L’éditeur Delirium poursuit son œuvre de salubrité publique avec la réédition des travaux du grand Richard Corben. Récits post-apocalyptiques noirs de chez noirs, Le Monde Mutant et sa suite Le Fils Du Monde Mutant sont donc enfin réunis dans une édition aussi complète que classieuse…
Ces deux histoires ne sont pourtant pas franchement ses œuvres les plus connues. La preuve, elles n’ont été traduites en France qu’une seule fois dans les années 80 et séparément. Mais elles sont marquées au fer rouge par le sceau de l’ancien collaborateur de Métal Hurlant. On retrouve ici des corps parfois grotesques et hypertrophiés, des gueules cassées et toujours ce mélange entre réalisme et cartoon fortement teinté de pessimisme.
Publié pour la première fois en épisodes en 1978, la première partie est la plus onirique, la plus désespérée. Tout se passe dans un monde post-apocalyptique en pleine décomposition où chacun se bat pour sa survie. Pas d’explication sur le pourquoi, pas de grandes théories, juste un constat, simple et désespéré. Corben a toujours dessiné l’homme dans tout ce qu’il a de plus vachard, d’hypocrite ou de pleutre.
D’ailleurs, celui qui sert de fil rouge dans ce monde en ruines est un mutant simple d’esprit du nom de Dimento. Un candide dont tout le monde essaye de profiter et qui symbolise à lui seul le peu qu’il reste de l’humanité, à la fois innocent et naïf alors que tout le monde, ici, essaye surtout de survivre jour après jour, quitte à bouffer son voisin. Si le récit apparaît d’abord un peu décousu, l’arrivée de son fidèle scénariste Jan Strnad (Ragemoor, réédité justement déjà chez Delirium) appelé à la rescousse change un peu la donne, sans lui enlever son côté à la fois absurde et cruel. On retrouve aussi son autre marque de fabrique, ces couleurs flashy, presque pop qui donnent au tout un côté presque surréaliste et très graphique.
La seconde partie, réalisée plusieurs années plus tard, adopte un ton différent. Déjà, parue à la base en noir et blanc, elle a été colorisée pour cette édition par la fille même de Corben. Et puis plus posée et plus humaine aussi, elle démarre d’une façon assez chorale avant que tous les protagonistes se retrouvent, avec une mention spéciale pour le grand méchant, sorte de croisement entre la momie et Humungus, le bad guy du film Mad Max 2 !
On peut parler d’happy end ici, même si l’horreur gothique de cet éternel fan d’Edgar Allan Poe n’est jamais loin non plus. Du grand Corben, moins littéraire et plus typé science-fiction certes mais avec toujours cette même vision assez unique. Il ne l’a pas volé son prix grand prix du festival d’Angoulême 2018 lui…
Olivier Badin
Le Monde Mutant – L’intégrale, de Richard Corben et Jan Strnad, Delirium. 25 euros