Il en rêvait depuis son adolescence, c’est fait ! Xavier Coste vient de sortir aux éditions Sarbacane une adaptation en bande dessinée de 1984, le roman culte de George Orwell, le tout avec le soutien indéfectible de son éditeur, les éloges de la presse spécialisée et l’engouement affiché du public. Comment vit-il ce moment forcément intense lui qui, il y a presque 10 ans, à l’occasion de son premier livre, nous confiait déjà ici-même son amour pour la science-fiction ? Réponse ici et maintenant…
Je t’avais interviewé en 2012 autour de ton premier album, une biographie romancée du peintre autrichien Egon Schiele. C’était d’ailleurs ta toute première interview je crois. Aujourd’hui, tu fais la couverture d’un magazine de référence comme dBD avec 10 pages d’interview. C’est le début de la consécration ? En quoi ton regard sur la BD a-t-il pu changer après toutes ces années ?
Xavier Coste. C’était ma première interview et je m’en souviens très bien. Aujourd’hui ce qu’il m’arrive avec la sortie de 1984 est incroyable ! Dès la sortie l’accueil en librairie et en presse a vraiment dépassé mes attentes. On a lancé la réimpression au bout de quelques jours seulement. Je savoure ma chance d’avoir un livre qui fonctionne aussi bien, d’autant que ça n’a pas toujours été le cas. A titre de comparaison, même si certains de mes albums se sont fait remarquer, surtout le premier sur Egon Schiele, la réimpression n’avait été faite qu’au bout de trois ans, pour le même tirage au départ. Ici c’est trois jours !
Clairement il se passe quelque chose, et j’espère que ça me permettra d’avoir une visibilité supplémentaire sur mes prochains albums. Quand j’ai commencé il y a une dizaine d’années, je pense qu’il y avait de la place pour plus d’auteurs, et c’est devenu très compliqué pour la majorité d’en vivre correctement ou de faire remarquer son travail, quel qu’en soit la qualité. En cela mon regard a changé sur la bd.
Je vois régulièrement de très bons livres passer assez inaperçu.
Sept albums en neuf ans si je compte bien. C’est beaucoup surtout quand on sait qu’un livre comme Rimbaud l’indésirable fait plus de 100 pages ou 1984 plus de 200. Il faut être audacieux aujourd’hui pour se faire une place dans le milieu de la BD ?
Xavier Coste. C’est beaucoup d’années de travail, et j’essaie pour chaque projet d’aller au bout de ma démarche, et de ne pas me limiter en termes de pagination. C’est compliqué de se faire une place aujourd’hui, car les livres ont une durée de vie de plus en plus courte en rayon, à moins de se faire remarquer dès la sortie. Avec les années, j’ai vu à quel point ça s’accélérait et c’est une chose avec laquelle j’ai du mal, car un album représente souvent un ou deux ans de travail. D’une certaine manière je pense qu’il faut être audacieux en bd aujourd’hui, car c’est difficile pour tous les auteurs, et à mon avis il faut vraiment tenter ce que l’on a envie de faire et se faire confiance.
J’essaie d’être le plus sincère possible dans mon travail. Quand j’ai commencé à travailler sur ma version de 1984, en format carré, avec un pop-up, beaucoup de gens du milieu me freinaient et me disaient que c’était une erreur et que ça pourrait même rebuter les lecteurs. L’accueil qu’on reçoit montre au contraire qu’il y a une vraie attente pour des livres différents et c’est un très bon signal. On est très fiers avec Sarbacane d’avoir sorti le livre qu’on rêvait de faire, sans compromis. C’était un vrai pari, car faire un pop-up coûte extrêmement cher, et nous nous sommes compliqués la tâche en faisant un pop-up difficile à réaliser.
L’éditeur m’a permis de faire le livre tel que je l’imaginais, et m’a même aidé à aller plus loin, car le pop-up réservé à la première édition est son idée. Je n’aurais même pas osé en rêver !
Est-ce que ce n’était pas un peu effrayant tout de même de partir sur l’adaptation d’un roman comme 1984, une référence en SF, une référence tout court ?
Xavier Coste. Cela fait 15 ans que ce projet m’obsède. J’ai découvert le roman d’Orwell quand j’étais adolescent et dès la première lecture j’ai eu envie de l’adapter en bande dessinée. Ça a toujours été une évidence pour moi, j’avais beaucoup d’images en tête pour l’adapter. De ce fait, d’une certaine manière je ne me suis pas posé de questions au départ, et j’avais l’énergie et la fougue de la jeunesse, j’étais guidé par mon instinct.
Pour des questions de droits je n’ai pas pu réaliser ce projet jusqu’à maintenant, et pendant longtemps j’ai cru que je ne pourrais pas le concrétiser. Ça restait un projet lointain dans ma tête, dont j’avais une idée assez précise et que je finissais par idéaliser. Quand le moment est enfin venu de me mettre à travailler dessus, et que je me suis retrouvé face à une page blanche, ça a été comme un saut dans le vide.
C’était clair pour moi : il fallait que je fasse cet album comme si c’était le dernier. J’ai mis tout ce que je pouvais dedans.
Avec la crise sanitaire, les restrictions de mouvement, les obligations de distanciations sociales, certains évoquent à tort et à travers le retour de Big Brother. Qu’en penses-tu ? Comment as-tu vécu, comment vis-tu encore ces moments anxiogènes ?
Xavier Coste. J’ai mal vécu cela, j’avais l’impression d’être devenu fou et de vivre dans ma bande dessinée ! J’ai passé presque 3 ans à faire cette adaptation de 1984, et j’étais en plein bouclage quand le premier confinement a eu lieu. Ce qui me plait dans mon travail d’auteur de bande dessinée c’est justement d’échapper à l’actualité, et de créer ou de dessiner un monde qui n’a rien à voir avec notre quotidien.
Ces restrictions de liberté m’ont posé beaucoup de questions, et j’ai trouvé les attestations de déplacement tellement ubuesques que j’ai souhaité en intégrer une en page de titre, tant c’est le genre de détails crédibles dans le monde de 1984. Je regrette par contre que 1984 soit aujourd’hui sur-cité, parfois pour de mauvaises raisons, et cela peut être réducteur.
Il ne faut pas oublier que si 1984 dépeint à la perfection un pouvoir totalitaire et son fonctionnement, c’est aussi une histoire d’amour.
Comment se remet-on au travail après un tel projet ? Sur quoi planches-tu aujourd’hui ?
Xavier Coste. Difficilement ! Lire 1984 est un uppercut, et ne laisse pas le lecteur indemne. Pour dessiner un livre, j’ai ce besoin de me plonger entièrement dans l’ambiance, sinon le dessin sonne faux, et autant vous dire qu’ici c’était assez lourd. Une fois que le livre a été achevé j’ai fait une grosse pause, qui était nécessaire, et j’ai bien cru que je n’arriverais plus à faire d’album tant j’y avais mis toute mon énergie. Mais aujourd’hui l’envie est là, plus que jamais avec l’accueil que mon livre reçoit ! Je travaille sur deux nouveaux projets de bande dessinée très différents, toujours chez Sarbacane, dont l’un avec Martin Trystram au scénario. J’espère arriver à surprendre le lecteur en proposant encore une histoire et un sujet bien différents ! Je suis content de travailler avec un éditeur qui me fait autant confiance et me laisse une liberté totale.
Merci Xavier, propos recueillis par Eric Guillaud le 17 janvier 2021
À lire aussi la chronique de l’album ici et la très bonne interview du magazine dBD dans le numéro 149 de décembre janvier 2020 2021
1984, de Xavier Coste. Sarbacane. 35€