Boudiou, les tarés du magazine anglais culte des années 80 2000 AD nous avaient pourtant habitué à aller très loin dans leurs délires. Notamment avec la série ultra-acide Judge Dredd, à laquelle comme par hasard presque tous les artistes présents au générique de Nemesis ont d’ailleurs participé, en premier lieu le scénariste Pat Mills. Et puis on avait déjà prévenu par un premier tome bien épique il y a dix-huit mois… Mais là, c’est officiel : Nemesis Le Sorcier est la série la plus dingo et la plus cosmique de l’univers 2000 AD !
Les points communs entre Nemesis et Judge Dredd sont légions : l’ambiance steampunk, l’humour ultra-noir, la violence sans aucun filtre et, à peine sous-jacent, la virulente critique sociale. Sauf que par rapport à celui qui est la Loi, Nemesis ajoute d’abord une grosse louche de dark fantasy et de mysticisme mais surtout gagne au fur et mesure en puissance, jusqu’à la démesure. Sorti à l’automne 2019, le précédent volume de cette première traduction française quarante ans presque après sa parution initiale avait posé les bases de l’univers en quelque sorte : une Terre ravagée par les guerres nucléaires et où les êtres humains se sont réfugiés sous la surface, dans des mégalopoles rappelant beaucoup le foyer de Dredd (Mega City One) où les citoyens vivent sous la coupe de Torquemada, inquisiteur fou à lier. Assistés par ses Terminators (oui, des années avant le film du même nom), ce bigot sème la terreur tout en faisant la guerre à ceux qu’il nomme les déviants, en premier lieu les aliens (terme, on s’en souvient, qui pourrait se traduire par ‘étranger’). Seul face à lui, Nemesis, magicien au look de centaure cyberpunk…
© Delirium / Pat Mills, Kevin O’Neill, Bryan Talbot & John Hickelton
Après un donc premier tome pourtant déjà assez délirant avec son noir et blanc classieux, ces nouvelles hérésies serties dans une, une nouvelle fois, très belle édition à couverture cartonnée vont encore plus loin, accentuant l’aspect space opera de la saga tout en y ajoutant des paradoxes temporels. Surtout, Mills se focalise ici sur Torquemada, génial et sadique bad guy à qui il fait tout subir mais pour mieux à chaque fois le remettre en selle, quitte à reléguer au second plan un Nemesis plus nuancé car au final assez éloigné de l’image du chevalier blanc que l’on pourrait avoir de lui. Mais surtout, au-delà des multiples clins d’œil à la pop culture (les connaisseurs reconnaîtront même Vincent Price au détour d’une page par exemple) il ne semble y avoir ici aucune limite, ni en terme de graphisme ni de détours scénaristiques. Lorsque John Hicklenton prend le stylo sur le dernier quart, la série plonge alors dans une noirceur inégalée, où toute trace d’ironie a disparu, pour ne laisser que des personnages plus grotesques et déstabilisants les uns que les autres et où plus aucune lumière ne filtre.
© Delirium / Pat Mills, Kevin O’Neill, Bryan Talbot & John Hickelton
Difficile de résumer ces trois cents et quelques pages apocalyptiques, surtout que sa parution originale en épisode hebdomadaire ont imposé à leurs auteurs à enquiller des rebondissements à la chaine à en faire pâlir d’envie les scénaristes de la série 24H. Mais au-delà du côté luxueux de l’objet et de ses bonus à la hauteur – dont des romans photos ( !) et une ‘histoire de vous êtes le héros’ – cette ressortie dantesque consacre surtout Nemesis comme l’un des récits les plus épiques et les plus épiques jamais publiés dans les pages du pourtant pas très avare en superlatifs 2000 AD. Bref, on ne va pas y aller pas quatre chemins : buy or die !
Olivier Badin
Nemesis Le Sorcier – Les Hérésies Volume 2 de Pat Mills, Kevin O’Neill, Bryan Talbot & John Hickelton. Delirium. 35 €