07 Avr

Bulles d’histoire : 14 BD pour remonter le temps

Source d’inspiration inépuisable pour les auteurs et voyage sans fin pour les lecteurs, l’histoire avec un grand H se décline sur tous les modèles, documentaires ou fictions. En voici une petite sélection forcément subjective mais totalement assumée…

Pas de 49.3 à l’époque et une belle espérance. C’est d’ailleurs le titre de cet album sorti il y a maintenant quelques mois et qui nous plonge dans les années 30, précisément au coeur de l’année 1934 pour une histoire qui oscille entre l’intime et le collectif. L’intime avec une histoire d’amour entre Roger et Louison, lui rêve de devenir ingénieur, elle de faire actrice, il sera finalement ouvrier à Renault, elle travaillera comme petite main chez le couturier Bernstein. Le collectif avec l’aventure du Front Populaire qui trouve ses racines dans la fameuse journée du 6 février 1934 et les émeutes orchestrées par l’extrême droite. Une fresque historique passionnante emmenée par le trait réaliste et vibrant d’Anne Teuf. (La Belle espérance tome 1, de Chantal Van Den Heuvel, Anne Teuf et Lou. Delcourt. 24,95€)

Dans la série Ils ont fait l’histoire, conjointement éditée par Glénat et Fayard, Andrea Meloni, Davide Goy, Luca Blengino et Catherine Brice s’intéressent à un autre moment clé de l’histoire mondiale, la montée du fascisme en Italie et l’arrivée de Mussolini au pouvoir en 1922, pouvoir qu’il ne quittera plus avant 1945 et la fin qu’on lui connaît. Retracer la vie d’un tel personnage politiquement actif sur plus de 40 années n’est pas chose aisée mais les auteurs se sont concentrés ici sur son

action autour de la capitale romaine vue à la fois comme un enjeu politique, un outil de propagande et une vitrine du renouveau italien par le fascisme. Une BD parfaitement documentée, Catherine Brice étant une historienne spécialiste de l’Italie contemporaine, complétée par un dossier d’une petite dizaine de pages réunissant une chronologie, des références bibliographiques, une carte… (Mussolini, d’Andrea Meloni, Davide Goy, Luca Blengino et Catherine Brice. Glénat. 14,95€)

Dans la même collection, Farid Ameur et Chris Renault nous embarquent cette fois pour l’Ouest américain en compagnie d’un personnage légendaire, Jim Bridger, considéré comme l’un des plus grands mountain men. L’album retrace sa vie depuis sa plus tendre jeunesse, alors qu’il était apprenti forgeron à Saint-Louis, très vite rattrapé par l’envie d’ailleurs et d’aventure. Et il n’en manquera pas d’ailleurs et d’aventure. Toute sa vie, le trappeur arpentera les Rocheuses à la recherche de peaux de castors. Plus de 40 hivers dans la nature sauvage et parfois hostile et pratiquement autant d’étés à fréquenter les immenses foires qui se tenaient dans les vallées du Wyoming où se retrouvaient trappeurs, négociants et tribus indiennes pour lesquelles il nourrissait un profond respect. (Jim Bridger, de Farid Ameur et Chris Renault. Glénat. 14,95€)

Le peuple Hmong ! Peu de chance que vous connaissiez son existence. Même Vicky Lyfoung, l’autrice de cet album paru aux éditions Delcourt, pourtant fille d’immigrés hmong, ignorait tout ou presque de ce peuple de montagnards nomades longtemps oppressé par les Chinois. Mais à l’adolescence, se posant beaucoup de questions comme tous les ados, Vicky commence à se renseigner sur ses origines et à découvrir l’histoire des Hmong, une histoire liée à la France de par la colonisation de l’Indochine. C’est donc l’histoire de ce peuple et de sa famille que raconte ce roman graphique aux personnages tout en rondeur, un trait faussement naïf pour parler de choses difficiles avec parfois une touche d’humour. Hmong raconte aussi l’exile, le déracinement, le racisme et au bout du bout la liberté. (Hmong, de Vicky Lyfoung. Delcourt. 16,50€)

Ce nom-là par contre est connu de tous ou presque. Molière est l’un des plus grands dramaturges au monde. Son nom a traversé les frontières et les siècles pour rester aujourd’hui encore une référence. Dom Juan, Le Tartuffe, Le Bourgeois gentilhomme, L’Ecole des femmes… ces pièces sont passées à la postérité, toujours étudiées, régulièrement jouées sur scène et adaptées au cinéma, en livre jeunesse, en bande dessinée. Cette trilogie de Delmas et Gerasi publiée aux éditions Glénat et dont le troisième volet vient tout juste de sortir s’intéresse à l’homme et à son génie en commençant par la fin, sa mort. Une série de flashbacks permet de découvrir les moments clés de sa vie, de sa carrière dans le monde du théâtre et de ses rencontres avec les grands du Royaume de France. Une biographie passionnante à l’image du personnage, merveilleusement mise en images par Sergio Gerasi dont le trait réaliste est absolument bluffant tant sur les passages de représentations théâtrales que sur ceux de la « vraie vie ».  (Molière – 3 tomes, de Gerasi et Delmas. Glénat. 14,50€)

La Beauté du monde ! Mais où peut-elle bien se cacher cette beauté quand la guerre ravage tout un pays ? Quand elle menace de s’étendre au point de devenir mondiale ? Dans l’idée de mourir pour défendre une cause ? Ou de tout faire pour rester en vie ? Ou peut-être dans la peinture ? Et pourquoi pas dans la gastronomie ? C’est à Cerbère, petite ville à la frontière espagnole que l’auteur Thomas Azuélos a posé le décor de son roman graphique. Alors que la retirada se termine, que les derniers réfugiés traversent la frontière en une interminable et sinistre colonne, que les portes de l’Espagne se referment pour une éternité franquiste, l’auteur nous dépeint l’état du monde avec une fiction romanesque réunissant une poignée de personnages, un philosophe, un peintre, un cuisinier, une orangère… Nous sommes en 1939, l’heure n’est plus à la beauté. Quoique… (Toute la beauté du monde, de Thomas Azuélos. Futuropolis. 25€)

Une autre époque, un autre endroit, une même horreur, la guerre, et en l’occurrence cette fois la guerre civile cambodgienne que l’auteur franco-cambodgien Séra a déjà abordé par trois fois dans les albums Impasse et rouge, L’Eau et la terre et Lendemains de cendres, tous les trois réédités à l’occasion de la sortie de L’Âme au bord des cheveux. Ce nouveau récit est le premier à être autobiographique. Après quelques pages restituant le contexte, Séra y raconte l’histoire de sa famille, de son père cambodgien, diplômé de l’école supérieure de commerce de Paris, de sa mère française, heureuse de s’installer à Phnom Penh, d’une jeunesse presque normale, des premiers échos de la guerre, de l’entrée en ville des Khmers rouges, du refuge au sein de l’ambassade de France, de la disparition de son père… de quoi être mort de peur ou d’avoir l’âme au bord des cheveux, comme le dit une expression de la langue khmère. (L’Âme au bord des cheveux, de Séra. Delcourt. 24,95€)

Retour en Europe et dans les tranchées de la première guerre mondiale avec ce premier volet de Visages – Ceux que nous sommes, une saga romanesque prévue en 4 tomes qui devraient tous sortir en 2023 et conter la destinée de cinq personnages pris dans le tourbillon de l’histoire entre 1900 et 1954. Tout commence avec Louis Kerbaz, un jeune Breton parti au front et Lieselotte Ruf, une photographe allemande engagée comme infirmière dans La Croix-Rouge. Entre les deux, aucun point en commun. Et pourtant, ils vont se rencontrer, s’aimer et donner naissance à un garçon, un bâtard ou un bastard comme on appelle ces enfants bi-nationaux en Allemagne, un bastard qui en voudra pour la vie à ses géniteurs… En supplément, un dossier documentaire d’une dizaine de pages sur la première guerre mondiale. Visages – Ceux que nous sommes tome 1, de Ponsard-Gutknecht, Beausang-O’Griafa et Morinière. Glénat. 14,95€)

Trois albums pour les amoureux des blindés, oui il y en a, avec tout d’abord Le Boucher de Stonne qui nous embarque à bord du B1bis français, un char redouté par les Allemands pour sa robustesse mais qui se révèlera un peu lourd pendant la campagne de France, et deux albums parus dans la collection Guerres & Histoire, le premier portant sur les Panther Sherman M4 et M1 plongés dans la bataille des Ardennes (Les Ardennes Lâchez les fauve), le second, sur les Crusader et la bataille d’El Alamein (El Alamein De sable et de feu). Dans les trois cas, un récit romancé et un dossier documentaire réunissant photos, cahiers techniques, éclatés de chars, cartes des batailles… (Le Boucher de Stonne, de Pécau, Mavric et Andronik. Delcourt. 15,50€) / Les Ardennes, de Doubs et Fiorentino. Glénat. 15,50€ / El Alamein, de Lamy et Cammardella. Glénat. 15,50€)

Un petit tour dans l’espace avec cet album signé Dobbs et Becciu qui nous raconte le destin d’un homme exceptionnel, un héros dans l’Union soviétique et au-delà que tous les amoureux de l’histoire de la conquête spatiale connaissent. Son nom : Alexei Leonov. Il est le premier homme à avoir flotté dans l’espace en 1965, soit quatre petites années après le premier vol spatial habité par un autre héros soviétique, Youri Gargarine. L’URSS marque alors de sérieux points dans la course à l’espace mais, l’histoire est ainsi faite, ce sont les Américains qui marcheront les premiers sur la Lune en 1969. Un dessin très agréable, un scénario fouillé, une histoire passionnante et pleine de péripéties qui nous éclaire autant sur l’histoire de la conquête spatiale que sur l’homme en lui-même, un passionné de peinture qui, incapable de se payer des études, devra se résigner à rejoindre l’armée de l’air. Avec le succès qu’on connait aujourd’hui… (Leonov, de Dobbs et Becciu. Passés composés / Humensis.14,90€)

On termine sur les océans avec deux livres signés Jean-Yves Delitte, une référence dans l’histoire maritime et pour cause, l’homme est peintre officiel de la marine belge, membre titulaire de l’Académie des Arts & Sciences de la mer et auteur d’une belle collection de bandes dessinées sur le thème. Le premierdes livres, La Buse, dont il signe à la fois le scénario et le dessin, nous emmène au coeur du 18e siècle à la fin de la guerre de Succession d’Espagne qui marque une recrudescence de la piraterie avec des corsaires congédiés et sans tarvail. Olivier Levasseur, dit La Buse, est l’un d’entre eux. C’est son histoire qui est ici racontée. Le second, avec Fabio Pezzi au dessin, nous plonge au coeur de la guerre des barons dans l’Angleterre du 13e siècle et d’une incroyable bataille navale entre une armada venue de Calais pour s’emparer du trône et la marine anglaise. (Les Grandes batailles navales – Les cinq îles, de Jean-Yves Delitte et Fabio Pezzi. Glénat. 15,50€ et La Buse tome 1 de Jean-Yves Delitte. Glénat.14,50€)

Eric Guillaud