S’attaquer à un tel chef d’œuvre de la littérature et du cinéma réunis ne manque pas d’audace. Pourtant, Pierre Alary l’a fait et bien fait, nous offrant à l’arrivée un magnifique album au dos toilé rouge du plus bel effet…
Gone with the Wind. Autant en emporte le vent en bon français est une expression vieille comme le monde ou presque mais c’est surtout le titre d’un film de Victor Fleming sorti en 1939 et avant ça encore celui d’un roman de Margaret Mitchell paru en 1936.
L’adaptation que voici est le fruit d’un auteur séduit par le décorum du western ou plus largement du 19e siècle américain, époque qu’il a déjà pu aborder dans son album précédent, Don Vega, une variation autour du légendaire cavalier masqué Zorro.
Mais l’histoire n’est pas la même, pas question ici d’un justicier solitaire ou presque mais d’une jeune femme, Scarlett O’Hara, fille d’un riche propriétaire sudiste, élevée au milieu d’une armada d’esclaves plus dévoués les uns que les autres.
L’histoire est connue, Scarlett O’Hara est amoureuse d’un certain Ashley Wilkes qui est promis à une autre femme. Durant des années, elle tente tout de même de le conquérir. Sans y parvenir. La guerre de Sécession passe par là, ruinant sa famille. Elle doit trouver de l’argent pour sauver la plantation, envisage un temps de devenir la maîtresse de Rhett Butler qui a des vues sur elle depuis longtemps mais finit par épouser l’ex-futur mari de sa sœur au porte-monnaie bien joufflu. Vous suivez ?
Bref, une histoire d’amour et de guerre, une histoire d’argent aussi dans un contexte de fin du monde ou plus exactement de fin d’un monde, celui du Sud esclavagiste.
Alors bien sûr, avec nos yeux et nos oreilles d’aujourd’hui, on peut juger le roman profondément raciste. L’éditeur de la version anglaise a d’ailleurs préféré ajouter dans la nouvelle édition du roman cet avertissement :
«Autant en emporte le vent comprend des éléments problématiques, notamment la romantisation d’une époque choquante de notre histoire et des horreurs de l’esclavage. Le roman inclut la représentation de pratiques inacceptables, des représentations racistes et stéréotypées et des thèmes, une caractérisation, un langage et une imagerie troublants»
De quoi nous refroidir ? De quoi refroidir toute velléité de lecture ou mieux d’adaptation ? Pour Pierre Alary, les choses sont claires. « Loin de moi l’idée de vouloir disculper Margaret Mitchell de quoi que ce soit mais j’ai pris cette histoire comme celle d’une famille avec une représentation du sud de l’époque et je pense une représentation d’une certaine forme d’opportunisme et de capitalisme ».
Si le livre n’est pas un chef d’œuvre de style comme le reconnaît Pierre Alary, son intérêt est ailleurs : « Ce sont les personnages qui m’ont donné envie de faire cette adaptation, le jeu entre Scarlett O’Hara et Rhett Butler, cette espèce de duel permanent, est exceptionnel. Et puis, oui, j’avais également envie de voir pourquoi il y avait tous ces débats autour du roman. Finalement, en tant que lecteur, je pense que tout ce qu’on reproche au livre est un peu exagéré, par rapport à des situations plus récentes aux États-Unis ou ailleurs, quand tu vois par exemple qu’on peut tuer des mecs dans la rue en s’asseyant dessus (affaire George Floyd, ndlr).
« Ce qui est reproché au livre, c’est cette espèce de complaisance envers l’esclavagisme, le fait de montrer des esclaves plutôt heureux de leur sort. Mais il ne faut pas oublier, que ce roman est une représentation de la réalité, pas la réalité ».
Sans vouloir entrer dans la polémique, s’interroger sur un éventuel retrait du livre des catalogues, comme le fut le film de la plate-forme de streaming HBO Max au lendemain du meurtre de George Floyd, on peut légitimement s’interroger sur le travail d’adaptation. Pierre Alary est resté fidèle au roman mais avec nuance.
« Quand tu adaptes un livre, il est intéressant de sentir que tu as des choses à y mettre et à faire passer. J’ai par exemple tout de suite gommé cet accent « petit nègre » qui pour le coup me semblait humiliant, j’ai aussi évité certains mots qui me gênent de par mes convictions. Le second tome sera un peu plus politisé puisqu’on abordera des choses comme le KKK. Je vais passer par le personnage de Rhett Butler, qui est un peu la fenêtre sur le monde moderne, pour amener des choses qui me correspondent un peu plus »
Passer d’un roman de plus de 1000 pages à une bande dessinée qui n’en comptera que 300 sur 2 volumes à l’arrivée est une belle performance que l’on peut doublement saluer ici, tant sur le plan du travail purement d’adaptation scénaristique que de la mise en image elle-même. Gone with the Wind, en anglais pour des histoires de droits, a été entièrement réalisé à l’ordinateur, ce qui confère à l’ensemble une belle homogénéité. Beau boulot !
Eric Guillaud
Gone with the wind, de Pierre Alary d’après le roman de Margaret Mitchell. Rue de Sèvres. 25€