11 Déc

Chroniques de Noël. Il était 2 fois Arthur, une biographie de Cravan et Jack Johnson signée Carré et Antico

Noël approche et vous séchez affreusement côté cadeaux ? Pas de panique, les Chroniques de Noël sont là pour vous venir en aide avec des bandes dessinées qui pourraient bien faire de l’effet au pied du sapin. Comme celle-ci, sortie en septembre dernier, Il était 2 fois Arthur ou la trajectoire de deux boxeurs dans un monde qui ne prenait pas de gants…

On peut détester Trump pour diverses raisons mais on doit lui reconnaître une certaine faculté à déstabiliser son monde, à être là où ne l’attend pas du tout, par exemple lorsqu’il réhabilite un champion de boxe noir victime de racisme. C’était en mai 2018 et ce champion en question n’était autre que Jack Arthur Johnson, sacré champion du monde de boxe en 1908, condamné à de la prison en 1913 pour avoir eu des relations avec une femme blanche.

Jack Arthur Johnson est l’un des deux boxeurs dont on peut croiser les destinées – et dont les destinées se croisent – dans cet album signé Carlé et Antico. Le second étant Arthur Cravan, poète et boxeur, considéré par les dadaïstes et les surréalistes comme un des précurseurs de leurs mouvements respectifs.

Les deux hommes se rencontrèrent une fois, en 1916 à Barcelone, pour un combat que l’on présente comme la première performance de l’histoire de l’art.

La boxe, un art ? En tout cas, pour beaucoup, un moyen d’échapper à sa condition. Jack Johnson l’a espéré en plongeant à corps perdu dans ces combats synonymes pour lui de liberté. Mais s’il eut le droit de monter sur les rings, Johnson s’aperçu très vitre que pour le reste, rien n’était gagné. Le champion restait un champion noir dans une Amérique ségrégationniste et raciste qu’il fuit un temps avant d’y revenir et de purger une peine de prison pour avoir épousé une femme blanche.

Arthur Cravan, lui, était blanc. Pourtant, lui aussi dérangeait les bonnes moeurs, faisant du scandale une véritable stratégie. Fuyant pour sa part l’Europe en guerre, Cravan rejoignit l’Espagne avant d’embarquer pour New York et finalement disparaître mystérieusement au large du Mexique.

Malgré des options narratives à mon sens discutables, Carlé et Antico nous offrent ici une double biographie singulière et prenante doublée d’un regard lucide sur le monde de la boxe et plus largement sur le monde occidental de ce début du XXe siècle.

Eric Guillaud

Il était 2 fois Arthur, de Carlé et Antico. Dupuis. 28,95€

09 Déc

Une nouvelle collection autour du sport et notamment du football aux éditions Dupuis…

Vive le sport ! Et vive le sport avec les éditions Dupuis qui viennent de sortir simultanément quatre albums, autant d’aventures au coeur des clubs de l’Arsenal, de l’Olympique lyonnais, du F.C. Barcelone et du standard de Liège…

Des aventures humaines mêlant réalité et fiction autour d’un club de football légendaire, voilà le speech commun à ces quatre premiers albums publiés il y a quelques jours dans la nouvelle collection Sport des éditions Dupuis.

Le Standard de Liège, l’Olympique Lyonnais, l’arsenal F.C. et le F.C. Barcelone sont au coeur de ces aventures, ici deux enfants que tout oppose réunis grâce au football, là un jeune garçon et son nouveau beau-père qui se découvrent une complicité le temps d’un match, là encore une travailleuse sociale qui va tout faire pour dégotter un abonnement pour un des ses protégés handicapés, là enfin une journaliste culture envoyée sur la finale de Coupe de France et qui se retrouve plongée dans une folle enquête policière.

Dans des styles graphiques différents, ces quatre albums illustrent comment la passion pour le ballon rond peut aussi aider dans la vie à briser la glace, dépasser les préjugés, les peurs, changer le rapport à l’autre…

Eric Guillaud

Standard de Liège de Lambert et Rosel, FC Barcelone de Torrents et Dalmases, Arsenal FC de Glogowki, Olympique lyonnais de Maingoval et Dutreuil. 15,95€ le volume

 

06 Déc

Gwen de Bonneval et Fabien Vehlmann, co-scénaristes de l’album Le Dernier Atlas, remportent le prestigieux prix René Goscinny 2020

Tout va bien pour Le Dernier Atlas, les co-scénaristes de l’album viennent de se voir attribuer le prestigieux prix René Goscinny. Une belle surprise à quelques semaines du Festival d’Angoulême où l’album sera en compétition officielle…

© Dupuis / De Bonneval, Vehlmann, Tanquerelle, Blanchard

On apprenait il y a une quinzaine de jours que l’album réalisé par une équipe 100% nantaise ou presque (seule la coloriste n’est pas de la région) était sélectionné pour participer avec 42 autres titres à la compétition officielle du prochain Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Aujourd’hui on apprend avec bonheur que les deux co-scénaristes de l’histoire ont reçu le prestigieux Prix René Goscinny, un prix créé en hommage au papa d’Astérix qui récompense chaque année un auteur de bande dessinée pour la qualité de ses scénarios.

Le jury explique son choix : « À l’évidence, Le Dernier Atlas cherche à faire bouger les lignes de la bande dessinée de genre. Prévue sur trois épais volumes de plus de 200 pages chacun, conçue par une équipe de 4 auteurs : Fabien Vehlmann, Gwen de Bonneval, Hervé Tanquerelle, Fred Blanchard, cette odyssée uchronique refuse les standards pour mieux déployer son intrigue aux multiples ramifications. Le contexte politique de la Guerre d’Algérie et l’ampleur de son dispositif confirment cette ambition. Pour toutes ces raisons, le Prix Goscinny a souhaité récompenser cette création qui conjugue l’académisme, l’ancrage dans une tradition, avec de nouveaux formats et de nouvelles écritures. »

Le Prix leur sera officiellement remis le 1er février 2020 à 19h, lors de la Cérémonie de remise des Fauves au Théâtre d’Angoulême.

Nous avions rencontré l’équipe presque au complet au moment de la sortie de l’album en mars dernier, une interview toujours disponible ici.

Eric Guillaud

Les Sanson et l’amateur de souffrances : un récit historico-fantastique de Patrick Mallet et Boris Beuzelin

Les Sanson et l’amateur de souffrance permet de parler de la grande Histoire en passant par la petite mais aussi de revoir les grands évènements qui ont secoué la France de Louis XIV pour aboutir à la Révolution Française et à la Terreur. Cette histoire en trois tomes distille aussi une pointe de fantastique pour donner plus de corps à son grand méchant…

Rien que sur le papier, Les Sanson et l’amateur de souffrance réussit déjà un petit exploit, atteindre le bon équilibre entre romanesque et faits historiques. On y croise pas mal de personnages connus des férus d’histoire et le tout permet même, habilement, de réviser un peu cette période charnière allant de la seconde moitié du XVIIème siècle au milieu des années 1850 mais sans jamais phagocyter l’intrigue principale. Jusqu’au bout les deux auteurs réussissent même à maintenir l’aura de mystère entourant ce fameux amateur de souffrances qui se délecte des exécutions publiques et qui s’en nourrit même, prolongeant ainsi sa vie diabolique.

Un être étrange dont on ne sait rien, ou presque si ce n’est qu’il profite de soutiens hauts placés et qu’il n’hésite pas à peser sur le cours des évènements pour en profiter encore plus. Et le pire est qu’il n’est pas tout à fait seul… En travers de son chemin, non pas un homme mais une famille, les Sanson. Des bourreaux de père en fils (la charge est héréditaire), liés malgré eux à l’amateur et dont chaque génération va tenter de le combattre à sa façon.

© Vents d’ouest / Mallet & Beuzelin

Les Sanson ont bien existé et ont notoirement mis à mort aussi bien le brigand Cartouche que Marie-Antoinette ou même Danton. On peut d’ailleurs visiter leur caveau au cimetière de Montmartre à Paris. Ce dernier chapitre débute en 1793, période tourmentée où la machine inventée par le docteur Guillotine marche à plein régime et marque l’apogée de cette lutte…

Le plus étonnant ici est cette façon de faire cohabiter des traits somme toute assez simples et réalistes avec des soudaines poussées de violence parfois assez gore. D’ailleurs, ça décapite sec ! Après, la volonté des auteurs de rester fidèles à tout prix à la vérité historique et de bien toujours expliquer les choses abouti parfois à quelque chose d’un peu trop verbeux qui aurait peut-être gagné à être un chouia plus nerveux et sauvage. Mais on retient quand même l’ambiance de plus en plus occulte, digne d’un film de la Hammer, cette célèbre maison de production anglaise des années 60 spécialisée alors dans les films à petits budgets avec, souvent, Christopher Lee dans le rôle principal. Christopher Lee qui, pour l’anecdote, a d’ailleurs interprété le rôle de Sanson dans le film La Révolution Française sorti en 1989…

Olivier Badin

Le Sanson et l’amateur de souffrances, de Patrick Mallet et Boris Beuzelin. Vents d’Ouest. 17,50 euros

© Vents d’ouest / Mallet & Beuzelin

03 Déc

Chroniques de Noël : Penss et les plis du monde, un conte philosophique de Jérémie Moreau

Noël approche et vous séchez affreusement côté cadeaux ? Pas de panique, les Chroniques de Noël sont là pour vous venir en aide avec des bandes dessinées qui pourraient bien faire de l’effet au pied du sapin. Comme celle-ci, sortie en septembre dernier, un conte philosophique signé Jérémie Moreau…

Jérémie Moreau. Si ce nom ne vous dit pas grand-chose, peut-être que celui de son ouvrage précédent, La Saga de Grimr, vous parlera un peu plus. En janvier 2018, l’auteur recevait avec cet album le Fauve d’or Prix du Meilleur album du festival d’Angoulême.

Une « exposition inattendue » et un « poids certains auprès des éditeurs », nous expliquera-t-il quelques mois après dans une interview toujours disponible ici, poursuivant : « cela m’a donné plus de liberté en quelque sorte. Surtout que j’ai un lien très particulier avec Angoulême : c’est parce que j’avais décidé de participer au concours junior à l’âge de huit ans que j’ai commencé à vraiment me mettre à dessiner sérieusement et cela ne m’a pas lâché. Donc le Fauve d’Or c’est un peu ma Palme d’Or à moi ! »

© Delcourt / Moreau

Pour ce nouvel album sorti en septembre, Penss et les Plis du monde, Jérémie Moreau reste en état de grâce même s’il est étrangement écarté de la sélection officielle pour la compétition du FIBD 2020.

Qu’importe, l’important est ailleurs, dans les 230 pages du livre, 230 pages qui nous embarquent dans les temps bien reculés de la préhistoire, à une époque où les faibles ne faisaient pas long feu.

Et justement, Penss, le héros de cette histoire, est considéré comme un faible. Il ne sait pas chasser, ne sait pas pécher, ne sait certainement pas combattre. Et pour cause, Penss passe son temps à observer la nature et les animaux tel un poète, un philosophe. C’est un faible donc, pire encore, c’est un poids. Pour son clan. Pour sa mère. Jusqu’au jour où Penss, à force d’observer cette nature sauvage, parvient à la dompter, à en faire une terre nourricière…

© Delcourt / Moreau

« Cet album est venu dans la suite logique de La Saga de Grimr… », explique Jérémie Moreau, « je voulais creuser un peu plus ce rapport charnel à la grande nature, à cette force qui traverse les montagnes, les arbres, les animaux (…) Certains appellent ça le vitalisme. Pour Spinoza (qui a été l’une de mes influences philosophiques principales avec Leibniz et Deleuze), c’est le « conatus » que l’on pourrait résumer comme l’ensemble des forces qui résistent à la mort ».

Nul besoin cependant d’avoir un Bac + 12 en philo pour lire et apprécier cet album qui nous interroge aussi sur la différence, sur notre rapport à la nature, sur notre place dans la société, une aventure intime au coeur de la grande aventure de l’humanité.

Eric Guillaud

Penss et les plis du monde, de Moreau. Delcourt. 34,95€