11 Sep

Le travail de l’auteur de BD Blexbolex à l’honneur à Maison Fumetti à Nantes jusqu’au 31 octobre

Les occasions de se divertir étant plutôt rares en ce moment, voici une proposition qui tombe à pic. Maison Fumetti vous invite à découvrir le travail de Blexbolex, illustrateur, sérigraphe et auteur de bande dessinée, à travers une exposition et divers rendez-vous dès ce samedi 12 septembre.

© Blexbolex

Certains le considèrent comme le maitre du livre jeunesse, en tous cas son univers, son style graphique, son approche narrative et ses nombreux livres publiés chez Albin Michel peuvent effectivement le laisser penser. D’ailleurs, l’un de ces livres, Imagier des gens, publié en 2009 chez Albin Michel, a reçu la Golden Letter (Prix du plus beau livre du monde) à la Foire du livre de Leipzig. C’est dire !

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09 Sep

L’Alcazar et La Dernière rose de l’été, la rentrée musclée des éditions Sarbacane

Ils sont beaux, ils sont costauds, près de 3 kilos à eux-deux, et ils font partie des incontournables de la rentrée : L’Alcazar à ma droite, La Dernière rose de l’été à ma gauche, un regard sur la société indienne d’un côté, un thriller particulièrement stylé de l’autre, et deux auteurs qui ne devraient pas en rester là…

Lucas Harari et Simon Lamouret ne sont pas des inconnus pour ceux qui suivent un tant soit peu l’actualité du neuvième art. Le premier a réalisé L’Aimant. L’album sorti chez Sarbacane en 2017 a connu un vif succès. Le second a signé Bangalore la même année chez Warum, un portrait de ville singulier et une belle expérience graphique.

Ils reviennent tous les deux en cette rentrée pour un deuxième album et une confirmation : nous avons là des auteurs complets hyper-talentueux à surveiller de très très près.

On commence avec L’Alcazar qui nous embarque une nouvelle fois pour l’Inde. Il faut dire que Simon Lamouret a vécu dans ce pays plusieurs années durant et pu observer à loisir la société indienne, ses rites, ses coutumes, ses codes. Après Bangalore, ce nouvel album de plus de 200 pages en trichromie nous propose une immersion dans le quotidien du chantier de construction d’un immeuble quelque part dans un quartier résidentiel. Depuis les fondations jusqu’à l’inauguration en grande pompe, c’est tout un petit théâtre qui s’anime devant nous, avec ses ouvriers, ses ingénieurs, ses promoteurs, les voisins qui râlent contre le bruit, les coups de gueule des uns, les histoires d’amitié ou d’amour des autres.

L’Alcazar est le nom de cet immeuble, une espèce de tour de Babel où l’on parle différentes langues, où l’on prie différents dieux, avec le même objectif au final, tenter de s’élever dans la société en même temps que l’immeuble. On se laisse embarquer de la première à la dernière page avec le sentiment de faire un peu partie du voyage. Une histoire subtile, un graphisme magnifique, un album somptueux.

Tout aussi somptueux, La Dernière rose de l’été se déroule quelque part dans le sud de la France. Avec là aussi un chantier, une maison en rénovation. Acceptant la proposition du propriétaire, un sombre cousin rencontré dans un lavomatique où il bosse sur Paris, Léonard s’installe dans la maison pour surveiller les ouvriers et se remettre à l’écriture, sa grande passion. Et il ne le regrette pas ! Une vue imprenable sur la mer, une Méhari pour les balades, des villas de luxe pour décor…  et une belle et jeune voisine, Rose.

Mais le tableau idyllique s’arrête là. Depuis son arrivée, deux jeunes hommes ont disparu à proximité et une atmosphère étrange s’est installée, y compris dans l’environnement de Rose. Qui est-elle vraiment ? Qui est cet homme qui dit être son père et qu’elle présente comme son beau-père ? Et ce psychiatre mystérieux ?

À l’instar de L’Aimant, l’album précédent de Lucas Harari, La Dernière rose de l’été est un polar estival à la mécanique parfaitement huilée, un bijou d’écriture et de graphisme, un hommage à la ligne claire et à la BD des années 50, un savant mix de mystère, de romance, d’action et d’architecture qui en fait un « pulp à l’eau de rose », pour reprendre une expression de l’auteur. En tout cas, une BD dont on a beaucoup de mal à s’extraire, un bijou je vous dis !

Eric Guillaud

L’Alcazar, de Simon Lamouret. 25€

La Dernière rose de l’été, de Lucs Harari. 29€

06 Sep

La BD fait sa rentrée. Carbone et Silicium : ces robots qui nous ressemblent tant

Vertigineux. C’est la première impression qui domine lorsqu’on referme ce gros pavé de près de 300 pages, œuvre assez monumentale aussi bien sur le plan graphique que conceptuelle qui va au-delà du rétro-futurisme et même du cyberpunk et qui met en scène deux robots finalement bien plus humains que ceux qui les ont créés.

Alors d’accord, on avait déjà repéré le très talentueux Mathieu Bablet, et ce, dès sa première BD, La Belle Mort. Et même s’il colle bien à la mentalité propre à l’écurie Ankama – melting-pot de références à la culture bis, aux mangas et au cinéma de genre – il a toujours eu pour lui une sorte de mélancolie sourde, presque poétique qu’il n’hésite d’ailleurs pas à étaler sur des pleines pages bourrées de détails et comme suspendues dans le temps. Mais là, il s’est surpassé !

Le pire est que d’après le dossier de presse, une fois son livre précédent terminé, le pourtant déjà assez garguantesque Shangri-La – jamais il n’aurait pensé qu’il enchaînerait avec un projet aussi tentaculaire. Et pourtant, plus on s’enfonce dans le futur dystopique de Carbone & Silicium et plus on se rend compte de sa complexité heureusement jamais rébarbative. D’abord, on y voit une réflexion assez poussée sur la société de la consommation à outrance et sur l’intelligence artificielle. Mais il sonde aussi l’âme humaine et comment nos semblables sont prêts à prolonger leur vie à tout prix. Mais surtout, au-delà de ça, il y a une histoire d’amour, une histoire chaste et platonique entre deux êtres, les premiers exemplaires d’une race d’androïdes très avancée censés, à la base, s’occuper de nos aïeuls, de plus en plus nombreux dans cette société décadente, et au final très, très proches de nous.

© Ankama/Label – Mathieu Bablet

Le tout commence en 2046 et s’étend sur presque trois siècles, période durant laquelle les deux personnages principaux ne cessent de se quitter pour mieux se retrouver au milieu monde en pleine déliquescence. En fait, plus la société dans lequel ils sont nés se perd et fini par se consumer et plus ces deux êtres a priori artificiels cherchent, à l’inverse eux, leur part d’humanité, mais de deux façons complètement différentes.

Ce n’est pas pour rien que les fans de science-fiction lui préfèrent souvent le terme d’anticipation, parfaitement adapté ici. Pas de robots destructeurs venus du futur à la Terminator ni de robots se rebellant contre leurs créateurs comme l’a si bien décrit Isaac Asimov au programme. Non, juste deux vrais faux jumeaux qui échappent à leurs créateurs pour mieux disparaître, devenant des sortes de témoins presque passifs de la catastrophe en cours. Il n’est pas question pour eux de sauver qui que ce soit ici, de toute façon l’homme apparaît ici, au mieux, comme fuyant ses responsabilités (comme la professeure Noriko, leur créateur qui a tout sacrifié pour ses recherches) ou, pire, comme plus pressés de s’abandonner dans la réalité virtuelle pour échapper à son destin funeste qu’il ne peut de toutes façons enrayer.

Carbone & Solicium est une sorte de quête spirituelle à la recherche de soi-même et d’un d’absolu, quête retranscrite par une mise en en image sublime où au fur et à mesure du naufrage de l’humanité, les couleurs ocres et froides du début cédant peu à peu à quelque chose de plus chatoyant et au final de plus humain alors que, paradoxalement, l’humanité se meurt de plus en plus. Un peu la rencontre inattendue entre le romancier américain créateur du cyperpunk William Gibson, Blade Runner et l’humanisme généreux d’un René Barjavel. Poignant, ambitieux et superbe.

Olivier Badin

Carbone & Silicium de Mathieu Bablet. Ankama/Label 619. 22,90 euros

© Ankama/Label – Mathieu Bablet

 

05 Sep

La BD fait sa rentrée. Eclats et Cicatrices : un diptyque à la fois intimiste et universel du Hollandais Erik de Graaf (ENTRETIEN)

Elle s’appelle Esther, lui, Victor. Elle est juive, lui non. Ils sont amoureux mais la guerre va les séparer. Lorsqu’ils finissent par se retrouver, le monde a changé, plus rien ne ressemble à avant, la famille, les amis, pour certains, ne sont plus là. Quant à l’amour…

Eclats et Cicatrices, deux volumes pour une seule et même histoire, une histoire intime au coeur de la grande histoire. Nous sommes en 1946, Esther et Victor se retrouvent après des années de séparation. La guerre est passée par là avec son cortège d’horreurs, de trahisons, de chagrins, mais aussi, parfois, ses actes de bravoures et ses histoires d’amour.

En 1939, Esther et Victor s’aimaient, l’avenir leur appartenait, ils parlaient mariage, enfants, avant que les Allemands n’envisagent d’envahir le pays. Victor est mobilisé, Esther s’enfuit, les Allemands débarquent, le gouvernement capitule, c’est le début de l’occupation. Certains Néerlandais optent pour la collaboration, d’autres rejoignent la résistance, comme Victor. Les années passent…

Lorsqu’ils se retrouvent par hasard en 1946, Esther et Victor ont des années de vie à se raconter. Défile alors en une succession de flashbacks le récit de la guerre, de leur guerre. Aucun sensationnalisme ici, Erik de Graaf s’attache plutôt à décrire les émotions et un quotidien plus souvent ordinaire qu’extraordinaire. C’est la marque de fabrique de l’auteur. Comme il nous le confie dans cette interview, ce qu’il aime avant tout, c’est raconter des « histoires personnelles avec de la profondeur » et contribuer à sa manière à entretenir la mémoire collective.

Erik de Graaf © Thijs van Mastrigt.

On vous connaît peu en France. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Erik de Graaf. À l’origine, je suis graphiste et cogérant d’une agence de design. La bande dessinée a commencé de façon thérapeutique quand j’étais à la maison suite à un burn-out, il y a des années. C’est maintenant devenu ma deuxième profession.

On vous classe dans la catégorie ligne claire. On est pourtant bien loin d’un graphisme à la Chaland ou même à la Serge Clerc. Qu’est-ce qui vous rapproche selon vous de ces deux artistes que vous citez régulièrement parmi vos influences ?

Erik. Ils m’ont particulièrement inspiré pour développer un style élégant et clair, tant dans les lignes que dans l’utilisation de la couleur. J’ai ensuite cherché et trouvé ma propre voie dans ce domaine, où mon arrière-plan graphique est indéniablement présent. Mon style est plus hollandais, plus calme et plus simple. Quelqu’un l’a récemment appelé « l’hyper ligne-claire ».

Le diptyque Eclats/Cicatrices est votre deuxième roman graphique. Il raconte une histoire d’amour sur fond de guerre. Comment est né ce projet ?

Erik. J’ai été inspiré lorsque j’ai lu un article de journal à la fin des années 1990 qui décrivait comment les voisins, les amis, la famille se sont attaqués, voire se sont suicidés pendant la guerre en ex-Yougoslavie alors qu’ils vivaient auparavant en bonne harmonie. Cela m’a montré ce qu’un conflit armé peut faire aux gens ordinaires. J’ai « projeté » ça sur la Seconde Guerre Mondiale parce que c’est plus proche de moi parce que j’ai grandi avec ça pendant les cours d’histoire à l’école et ma grand-mère m’en a beaucoup parlé.

Je voulais aussi montrer comment de tels événements laissent des cicatrices à jamais et ont un impact durable sur la vie des gens.

© Dupuis – Champaka Brussels / de Graaf

Quelle vision aviez-vous de la guerre avant ce roman graphique?

Erik. Une vision plus myope. Je pensais davantage à qui avait eu raison et tort pendant la guerre. C’est aussi ce que j’avais appris dans ces cours d’histoire à l’école dans les années 1970.

Votre travail sur Éclats et Cicatrices a-t-il modifié cette vision ?

Erik. Sans aucun doute ! En lisant beaucoup et en me documentant, j’ai découvert que les choses sont souvent plus nuancées, que l’histoire n’est pas toujours noire ou blanche. Il y a souvent beaucoup de tons gris à découvrir si vous plongez dans les histoires. Cela ne veut pas dire que des choses terribles se sont produites, bien sûr.

Globalement, quelle place occupe la seconde guerre mondiale dans la mémoire collective des Hollandais ?

Erik. Très importante ! Cette année, nous avons célébré 75 ans de libération. Malheureusement, de nombreuses festivités n’ont pas pu avoir lieu à cause de la Covid-19.

Même aujourd’hui, nous devons continuer à raconter l’histoire de la Seconde Guerre mondiale aux jeunes générations pour leur montrer la grande importance de la liberté. J’essaye d’y contribuer avec mes livres.

© Dupuis – Champaka Brussels / de Graaf

Quel message aimeriez-vous faire passer par ce récit ?

Erik. Ne jugez pas trop vite quelqu’un ou quelque chose. Plongez-vous dedans et ne formez votre opinion qu’alors car souvent les choses sont plus nuancées et les choses ne sont pas si noires et blanches. Je pense que c’est un son important à cette époque où le populisme est de plus en plus présent et gagne en puissance.

Quel regard portez-vous sur la production (cinéma, littérature…) autour de la deuxième guerre mondiale ? Quelles peuvent être vos références dans ce domaine ?

Erik. J’aime vraiment les histoires personnelles avec de la profondeur que ce soit dans la bande dessinée, la littérature, les documentaires et les films. Par exemple, La guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert, ou Moi, Rene Tardi par Jacques Tardi. Le roman sur la vie de Johannes Post, membre de la résistance hollandaise, ou un film comme Le Pianiste.

Est-ce qu’il y une BD qui vous a particulièrement marqué ?

Erik. Le livre Heimat de Nora Krug. En tant qu’Allemande vivant à New York, elle avait honte de ses origines. Après avoir parlé à une femme juive qui a survécu à l’Holocauste, elle a décidé de se plonger dans sa propre histoire familiale. Elle voulait savoir ce que sa famille avait fait pendant la guerre. Le livre est une quête passionnante magnifiquement représentée.

Et demain ? Vos projets ?

Erik. Je travaille sur un hommage sans texte à mon grand « héros » Yves Chaland. Toutes les pages sont dessinées et je vais bientôt commencer à colorier.

Merci Erik, propos recueillis le 4 septembre 2020

Eric Guillaud 

Eclats et Cicatrices, d’Erik de Graaf. Dupuis / Champaka Brussels. 25€ le volume

02 Sep

La BD fait sa rentrée. Les Croix de bois, une éblouissante adaptation du roman de Roland Dorgelès signée JD Morvan et Facundo Percio

Il y a cent ans, les éditions Albin Michel publiaient un livre qui allait remporter un immense succès critique et public. Ce livre, Les Croix de bois, signé Roland Dorgelès, évoquait la vie dans les tranchées à partir du propre vécu de l’auteur. Aujourd’hui, toujours pour le même éditeur, Jean-David Morvan et Facundo Percio en offrent une bande dessinée, une adaptation qui vous prend par les tripes et ne vous lâche plus…

Corbeyran et Le Roux (14-18), Hautière et Hardoc (La Guerre des Lulus), Kris et Maël (Notre Mère la guerre), Joe Sacco (La Grande guerre) ou encore, bien évidemment, Jacques Tardi avec plusieurs ouvrages à son actif (Putain de guerre, Varlot soldat, La Der des Ders, C’était la guerre des tranchées...), on ne peut pas dire que la première guerre mondiale soit la grande oubliée de la bande dessinée. Plus de cent ans après l’armistice et le traité de Versailles, la guerre de 14, la Der des Ders comme on l’a appelée et espérée dès les années 20, est toujours dans les esprits. Signe d’un traumatisme collectif immense et intergénérationnel !

© Albin Michel / Morvan & Percio

Avec Les Croix de bois, le scénariste français JD Morvan et le dessinateur argentin Facundo Percio s’attaquent pour Album Michel à un roman culte de l’époque, un roman signé Roland Dorgelès, publié chez le même éditeur et basé sur sa propre expérience de la guerre, du front, des tranchées. Réformé en 1906 pour raison de santé, le journaliste et écrivain parvient pourtant à se faire engager et à rejoindre le front dès 1914. Devant l’ignominie de la chose, on pourrait l’imaginer regretter amèrement son empressement. Mais non ! Entre deux attaques, Roland Dorgelès fait son travail de journaliste en observant sans relâche ses compagnons d’infortune. De retour à la vie civile, il écrit Les Croix de bois qui connut un vif succès et obtint le prix Femina.

Du roman à son adaptation, le récit n’a rien perdu en intensité. La couverture donne le ton avec un ciel rouge sang, des croix de bois ballottées par le souffle des bombes et un poilu en uniforme bleu horizon, recroquevillé, prostré, attendant la mort… ou le salut providentiel. Une couverture exceptionnelle et des planches en bichromie qui ne le sont pas moins, un travail de précision réalisé par le dessinateur argentin Facundo Percio sur un scénario du prolifique JD Morvan avec plusieurs scènes proprement hallucinantes et habilement mises en images. Loin de s’en tenir à un copié-collé du roman de Dorgelès, et c’est très malin, les auteurs ont d’un côté réintégré des scènes coupées à la parution du livre et de l’autre judicieusement représenté Roland Dorgelès à quelques moments de sa vie.

Une BD époustouflante qui marque de très belle manière le renouveau du département BD adulte des éditions Albin Michel !

Eric Guillaud

Les Croix de bois, de Roland Dorgelès, adapté par JD Morvan et Facundo Percio. Albin Michel. 19,90€ (en librairie le 9 septembre)

29 Août

Dura lex, sed lex : Judge Dredd ou l’incorruptible version cyberpunk

Il est plus que jamais la loi ! Lui, c’est JUDGE DREDD personnage le plus populaire mais aussi le plus incompris, du moins en France, de l’écurie 2000 AD, l’équivalent britannique de Métal Hurlant dans les années 80. Le cinquième tome de ses intégrales sort tout juste et c’est toujours aussi délirant.

L’incarnation la plus pure de la loi. Une vraie machine inflexible, un peu à l’image de Mega-City One, la tentaculaire mégapole futuriste de 800 millions d’habitants où il exerce. Voici Judge Dredd, homme à la carrure de géant qui cache systématiquement son visage derrière son casque et sa visière, un concentré de testostérone, dénué de tout second degré et prêt à faire appliquer la loi à tout prix. Â TOUT PRIX. Et tant pis pour la casse… Avant toute chose, on déplore le fait qu’hélas encore aujourd’hui, il reste deux cons et demi pour soupçonner JUDGE DREDD de sympathie pour une esthétique fascisante. Une accusation bidon qui prouve bien que ces bien-pensants n’ont jamais ouverts une seule fois la BD, tant ces accusations à deux balles sautent au bout de trois pages et demi.

Ce n’est pas pour rien que cette saga a pris son envol en 1977, tant on y retrouve un esprit frondeur assez punk et surtout complètement déglingué. Car on est ici dans l’absurde pur. Judge Dredd est sans émotion et fait régner l’ordre jusqu’à l’outrance parce qu’il est à l’image de la société qu’il est censé protéger, parfois contre elle même. Car ici, tout le monde en prend pour son grade : les citoyens abrutis par la télévision et la publicité qui cèdent aux moindres sirènes de la mode, les gouvernants qui font tout pour rester en place, les mutants qui vivent en marge de la société mais qui essayent quand même d’en profiter etc. En fait, à travers JUDGE DREDD, les différentes équipes artistiques qui se sont succédées à son chevet (il y a eu pas mal de roulements car chaque semaine, il fallait publier une histoire de six pages) opèrent un véritable jeu de massacre de notre société de consommation, jusqu’au grotesque. Et le style souvent très cyberpunk des différents dessinateurs et qui marquera toute une génération de créateurs (le papa de ‘Tank Girl’ leur doit beaucoup par exemple) enfonce encore un peu plus le clou.

© Delirium / John Wagner, Alan Grant, Kelvin Gosnell, Brian Bolland, Ron Smith, Mick McMahon, Ian Gibson, Steve Dillon & Brett Ewins

Alors oui, le rythme assez frénétique de parution fait que très souvent ces histoires devant être torchées en donc six pages poussaient à certains raccourcis parfois un peu fatigants lorsqu’on s’enquille plusieurs épisodes comme dans le cadre de cette intégrale. Mais la perle noire de ce cinquième volume est justement la saga de L’Enfant-Juge qui s’étale sur vingt-six épisodes. Une épopée délirante où Judge Dredd doit retrouver l’élu, un enfant capable de visions et soi-disant destiné à devenir, un jour, le nouveau dirigeant de Mega-City One, une sorte d’odyssée version SF délirante où il croise un auto-proclamé ‘roi des ordures’ qui se prend pour la réincarnation des pharaons, une planète où la personnalité des gens est sauvegardée sur une puce électronique greffée de corps en corps, un ancien pilote de vaisseau qui souffre de la maladie du puzzle qui le fait disparaître bout par bout etc. Dans sa quête, il est accompagné par deux jeunes juges, dont un qu’il n’aime pas parce qu’il porte… La moustache. Voilà.

Serti par un noir et blanc ciselé et une reproduction une nouvelle fois de luxe avec couverture carré, ce cinquième (et a priori pas dernier) volume des intégrales est un délire hautement recommandable, chef d’œuvre du cyberpunk. L’alliance improbable entre Blade Runner et les Monty Python, avec un ton très acide qui n’a non seulement pas vieilli du tout, mais qui au contraire paraît diablement d’actualité en ces années Trump. Et puis hop, c’est aussi une bonne excuse pour vous rappeler que dès 1987, les thrashers new-yorkais d’ANTHRAX rendaient hommage à cet antihéros improbable. Et non, si vous voulez qu’on reste ami, on ne parlera par contre pas du tout de l’adaptation ciné ratée avec Sylvester Stallone. D’accord ?

Olivier Badin

Judge Dredd- Les Affaires Classées 05 par John Wagner, Alan Grant, Kelvin GOsnell, Brian Bolland, Ron Smith, Mick McMahon, Ian Gibson, Steve Dillon et Brett Ewins, éditions Delirium. 35€

28 Août

La BD fait sa rentrée. Tati par Merveille : très bel hommage à un monstre sacré du cinéma français

Monsieur Hulot était à Jacques Tati ce que Charlot était à Charlie Chaplin, un costume taillé sur mesure pour un univers aussi burlesque que poétique, dans les deux cas unique. L’auteur jeunesse David Merveille rend ici hommage au premier, une légende du cinéma français, un très beau livre d’illustrations publié par les éditions Dupuis en collaboration avec la galerie bruxelloise Champaka…

« La vie, c’est très drôle si on prend le temps de regarder », disait Jacques Tati. Ce à quoi on pourrait aujourd’hui rétorquer : « L’univers de Tati est très drôle si on prend le temps de s’y attarder ».

Et David Merveille l’a pris ce temps, largement, au point de connaître l’homme, l’artiste et son personnage, le lunaire Monsieur Hulot, sur le bout des pinceaux. Au point aussi de développer un univers graphique personnel tout aussi joyeux, coloré, et poétique. Au point enfin de redonner vie au personnage dans plusieurs livres parus aux éditions du Rouergue depuis 2006 et qui ont pour titres Le Jacquot de Monsieur Hulot, Hello Monsieur Hulot !, Monsieur Hulot à la plage, Hulot Domino.

Dans ce très beau livre de 120 pages couleurs au tirage limité à 3500 exemplaires numérotés et signés, David Merveille va plus loin encore, en rendant un véritable hommage à l’univers tatiesque au travers d’une bonne centaine d’illustrations et de peintures, pour un grand nombre inédites.

Jour de fête, Mon oncle, Playtime, Parade, Les Vacances de Monsieur Hulot... c’est tout un univers qui retrouve ici des couleurs autour d’un personnage reconnaissable entre tous, avec ses immenses jambes, son pantalon trop court, sa pipe, « un grand corps habité qui déambule sa vie en laissant derrière lui des cascades de rires et des nuages de rêves », écrit joliment l’acteur Pierre Richard en préface de l’album. Il serait facile de dire que cet album est une merveille, c’est  pourtant le mot juste, oui, une merveille !

Eric Guillaud

Tati par Merveille, Champaka Brussels. 45€

26 Août

La BD fait sa rentrée. Radium girls ou l’histoire vraie et tragique d’ouvrières américaines sacrifiées sur l’autel du progrès technologique

Elles allaient au travail le coeur léger, le sourire aux lèvres, bien décidées à s’amuser d’un rien, à rire de tout, à croquer la vie. Mais c’est avec la mort qu’elles avaient rendez-vous. Retour sur une tragédie ouvrière qui changea la vie des travailleurs américains et plus encore…

Radium girls. Oui, ça sonne bien, ça sonne rock, mais il n’est pourtant pas question ici de musique et de je ne sais quelle girl’s band. Radium girls est le nom de ces ouvrières américaines qui furent chargées dans les années 20 de peindre des cadrans de montre au radium, élément révolutionnaire découvert à la fin du XIXe siècle par Pierre et Marie Curie et dont l’une des singularités est de produire de la luminescence par désintégration radioactive.

Lip, Dip, Paint. « Tu lisses le pinceau, tu prends de la peinture, tu peins », Trois mots, trois actions, aussi simples que meurtrières. 250 cadrans à réaliser par jour, autant de fois le pinceau porté à la bouche pour l’épointer. De quoi rendre la langue et les lèvres des ouvrières luminescentes à leur tour, de quoi surtout leur transmettre des doses mortelles de rayonnements ionisants.

Ce livre est leur histoire, l’histoire d’ouvrières sacrifiées, l’histoire aussi de leur combat. Car un certain nombre d’entre elles, Grace, Katherine, Mollie, Albina et Quinta dans l’album, on traîné leur employeur en justice avant de mourir.

Une histoire tragique, forte, longtemps oubliée. Elle a pourtant eu des conséquences sur le droit des travailleurs et plus généralement sur les normes de sécurité, comme nous le rappelle l’autrice, Cy, dans une interview reproduite dans les dernières pages de l’album : « C’est fou ce qui est arrivé à ces femmes… Ça a impacté les lois aux Etats-Unis et on n’en a jamais entendu parler. Cette histoire est dense et rocambolesque ! Et puis, il y a le militantisme : encore des femmes, qui ont disparu de l’histoire alors qu’elles ont fait bouger ses lignes ».

Aucun doute, cette tragédie et ce combat, même s’ils furent oubliés un temps, résonnent encore dans notre monde actuel et l’approche que nous en offre l’autrice est elle-aussi très contemporaine, une histoire de nanas insouciantes rattrapées par la tragédie de la vie. Un très bel album réalisé au crayon de couleurs, publié dans la nouvelle collection Karna des éditions Glénat dont l’objectif est de mettre en lumière des anonymes qui ont, par leurs actes, changé la société dans ses fondements et ses acquis. Une belle entrée en matière!

Eric Guillaud

Radium girls, de Cy. Glénat. 22€

© Glénat / Cy

24 Août

Pages d’été. Love corp, l’amour en mode 2.0 avec J. Personne au scénario et Lilas Cognet au dessin

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Et si l’amour dépendait dorénavant d’un algorithme ultra-perfectionné remisant les sentiments et les émotions au placard. C’est le parti pris de ce récit paru dans la collection Mirages des éditions Delcourt…

« Boum, Quand notre coeur fait boum, Tout avec lui dit boum, Et c’est l’amour qui s’éveille », chantait Charles Trenet en son temps. Lointain ce temps ! Car aujourd’hui, l’amour ne fait plus boum, il fait brrrrrrr à votre poignet. C’est en tout cas ce que promet la société Love corp avec son bracelet révolutionnaire qui permettrait de trouver dit-on LE partenaire pour la vie.

Et de fait, plus besoin de se fatiguer, de parcourir le monde, de faire la cour pendant des jours au risque de se prendre un beau râteau, au placard les agences matrimoniales, exit les sites et applications de rencontre, le bracelet Love corp détecte des personnes compatibles avec vous à 97% dans un rayon de 7 mètres. « Aucun risque d’échec », assurent les concepteurs, une âme soeur dans les parages et votre bracelet se met à vibrer.

Alors, bien sûr, c’est le succès immédiat, tout le monde veut son bracelet, hommes, femmes, jeunes, vieux, célibataires et même personnes mariées. De quoi faire vibrer la terre entière…

Avec cette histoire par si légère qu’elle en a l’air, J. Personne et Lilas Cognet s’interrogent, nous interrogent, sur l’amour. Comment le reconnaît-on ? Comment sait-on qu’on est amoureux ? Devons-nous privilégier l’émotion à la raison ou l’inverse ? Des questions aussi vieilles que l’humanité mais toujours aussi essentielles à l’heure où la technologie pourrait prendre le contrôle de notre vie amoureuse. Vibrant !

Eric Guillaud

Love corp, de J. Personne et Lilas Cognet. Delcourt. 17,50€

© Delcourt / J. Personne & Cognet

09 Août

Golden Sheep, Maison Ikkoku, Mao, Shadows House , Les Légendaires Saga, Dans les pas de Nietzsche… Le plein de mangas pour la plage

En ces temps de transhumance estivale, les mangas ont un avantage : celui de ne pas prendre plus de place qu’un livre de poche. Encore faut-il ne pas emporter toute sa bibliothèque. Subjective mais assumée, voici une petite sélection de nouveautés qui pourrait satisfaire les boulimiques de lecture…

On commence avec une valeur sûre, une série culte, plusieurs fois rééditée. Il s’agit de Maison Ikkoku du Grand Prix d’Angoulême 2019, Rumiko Takahashi (Ranma 1/2, Mermaid Forest…). Le deuxième volet de l’intégrale sorti en juin poursuit l’histoire de Yusaku Godaï. Ce jeune étudiant raté a décidé un beau jour de quitter la pension de famille dans laquelle il vit reprochant à ses colocataires de faire trop la fête et trop de bruit. Mais le jour même de sa décision débarque la nouvelle responsable de la maison de famille, Kyoko Otonashi. Elle est belle, elle est jeune, elle est veuve… de quoi lui faire changer d’avis. Ce deuxième volet sur les dix de prévus débute un an après l’arrivée de Kyoto Otonashi. Yusaku a enfin décroché un dîner avec elle… (Maison Ikkoku volume 2 (Perfect Edition), de Rumiko Takahashi. Delcourt / Tonkam. 12,50€)

Vous aimez Rumiko Takahashi ? Alors voici Mao. La nouvelle série de la mangaka débarque en France avec deux volumes d’un coup d’un seul. Je rassure tout de suite ceux qui auraient développer une petite allergie à l’histoire avec un grand H durant leur cursus scolaire, Mao ne retrace pas la vie du fameux chef d’état chinois Mao Zedong, non, Mao est ici un chasseur de yôkai, ces petites créatures surnaturelles qui hantent la mythologie japonaise. Et Mao a une mission : aider Nanoka Kiba, une jeune gamine du XXIe siècle qui a perdu ses parents dans un accident et qui a été projetée un siècle plus tôt, à lever le mystère sur sa véritable nature… (Mao 1 et 2, de Rumiko Takahashi. Glénat. 6,90€ le volume)

Adieu Osaka ! À la mort de son père, la jeune Tsugu Miikura retourne dans sa ville natale avec ses soeurs et sa mère. Douze heures d’autoroute, un camion à décharger, un appartement à emménager… et Tsugu peut enfin retrouver ses amies d’enfance qu’elle avait quittées avec regret sept années plus tôt. Et joie ultime, elles seront dans le même lycée à la rentrée. Mais à la joie des retrouvailles succède bientôt la déception. Chacun à taillé sa route pendant ces années et l’amitié qu’elle croyait inaltérable a pris un sérieux coup de mou. Mais Tsugu n’a pas dit son dernier mot et compte tout faire pour rapprocher les unes des autres, peut-être grâce à sa guitare. Tsugu adore le rock…  (Golden Sheep, de Kaori Ozaki. Delcourt / Tonkam. 7,99€)

Inutile de présenter Les Légendaires, la fameuse série de Patrick Sobral aux millions d’exemplaires vendus, aux multiples séries dérivées et adaptations tous azimuts. Voici aujourd’hui l’adaptation officielle au format manga avec toujours Patrcik Sobral au scénario et Guillaume Lapeyre au dessin, un Guillaume Lapeyre déjà remarqué avec son manga City Hall. Le premier volet est sorti en mars juste avant le confinement, le second devait paraître en juin, il sera finalement disponible le 18 août. L’occasion de se replonger dans les 23 albums de la série avec un autre regard. En bonus, une jaquette réversible de Guillaume Lapeyre. (Les Légendaires Saga 1 et 2, de Sobral et Lapeyre. Delcourt / Tonkam. 7,99€)

Deux premiers volumes parus en juin, deux couvertures aux mêmes atmosphères victoriennes gothiques sophistiquées et un graphisme de caractère qui se démarque de la production classique, Shadows House du duo So-ma-to, Nori au scénario et Hisshi au dessin, s’affirme dès le départ comme une série à part. Et côté histoire, c’est la même chose, So-ma-to nous ouvre les portes du manoir de la famille Shadow avec une petite particularité : ses membres n’ont pas de visages et pallie cet état de fait en employant des poupées vivantes chargées de les servir et d’interpréter leurs émotions. Emilico est la poupée vivante de la jeune Kate Shadow. Tout juste arrivée à son service, elle doit apprendre à répondre à ses envies et à refléter sa personnalité. En attendant, elle frotte la suie que le vidage de sa jeune maîtresse laisse un peu partout dans la chambre… Vaut-il mieux être que paraître ? Shadows House est un petit bijou de mystère et de douce réflexion. (Shadows House volumes 1 et 2, de So-ma-to. Glénat. 7,60€ le volume)

Elle l’espérait de tout son corps, de toute son âme : faire une belle rencontre. Et elle l’a faite. Nietzsche, il s’appelle Nietzsche et prétend être la réincarnation du fameux philosophe. « Je suis là pour toi. Je vais t’aider à devenir un surhomme et à te débrouiller dans la vie », lui dit-il. Avec lui, la jeune Arisa Kojima pourrait effectivement obtenir enfin toutes les réponses à ses nombreuses questions et changer ce qui ne lui plait pas en elle. Arisa connaît un profond chagrin d’amour depuis qu’elle a vu son copain donner la main à sa meilleure amie. Elle veut devenir sage et réfléchie, accepter la chose, ne plus mourir de jalousie, mais ce n’est pas gagné. Pour tous ceux qui veulent s’initier à la philosophie façon Nietzsche… (Dans les pas de Nietzsche, de Harada Mariru, Sugimoto Iqura, Araki Tsukasa. Editions Soleil. 7,99€)

Eric Guillaud