Il est des livres qui vous tombent un beau jour entre les mains par le plus grand des hasards – je pourrais même parler d’intervention divine si j’étais croyant – et vous révèlent un auteur de grand talent. Ce fût le cas en 2016 avec Soleil brûlant en Algérie, un témoignage historique à vocation documentaire sur la guerre d’Algérie signé Gaétan Nocq d’après le récit d’Alexandre Tikhomiroff. Deux noms que l’on retrouve aujourd’hui sur la couverture de cette nouveauté mais une histoire toute autre, celle du père d’Alexandre, une plongée au coeur de la Révolution d’Octobre. Juste de quoi confirmer tout le bien que je pense de l’auteur…
Dans une interview qui remonte à avril 2016, au moment d’évoquer ses projets, Gaétan Nocq nous parlait de deux bandes dessinées dans les cartons, la première scénarisée par un autre auteur, la deuxième, qui lui tenait peut-être plus à coeur, une adaptation de La Trêve de Primo Levi. Et c’est finalement Capitaine Tikhomiroff qui sort du chapeau, une très belle surprise de 240 pages réalisée en un temps record de moins d’un an.
Retour en avril 2016, Soleil brûlant en Algérie, le tout premier album de Gaétan Nocq, raconte la guerre du jeune troufion Alexandre Thikhomiroff, dit Tiko. Le jeune homme, opposé à ce qu’on appelle à l’époque non pas une guerre mais des « événements » ou des « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord », se retrouve affecté au mess, à servir les hauts gradés. Un pis-aller qu’il accepte pour la simple « promesse d’un steak tendre, ajoutée à celle d’être loin des turbulences de la caserne et de ses astreintes morales… ». Mieux valait de toute façon être là qu’en première ligne!
Capitaine Tikhomiroff remonte le temps et raconte cette fois la Révolution d’Octobre à travers l’histoire du père de Tiko, lui aussi prénommé Alexandre. Comme son fils pendant la guerre d’Algérie, Thikomiroff père n’a rien d’un super-héros, sans peur et sans reproche. Il se fait lui-aussi plus spectateur qu’acteur, allant même jusqu’à passer des rangs de l’armée blanche à ceux de l’armée rouge et vice versa pour éviter d’être fusillé.
Et on le suit dans cette guerre civile, jusqu’à la défaite de l’armée blanche, acculée, retirée dans un port de Crimée, attendant une évacuation vers des terres d’asile. Pour Alexandre, ce sera la Turquie puis la Bulgarie et enfin la France. « Une autre histoire », dira plus tard Alexandre père à Alexandre fils dans ces quelques moments d’échange que les deux hommes purent avoir… Peut-être l’histoire d’un troisième album !
Autant Soleil brûlant en Algérie était traité en noir et blanc avec une luminosité tendant vers la surexposition, autant Capitaine Tikhomiroff a été pensé en couleurs avec l’idée « de faire monter la couleur en puissance, des gris chauds et froids à la couleur pure en fonction de la tension du récit », nous explique l’auteur.
Pour autant, l’un et l’autre nous rappellent La Guerre d’Alan d’Emmanuel Guilbert. Gaétan Nocq déclarait à ce propos en avril 2016 : « toute création est poreuse et se nourrit d’influence. La posture de la guerre racontée par la petite histoire humaine n’est pas nouvelle et Guibert fait partie des dessinateurs que j’apprécie. Sa trilogie Le photographe m’a beaucoup touché par son récit (j’ai foulé ces montagnes de l’Hindù Kush) mais aussi par sa capacité à rebondir graphiquement sur les planches contact de Lefebvre. En fait, toute l’école de la BD de reportage apparue à la fin des années 90 m’intéresse car elle relance l’invention narrative dans la BD ».
Un album magnifique tant du point de vue scénographie que graphique, avec ce trait esquissé toujours aussi léger et fragile.
Eric Guillaud
Capitaine Tikhomiroff, de Gaétan Nocq. Éditions La Boîte à bulles. 28€