Attention, chef-d’oeuvre ! Xavier Dorison, auteur du cultissime Troisième testament, est de retour avec une fable en quatre actes mise en images par un jeune prodige du pinceau qui signe ici son premier album, Félix Delep…
Un prodige et le mot est faible tant chaque planche du Château des animaux est un bonheur en soi. On y oublie facilement le temps, on s’égare dans une vignette avant de rebondir sur la suivante, de repartir en arrière et de finalement tourner la page et recommencer.
Alors, bien sûr, Félix Deep vous dira que « les animaux sont quand même moins compliqués à dessiner que les humains », oui peut-être, mais ses animaux ont un supplément d’âme, une expressivité rarement observée dans les récits animaliers en bande dessinée. Et rien que pour ça…
L’histoire ? Elle est assez proche de La Ferme des animaux de George Orwell mais n’en est pas une adaptation en BD, ni une réécriture, précise Xavier Dorison, « Ce n’est ni le même endroit, ni les mêmes animaux, ni les mêmes personnages, ce roman est une source d’inspiration. Simplement, dans le genre du conte politique, La Ferme des animaux est probablement le récit majeur ».
Tandis que La Ferme des animaux met en scène des animaux se soulevant contre le fermier, Mr Jones, prenant le pouvoir, instaurant sept commandements pour le bien-être de la communauté et plaçant un cochon nommé Napoléon à leur tête, Le Château des animaux raconte la résistance pacifique des animaux d’un château, déserté par les humains, contre la loi du plus fort instaurée par le taureau Silvio et sa milice de chiens épouvantablement cruels. Je vous l’ai dit, l’histoire est assez proche mais…
« Utiliser vos crocs ou vos griffes pour obtenir votre liberté revient à dire que vous espérez récolter une rose en plantant des orties », dit l’un des personnages de l’album.
C’est là toute la subtilité du récit de Xavier Dorison qui distille dans ces pages ce sentiment profond que la violence ne résout rien.
« Nos sociétés ont encore largement tendance à considérer la colère comme un signe de force et de virilité!… », explique Xavier Dorison, « Nos modèles narratifs les plus répandus valorisent des héros « super », tout en muscles, et qui sauvent le monde à grands coups de poing ».
« Je me retrouve vraiment dans cette histoire de lutte non-violente… », poursuit Félix Delep, « Parce qu’elle n’est pas naïve, il ne s’agit pas d’un sitting et puis tout va bien. La lutte est non-violente mais elle doit faire face à la violence qu’elle génère ».
Pas de violence donc pour mener la révolution et mettre le despote à terre, pas de violence, pas de combats à mort, non rien de tout ça, juste de l’humour utilisé comme une arme.
Le Château des animaux est une comédie tragique ou l’inverse, Xavier Dorison y explore une belle variété de tons qui s’accommode ô combien de la majestueuse mise en images de Félix Delep à la fois drôle et effrayante. L’album fait partie des albums sélectionnés pour la compétition officielle du prochain Festival International de la Bande Dessinée à Angoulême.
Eric Guillaud
Miss Bengalore, Le Château des animaux tome 1, de Delep et Dorison. Casterman. 15,95€