08 Août

Cent mille journées de prières (livre second), de Michäel Sterckeman et Loo Hui Phang. Editions Futuropolis. 21 euros.

Louis voudrait tant que son père soit à ses côtés. Que les choses se soient passées autrement. Qu’il n’y ai jamais eu de guerre, de Khmers rouges, de génocide, de retour précipité en France pour sa mère alors enceinte. Mais cent mille journées de prières ne suffiraient pas à changer les choses, à les effacer. Alors, Louis doit faire avec et supporter de ne jamais avoir connu son père ou le Cambodge, supporter sa différence, supporter les moqueries de ses camarades de classe, supporter le silence, les non-dits, de sa mère… Jusqu’au jour où une famille cambodgienne se réfugie dans sa propre maison avec pour effet direct de délier les langues. Louis fait alors connaissance avec un pays et un père qui, loin d’être un tortionnaire comme il a pu le craindre un moment, fût victime des Khmers rouges…

Nous attendions ce deuxième volet de Cent mille journées de prières avec une certaine impatience, pour ne pas dire une impatience certaine, tant le premier tome nous avait surpris, bouleversé et interrogé. Dans ces 120 nouvelles pages, la scénariste Loo Hui Phang nous en apprend plus sur ce petit garçon de huit ans, confronté au racisme « ordinaire » de ses camarades de classe et en même temps à un lourd secret de famille. De même, on en apprend plus sur ce père qu’il n’a jamais connu et surtout sur la relation que celui-ci, déjà marié et père de famille au Cambodge, a entretenu avec sa mère. En préface au premier volet, l’auteure racontait comment son propre père lui avait appris il y a quelques années qu’il avait eu un frère et trois de ses sœurs assassinés par les khmers rouges. « En quelques minutes, j’ai vu surgir puis disparaître une partie de ma famille… »,confiait Loo Hui Phang, « Cette révélation a donné un visage à mes cauchemars. Il est des événements familiaux qui se muent en secrets, retenus sous un voile de pudeur. Enterrés sous des années de silence, ils continuent de hanter les vivants, d’opérer dans l’ombre leur travail de destruction… ». Un récit poignant, pudique, sensible, merveilleusement mis en images par le dessinateur Michaël Sterckeman ! EGuillaud

lire la chronique du premier volet

05 Août

32 Histoires, de Adrian Tomine. Editions Delcourt. 13,95 euros.

C’est avec Les Yeux à vif, publié en 1998, et plus encore avec Blonde platine, sorti en 2003 et récompensé par le prix du meilleur album du festival d’Angoulême, que nous avons pu découvrir de ce côté-ci de l’Atlantique le travail de ce jeune et talentueux auteur américain.  Dans ces deux albums, Adrian Tomine proposait des histoires courtes, des tranches de vie ordinaires, des instantanés, dans un style proche d’un autre grand du Neuvième art : Daniel Clowes. Cette marque de fabrique, Tomine l’entretient en fait depuis ses débuts même si son dessin est aujourd’hui plus épuré et son approche moins autobiographique. Preuve en est 32 Histoires, un album initialement paru au Seuil en 2004 et disponible depuis juin dans la collection Outsider des éditions Declourt, une édition augmentée de 14 histoires totalement inédites en France qui témoignent déjà de l’immense potentialité de l’auteur et de sa très rapide progression. Tous ces récits, plus de 32 contrairement à ce que pourrait laisser imaginer le titre, sont issus des sept premiers numéros de la série de mini-comics Optic Nerve publiée au début des années 90 à compte d’auteur par un Adrian Tomine alors âgé de 17 ans. Pour l’anecdote, le premier numéro de ces mini-comics avait été tiré à 25 exemplaires !!! EGuillaud

04 Août

L’invention du vide, de Nicolas Debon. Editions Dargaud. 16,45 euros.

Un pic ! Gigantesque, monstrueux, qui culmine à 3482 mètres, avec des murailles infranchissables qui ont résigné les meilleurs guides. C’est le Grépon, l’une des aiguilles de Chamonix dans le massif du Mont-Blanc. Nous sommes en 1881. Albert F. Mummery, Alexander Burgener et Benedikt Venetz ont décidé d’en faire l’ascension. Corde de manille, piolets, lunettes, boussole, guêtres en laine, compresses de graisse contre les ampoules, viande fumée, biscuits, vin, champagne… les sacs sont prêts, les hommes aussi. L’aventure peut alors commencer !

Après nous avoir raconté l’épopée des forçats de la route dans le Tour de France (Le Tour des géants, aux éditions Dargaud), Nicolas Debon prend de la hauteur pour nous plonger corps et âme dans une autre aventure, toute aussi palpitante et sportive, celle des débuts de l’alpinisme moderne, et ce en compagnie d’une de ses figures emblématiques, l’Anglais Albert F. Mummery. Basé sur sur les écrits laissés par celui-ci, L’invention du vide nous montre la voie de la passion, du dépassement de soi, de l’obstination, de la folie aussi parfois. Car, oui, il en fallait de la folie pour s’attaquer à ces montagnes avec le matériel alors disponible, bien évidemment rudimentaire, et la conception archaïque qu’on avait de l’alpinisme à l’époque. Lors de cette ascension du Grépon, Mummery va d’ailleurs dépoussiérer la discipline et lui donner sons sens moderne, à commencer par une plus grande communion de l’homme avec la nature. Dans un style très pictural, aux ambiances très travaillées, Nicolas Debon rend un très bel hommage à ces explorateurs du monde vertical. EGuillaud

14 Juil

Une question de vie ou de mer, Marineman (tome 1), de Ian Churchill. Editions Glénat. 16,95 euros.

Il se nomme Steve Ocean mais tout le monde l’appelle Marineman. C’est un biologiste reconnu mais aussi un présentateur et producteur de documentaires marins pour la télévision. Adulé par les enfants, fantasmé par les femmes, jalousé par les hommes, Marineman est un gars plutôt… bien bâti, qui n’a peur de rien, surtout pas de l’eau et de ses habitants, comme les requins qu’il côtoie régulièrement. Mais ce qui va le rendre encore plus célèbre, c’est un accident de plongée, un cameraman bloqué dans une cage à requins, et Marineman qui plonge pour le sauver… sans bouteille. Le monde entier apprend alors que Marineman peut respirer sous l’eau…

« C’est la création d’un adulte qui parle à l’enfant qui est en nous », déclare Dave Gibbons (Watchmen, Martha Washington…) dans une préface bien évidemment élogieuse. Et il a absolument raison tant le personnage central allie tout ce dont peut rêver un jeune garçon et même un homme : la force, la beauté, le charme, l’humour, l’intelligence, la réussite, un super sourire et, bien sûr, un super-pouvoir qui lui permet de communier avec l’océan. Mais qui est vraiment Marineman ? D’où vient-il ? Que veut-il ? Quelle est sa véritable identité ? Autant de questions que se posent les lecteurs au début de ce récit et qu’ils ne se poseront plus le livre une fois refermé. Le scénario associe subtilement action, humour et écologie, le graphisme de son côté, très épuré, limpide, dynamique, rappelle certaines productions de la collection Série B chez Delcourt. EGuillaud

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L’info en +

Marineman a été nommé aux Eisner Awards 2011 dans la catégorie « Meilleure nouvelle série ».

13 Juil

Clara, de Christophe Lemoine et Cécile. Editions Le Lombard. 10,60 euros.

Passer par le square, partager le goûter avec les canards, jouer à la balançoire, s’arrêter à la boulangerie… Clara raffole de ces petits moments qu’elle partage avec sa mère le soir à la sortie de l’école. Si elle en connaissait exactement la signification, elle parlerait de bonheur. Un bonheur simple, vrai, mais un bonheur qui ne va malheureusement pas duré. Sa maman est malade. Très malade. Et elle décède subitement. Pour Clara commence alors un long travail de deuil…

Avec Clara, Christophe Lemoine au scénario et Cécile, au dessin, racontent une histoire universelle, une histoire profondément triste, émouvante, sensible et en même temps poétique autour des thématiques de la maladie, de la mort, de l’absence et du deuil. Un très bel album, merveilleusement bien construit et mis en images. Coup de coeur ! EGuillaud

12 Juil

La traversée du Louvre, de David Prudhomme. Editions Futuropolis. 17 euros.

Après Nicolas de Crécy (Période glaciaire), Marc-Antoine Mathieu (Les Sous-sols du révolu), Eric Liberge (Aux heures impaires), Christian Durieux (Un enchantement), Hirohiko Araki (Rohan au Louvre), Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière (Le ciel au dessus du Louvre), c’est au tour de David Prudhomme de nous offrir sa vision du musée du Louvre dans un album de bande dessinée coédité par Futuropolis et Louvre Editions. L’auteur de Rebetiko ou de La Marie en plastique avec Pascal Rabaté se met ici en scène, déambulant en solitaire au milieu d’une foule d’anonymes, « des lecteurs de partout, venus du monde entier » comme dit l’auteur qui a l’impression d’être dans une BD géante, chaque tableau accroché aux murs formant une case. Et plus que les oeuvres elles-mêmes, ce sont les visiteurs et leur comportement qui interpellent David Prudhomme. Tous ces anonymes justement qui font la queue, s’agglutinent, s’isolent, méditent, scrutent, lisent, s’embrassent, photographient, se photographient, s’amusent, s’interrogent… la plupart du temps en silence. Avec ce récit drôle et léger, David Prudhomme nous offre un regard décalé sur le musée et plus généralement sur l’art et sa perception. En bonus, une autre traversée du Louvre, quatre pages de chiffres sur le musée, le bâtiment, les oeuvres, les visiteurs et les agents. EGuillaud

Lunes birmanes, de Sophie Ansel et Sam Garcia. Editions Delcourt. 22,95 euros.

L’histoire commence dans les années 80 quelque part dans la jungle birmane. Thamaza est alors un enfant joyeux et insouciant. Mais déjà, les bruits de bottes de la junte militaire se font entendre au loin. Et de fait, les soldats débarquent un beau jour dans son village et modifient le cours de sa vie. Témoin direct des atrocités commises par la dictature, le jeune garçon décide de rejoindre quelques années plus tard Mandalay, la deuxième plus grande ville du pays. Là, il multiplie les petits boulots et participe activement aux réunions secrètes des opposants au régime. En 1996, une manifestation pacifique réunissant des étudiants et des intellectuels tourne mal. Thamaza, comme beaucoup d’autres, se voit contraint de fuir le pays. Mais il est arrêté, torturé, jugé et condamné à 65 ans de prison ! Et même s’il parvient à s’évader, Thamaza n’en a pas pour autant fini avec la brutalité des hommes…

Alors que la Birmanie se retrouve depuis quelques temps sous les feux de l’actualité avec la mise en place d’un régime dit « civil » et une relative ouverture du pays sur le reste du monde, Sophie Ansel et Sam Garcia nous proposent de plonger dans ce qui fût, et risque malgré tout d’être encore quelques temps, la réalité birmane. Scénariste et journaliste, Sophie Ansel connaît bien l’Asie du Sud-Est pour y avoir vécu plusieurs années. Son premier voyage en Birmanie la fascine littéralement. Elle y reste le temps nécessaire pour approcher, comprendre, sentir le pays. Mais ce sont les exilés birmans, rencontrés en Malaisie, qui vont lui apporter véritablement matière à l’écriture de ce livre. Elle recueille quantité de témoignages sur la vie des réfugiés et surtout sur le quotidien de la population birmane, sur les tortures, les meurtres, les viols et autres exactions commises par le régime militaire. A la fois BD documentaire et fiction, Lunes birmanes associe faits réels et personnages imaginaires pour offrir au final sur plus de 200 pages un témoignage dur, violent, amplifié par la mise en scène de l’Espagnol Sam Garcia, une mise en scène très crue, brutale, mais à l’image de la réalité. EGuillaud

09 Juil

Down Under et Les Quatre coins du monde : rendez-vous avec la grande aventure

Vous rêvez de grands espaces ? De liberté ? D’action ? D’aventure ? Voici donc une sélection d’albums qui devrait vous contenter. D’un côté Les Quatre coins du monde,de Hugues Labiano, chez Dargaud. De l’autre, Down Under, de Nathalie Sergeef et Fabio Pezzi, aux éditions Glénat. Deux premiers albums qui vont vous faire voyager dans le temps et l’espace…

Premier dans l’ordre d’apparition, Les Quatre coins du monde nous entraîne dans le massif du Hoggar dans le grand sud saharien. Nous sommes au début du XXème siècle, les unités méharistes françaises tentent de pacifier la région en établissant des relations privilégiées avec les tribus nomades. C’est dans ce contexte que nous faisons connaissance avec le sous-lieutenant Dupuy, fraîchement débarqué de St-Cyr, et surtout le capitaine Barentin qui va lui enseigner le désert, son histoire, ses règles, ses réalités et ses mythes. Un graphisme réaliste de belle facture, des décors grandioses, des couleurs et des ambiances somptueuses, une aventure à forte dimension humaine prévue en deux volumes.

Changement de décor. Changement d’époque. Nous sommes cette fois en Australie à la fin du XIXème siècle. Pour le jeune orphelin irlandais Lonàn O’Farrell, 10 ans, comme pour des millions de migrants, cette terre représente l’espoir d’une vie meilleure. Confié lors de son arrivée sur l’île-continent à un père adoptif violent et stupide, Lonàn décide très vite de s’enfuir. Il se cache dans un chariot, celui de Ian McFarlane, un fils de migrant écossais en route vers l’exploitation familiale. Un très long voyage et à l’arrivée une mauvaise surprise : le père de Ian est mort, son frère a disparu et la propriété a été vendue dans des conditions particulièrement obscures. Western  transposé sur les terres australiennes, Down Under nous plonge au coeur d’une nature à la fois sauvage et magnifique pour un récit épique sur fond de colonialisme et de culture aborigène. Le scénario, signé par une jeune femme, Nathalie Sergeef, et le graphisme de Fabio Pezzi, s’inscrivent dans une veine classique, trop classique diront certains, tout en offrant un dépaysement bienvenu et un bon moment de lecture. EGuillaud

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Dans le détail :

Down Under (tome 1), de Nathalie Sergeef et Fabio Pezzi. Editions Glénat. 13,90 euros.

Les Quatre coins du monde (tome 1), de Hugues Labiano.  Editions Dargaud. 14,99 euros.

07 Juil

La Peau de l’ours, de Zidrou et Oriol. Editions Dargaud. 14,99 euros.

Pas facile de repousser les avances de Silvana. Tous les jours, la jeune femme attend Amadeo à la sortie du village. Jupe retroussée. Mais rien à faire, Amadeo doit remplir sa mission quotidienne : aller chez le vieux bigleux de Don Palermo et lui lire son horoscope, particulièrement la section « amour ». Après tout, comme le dit Don Palermo lui-même, « en amour il n’y a pas de date de péremption ». Et de raconter sa vie, sa jeunesse comme montreur d’ours dans un cirque de pacotille, sa rencontre avec un chef mafieux terriblement sanguinaire dont il deviendra le bras droit. Et puis l’amour, la trahison, la mort qui rode…

Zidrou, connu pour ses récits jeunesse parus chez Dupuis, Casterman ou Le Lombard (Sac à puces, Tamara, L’élève Ducobu…), signe ici un récit coup de poing pour adultes, une histoire d’amour impossible ou plus exactement interdite qui finira mal bien évidemment, dans la trahison, la vengeance et le sang. La Peau de l’ours est une histoire noire, très noire, violente et sans concession, redoutablement efficace sur le plan narratif. Et que dire du graphisme ? Oriol Hernandez délivre un trait anguleux, franc, direct et expressif qui nous hâpe littéralement pour ne nous lâcher que la dernière page tournée. Et encore. Magnifique ! EGuillaud