Shutter Island, Rouge comme la neige, Au revoir là-haut, Piège nuptial, Emma, Dusk… En une quinzaine d’années, Christian de Metter a élaboré une oeuvre homogène qui reflète sa vision noire, pessimiste, du monde dans lequel nous vivons. Un exutoire convient-il. Cette fois, l’auteur se lance dans une ambitieuse série au format d’anthologie, avec pour fil rouge, en écho au titre, la double notion d’absence de corps et d’identité.
Le héros de cette première saison n’a pas de nom. Juste un visage, des tatouages et du sang sur les mains. L’histoire commence en 2007 dans le Montana. Arrêté sur le lieu d’un crime qu’il s’accuse d’avoir commis, l’homme est jeté en prison où il réclame le châtiment suprême. « Je mérite d’être jugé coupable. Je mérite la peine de mort ».
Est-il fou, irresponsable de ses actes ou effectivement un criminel ? C’est à la jeune psychologue Beatriz Brennan que revient la lourde tâche de trancher. Elle le rencontre plusieurs fois dans sa cellule. Il accepte de lui raconter sa vie.
« Ce qu’il faut comprendre, c’est que je n’ai jamais choisi ma vie. On ne m’a pas laissé le choix. On a toujours décidé pour moi. Mais moi, je suis personne », déclare-t-il.
Sa vie ? C’est tout d’abord la disparition de son frère au Vietnam dans un hélicoptère qui explose en plein vol. Pas de corps pour pleurer, pas de corps pour faire le deuil. C’est la spirale infernale, l’alcool, les bagarres, les larcins… « comme ça, sans raison. Juste… La haine, ouais. Jusqu’au jour où ça tourne mal ». La mort accidentelle d’un petit vieux pendant un cambriolage. Le FBI lui propose un deal : pas de prison, ardoise effacée contre une participation au programme Cointelpro.
Qu’est-ce que le projet Cointelpro ? Lancé en 1956 par le directeur du FBI John Edgar Hoover, Cointelpro (Counter intelligence program) est un projet regroupant des actions clandestines du FBI, visant à infiltrer, discréditer et neutraliser les activités dissidentes d’éléments politiques considérés comme radicaux. Du contre-espionnage en clair qui eut notamment pour cible les Black Panthers, le Parti communiste américain, le Ku Klux Klan, Martin Luther King…
« Ils voulaient que je les renseigne sur une groupe de jeunes socialistes anti-Vietnam que je connaissais vaguement sur le campus. Mon rôle était au départ de les infiltrer pour informer le bureau »
Il le fait, couche avec une fille du groupe, en tombe dingue amoureux. Mais, elle mort avec ses amis dans une explosion provoquée par le FBI. Une nouvelle fois, notre homme se retrouve sans corps pour pleurer.
C’est le début d’une longue carrière dans le FBI. Dix ans après ses débuts, on le retrouve infiltré dans un gang de bikers violents. Il a trouvé un nom, Nobody, et un coéquipier, Henry, qu’il affirme avoir assassiné…
Calqué sur les séries télévisées d’anthologie (plusieurs épisodes, plusieurs saisons, un thème identique et des personnages différents), Nobody nous entraîne dans l’Amérique de la seconde moitié du XXe siècle, au coeur de l’un du FBI et de ce fameux programme Cointelpro.
Même s’il y convoque l’histoire, le récit de Christian de Metter reste une fiction, une très bonne fiction, au scénario implacable, à la narration époustouflante, aux personnages complexes, aux atmosphères sombres et tendues comme il en a le secret, typiquement le genre de bouquins qu’on envisage difficilement de refermer.
Eric Guillaud
Nobody (2 tomes parus), de Christian de Metter. Editions Soleil. 15,95€