelé et le chauffeur présumé arrêté et lourdement condamné. C’était dans les années 30. Pour l’inspecteur Barton, la vie a continué, difficilement. Vingt ans plus tard, il part en vacances. De drôles de vacances en vérité. L’inspecteur a retrouvé la trace du chauffeur, Frank Foster, libéré après 20 ans de prison. Et il veut le revoir. Mais l’homme n’a plus grand chose en commun avec le truand qu’il a autrefois connu. Foster est aujourd’hui rangé des voitures comme on dit. Il est marié, père de famille, exerce la profession modeste mais honnête de livreur pour une épicerie et ne louperait pour rien au monde la messe dominicale. Il est dans le droit chemin et rien ne pourrait semble-t-il l’en détourner. Cependant, Barton a quelques questions à lui poser et compte bien réveiller en lui le sombre passé qui sommeille…

Le trait est racé. Les planches sont en noir et blanc. L’ambiance est somptueusement sombre, presque oppressante. Les dialogues sont plutôt rares et la voix off omniprésente. Les personnages ont du caractère… Normal ! Sous son regard est un polar, un récit noir, très noir, viril, très viril, où il n’y a pas vraiment de gentils, ni de méchants, juste des flics, des voyous et des repentis qui tentent de dépasser la tragédie de la vie. Eclectique, Marc Malès a déjà abordé le polar avec les aventures de Frank Weiss (La Mort obèse et Le Requin, mon frère parus chez Glénat) mais aussi l’historique avec De silence et de sang et le western avec Mille Visages… Avec Sous son regard, l’auteur rend un merveilleux hommage aux films noirs américains des années 50. Une belle leçon de graphisme et de scénario !

Eric Guillaud