Elles n’ont pas affronté le feu nourri de l’ennemi, n’ont pas vécu le quotidien des tranchées, la boue, les rats, les morceaux de cadavres charriés par les pluies, elles n’ont pas senti l’odeur de la mort. Mais le fait d’avoir perdu un mari, un frère ou un fils sur les champs de bataille de l’autre côté de l’Atlantique en ont fait des héroïnes de la Grande guerre. Et l’état américain, reconnaissant, leur offre quelques années plus tard un aller-retour pour le vieux continent le temps d’un recueillement sur la tombe des Sammies morts au combat…
Lorsque la boucherie de la Grande guerre s’achève, 116 000 soldats américains ont perdu la vie dans les tranchées et autour. Autant de corps à rapatrier – ils le sont pour moitié – ou à enterrer sur place. Et de l’autre côté de l’Atlantique, des femmes, des mères, des soeurs, qui entament un long et douloureux travail de deuil.
Dix ans après la fin du conflit, le Congrès américain vote un budget afin de permettre à ces femmes américaines de se recueillir sur la tombe de l’être aimé. L’association des Gold Star Mothers encadre ces expéditions qui durent à chaque fois un mois. On en compte une dizaine au total entre 1928 et 1933, 6654 femmes américaines en bénéficient.
C’est dans l’une des ces expéditions que nous plonge le livre de Catherine Grive et Fred Bernard, au milieu de ces femmes qui ont pour noms Mrs Hartfield, Mrs Vanderbilt, Clara Throckmorton ou encore Jane Smith, l’héroïne principal, et sa mère.
Les auteurs nous racontent la traversée en bateau, les affinités qui se créent ou non entre les femmes, les quelques jours à Paris qui ressemblent plus à un séjour touristique qu’à un pèlerinage, le recueillement dans les cimetières américains du côté de Verdun… mais aussi et surtout, ce qui ne se voit pas, le chagrin de toutes ces femmes si différentes les unes des autres mais unies par l’épreuve.
Auteur complet, responsable et coupable de quelques pépites du livre jeunesse et de la bande dessinée (Une aventure de Jeanne Picquigny, La Tendresse des crocodiles, La Patience du tigre…), Fred Bernard nous embarque pleinement dans l’histoire grâce à son trait léger, presque frissonnant, parfait pour nous parler des années 30. Le scénario est écrit par Catherine Grive, publicitaire, productrice d’émissions de radio à France Culture, écrivaine, traductrice et dorénavant auteure de bande dessinée.
Un éclairage instructif sur un sujet peu connu tout au moins de ce côté-ci de l’Atlantique.
Eric Guillaud
Gold Star Mothers, de Catherine Grive et Fred Bernard. Éditions Delcourt. 16,95€