06 Nov

Halte au spleen, une sélection d’albums humoristiques pour rire un peu, même sous la grisaille du mois de novembre

On commence avec Les Souvivants, récit totalement déjanté de Davy Mourier et Edouard Cour mettant en scène deux personnages que tout oppose ou presque enfermés dans un chalet assiégé par des morts-vivants. D’un côté, Philippe, commercial en assurances, homophobe et champions toutes catégories en vulgarité, de l’autre Jean-Philippe, végétarien, auteur de livres pour enfants et de romans crypto-gays. L’un et l’autre vont devoir se supporter dans un huis-clos à mourir de rire… Et la vraie question qui se pose dans les pages de cet album comme nous le rappelle la quatrième de couverture n’est pas : « Pourquoi les zombies ont envahi la planète ? », mais plutôt : « Est-ce que ça vaut le coup de survivre avec un con ? ». La nuance est de taille, l’humour aussi ! (Les Souvivants de Mourier et Cour. Delcourt. 15,50€)

« On choisit ses copains mais rarement sa famille », chantait Renaud au début des années 80 dans le titre Mon Boeuf. Ce livre de Laetitia Coryn pourrait en être l’adaptation en bande dessinée tant les paroles résonnent en nous à chacune de ses pages, chacune de ses vignettes, chacune de ses bulles. Au coeur du récit, Priscilla, une gamine de 7 ans, ordinaire, curieuse de la vie. En face d’elle, Patrice et Jennifer, ses parents, racistes, homophobes, grossiers, stupides à souhait. On rit beaucoup mais on rit souvent jaune tant les discours des adultes sont consternants. (Priscilla, de Laetitia Coryn. Glénat. 12,75€)

Pourquoi les insectes sont-ils aussi poilus ? Comme se fait l’érection d’un pénis ? Les jeux vidéos rendent-ils violents ? Comment épater la galerie en parlant de neurones gastriques ? Et comment se passe un congrès de biomécanique ? Autant de questions essentielles et variées auxquelles répond Marion Montaigne dans ce nouvel opus de la série Tu mourras moins bête. Comme toujours, l’approche est autant scientifique qu’humoristique. On rigole en s’instruisant et vice-versa. Et si vous n’avez pas assez des 264 pages de ce nouvel album, direction le blog de l’autrice ici ! (Tu mourras moins bête tome 5, de Montaigne. Delcourt. 19,99€)

De l’humour noir, très noir. Voilà ce que nous offre l’auteur américain Jason Little avec cet album au format carré paru aux éditions Glénat. La couverture à elle-seule suffit à nous renseigner sur la teneur du récit. On y suit le quotidien d’un laissé pour compte de l’Amérique, Borb, on rit volontiers de certaines situations comiques mais on en prend surtout pour notre grade. Si Jason Little n’épargne rien à son personnage, il n’épargne rien non plus à notre regard, nous montrant sans filtre ce qu’on refuse habituellement de voir. C’est drôle mais en même temps tragique, un livre qui dénonce l’indifférence de notre société. L’album est dédié à un type qui vivait avec son caddie sous un viaduc de Brooklyn. De quoi nous amener à réfléchir et peut-être à tirer vers le haut notre niveau de compassion.  (Borb, de Jason Little. Glénat. 12,75€)

C’est un miracle ! Soeur Marie-Thérèse est de retour, ressuscitée parmi les siens, un peu plus de dix ans après sa dernière aventure baptisée La Guère Sainte. Cette fois, le récit s’appelle Ainsi soit-elle! et nous embarque au tribunal avec une Soeur Marie-Thérèse accusée d’avoir détruit un labo de recherche expérimentale sur les O.G.M. Du grand n’importe quoi savoureusement drôle et irrespectueux mis en images par Maëster et jean Solé, venu prêter main forte sur ce septième tome. (Soeur Marie-Thérèse, ainsi soit-elle!, de Maëster et Solé. Glénat. 13,90€)

Changement d’univers avec Avenirs en solde, album dans lequel Nicolas Poupon, auteur par ailleurs de la série Le Fond du bocal, met en scène un conseiller d’orientation multi-fonctions capable de prodiguer les bons et mauvais conseils aux cas les plus tordus, pour ne pas dire désespérés. Et on commence avec Grincheux, Simplet et Joyeux qui en ont assez des mièvreries à la Disney et veulent se reconvertir dans le porno, le pornain plus précisément, avec les 101 Dalmatiens ainsi que La Belle et le Clochard. Et tant pis pour Blanche-Neige qui s’est de toute façon barrée avec les 7 Mercenaires ! De l’absurde comme on aime avec une note de satire sociale. (Avenirs en solde, de Poupon. Delcourt. 17,95€)

Messieurs, c’est le moment pour vous de tester votre degré d’humour avec ce nouvel opus de Mademoiselle Caroline qui parle de son homme en particulier et par extension de l’homme en général. On s’en prend bien évidemment pour notre grade mais c’est drôle à souhait. Dans tous les cas, si vous ne nous sentez pas concernés, vous pourrez toujours l’offrir à votre dulcinée, il se pourrait que ça lui parle, il se pourrait même que ça la fasse rire aux éclats. Il faut dire que Mademoiselle Caroline n’a pas son pareil pour croquer le quotidien.  (L’homme volume 1, de Mademoiselle Caroline. Delcourt. 8,95€)

On termine avec un petit album paru dans la collection Pataquès des éditions Delcourt, un petit album au format carré qui nous plonge corps et âme dans l’univers absurde de Geoffroy Monde, auteur par ailleurs de l’excellente série de science fiction à forte connotation écologique Poussière. Sur un peu plus de 100 pages, il nous donne ici de précieux conseils pour réussir. Réussir à quoi, me direz-vous ? A tout et n’importe quoi, à gagner 900 000 euros, à dresser un vrai Pokémon, à trouver l’amour ou encore à rencontrer des fées ? Autant de conseils qui devraient changer notre vie… (Comment réussir, de Geoffroy Monde. Delcourt. 9,95€)

Eric Guillaud

05 Nov

Lovecraft : le maître du fantastique illustré par deux graphistes français

Quatre-vingt deux ans après sa mort, l’auteur américain et père du ‘mythe de Cthulhu’ continue de fasciner. Deux de ses textes sont aujourd’hui réédités par Bragelonne et mis en images par deux illustrateurs français aux approches différentes mais complémentaires.

Bien qu’il soit mort en 1937, Howard Phillips Lovecraft n’a jamais été aussi vivant. Cet auteur de fantastique et de science-fiction a pourtant vécu toute sa vie dans la quasi-misère, survivant péniblement en corrigeant les textes des autres. D’ailleurs, très peu de ses écrits, essentiellement des nouvelles, ont été publiés de son vivant. Pourtant, un peu comme son ami Robert E. Howard le créateur de Conan qui a subi le même sort, il est devenu progressivement une référence absolue du genre. Mille fois cité voire carrément plagié, il est surtout reconnu comme le créateur de Cthulhu et des Grands Anciens, ces êtres monstrueux venus d’une autre dimension avant l’avènement de l’homme et qui attendent de régner à nouveau sur terre.

Décédé sans héritier, son œuvre est tombée dans le domaine public. Aujourd’hui, tout le monde peut se l’approprier, ce que n’ont pas manqué de faire un bon paquet d’éditeurs. Les librairies regorgeant désormais de x version différentes des mêmes textes, chacun y va donc de sa propre petite exclusivité, histoire de se différencier. Cela passe souvent par de nouvelles traductions ou des notes écrites par exemple. Mais du côté de Bragelonne, on a choisi le créneau ‘belles éditions’ et les deux sorties du jour l’illustrent chacune à leur façon.

@ Bragelonne / Baranger

Il y a d’abord cette version ‘deluxe’ prévue en deux tomes de l’une de ses rares romans Les Montagnes Hallucinées. Alors déjà, on tient là peut-être l’un des tous meilleurs textes de ce grand maître macabre, à ranger à côté de ceux rédigés par Edgar Allan Poe à ses heures les plus hallucinées. Pour les chanceux qui n’ont pas encore entrepris ce voyage aux confins de l’horreur cosmique, on rappellera juste que le film de John Carpenter The Thing avec Kurt Russell est fortement inspiré de ce récit paru en 1936, un an avant sa mort… Écrit à la première personne, il raconte le destin tragique d’une expédition scientifique aux confins du monde, dans un désert glacé sur les traces d’une civilisation venue des étoiles pas tout à fait éteinte. Disponible en grand format, cette version profite surtout des illustrations du français François Baranger qui s’était déjà frotté au maître avec L’Appel de Cthulhu il y dix-huit mois. ’Concept artist’ pour le cinéma et les jeux vidéos, son style paraîtra peut-être un peu trop digital et froid pour certains mais il excelle vraiment lorsqu’il s’agit de faire revivre des décors grandioses de l’Antarctique. Et surtout, son trait réussit à conserver par moment un côté presque visqueux et organique, parfait pour suggérer les créature de cauchemars invoquées par Lovecraft.

@ Bragelonne / Baranger

La Cité Sans Nom est un texte moins connu, d’abord publiée en 1921 dans un petit fanzine. Il est malgré tout assez passionnant car même si plus court, il pose pas mal de jalons essentiels de l’œuvre lovecraftienne. D’abord c’est là que l’auteur a exploré pour la première fois l’idée d’une cité ancienne désertée, thème qui sera ensuite repris plusieurs fois, dont pour Les Montagnes Hallucinées. Et surtout, c’est ici qu’est cité pour la première fois Abdul al-Hazred, dit l’arabe dément, personnage fictif à l’origine du Necronomicon, ouvrage de magie noire à ne pas mettre entre toutes les mains et qui réapparaitra dans pas moins de treize de ses nouvelles par la suite.

Comparée à celle choisie pour Les Montagnes Hallucinées, l’approche est ici assez différente. Deuxième parution, après Dagon, de la série Les Carnets Lovecraft, on a opté cette fois-ci pour un petit format. Les illustrations, signées par un autre français du nom d’Armel Glaume, sont dans le même état d’esprit, c’est-à-dire des croquis réalisés en noir et blanc au crayon à papier, plus attachés à l’idée de mettre en valeur des petits détails qu’à dépeindre de grandes fresques. Le résultat est peut-être moins grandiloquent mais tout aussi envoûtant…

Alors si les fins connaisseurs de l’oeuvre de Lovecraft réfléchiront peut-être à deux fois avant d’investir de nouveau dans des textes qu’il connaissent par cœur, le néophyte qui hésitait encore à descendre dans cette crypte maintes visitée mais toujours aussi terrifiante, lui, aura du mal à résister à la tentation…

Olivier Badin

Les Montagnes Hallucinées, tome 1 illustré par François Baranger. Bragelonne. 29,9€

Les Carnets Lovecraft : Dagon, illustré par Armel Gaulme. Bragelonne. 15,9€

Visa transit : la très belle échappée de Nicolas de Crécy

Partir ! Partir le plus loin possible vers l’est avec pour seule limite le moteur de leur voiture, une Citroën Visa Club à bout de souffle. C’est l’aventure un peu folle dans laquelle se sont lancés Nicolas de Crécy et son cousin Guy un beau jour de 1986. Trente-trois ans après, l’auteur nous raconte ce périple…

Nicolas de Crécy n’est pas du genre à suivre les modes et les courants. Les connaisseurs du bonhomme savent combien il a développé un univers singulier et pas seulement visuel au fil d’une conséquente bibliographie. De Foligatto à La République du catch, en passant par Salvatore, Le Bibendum céleste, Léon la Came ou encore Prosopopus, Nicolas de Crécy a surtout dessiné des mondes fantastiques ou fantasques. Dans Visa Transit, c’est le réel qu’il met en scène avec un point commun : le talent.

L’histoire démarre au fond d’un jardin en région parisienne, le jardin d’un oncle où rouille doucement une Citroën Visa Club en fin de vie. Une épave. Plutôt que de l’emmener à la casse, Nicolas de Crécy et son cousin décident de la mettre à l’épreuve.

@ Gallimard / de Crécy

Nous sommes en 1986. À quelques milliers de kilomètres de là, Tchernobyl vient d’exploser et de lâcher son nuage radioactif qui « heureusement » s’arrêtera à nos frontières. La sagesse aurait été de fuir à toutes jambes vers l’ouest, de louer un bateau et de traverser l’Atlantique, les deux cousins choisissent la Visa pour prendre la direction de l’est, le plus loin possible, la Turquie en ligne de mire. « L’idée, c’était Istambul au moins, Ankara pourquoi pas, et au-delà si la chance était avec nous ».

On s’imaginait un remake – modeste – de la croisière Citroën

Nicolas et Guy changent les bougies, l’essuie-glace, les feux arrière, le câble de freins, installent des rideaux, et une petite bibliothèque sur la lunette arrière. « Nous étions sous le haut patronage de la littérature française ». Un petit chez-eux monté sur roues, fallait-il encore que le moteur tienne

@ Gallimard / de Crécy

Le moteur tient. Il tient même très bien et nous embarque avec eux sur les routes – secondaires – de France, d’Italie, de Yougoslavie, de Bulgarie et bientôt de Turquie. Le premier tome s’arrête sur les rives de la mer noire.

Peu de visites, peu de rencontres, peu d’aventures ou mésaventures si ce n’est un sac oublié ici, un caprice de moteur là, quelques soucis de ravitaillement en essence et le passage des frontières qui n’avaient rien à voir avec celles d’aujourd’hui.

Le monde est alors divisé en deux blocs, les très gentils et le monde en couleurs d’un côté, les très méchants et le monde en noir et gris de l’autre.

@ Gallimard / de Crécy

Visa Transit n’est pas un voyage comme un autre et n’est pas à fortiori un récit de voyage comme les autres. Parce que déjà, trois décennies se sont écoulées depuis. Trois décennies et beaucoup d’autres voyages pour Nicolas de Crécy.

« Les détails s’estompent. Il reste des séquences, des images que le temps a déformées, par un système de superposition. Les moment différents qui se mélangent pour créer des épisodes nouveaux… d’autres ont carrément disparu, je dois faire oeuvre de recomposition ». 

C’est justement ce qui est intéressant dans ces quelque 130 pages, voir ce qu’il peut rester d’un tel voyage plus de 30 années après. Les moments forts qui ont forcément marqué les protagonistes, impacté leur vie. Visa Transit est un road trip au coeur de la mémoire.

À plus d’un titre d’ailleurs. Puisque le récit est aussi l’occasion pour Nicolas de Crécy de se replonger dans son enfance, de nous raconter notamment – lorsque son cousin prétend que leur voyage est sous la protection bienveillante de la Vierge Marie – ses vacances dans un établissement religieux « choisi par les parents par tradition plus que par conviction », un lieu « tenu de main de maître par un tandem infernal, aux méthodes punitives savamment rodées par des décennies de pratique« .

@ Gallimard / de Crécy

Vierge ou pas, la Visa tient le coup et ne cale même pas lorsqu’elle croise une impressionnante colonne de chars soviétiques. C’est ça aussi Visa Transit, la photographie d’un monde, d’un autre monde, où l’on ne voyageait pas aussi souvent et facilement qu’aujourd’hui, même en Europe, un monde sans GPS, sans réseau, sans téléphone portable, sans milliers d’amis sur Facebook pour partager votre périple…

Une claque !

Eric Guillaud

Visa Transit, de Nicolas de Crécy. Gallimard Bande Dessinée. 22€

02 Nov

Utopiales 2019. Le palmarès complet

À quelques heures de la fermeture de la 20e édition des Utopiales, l’un des plus importants festivals de science-fiction au monde, voici le palmarès complet…

Prix extraordinaire : Alejandro Jodorowsky

prix littéraires

Prix Utopiales : Helstrid de Christian Léourier

Prix Utopiales Jeunesse : In real life tome 1 de Malwenn Alix

Prix Utopiales BD : Un gentil orc sauvage de Théo Grosjean

Prix Julia Verlanger : Les Meurtres de Molly Southbourne de Tade Thomson

Prix Joël Champetier : Chloé jo Bertrand pour la nouvelle Chasseuse de soleil

Prix cinéma – compétition internationale de longs-métrages

Grand Prix du jury : Little joe de Jessica Hausner

Mention spéciale du jury : The Antenna de Orçun Behram

Prix du public : Weathering With You de Makoto Shinkai

Prix cinéma – compétition internationale de courts métrages

Prix du jury : L’Eau de Andrea Dargenio

Mention spéciale du Jury : Sevinç Vesaire de Kurtcebe Turgul

Prix Canal + : Storm de Will Kindrick

Prix du public : Widdershins de Simon Biggs

Prix jeux vidéos

Prix du meilleur scénario de jeu de rôle : Comme un lundi de Jean-Marc « Tolkrraft » Choserot et Tristan Verot

Prix du meilleur jeu vidéo réalisé à la Game Jam : Genome Please de Pierre Bigaud, Pierre le Bever, Corentin Brûlé, Livio Asdrubal, Gwenola Lainé, Augustin Bonne.

Utopiales 2019. Un Gentil orc sauvage reçoit le prix Utopiales BD

On vous l’avait présenté en janvier dernier ici-même, le road-trip en mode fantasy de Théo Grosjean a reçu ce soir le prix Utopiales 2019 BD…

Rien ne va plus au pays des orcs. Les orcs gentils sont attaqués par des orcs sauvages sans pitié. Pour Oscar, l’un des rares à survivre au massacre, c’est l’heure de l’exil…

« Il était uuuun tout petit orc-euuuuh qui n’avait ja-ja-ja-mais égorgé, ohé ohééééééééé ! ». Oscar aime à rappeler qu’il n’est pas un orc méchant. Il le chante à tue-tête. Et de fait, non seulement il n’a jamais égorgé qui que ce soit mais en plus il se lave pour sentir bon, s’habille pour paraître et vit en bonne intelligence au sein d’une communauté d’orcs civilisés dans un petit village des plus paisibles.

Plus pour longtemps. Une horde d’orcs sauvages déterminée à rétablir un ordre ancien déboule et tue tout le monde sur son passage. En quelques coups de lances et de flèches, l’affaire est réglée. Le village paisible est transformé en cimetière à ciel ouvert. Oscar le gentil orc n’a plus qu’une solution : fuir et se réfugier dans le pays voisin, celui des Gobelins.

Sauf qu’on y rentre pas comme ça chez les Gobelins. « Je vais vous envoyer un formulaire d’immigration. D’ici deux, trois ans, on commencera à étudier votre dossier », lui dit un garde-frontière. De quoi se faire tuer un bon millier de fois avant que la situation ne bouge. Commence alors pour Oscar un long périple pour parvenir à traverser la frontière clandestinement…

Paru il y a quelques mois chez Delcourt, Un Gentil orc sauvage est un road-trip de dingue à la Lapinot de Lewis Trondheim, sauf que ce n’est pas lui qui l’a écrit, c’est Théo Grosjean, un de ses élèves de l’école d’art Émile Cohl à Lyon. L’histoire d’Un Gentil orc sauvage nous embarque dans un monde imaginaire, un univers médiéval fantastique plein d’humour, tout en abordant de façon explicite des thèmes bien réels et sérieux comme l’extrémisme, l’exil, la condition des migrants… Drôle et intelligent !

Eric Guillaud

Un Gentil orc sauvage, de Théo Grosjean. Delcourt. 16,95€

© Delcourt / Grosjean

01 Nov

Tant pis pour l’amour, l’histoire effarante d’une relation toxique signée Sophie Lambda

Les histoires d’amour ne finissent pas toujours mal mais celle-ci a clairement viré au cauchemar. Tant pis pour l’amour raconte l’histoire de Sophie Lambda tombée amoureuse d’un pervers narcissique. Un témoignage effarant, effrayant. Âmes et coeurs sensibles, ne surtout pas s’abstenir…

Elle l’aimait à en crever. L’amour parfait. « C’était une alchimie rare, évidente, nous avions l’impression de faire briller le soleil … Le monde était de trop. On n’en avait pas besoin. On n’avait pas grand chose mais on était tout… ».

Sophie est illustratrice, Marcus est comédien, un comédien qui commence à être connu dans le milieu, ils se croisent une première fois puis une deuxième chez des amis communs, finissent par vouloir tout faire ensemble, tout partager. Pour lui, elle accepte de déménager de Montpellier vers Paris. Oui, Sophie, l’aime à en crever. Mais très vite c’est lui qu’elle espèrera voir crever.

Les mots sont rudes, le retournement radical, mais l’histoire vécue par Sophie l’est tout autant, sinon plus. Heureusement pour elle, heureusement pour nous, Sophie a survécu et peut aujourd’hui témoigner de son histoire, d’une histoire qui pourrait arriver finalement à n’importe qui.

@ Delcourt / Lambda

Si « authentique manipulateur » est le nom scientifique de « sombre merde » comme l’affirme avec humour Sophie Lambda dans ce récit, alors oui, le fameux Marcus est une sombre merde, un pervers narcissique aux méthodes bien connues des psychologues, un concentré de mensonges, de méchancetés, de menaces, de manipulations, de violences…

De l’idéalisation au rejet, en passant par la dévalorisation, l’autrice raconte dans le détail toutes les étapes par lesquelles elle est passée, plus de 240 pages de témoignage mais aussi de décrytpage bien utiles pour toutes les femmes qui s’interrogent sur une relation en cours ou à venir. Pour toutes les femmes mais aussi pour les hommes puisque, bien évidemment, la perversion narcissique n’est pas une pathologie exclusivement masculine.

@ Delcourt / Lambda

Oui, le récit de Sophie Lambda, qui signe ici sa première bande dessinée, fait froid dans le dos mais il a le mérite d’informer, d’alerter, le tout avec une bonne dose d’humour dans le traitement narratif et graphique.

À noter la présence en annexe, d’une bibliographie sélective, d’une liste de contacts pour les personnes victimes de violence (malheureusement limitée à la région parisienne), et d’un violentomètre permettant judicieusement de mesurer le niveau de violence de votre partenaire et le niveau de réaction à avoir.

Eric Guillaud

Tant pis pour l’amour, de Sophie Lambda. Delcourt. 19,99€

Bloodshot passe du 7e au 9e art

Après Marvel et DC Comics, c’est au tour de l’éditeur Valiant de franchir le cap du cinéma. La première bande-annonce de sa première adaptation a été dévoilée cette semaine…

Fondé en 1990, le studio Valiant a donné naissance à pas mal de héros plus sombres et plus torturés, comme Rai, Ninja K ou Archer & Armstrong. Mais c’est son héros le plus brut de décoffrage qui a été choisi pour ouvrir le bal, le mercenaire Bloodshot avec ses hordes de nanites (des robots miniaturisés) dans son corps qui lui permettent de presque instantanément cicatriser en plus de décupler ses capacités.

Après qu’on ait parlé pendant longtemps de Jared Leto, c’est finalement l’acteur bodybuildé Vin Diesel (Fast & Furious, Riddick) qui a été choisi pour l’incarner au cinéma, un choix qui tombe sous le sens tant son physique seul colle parfaitement au personnage tel qu’il est décrit dans les comics.

Si le réalisateur est un inconnu, on reconnaît par contre Guy Pearce dans le rôle du ‘méchant’ scientifique manipulateur. Et d’après la première bande-annonce officielle, ce premier film (sous-entendu : si cela marche, d’autres suivront) suit logiquement l’histoire de ses origines ou comment ce mercenaire subi une expérimentation sauvage visant à le transformer en soldat suprême, avant de se retourner vers ses créateurs.

En attendant une sortie prévue pour Mars 2020, vous pouvez toujours réviser l’histoire en relisant notre chronique ici

Olivier Badin

Le retour de la revanche du fils du méchant Doggybags, deuxième partie !

Après 13 numéros remplis d’hémoglobine en forme d’hommage aux pulps et aux films d’horreur des années 70, la série collégiale Doggybags s’était arrêtée, pour ne pas tomber dans la redite. Mais il faut croire que ses patrons avaient conservé au frigo quelques kilos de bidoche en stock car elle revient finalement d’entre les morts pour un nouveau triptyque d’histoires qui revisitent, chacune à leur manière, un pan de la culture horrifique.

Vendredi 13Les Griffes de la NuitSaw… Autant de sagas qui ont enchaîné les opus qui s’achevaient invariablement par la soi-disante mort du personnage principal… qui revenait systématiquement quelques années après. Freddy Krueger, Jason, Leatherface… Tous comme les grands héros, les grands méchants ne meurent jamais. Cela tombe bien, Doggybagsnon plus.

Lancée presque en catimini en 2011 par un petit studio indépendant, cette revue à la périodicité indéfinie fut la première en France a revisiter ce kaléidoscope de sous-genres qu’est l’exploitation. Un terme un peu barbare volé à la contre-culture anglo-saxonne des années 70 que des gens comme Quentin Tarantino (avec les films Grindhouse) ou Roberto Rodriguez (avec Une Nuit En Enfer) se sont mis en tête de ressusciter. Il désigne divers supports (BD, livres, films), réalisés en général avec peu de moyens et dédiés à un sous-genre bien précis de la culture bis. Ils vont jusqu’à revendiquer les clichés inhérents pour mieux, justement, les exploiter. On y retrouve en vrac des histoires de zombies ou de vampires, des récits post-apocalyptiques, des polars occultes etc.

@ Doggybags Ankama/Label

On a clairement affaire ici à de gros fans d’horreur qui connaissent les dialogues de Massacre à la Tronçonneuse par cœur. Doggybags est donc certes bourré de références plus ou moins subtiles mais il reste assez osé, aussi bien sur le plan visuel qu’éditorial. Ses auteurs vont d’ailleurs piocher aussi bien dans le manga que dans le street-art, aboutissant au final à quelque chose d’assez unique. On est donc content que Run, le papa de la série Mutafukaz et patron de Label 619, soit revenu sur sa décision, il en parle d’ailleurs avec pas mal d’humour dans l’édito qui ouvre ce numéro. 

Et puis on sait d’entrée qu’on va être entre gens de bonne compagnie en reconnaissant cette couverture signée Ed Repka. Un artiste américain que les métalleux connaissent bien, vu qu’il est responsable de la moitié des pochettes de thrash-metal dans la seconde moitié des années 80. Les plus cultes étant celles réalisées pour le groupe Megadeth pour lequel il a donné corps à leur squelette mascotte, Vic Rattlehead.

@ Doggybags Ankama/Label

Pour cette ‘saison 2’ comme ils le disent, on retrouve tout de suite nos marques avec cette mise en page colorée pleine de punchs. Entre deux histoires, on retrouve également le courrier des lecteurs, de fausses publicités pour, par exemple, « des masques mortuaires ». Mais aussi des articles on ne peut plus sérieux en forme de mise en point historique sur tel ou tel sujet abordé dans le numéro. Run lui-même nous la joue Alain Decaux en signant un article très instructif sur les différents moyens de torture depuis l’antiquité jusqu’à la dernière guerre par exemple…

Mais les joyaux de la couronne restent les trois histoires du jour, trois contes noirs où l’on retrouve des habitués de la maison comme Prozeet, Ivan Shavrin et Neyef. Trois variations assez distinctes : si la première, presque réaliste, utilise comme décor l’ex-bloc de l’Est livré à la pègre, la deuxième est beaucoup plus hallucinatoire et suffocante avec son personnage central emprisonné dans son propre corps. Quant à la dernière histoire, elle reprend (un peu) à son compte l’idée déjà développée par la série L’Amateur de Souffrances chez Glénat d’un exécuteur qui se nourrit de l’agonie des condamnés pour rester immortel.

@ Doggybags Ankama/Label

Les trois, bien que ne jouant pas sur le même registre, sont non seulement réussies mais elles s’inscrivent aussi en plus parfaitement dans le style Label 619. Un éditeur en passe de devenir une vraie marque de fabrique, un gage de qualité avec certes des bouts de dents cassées et quelques viscères dessus, de la BD d’horreur ‘à la française’ que les fans peuvent désormais acheter les yeux fermés. À condition d’aimer quand ça tache…

Olivier Badin

Doggybags 14, Saison 2, Ankama/Label 619. 13,90€

Prisonniers du passage: une bande dessinée documentaire de Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula sur les zones d’attente pour personne en instance

Vous pouvez être un familier des aéroports sans connaître ces espaces, et pour cause, les zones d’attente pour personne en instance sont des lieux de détention pour les étrangers refusés aux frontières. Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula nous les font découvrir dans une bande dessinée documentaire parue chez Steinkis…

Il y un peu plus de 25 ans, les étrangers refusés aux frontières pour quelque raison que ce soit erraient dans les gares, ports et aéroports sans cadre légal. Il faudra attendre la loi dite Quilès de 1992 pour que soient créées les Zones d’Attente pour Personnes en Instance également appelées ZAPI, des zones de détention où les étrangers peuvent être enfermés jusqu’à 26 jours avant d’obtenir le statut de demandeurs d’asile, de se voir admis sur le territoire ou refoulés.

Le récit Prisonniers du passage nous plonge dans cet espace, froid, sans âme, bien loin de l’image de terre d’accueil que la France a longtemps véhiculée. Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula nous montrent les conditions de (sur)vie offertes à ces hommes, femmes et enfants venus chercher une meilleure vie loin de la misère, de la violence, de la guerre, enfermés avec pour seuls interlocuteurs des policiers pas toujours compréhensifs et, heureusement, la visite régulière des associations citoyennes comme l’Anafé, Association Nationale d’Assistance aux Frontières pour les Étrangers.

Au fil des pages, on peut croiser Kadiatou, Yoones, Jana… tou(te)s refusé(e)s aux frontières, tou(te)s amené(e)s à la ZAPI, quelques noms, quelques visages, parmi les milliers d’étrangers qui passent chaque année entre les murs des zones d’attente.

Un récit humain et instructif, complété par un dossier documentaire d’une quinzaine de pages.

Eric Guillaud

Prisonniers du passage, de Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula. Steinkis. 18€