16 Mai

Pierre de cristal : un récit sur l’enfance signé Frantz Duchazeau

Pierre-CouveJe ne suis pas un fin connaisseur de l’oeuvre de Frantz Duchazeau, c’est le deuxième album que je lis de lui seulement, c’est la deuxième fois que je suis très agréablement surpris.

La première fois, c’était avec Le rêve de Meteor Slim, un très beau bouquin au format carré paru chez Sarbacane en 2008, un dessin charbonneux pour un récit au coeur du blues, dans le Mississippi des années 30.

Changement radical de sujet, de contexte et même de dessin -le trait est beaucoup plus léger cette fois- Pierre de cristal nous embarque pour un voyage intimiste au coeur de l’enfance. De notre enfance, de votre enfance pourrais-je écrire. Car ce livre parlera forcément à chacun de nous, tant Frantz Duchazeau a su capter et retranscrire les peurs, les joies, les incertitudes, les interrogations propres à cette étape de la vie.

Le personnage principal de ce récit s’appelle Pierre. C’est un petit garçon de 10 ans qui mène une vie ordinaire, celle d’un gamin de son âge, avec peut-être un peu plus de sensibilité que les autres. Au fil des pages, Pierre découvre la vie, la cruauté des uns, la lâcheté des autres, la violence du monde, la mort… Il voudrait que rien ne change, jamais, que ses parents ne se quittent pas, qu’ils continuent à s’aimer, à l’aimer: Mais on n’arrête pas le temps, on ne peut non plus revenir en arrière, Pierre le comprend. « Je sais aussi que je serai triste de ne plus être un enfant… », se dit-il, « alors je repenserai à ces moments quand la lumière était  belle ».

Une écriture sensible et poétique, un graphisme aussi fragile que les souvenirs, Pierre de cristal aborde des thèmes graves avec finesse et intelligence.

Eric Guillaud

Pierre de cristal, de Frantz Duchazeau. Éditions Casterman. 16,95€

© Casterman / Duchazeau

© Casterman / Duchazeau

14 Mai

Le Chemin des égarés : un plongeon au coeur de la marginalité et de la drogue signé Vincent Turhan

Capture d’écran 2017-05-14 à 16.11.40Dans sa mise en scène, ses couleurs, la couverture du Chemin des égarés m’en rappelle une autre, celle de La Guerre d’Alan en version intégrale. Mais là s’arrêtent les similitudes même si les deux racontent un périple humain dans un pays dévasté…

Gros plan sur une seringue planté dans ce qu’on peut imaginé être un bras. Nous voilà prévenus, Le Chemin des égarés est un voyage difficile en pays junkie, l’histoire de marginaux dans La Nouvelle-Orléans tout juste dévastée par l’ouragan Katrina en 2005.

A l’abris d’un tunnel, Layne et Cesar émergent de leur dernier shoot et découvrent le paysage d’apocalypse laissé par l’ouragan Katrina, un amoncellement de câbles, de poteaux, de morceaux de toitures. Un désastre.  Layne et Cesar n’ont pourtant qu’une préoccupation : trouver « le toubib », leur dealer, et récupérer leur dope quotidienne. Oui, mais voilà, avec l’ouragan, le fameux toubib est allé voir ailleurs si l’air était meilleur. Qu’importe, le marché se déplace ? Les consommateurs suivent. Et voilà nos deux acolytes partis à sa recherche, bientôt rejoints par Joe, un sans abri comme eux, et une gamine prénommée Zoé.

Dans un décor apocalyptique, notre petite bande qui aurait pu se souder face à l’adversité se déchire au rythme des crises de manque. « Nous n’étions en fait qu’un peloton de junkies en recherche de dope. Autour de nous, le monde s’écroulait ». Pourtant, tous ne trouveront pas la même chose au bout de la route, certains continueront de sombrer, d’autres referont surface…

« Le chemin des égarés est né de l’envie de raconter une histoire sur la marginalité… », explique l’auteur. « La pratique constante du dessin d’observation dans les gares parisiennes m’a permis de côtoyer de loin comme de près l’univers de la rue. Savoir à quoi, et comment pense l’individu m’a toujours intéressé. Je me suis impliqué dans une association dédiée à l’aide aux SDF. Je me suis imprégné de nombreux parcours, d’anecdotes, de visages. Le chemin des égarés s’est nourri de toutes ces personnes… ».

Derrière le tragique et la violence du contexte général et des histoires individuelles, Le Chemin des égarés se termine sur un message d’espoir, quand « la volonté de s’affranchir d’un processus de destinée » devient plus fort que toutes les peurs. Un sujet assez rare aujourd’hui magnifiquement mis en scène par ce trait idéalement tourmenté et ces ambiances sombres.

Eric Guillaud

Le Chemin des égarés, de Vincent Turhan. Éditions Les Enfants Rouges, 20€

© Les Enfants Rouges / Turhan

© Les Enfants Rouges / Turhan

13 Mai

Constellation : réédition d’un huis-clos aérien sur fond de guerre froide signé Frederik Peeters

Capture d’écran 2017-05-12 à 14.22.00Tenir entre les mains un album de 300 pages à plusieurs dizaines d’euros peut rassurer certains boulimiques du neuvième art mais le bonheur peut être aussi simple que Constellation, 30 pages, 9 euros dans toutes les bonnes librairies…

On ne va pas tortiller de l’arrière train pendant longtemps, Constellation fait partie de ces albums qu’il faut avoir en permanence sous la main pour le relire régulièrement, un petit bijou scénaristique qu’on ne trouvait plus chez nos amis libraires sans y mettre le prix, souvent plus de 20 euros. Il faut dire que sa publication remonte à 2002, l’auteur Frederik Peeters venait d’obtenir la reconnaissance de la profession et du public avec l’album Pilules bleues.

Rien à voir cependant avec l’histoire d’amour malmenée par le sida de Pilules bleues, Constellation est une fiction qui se déroule en 1957, en pleine guerre froide, sur un vol Paris-New York, une histoire en forme de huis-clos savamment construit, trois chapitres, autant de points de vue de la même scène, celui de deux passagers, un soi-disant représentant en insecticide américain et une écrivaine à l’accent russe, et celui d’un steward vengeur. Simple en apparence, efficace de toute évidence !

Constellation, de Frederik Peeters. Éditions L’Association. 9€

© L'Association / Peeters

© L’Association / Peeters

10 Mai

Akira : le tome 2 enfin disponible !

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Onze mois. Il aura fallu patienter onze mois pour pouvoir tenir entre nos petites mains fébriles le deuxième tome de la réédition en noir et blanc du cultissime Akira de Katsuhiro Otomo. Un problème technique serait à l’origine de ce retard à l’allumage…

Je vous épargne le détail de ces problèmes techniques, l’important est de pouvoir enfin lire la suite de ce monument du manga, même si bien évidemment on connaît tous déjà l’histoire par coeur.

hormis de légers détails, ce deuxième volume est en tout point identique au premier. Exit la couleur, retour au noir et blanc, nouvelle traduction, onomatopées sous-titrées, jaquette originale et surtout, surtout, sens de lecture initial respecté pour une édition que l’on dit définitive, pilotée par le patron himself, Otomo, depuis le Japon.

Bref, vous pouvez éteindre la télé et reprendre votre activité normale de lecture. La suite ? L’éditeur nous assure qu’il ne faudra pas attendre autant de temps pour le troisième volume. On l’espère !

Eric Guillaud

Akira (tome 2), de Katsuhiro Otomo. Editions Glénat. 14,95€

07 Mai

Soft City : une étrangeté signée Pushwagner aux éditions Inculte

1decouv_softcityJe ne vous ferai pas le coup de celui qui connait Pushwagner depuis qu’il est né. Non, son nom m’était absolument inconnu jusqu’à ce jour où mon regard a été happé par la couverture radicalement rouge et asphyxiante de Soft City. Alors, j’ai fait comme tout le monde, je suis allé voir sur Internet qui pouvait bien être cet auteur et d’où sortait cet album surprenant dans le fond et dans la forme…

Pushwagner, Hariton de son prénom, Terje Brofos de son vrai nom, est un artiste contemporain norvégien, un « peintre pop » nous dit Wikipédia, qui connait aujourd’hui un succès national, voire international. Ce qui ne fut pas toujours le cas, notamment lorsqu’il débute cette bande dessinée, Soft City, en 1969. Il met six ans à la terminer avant, dit-on, de perdre les planches. Réapparues en 2002, elles sont exposées à l’occasion de la 5e biennale d’art contemporain de Berlin en 2008, offrant à l’auteur une exposition et une reconnaissance internationale. Il faut attendre fin 2016 pour que Soft City soit finalement publié par la New York Review of Books et 2017 pour qu’il soit traduit en français par les éditions Inculte.

Une préface de Chris Ware

Ce qui a arrêté mon regard sur la couverture de Soft City, c’est aussi un nom, qui cette fois m’était familier, Chris Ware, auteur de bande dessinée américain, notamment responsable de l’extraordinaire et multi-primé Jimmy Corrigan. Que venait-il faire dans cet album ? Signer une préface tout simplement. Il y explique notamment comment ce livre relève du miracle. « Non pas à cause de son existence… », précise-t-il, « mais de sa survie. Dessiné entre 1969 et 1975 par l’artiste Hariton Pushwagner, il est niché dans la pénombre durant des décennies. Tout le monde le croyait perdu, avant qu’un éditeur norvégien, No Coprendo, ne le refasse surgir en 2008, à la suite d’une longue dispute entre l’artiste et son ancien galeriste. Mais le miracle, plus encore, est à chercher du côté de la forme de cette oeuvre – la bande dessinée -, qui arrive à restranscrire une vision désenchantée et unique qui ne ressemble à nulle autre… »

Et c’est une évidence. Soft City est une oeuvre pour le moins singulière, un récit de science fiction à la Orwell (1984) ou à la Huxley (Le Meilleur des mondes) qui nous embarque dans un univers urbain oppressant, étouffant, où le collectif a définitivement anéanti les libertés individuelles, chacun partageant une vie identique dans un environnement identique, un quotidien ramené à une revue militaire permanente, un monde déshumanisé et consumériste à l’extrême où les protagonistes parviennent tout de même à se rassurer en s’affirmant heureux et surtout en avalant au réveil la petite pilule du bonheur.

Du béton à en perdre l’horizon

Pour le reste, Soft City, c’est du béton à en perdre l’horizon, des voitures qui saturent l’espace, des entreprises d’armement qui travaillent pour le bonheur des uns et forcément pour le malheur des autres, des supermarchés énormes, gigantesques, propices à endormir toutes velléités de changement. Soft City est une bande dessinée à caractère dystopique et, avec le recul des 40 ans, quasi-prophétique.

Mais s’agit-il vraiment d’une bande dessinée ? Pour Chris Ware, Soft City ne relève ni des beaux-arts, ni de la bande dessinée underground, « c’est une oeuvre imposante et expérimentale; un défi visuel qui touche profondément son lecteur, alors que s’insinuent dans son sillage les spectres des poésies, films et textes expérimentaux des années soixante ».

Une vraie curiosité !

Eric Guillaud

Soft City, de Pushwagner. Éditions Inculte. 30€

© Inculte / Pushwagner

© Inculte / Pushwagner

03 Mai

Bangalore : Simon Lamouret signe un portrait pas comme les autres d’une ville pas comme les autres

album-cover-large-32936Passer de 800 000 à 9 millions d’habitants en 50 ans laisse forcément des traces. Et de fait, Bangalore n’a pas l’attrait, le charme, que peuvent avoir Calcutta, Bombay ou New Delhi. Mais c’est dans cette ville, agglomérat de « décors maladroits », que Simon Lamouret a vécu et travaillé et c’est de cette ville dont il a décidé de nous parler à travers ce très bel album paru chez Warum….

Et il le fait non seulement avec un talent graphique affirmé mais aussi avec beaucoup d’esprit, de singularité et d’humanité. Son album n’a en tout cas rien à voir avec les carnets de voyage habituels, Simon Lamouret ne se met pas en scène ou très peu, ne raconte pas un voyage mais une suite d’anecdotes de la vie quotidienne. Des saynètes en une ou deux pages décrivent la ville et les gens qui la font, la circulation rue folie, les chargements improbables qui font vaciller motos et vélos, l‘urbanisation anarchique, les multiples petits métiers de la rue, la vie nocturne, les mariages arrangés ou encore la misère des ouvriers de chantiers.

« Pendant trois années… », epxlique-t-il en préambule, « j’ai arpenté cette ville et ai posé mon regard sur les interactions qui se déroulent dans la rue. Devant le spectacle des passants anonymes, de ces acteurs des trottoirs, j’ai tenté de décoder une part de l’âme indienne, sans chercher à démontrer, en regardant et en écoutant, pour retranscrire, de la façon la plus juste, ce qe j’ai cru percevoir de ce peuple ».

Les dessins de Simon Lamouret mettent en scène ce qui fait la singularité du pays, tout s’y entrechoque, la tradition et la modernité, la richesse et la pauvreté, la religion et le business, la vie et la mort. Cerise sur le gâteau, les anecdotes de Simon Lamouret sont rythmées par une série de dessins grand format en double page où se révèle l’agitation compulsive qui secoue ce pays jour et nuit. Simon Lamouret ne juge pas, il ne fait que montrer ce qui se voit et parfois ce qui se voit moins avec bienveillance et un brin d’humour. Magnifique !

Eric Guillaud

Bangalore, de Simon Lamouret. Éditions Warum. 22€

© Warum / Lamouret

© Warum / Lamouret

02 Mai

Imbattable : le plus grand des super-héros au monde habillé par Pascal Jousselin

NB9uKP5NINUJLF75Wsa63hEB51wqQz0e-couv-1200On dit de lui qu’il est le seul véritable super-héros de bande dessinée, que rien ne lui est impossible, qu’il porte, l’hiver venu, une écharpe tricotée par sa mémé, qu’il accepte les stagiaires, qu’il mange du poulet rôti le dimanche… et c’est vrai ! Tout est vrai.

Ce qui est vrai aussi, c’est qu’il n’a pas le physique attendu du super-héros défenseur de la veuve et de l’orphelin. Il est certes masqué et encapé mais c’est un petit gros, sans muscles, en tout cas sans muscles apparents. Il a pourtant des supers pouvoirs qu’aucun super-héros n’a espéré acquérir un jour, même en rêve.

Superman, Batman, Captain America, Wonder Woman… tous et toutes peuvent aller se rhabiller et changer de métier car Imbattable a le pouvoir exceptionnel de jouer avec l’espace et le temps d’une planche de bande dessinée. Et ça… c’est le top !

Il est capable de passer d’une case à l’autre, de remonter ou au contraire d’avancer dans le temps pour déjouer les magouilles des politiques et les coups tordus des savants fous, il peut les doigts dans le nez, sans se fatiguer, rattraper un marathonien cleptomane, couler un bateau de pêche d’un trait, retrouver un tableau volé avant même qu’il le soit, récupérer des glaçons en Arctique pour l’apéro…

Alors bien sûr, on peut se dire qu’une histoire qui prenait 48 pages auparavant ne prendra désormais plus qu’une quinzaine de cases dans le meilleur des cas, que c’est à terme la mort du métier de super-héros, mais Imbattable est irrésistiblement drôle et vous, comme moi, lui pardonnerez tout.

À l’instar de Marc-Antoine Mathieu avec son personnage Julius Corentin Acquefacques, Pascal Jousselin joue avec les codes graphiques et narratifs de la bande dessinée, explorant en courts récits de quelques cases à quelques pages les possibilités infinies du médium. C’est surprenant, parfois déroutant mais toujours hilarant. Un album à classer parmi les indispensables !

Eric Guillaud

Imbattable, Justice et légumes frais, de Pascal Jousselin. Editions Dupuis. 10,95€

© Dupuis / Jousselin

© Dupuis / Jousselin

01 Mai

Jojo : un peu de poésie dans un monde de brutes épaisses

2WGBhhMEh814hWK8UeZLOzqkG5GqDuk5-couv-1200On aurait tendance à oublier de s’aérer l’esprit en ces temps obscures où l’horizon prend des teintes brunes foncées. Mais l’occasion nous est finalement offerte par les éditions Dupuis avec le lancement de l’intégrale Jojo de Geerts. Un rayon de soleil entre deux tours…

Et ça fait bougrement du bien ! Geerts, André de son prénom, décédé en 2010, est un des auteurs les plus poétiques du journal Spirou. Grand amateur de Franquin et Peyo, proche dans l’esprit d’un Fournier ou d’un Hislaire et Frank Pe, ses amis, Geerts réalise un de ses rêves les plus fous en rejoignant l’équipe du journal de Spirou en 1976. Mais il faudra encore attendre quelques années, sept, pour qu’apparaisse Jojo à la faveur du faux bond d’un annonceur.

Un quart de page à remplir en urgence :  voilà comment naissent parfois les plus grands héros de la bande dessinée. Et Jojo fait partie de ces grands héros, non pas par la taille je vous le concède, ni par la notoriété qui, j’imagine, est bien en deça des célèbres Spirou et autres Boule et Bill, non Jojo est un grand héros par la taille de son coeur, immense, par sa gentillesse aussi et sa tendresse.

Avec sa bouille toute ronde, Jojo est peut-être l’un des premiers enfants terribles de la bande dessinée franco-belge, ouvrant la voie à d’autres garnements – Le Petit Spirou et Titeuf en tête – qui débarqueront dans le monde du neuvième art quelques années plus tard.

Il n’a rien d’affreux Jojo. Bien au contraire. Quand il rêve qu’une fée pourrait un jour se pencher sur lui et lui permettre d’exaucer trois voeux, il sait déjà ce qu’il souhaiterait : 1/ Que tous les gens dans le monde mangent à leur faim. 2/ Qu’on soit tous toujours en bonne santé. 3. Qu’il n’y ait plus jamais de guerre. C’est simple et concret, mieux que n’importe quel programme de candidat à la présidentielle. Moi je vote pour Jojo !

Dans ce premier volet de l’intégrale sont réunis les quatre premiers albums, Le Temps des copains, La fugue de Jojo, On opère Gros-Louis et Le mystère Violaine ainsi qu’un épais dossier évoquant les débuts de Geerts dans le monde du neuvième art et la naissance de Jojo. Tendrement indispensable !

Eric Guillaud

Jojo (intégrale tome 1, 1983 – 1991), de Geerts. Éditions Dupuis. 28€

© Dupuis / Geerts

© Dupuis / Geerts

Starve : Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es

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Et si le contenu de notre assiette devenait à la fois un objet de pouvoir ET le symbole de notre propre déliquescence? Ici, tout est passé à la moulinette, avec du rab’ de gras à foison : télé-réalité, abrutissement des masses ou encore destruction de la famille et de la société, dessiné d’une plume rageuse et très grasse comme un combat où chacun se bat pour sa survie.

Il y avait déjà ‘Soleil Vert’ – d’abord un livre d’Harry Harrison puis un film tout aussi visionnaire avec Charlton Heston en 1973 – il y aura désormais Starve, véritable roman noir dans le sens graphique du terme, la plume du Serbe Danijele Zezejl y étant toujours très sombre, comme si elle reflétait d’une façon excessive du propos qu’elle illustre.

Cette histoire, c’est celle de Gavin Cruikshank, à la fois chef de génie et trash, méga-star de la réalité culinaire que l’on force à sortir de sa retraite pour retourner aux fourneaux devant les caméras histoire de rebooster l’audimat de l’émission qu’il avait crée et qui passionne les foules dans un futur cauchemardesque où 99,9% de la population ne peut plus s’offrir de repas digne de ce nom avec une faune ravagée par des siècles de pillage.

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

Sauf qu’en plus d’une descente en flèche du ‘spectacle à tout prix’ et de la description d’un futur désespéré où les masses abruties en sont réduites à saliver devant leur écran pour tromper leur ennui et la faim qui les ronge et oublier leur misère, c’est avant tout l’histoire d’une rédemption. Mais aussi d’une revanche. En fait, plus les arrière-cuisines deviennent des sortes de tranchées sous le feu nourri des canons et plus Cruishank renoue avec sa fille, dont la garde lui avait été arrachée à son divorce. Au point d’en faire la complice de son ultime pied de nez à cette gigantesque farce macabre télévisuelle.

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

Noir, très noir même, Starve tranche dans le vif et frappe par son parti-pris nihiliste assumé mais rebute aussi un peu avec son côté bavard et son manichéisme. Reste que son anti-héros destroy, entre rock-star décharné et la version outrancière du Joker tel que le campait Heath Ledger dans le film ‘The Dark Knight’, vaut à lui seul la lecture…

Olivier Badin

Starve, de Brian Wood, Danijel Zezelj et Dave Stewart, Urban Comics. 22,50 euros