Que celui ou celle qui ne s’est jamais laissé(e) aller à la rêverie devant un dessin de Jean-Pierre Gibrat se dénonce immédiatement ou se taise à jamais. Mattéo, Le Vol du corbeau, Le Sursis, Les Gens honnêtes… En une quarantaine d’années et un chapelet d’albums, l’auteur a profondément marqué le neuvième art d’une écriture romanesque et d’un trait bigrement raffiné…
C’est un peu Noël à Pâques, un beau cadeau au milieu des œufs, une petite douceur printanière qui a pour nom L’Hiver en été et pour auteur Jean-Pierre Gibrat. C’est un artbook, que dis-je un sublime artbook comme on en voit peu, comme on en rêve souvent, mis en forme par l’auteur lui-même pour les éditions Daniel Maghen.
Il suffit de découvrir la couverture et ce grand format pour comprendre qu’on risque de passer du temps à admirer le travail, détailler les illustrations, ausculter les planches et se perdre dans les croquis réunis ici, un survol de ses 20 dernières années de création, du Sursis à Mattéo, en passant par Le Vol du corbeau.
C’est beau, forcément, mais ce n’est pas tout. L’ouvrage est aussi passionnant, instructif. Bâti autour d’un entretien avec la journaliste Rebecca Manzoni, Jean-Pierre Gibrat se dévoile, parle de son travail, de son trait, de ses personnages, de sa famille, de la musique, de Jimi Hendrix dont il est un fan absolu, de sa passion pour la première moitié du XXe siècle, du communisme et de ceux qui y ont cru… Bien sûr, il évoque aussi très longuement LA femme dont il ne se lasse de dessiner les contours avec ce trait « comme personne » et cette légère dissymétrie qui donne du caractère, du relief, de la vie à ses personnages.
« J’utilise la dissymétrie pour booster l’expression… », explique Jean-Pierre Gibrat, « parce que l’expression ne vient pas de la forme elle-même. La structure d’un visage raconte un caractère, mais ce qui le renforce, c’est la dissymétrie. Elle contribue à augmenter la beauté, alors qu’on pourrait penser le contraire. On n’imagine pas forcément que, dans l’esthétique d’un visage touchant, il faut mettre de la dissymétrie ».
Un magnifique ouvrage qui associe intelligence du propos et beauté du trait. Ça fait du bien !
Eric Guillaud
L’Hiver en été, de Gibrat. Editions Daniel Maghen. 39€