10 Avr

Théodore Poussin : le retour fracassant d’un anti-héros hors du commun

Un anti-héros hors du commun. Vous allez me dire que seuls les héros, les vrais, sont hors du commun. Que les anti-héros par définition appartiennent au quotidien, au banal. Je sais ! Mais Théodore Poussin ne ressemble à aucun autre personnage du neuvième art, même si il a un peu hérité de Tintin et Corto Maltese dans ses traits et son caractère. Quoiqu’il en soit, Théodore Poussin est de retour pour une nouvelle aventure, treize ans après Les Jalousies et on ne va pas s’en plaindre…

Mais où était passé notre bon Théodore ? Treize années sans nouvelles, treize années à se morfondre, à surveiller qu’il ne revienne sans prévenir et puis, soudain, il est là, sans avoir changé d’un trait, arborant simplement une barbe de trois jours qu’il ne gardera finalement que quelques pages dans cette nouvelle aventure.

Les débuts de Théodore

C’est en 1984 qu’apparaît pour la première fois Théodore Poussin dans les pages du journal Spirou. Il est alors commis aux écritures dans une compagnie maritime à Dunkerque. Mais la paperasse le lasse et il s’imagine bien embarquer lui-aussi sur les bateaux qu’il affrète tous les jours tout autour du monde.

« Dakar, Buenos-Aires, Shanghaï… Autant de noms magiques qui font naître dans l’esprit du jeune sédentaire une curiosité, un désir de connaître fort légitimes…. »

Ces quelques mots ouvrent le premier album de la série, Capitaine Steene, paru en 1987, et donnent le ton de ce que sera la série. Le dessin de Frank Le Gall, très influencé par la ligne claire, relève un auteur hors pair qui trouvera très vite ses marques et imposera un style. Au fil des pages, le dessin, évolue, le visage de Théodore Poussin s’arrondit, les traits s’adoucissent. Une bouille ronde, des lunettes rondes, trois cheveux sur la tête, il n’a pas grand chose d’un aventurier, beaucoup plus d’un employé de bureau. Mais c’est peut-être ce qui a plu aux lecteurs dès le départ, Théodore Poussin est un personnage auquel chacun peut s’identifier, un personnage qui rêve de changer de vie et d’embarquer pour des destinations exotiques. Comme beaucoup d’entre nous !

© Dupuis / Le Gall

C’est à bord du cargo mixte Cap Padaran que Théodore Poussin embarque. L’aventure ne fait que commencer, pourtant un personnage essentiel a déjà fait son apparition, il s’agit de Novembre, un personnage énigmatique qui se présente comme le destin de Théodore Poussin et apporte une dimension mystérieuse et poétique à la série.

Un anti-héros à la Corto

Contrairement à Tintin, Théodore Poussin n’est pas acteur de son destin, il est simplement spectateur. C’est un gars ordinaire plongé dans une aventure extraordinaire. Il est né anti-héros, le restera même si avec le temps il s’affirme. Un anti-héros magnifique de la trempe d’un Corto Maltese. De ce dernier d’ailleurs, il a hérité le goût du large, l’envie de voyages…

__________________________________________________________
Théodore Poussin, l’album de la reconquête
Une interview de Frank Le Gall à lire ici
__________________________________________________________

De Dunkerque à Saïgon…

Théodore Poussin est né des passions de Frank Le Gall, passion pour la littérature tout d’abord, notamment celle de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, passion aussi pour les grands espaces et les paysages lointains, exotiques.

« Théodore Poussin est né de ce besoin de m’évader… », expliquait l’auteur dans une interview, « Ensemble, nous voulions nous échapper pour l’Orient, un Orient mystérieux et rêvé, un Orient d’enfance… ».

Beaudelaire, Malarmé… les références littéraires ne manquent pas dans le scénario de Frank Le Gall. Côté dépaysement, Théodore Poussin nous emmène du côté de HaÏphong, Singapour, Shangaï, Saïgon…

© Dupuis / Le Gall

L’aventure au bout de la traversée

En embarquant pour Haïphong, Théodore Poussin se voit chargé par sa famille de retrouver la trace d’un oncle qui serait mort et enterré là-bas. Cette quête l’entraîne dans sa première vraie aventure. Pourchassé par des soldats chinois, il doit s’enfuir, se cacher dans la cale d’un bateau de trafiquants qui reprend la mer…

Une série multi-primée

Preuve de sa grande popularité auprès du public et des professionnels, la série a ramené une quantité impressionnante de prix à son auteur parmi lesquels l’Alph-art du meilleur album français au festival d’Angoulême en 1989, le Prix Max et Moritz de la meilleure publication de bande dessinée en allemand en 1992, l’Alph-art du public en 1993…

Le dernier voyage de l’Amok 

Il n’a rien d’un criminel mais il veut récupérer son île. Voilà le point de départ de ce treizième récit. Il, c’est bien évidemment Théodore Poussin et l’île en question est celle sur laquelle il s’était installé et exploitait une cocoteraie avant de s’en faire déloger par un certain capitaine Crabb. Pour ceux qui n’auraient pas lu l’épisode précédent, pas de panique, on peut passer outre et très bien comprendre l’histoire. On appelle ça le talent du scénariste !

© Dupuis / Le Gall

Et justement, en parlant de talent, Frank Le Gall semble avoir retrouvé non pas son talent qu’il a toujours conservé et utilisé pour d’autres projets mais son désir de dessiner Théodore Poussin. Et ça, ça se sent dès la première case de la première page, avec ce bateau qui s’éloigne, et plus encore dès l’apparition de son personnage, mal rasé, mal fagoté, assis à une table de taverne qu’on imagine mal fréquentée. Les images sont suffisamment fortes pour nous embarquer immédiatement dans l’histoire. Côté graphisme, Frank Le Gall fait preuve dans son trait d’encore plus de naturel, de simplicité et d’efficacité qu’auparavant. Cerise sur le gâteau, les couleurs signées Robin Le Gall – son fils ? – sont magnifiques et complètement au service de l’histoire, tantôt discrètes, tantôt plus tranchées.

Les Cahiers Théodore 

À l’occasion de ce retour, les éditions Dupuis ont inauguré une nouvelle collection, appelée ici Cahiers Théodore, un work in progress en quelques sortes, qui nous a permis de suivre depuis mai 2016 l’avancée du travail de l’auteur. Chaque cahier, au nombre de quatre, le dernier accompagnant la sortie de l’album, réunit les planches en noir et blanc et une interview fleuve de Frank Le Gall. Un régal pour les amoureux de la série et du fantastique trait de l’auteur que l’on peut savourer ici en toute quiétude.

Bref, Théodore Poussin fait un retour fracassant, confirmant Frank Le Gall comme un auteur complet et au sommet de son art.

Eric Guillaud 

Le Dernier voyage de l’amok, Théodore Poussin (tome 13), de Frank Le Gall. Dupuis. 14,50€

Cahiers Théodore Poussin (4 tomes), de Frank Le Gall. Dupuis. 13€ le volume

08 Avr

Les Ovniens : un bouquin venu d’ailleurs signé Jean-Luc et Philippe Coudray

Jamais vu des trombines pareilles, encore moins des soucoupes volantes de ce modèle-là. À se demander si cette bande dessinée parue à La Boîte à Bulles a bien été imaginée par des Terriens. On la dit signée par Jean-Luc et Philippe Coudray. Je demande à voir leurs passeports…

Depuis que j’ai ouvert Les Ovniens, impossible de me sortir de la tête une chanson de Pierre Vassiliu dont les paroles donnent à peu près ça…

« Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ? Complètement toqué, ce mec-là, complètement gaga Il a une drôle de tête ce type-là, Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a ?, Et puis sa bagnole les gars, Elle est drôlement bizarre les gars, ça s’passera pas comme ça… »

De fait, Les Ovniens nous offre un défilé d’extra-terrestres comme on n’en a jamais vu. Ils peuvent être verts, jaunes, oranges ou bleus, en un ou plusieurs morceaux, avec des jambes ou pas, des bras ou pas, une tête et rien d’autre ou pas vraiment de tête… Mais le pire est ailleurs, dans leur moyen de locomotion, des soucoupes volantes qui ressemblent ici à un couvercle de casserole, là à un presse-agrumes, plus loin à un bol, encore plus loin à un moulin à café. Bref, du grand n’importe quoi façon outils de cuisine !
.
Et c’est justement ça qui est drôle, ce grand n’importe quoi alimente une soixantaine de gags avec des extra-terrestres parfois pacifiques, parfois belliqueux, toujours attérrés par notre mode de vie et ce que nous avons fait subir à notre planète. un récit léger et clairvoyant !
.
Eric Guillaud

Les Ovniens, de Jean-Luc et Philippe Croudray. La Boîte à bulles. 9€

© La Boîte à bulles / Jean-Luc et Philippe Coudray

05 Avr

Trois questions à… Véro Cazot autour de son album Les Petites distances réalisé avec Camille Benyamina

Il y a à peine six mois, la scénariste Véro Cazot se faisait remarquer avec Betty Boob ou le parcours de reconstruction d’une jeune femme ayant perdu son sein gauche, son job et son mec, album mis en images par Julie Rocheleau. Elle revient avec Les Petites distances en compagnie cette fois de la dessinatrice Camille Benyamina, un récit un peu plus léger en apparence qui tient autant de la comédie sentimentale que du récit fantastique. Son titre : Les Petites distances. Interview…

Véro Clazot

Quel a été le déclic de cette histoire ?

Véro Cazot. Je voulais raconter une histoire d’homme invisible plus intime et plus psychologique que celles que j’ai pu lire ou voir jusqu’ici. J’avais envie d’écrire une histoire fantastique très ancrée dans le réel, le quotidien et sous forme de comédie sentimentale. Mon homme invisible n’est pas victime d’une expérience scientifique ou d’un phénomène spectaculaire. C’est juste quelqu’un qui n’arrive pas à s’affirmer, à trouver sa place dans le monde et qui sombre peu à peu dans l’oubli jusqu’à disparaître totalement de la vue et de la mémoire des gens. Il ne peut rien faire de magique et n’a pas de pouvoir sur les choses matérielles. (Par exemple, s’il prend un chapeau, on ne voit pas le chapeau se déplacer dans le vide : le chapeau ne fait que se dédoubler pour devenir une image immatérielle). Le seul pouvoir de Max est de toucher nos sens, notre inconscient, de provoquer par des actions subliminales des douleurs, des émotions, de la joie ou du désir, tout ce qu’on ne peut pas toujours expliquer.

© Casterman / Cazot & Benyamina

J’avais envie d’explorer les avantages et les limites d’être invisible d’un point de vue purement humain. Découvrir une personne dans toute sa vérité, débarrassée de tout masque social parce qu’elle ne nous voit pas est une expérience aussi merveilleuse qu’ambigüe. Tomber amoureux d’une personne qui ignore tout de notre existence est une limite. Éveiller en elle un désir que seul un corps matériel peut combler en est une autre.

C’est comme ça qu’est née l’idée de départ : Comment un homme effacé va apprendre à s’affirmer et se connaître en devenant invisible. Et comment une femme qui a peur de tout et de tout le monde va prendre confiance en elle et en l’Autre au contact de cet homme invisible. Et enfin comment cette relation ne peut être que bancale et incomplète quand le désir entre en scène et que Léonie commence à être attirée par d’autres hommes, physiques et palpables.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans l’écriture et peut-être dans la réalisation graphique de l’album ?

Véro Cazot. Être compréhensible dans mon concept de vie à deux à sens unique. Il fallait absolument que cette intrusion de Max dans l’intimité de Léo ne soit pas perçue comme (trop) malsaine. Il fallait qu’on aime ce personnage et qu’on le comprenne. Qu’il y ait un maximum d’humour et de bienveillance dans leur “relation“.

____________________________________

retrouvez la chronique de l’album ici

____________________________________

Mais le vrai casse-tête a été de rendre compréhensible ce principe de monde dédoublé dans lequel notre homme invisible évolue. Il a fallu établir des règles strictes sur ce qu’il peut faire ou ne pas faire pour que tout tienne et reste crédible. Je pars du principe que Max a basculé dans un monde superposé au monde réel. Qu’il est comme un écho du monde matériel et qu’il ne peut donc toucher que l’écho de tout ce qui l’entoure. Il fallait donc décider par exemple que tous les objets que Max utilise, n’ont qu’un seul écho et ne peuvent se dédoubler qu’une fois. Par exemple, la tasse de thé que Max prend à Léonie n’a qu’un seul écho, la chaise qu’il dédouble pour s’y asseoir aussi. Sinon, les objets se seraient entassés à l’infini dans l’appartement de Léo, il y aurait eu des centaines de tasses et de chaises accumulées dans la dimension de Max et la dessinatrice de l’album, Camille Benyamina, se serait arraché les cheveux.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Quel fantasme réaliseriez-vous si vous deveniez subitement, comme votre personnage, invisible ?

Véro Cazot. J’ai déjà réalisé tous mes fantasmes dans cet album ! Cette histoire est la moins réaliste et pourtant la plus personnelle que j’ai écrite jusqu’ici. Comme Léo, je n’ai pas vraiment de barrière entre le réel et l’imaginaire. Et comme Max, il m’arrive fréquemment de manquer de matière et de douter de mon existence.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 4 avril 2018

© Casterman / Cazot & Benyamina

Les Petites distances : Véro Cazot et Camille Benyamina revisitent le mythe de l’homme invisible dans une subtile comédie sentimentale

N’avez-vous jamais ressenti la désagréable sensation d’être transparent ? De n’exister pour personne ? Max, lui est tellement transparent qu’il le devient réellement, du jour au lendemain. Plus fort encore, les souvenirs qu’il aurait pu laisser ici ou là se sont eux aussi évaporés. Même ses parents n’ont souvenir de son existence…

Max n’a certes jamais été du genre m’as-tu-vu, mais devenir transparent à ce point de non-existence, il a du mal à se l’expliquer. Nous aussi. Mais quitte à être invisible, à ne plus avoir sa place nulle part, que ce soit sur son lieu de travail, chez ses parents ou dans sa coloc, autant en profiter et s’installer là où ça lui chante, et pourquoi pas chez la belle Léonie qu’il a croisé une fois dans la cage d’escalier de son immeuble. Et de partager son quotidien, ses repas, ses soirées, ses nuits, ses moments les plus intimes.

Et Léonie dans tout ça ? Bien qu’elle ne ressente aucune présence à ses côtés, la jeune femme finit par s’épanouir, son caractère change, elle qui avait peur de tout et de tout le monde, qui se faisait sans cesse des films avec des fantômes, gagne en assurance…

Récit fantastique ? Comédie sentimentale ? Les deux mon capitaine. L’album de Véro Cazot et Camille Benyamina mélange les genres et bouscule les codes pour mieux nous surprendre et nous interroger.

« J’avais envie d’écrire une histoire fantastique très ancrée dans le réel, dans le quotidien et sous forme de comédie sentimentale… », explique la scénariste Véro Cazot, « Mon homme invisible n’est pas victime d’une expérience scientifique ou d’un phénomène spectaculaire. C’est juste quelqu’un qui n’arrive pas à s’affirmer, à trouver sa place dans le monde et qui sombre peu à peu dans l’oubli jusqu’à disparaître totalement de la vue et de la mémoire des gens (…) C’est comme ça qu’est née l’idée de départ : comment un homme effacé va apprendre à s’affirmer et se connaître en devenant invisible. Et comment une femme qui a peur de tout et de tout le monde va prendre confiance en elle et en l’Autre au contact de cet homme invisible… ».

© Casterman / Cazot & Benyamina

Cette histoire a connu moult versions et rebondissements, un accouchement un peu difficile, reconnaît la scénariste dans un post Facebook. Il faut dire que dessiner ce qui ne se voit pas en le rendant visible pour la bonne compréhension du lecteur relève d’un pari un peu fou. Mais réussi dans ce cas! Car tout fonctionne, on y croit, on se glisse même facilement dans la peau des protagonistes, et notamment dans celle de l’homme invisible.

« Le vrai casse-tête a été de rendre compréhensible ce principe de monde dédoublé dans lequel notre homme invisible évolue. Il a fallu établir des règles strictes sur ce qu’il peut faire ou ne pas faire pour que tout tienne et reste crédible. Je pars du principe que Max a basculé dans un monde superposé au monde réel ».

Comédie légère en apparence, Les Petites distances aborde de façon très originale le thème de l’existence et de l’amour. Un récit subtil et séduisant !

Eric Guillaud

L’interview complète de Véro Cazot est à retrouver ici

Les Petites distances, de Benyamina et Cazot. Casterman. 20€

04 Avr

Akira : ne vous rongez plus les ongles, le tome 3 est arrivé en librairie !

L’éditeur nous avait pourtant assuré qu’il ne serait pas nécessaire d’attendre autant de temps pour le tome 3. Raté ! Il s’est passé dix mois entre le 2e et 3e volet, soit pratiquement autant qu’entre le 1er et le 2e. Mais que se passe-t-il ?

Presque un an entre chaque volume. À ce tarif-là, on risque de devoir patienter jusqu’en 2021 pour arriver à la conclusion de ce chef d’oeuvre de la science-fiction signé Katsuhiro Otomo. L’éditeur avait évoqué la fois précédent un problème technique, il parle cette fois de « nombreuses péripéties et échanges avec les éditeurs japonais » ainsi qu’un « problème chez l’imprimeur ».

Bref, armons-nous de patiente, visiblement cette réédition pilotée depuis le Japon par le patron himself, Otomo, n’a pas l’air d’être facile à gérer. Armons-nous de patiente et ne boudons pas notre bonheur. Même si la plupart d’entre nous connaissons l’histoire, c’est toujours un plaisir de se replonger dans les pages de ce manga absolument mythique.

Pas de changement de maquette sur ce troisième volume qui ressemble en tout point au deuxième. Et toujours une identique volonté de retour aux sources. Exit la couleur, nouvelle traduction, onomatopées sous-titrées, jaquette originale et sens de lecture initial respecté pour une édition que l’on dit définitive,

Bref, vous pouvez éteindre vos consoles vidéo et courir à la librairie la plus proche. La suite ? Très rapidement…

Eric Guillaud

Akira (tome 3), de Katsuhiro Otomo. Editions Glénat. 14,95€

01 Avr

Cintré(e), un roman graphique intimiste de Jean-Luc Loyer chez Futuropolis

Qui a dit que les auteurs de BD étaient fauchés ? Celui-ci l’est particulièrement. Plus un radis pour payer son loyer, du pain rassis en guise de repas… Et la spirale infernale ne fait que commencer. D’ailleurs, le dernier magazine à publier ses dessins vient de le remercier. Il ne ferait plus rêver les enfants…

Il est obèse, sans argent, sans boulot et depuis peu sans amour, sa maîtresse ayant préféré aller voir ailleurs. Bref tout va mal madame la marquise et les factures continuent de s’accumuler. La solution ? Signer un projet d’album chez un éditeur. Et pourquoi pas une bande dessinée documentaire sur les réfugiés bloqués à Sangatte, comme lui suggère un ami scénariste. Ni une ni deux, les voilà partis tous les deux dans le Nord avec l’espoir d’intéresser une maison d’édition.

« L’album de bande dessinée que nous pourrions réaliser racontera ce que nous avons vu (…) Notre projet comportera donc un fort aspect social… », écrivent-ils aux éditeurs. Est-ce l’aspect trop social ou le graphisme pas assez abouti, toujours est-il que personne ne veut du projet. Nos deux compères n’ont plus qu’à retourner à leur morne quotidien.

Mais après la pluie vient – parfois – le beau temps. Et de fait, notre dessinateur désargenté reçoit à sa grande surprise une proposition de travail dans une société de graphisme publicitaire où il sera chargé de former la fille du patron. Ce n’est pas vraiment son univers mais c’est mieux que rien et c’est plutôt bien payé. De quoi lui changer sa vie.

C’est surtout la fille du patron qui va lui changer sa vie. Éléonore, c’est son prénom, est une jeune fille un peu déjantée et totalement anorexique. Tout les oppose ou presque et pourtant le courant finit par passer entre ces deux personnages cintrés…

Une jeune écorchée vive d’un côté, un quarantenaire désabusé de l’autre, des blessures de part et d’autre et de l’amour au milieu… après Les Mangeurs de cailloux et La Boîte à un franc qui racontaient son enfance ch’ti, Jean-Luc Loyer s’attaque à un autre épisode de sa vie, Cintré(e) est une autobiographie romancée parfois drôle, souvent sombre, toujours tendre.

Eric Guillaud

Cintré(e), de Jean-Luc Loyer. Futuropolis. 20€

© Futuropolis / Loyer