10 Juil

Pages d’été. Red Room, le gore ultime jusqu’au malaise

La culture snuff movies, la violence gratuite et la fascination qu’elle exerce sur nous. Voici le terrain très sensible sur lequel Ed Piskor (Hip Hop Family Tree) ose s’aventurer ici, nous tendant un miroir révélant nos pires pensées, non sans une certaine complaisance…

Jusqu’au malaise. En plus de repousser un peu plus les limites de ce qui est acceptable ou pas dans le cadre d’une bande dessinée, l’auteur américain Ed Piskor joue avec son lecteur, tel le réalisateur controversé Gaspard Noé avec son très perturbant film Irréversible : est-ce que tu vas oser ? Oui, vas-tu aller jusqu’au bout de ce récit éprouvant ? Allez, avoue, n’es-tu pas un peu voyeur, et donc complice ? Ces questions-là, Red Room les balance d’une façon faussement négligente sur la table avant de nous regarder d’un air sardonique, nous défiant d’apporter une réponse…

Ces ‘chambres rouges’ évoquées dans le titre, ce sont ces salons virtuels, accessibles uniquement sur le dark web où, après avoir payé en bitcoins, des internautes peuvent assister et même commander à distance des séances de tortures… Voire plus. Mythe urbain ? Théâtre grand guignol où des acteurs ou actrices prétendent souffrir pour soutirer le maximum d‘argent à leurs cliente en recherche de sensations fortes ? Ou véritable zone de non-droit où les pires pulsions peuvent être assouvies ?

© Delcourt / Ed Piskor

Dans le récit de Piskor, ces antichambres de l’enfer existent bien. Pire, elles sont montées comme de véritables entreprises où seuls comptent les profits et comment satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante. Dans ce premier volume (sur trois prévus), on retrouve quatre histoires indépendantes et en même temps interconnectées. Quatre récits très perturbants, pas uniquement à cause de ce style graphique en noir et blanc rappelant autant Vince Locke que, bizarrement, une sorte de Robert Crumb réactualisé et où la violence est plus que stylisée, même sublimée.

© Delcourt / Ed Piskor

Non, le plus dur est d’accepter (ou pas) de s’en prendre plein la tronche. Pas étonnant d’ailleurs que le tout ait été carrément interdit dans plusieurs pays. Piskor ne prend aucune pincette, met la triple dose de gore et martyrise à l’extrême le corps humain, tout en plaçant ci et là des références à la culture horrifique avant tout cinématographique (Hostel, Saw, Massacre à la tronçonneuse etc.) comme si il lui fallait prouver malgré tout quelque chose. Autre élément du malaise : aucun personnage à sauver, ou presque. Tous sont vils, détestables, haineux et en même temps minables, jusqu’à la nausée.

© Delcourt / Ed Piskor

Red Room – Le Réseau Antisocial est une véritable épreuve. Et en même temps, rarement bande dessinée n’est allée aussi loin dans l’exploration de la partie la plus bestiale et la plus haineuse de la psyché humain. Mais il est dur, voire impossible, de savoir ici où s’arrête la dénonciation et où commence la complaisance gratuite et malsaine. Mais c’est probablement le but… Il faut donc choisir son camp lecteur, te voilà prévenu. Et attention à ne pas glisser sur les hectolitres de sang et les viscères qui tapissent le sol.

Olivier Badin

Red Room – Le Réseau Antisocial d’Ed Piskor. Delcourt. 23,95 €