À quoi reconnaît-on une oeuvre littéraire majeure ? Peut-être aux mots qu’elle laisse dans son sillage et aux images qu’elle fait naître dans la pensée des lecteurs. En ce sens, 1984 est un pur chef-d’oeuvre, un livre qui a marqué son époque et reste farouchement d’actualité. Les quatre adaptations BD qui se disputent actuellement les étagères de nos librairies préférées en sont peut-être la preuve la plus éclatante. Big Brother is watching you !
Longtemps, les ayants droits de George Orwell ont voulu contrôler le nombre 1984, guettant d’un oeil tout orwellien l’utilisation qu’il pouvait en être fait bien au-delà du seul monde littéraire. Ainsi, un animateur de webradio, créateur d’un tee-shirt « 1984 is already here » en garde un amère souvenir, obligé il y a une poignée d’années de retirer son oeuvre de la vente.
Mais aujourd’hui, quelque chose a changé. Tout simplement, le roman publié en 1949 quelques mois avant la mort de son auteur, est tombé dans le domaine public, libre de droits depuis le 1er janvier de cette année.
Résultat ? C’est la guerre des adaptations, elles sont au nombre de quatre en ce mois de janvier. Si 1984 a été maintes fois adapté au cinéma, à la télévision, au théâtre ou encore décliné en chanson, il ne l’avait étrangement jamais été en bande dessinée. Le retard est rattrapé et bien rattrapé.
Parmi ces quatre adaptations, un livre de Xavier Coste, paru aux éditions Sarbacane. L’auteur des – déjà – remarqués Egon Schiele vivre et mourir, Rimbaud l’indésirable ou encore A comme Eiffel, signe une adaptation qui fera date dans l’histoire de la bande dessinée, quasi-monumentale, 224 pages en quadri accompagnées d’un magnifique pop-up réalisé par un ingénieur papier du nom de Nicolas Codron, réservé – prévient l’éditeur – à la seule version originale.
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L’interview de Xavier Coste à lire ici
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D’où l’importance de se jeter rapidement sur la bête mais que les retardataires se rassurent, l’album ne perd en rien de sa qualité et de sa compréhension en son absence. C’est un plus, un bonus, un cadeau qui couronne une très belle adaptation que l’auteur a voulue la plus fidèle possible à l’oeuvre d’Orwell avec des dialogues pratiquement pas modifiés, des décors oppressants à souhait, des couleurs ternes, sans vie, un rythme volontairement lent et un format carré qui apporte un supplément de déshumanisation à l’ambiance générale.
Dans un format et un style plus classique, le 1984 de Jean-Christophe Derrien et Rémi Torregrossa paru chez Soleil apporte lui-aussi une relecture de l’oeuvre culte d’Orwell avec pour les auteurs une volonté affichée de mettre le texte à la portée du plus grand nombre en en simplifiant certains passages. L’album est traité en noir et blanc avec ici ou là, sur certaines pages et certaines cases, des touches de couleur qui apportent un peu d’espoir dans ce monde très sombre.
En ces temps de pandémie, de distanciation sociale, de restriction des libertés individuelles, ces adaptations nous rappellent combien le roman de George Orwell pouvait être visionnaire. Bien évidemment, ce que le contexte sanitaire impose aujourd’hui est très éloigné de ce que pourrait amener une dictature avec le contrôle de la pensée mais 1984 est là pour nous rappeler – si besoin est – que l’avenir est une histoire qui reste à écrire, pour le pire ou pour le meilleur.
Eric Guillaud
Le 1984 de Derrien et Torregrossa est paru aux éditions Soleil (17,95€), celui de Coste est sorti chez Sarbacane (35€). Deux autres adaptations sont aujourd’hui disponibles, celle de Fido Nesti et Josée Kamoun aux éditions Grasset (22€), celle de Sybille Titeux de la Croix et Ameziane Hammouche aux éditions du Rocher (19,90€)