Il y était parti pour un salon du livre, il n’y verra finalement pas le bout du nez d’un lecteur mais n’échappera pas aux poings levés des milliers de manifestants appelant à la révolution. Beyrouth en plein thawra est le point de départ de ce nouveau récit de Fabien Toulmé qui nous emmène du Liban au Bénin en passant par le Brésil pour des histoires de résistance populaire…
S’il manie aussi bien la fiction que le témoignage, l’autobiographie ou le documentaire, c’est bien dans le reportage de terrain que Fabien Toulmé trouve sa raison de vivre, sa vocation d’auteur.
« La bande dessinée que vous vous apprêtez à lire… », explique-t-il d’ailleurs en avant-propos « est née de mon envie de faire du reportage de terrain, pour voir la façon dont vivent les gens aux quatre coins de la planète, pour les écouter me raconter leurs histoires et pour comprendre ce qui les anime et par extension, peut-être ce qui fait notre monde ».
Après Ce n’est pas toi que j’attendais, Les deux vies de Baudouin, L’odyssée d’Hakim ou plus récemment Suzette ou le grand amour, Fabien Toulmé nous emmène ici sur des terrains de lutte avec des hommes et des femmes en résistance contre des rouleaux compresseurs en tout genre.
Le récit commence à Beyrouth où Fabien Toulmé devait se rendre initialement à un salon du livre, salon annulé à cause des immenses manifestations qui secouent alors le pays. C’est la Thawra, la révolution, Fabien maintient tout de même son voyage pour essayer de comprendre la situation. D’observations en rencontres, il tente de comprendre et de nous transmettre ce qui se joue alors dans les rues de la capitale à la lumière de ce qui s’est joué hier pendant la guerre civile.
Autre lieu, autre lutte, Fabien nous emmène ensuite à João Pessoa au Brésil où il a un temps vécu et où il est question d’expulser une communauté, autrement appelée favela, pour construire un pôle touristique. Un processus de gentrification qui ne plait pas à tout le monde. Enfin, direction le Bénin où il rencontre des militantes de la cause féminine, une gageure dans un pays qui est, comme le rappelle l’auteur, 158e sur 189 dans le classement des inégalités hommes-femmes établi par les Nations unies.
Si Fabien Toulmé se met en scène dans ces trois récits, ce n’est que pour mieux laisser la parole aux hommes et – principalement d’ailleurs – aux femmes qu’il a rencontrés. Et c’est ce qui est passionnant ici, la parole de gens ordinaires en lutte contre des causes à portée locale ou internationale. Trois luttes, autant de reflets du monde, de notre monde, et déjà une suite envisagée dans les dernières pages de l’ouvrage qu’il dessine au moment même où les Ukrainiens se retrouvent eux-aussi en lutte contre un rouleau compresseur, russe cette fois.
« J’aimerais pouvoir ajouter un nouveau chapitre pour parler d’eux et de leur courage ». Mais il faut savoir s’arrêter… pour mieux reprendre. Un très bel album de plus de 330 pages dans lesquelles on retrouve le trait délicatement naïf – ou l’inverse – de l’auteur associé à un propos d’une grande finesse. La marque Toulmé !
Eric Guillaud
En lutte, Les reflets du monde, de Fabien Toulmé. Delcourt. 24,95