12 Sep

La BD fait sa rentrée. Les Grands cerfs, un hymne à la nature signé Gaétan Nocq d’après le roman de Claudie Hunzinger

Il en a sous le capot ce Gaétan Nocq. Ou sous la plume si vous préférez. C’est ce que je me disais à la lecture de son premier album Soleil brûlant en Algérie. C’est ce que je me dis aujourd’hui encore en découvrant Les Grands cerfs, un magnifique album qui porte la griffe des éditions Daniel Maghen et offre le rôle principal à la nature…

Soleil brûlant en Algérie, Capitaine Tikhomiroff, Le Rapport W, et aujourd’hui Les Grand cerfs, chaque album de Gaétan Nocq est un sacré voyage doublé d’une rencontre. Cette fois, pas de retour dans notre passé, il nous emmène dans les Vosges d’aujourd’hui pour retrouver une femme, Claudie Hunzinger, artiste plasticienne et romancière.

Avec son mari, elle s’est installée dans une ancienne métairie isolée au coeur de la forêt pour « fuir le bruit des hommes » et surtout vivre la nature, sentir ses odeurs, partager le territoire des animaux sauvages et notamment des cerfs. De cette expérience, elle en a écrit un livre, Les Grands cerfs, publié en août 2019 aux éditions Grasset. L’héroïne se prénomme Pamina, son mari, Nils, des personnages fictifs, une part d’imaginaire pour une histoire vraie.

C’est en écoutant L’Heure bleue, l’excellente émission de Laure Adler sur France Inter, que Gaétan Nocq découvre l’existence de ce livre et son auteure. Le plaidoyer qu’il entend, « un plaidoyer à la fois poétique et alarmant sur l’état de la nature sauvage aujourd’hui », dira-t-il le touche, l’intrigue même. Au point qu’il décide d’adapter le roman en bande dessinée. Et le résultat est là ! Enfin presque. Le livre, qui devait sortir fin août, ne sera finalement disponible dans toutes les bonnes librairies que le 23 septembre. Un petit souci à l’impression, me souffle-t-on dans l’oreillette.

© Editions Daniel Maghen / Nocq

Quoiqu’il en soit, Gaëtan Nocq signe ici un magnifique ouvrage, très certainement une fidèle adaptation – j’avoue ne pas avoir lu le roman de Claudie Hunzinger –  avec un parti pris autour de la couleur surprenant mais assumé, des teintes bleues et rouges qu’il défend par son souhait « d’exprimer un climat, un état psychologique ».

Et ça fonctionne, Les Grand cerfs, la bande dessinée comme le roman, nous parle de l’amour que porte cette jeune femme pour la nature sauvage, prête à passer ses nuits dehors à l’affût, pour apercevoir les cerfs, « on suit Pamina dans son travail de repérage, sa quête de traces, d’indices de renseignements ». Il nous parle aussi du travail de l’ONF, l’Office National des Forêts, qui se doit de réguler avec les chasseurs leur population.

« Beaucoup de choses m’ont interpellé dans son roman, le lieu, ce monde à part, cette vallée des Vosges, la découverte de la nature sauvage, un « roman de grand air » comme elle le dit. Mais ce n’est pas Bambi, c’est un roman qui s’ancre dans le réel et qui interroge notre monde contemporain ».

Parce que la beauté a toujours côtoyé la cruauté, Les grands cerfs n’offre pas une fin heureuse. C’est en tout cas une histoire qui nous ouvre les yeux sur la richesse, la diversité, de la faune sauvage de nos forêts et qui nous apprend beaucoup sur nous-mêmes.

Eric Guillaud

Les Grands cerfs, de Gaétan Nocq. Editions Daniel Maghen. 29€

© Editions Daniel Maghen / Nocq

09 Sep

Tananarive ou l’aventure en héritage, un récit de Sylvain Vallée et Mark Eacersall

Le dessinateur Sylvain Vallée rêvait de prendre une année sabbatique, de s’éloigner un peu de la bande dessinée, jusqu’au jour où il reçoit le scénario de Mark Eacersall et en tombe raide dingue pour la simple et bonne raison qu’il mettait en scène deux vieillards. Bingo ! Tananarive est l’un des plus beaux albums de l’année. Une histoire à la fois intime et universelle, douce et dingue, dramatique et poétique…

Bon, on ne va pas vous faire languir sur le coup, vous obliger à lire cette chronique jusqu’à la dernière ligne, on vous le dit d’entrée, l’album de Sylvain Vallée et Mark Eacersall est un pur bonheur, un gros chef-d’oeuvre, le genre de bouquin qui vous fait aimer encore plus la bande dessinée. De la première à la dernière page, tout est un régal, les dialogues, les dessins, le découpage, le rythme, les couleurs et bien sûr l’histoire.

L’histoire justement, celle d’un notaire, Amédée, le chauve avec son imper et son faux air de Jérôme K Jérôme Bloche, vous savez le détective de Dodier, ici en version retraité. Cette ressemblance tombe bien parce que le notaire, enfin l’ex-notaire, se transforme dans le récit en détective. C’est pour ça qu’il a ressorti l’imper. Pour faire vrai. Et la petite Triumph cabriolet sport qui va bien. L’aventure avec un grand A ne se vit pas avec un monospace tout de même.

© Glénat /Vallée & Eacersall

Tout commence un soir chez Jo, son ami le plus proche. Sa maison est en face de la sienne. Tous les deux refont le monde à la façon du film Un Singe en hiver avec Gabin et Belmondo. Un verre à la main, Jo raconte sa vie d’aventurier, Diên Biên Phu, la Mer rouge, les pirates, les Guaranis… devant un Amédée conquis. Qui en redemande. Mais il est 11 heures, et il ne faut pas rater le sommeil de 11 heures lui dit Jo. La suite demain. Mais le lendemain, Jo meurt d’une crise cardiaque, laissant Amédée dans le plus grand désarroi. Prêt lui aussi à se laisser mourir.

Et puis non ! Amédée se ressaisit et décide de partir à la recherche des héritiers. Pas de testament, pas d’enfants connus. Amédée va devoir retrouver les traces de l’état civil de son ami, aller à Madagascar où il disait être né avant de voyager partout à travers le monde. Madagascar ? Non, finalement, ce sera Charleville. C’est marqué sur l’acte de décès, en toutes lettres : « Monsieur Joseph Gaston Seigneur, né à Charleville ». Celui qu’il croyait connaître par coeur avait ses petits et grands secrets. Et Amédée n’a pas fini d’en apprendre sur son ami…

© Glénat /Vallée & Eacersall

Magistral ! je vous le disais. Sylvain Vallée et Mark Eacersall mettent en scène une aventure humaine à la fois pleine de poésie, de sagesse et de drôlerie entre deux septuagénaires, le premier qui n’a pas franchement profité de la vie, pépère avant l’heure, et le second, qui l’a passée à travestir la réalité, fantasmer un destin d’aventurier au long cours Tananarive parle de l’amitié bien sûr, de la mort un peu, de la vie beaucoup, de ce qu’on en fait, de ce qu’on laisse en héritage. Un tourbillon d’émotions !

Eric Guillaud

Tananarive, de  Sylvain Vallée et Mark Eacersall. Glénat. 19,50€

07 Sep

La BD fait sa rentrée. Bob Morane est de retour en BD pour sauver le monde et ses fidèles lecteurs avec lui 

Alors que son créateur Henri Vernes vient de tirer sa révérence (à 102 ans !), « le vrai héros de tous les temps » Bob Morane, lui, revient en BD après une absence de cinq ans. Et ici, après une modernisation ratée, retour aux fondamentaux !

Il aura juste eu le temps d’écrire la préface. Quelques mois seulement son décès, l’ex-journaliste et prolifique auteur a donc pris sa plume pour passer le témoin en quelque sorte aux scénaristes Christophe Bec et Corbeyran et au dessinateur Paolo Grella et saluer en eux de « vrais lecteurs de Bob Morane ». Un petit texte imprimé en préambule de ce ‘reboot’ en quelque sorte de la série – un beau ‘1’ s’affiche sur la tranche – qui donne le ton, avec justesse.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que cette nouvelle aventure a lieu en 1952, le tout premier roman de Bob (à l’époque on disait plutôt ‘Robert’) Morane La Vallée Infernale ayant été publié par Marabout Junior en 1953. Tout comme le fait que style de Grella est ouvertement très proche de celui de William Vance, aux manettes entre 1968 et 1979, période à laquelle la série était au sommet de sa popularité.

© Soleil / Bec, Corbeyran, Grella et Gérard

L’objectif est ici clair : retrouver ce même mélange d’aventures exotiques, de pulps et de science-fiction, un peu rétro mais avec une noirceur supplémentaire assumé. Et histoire de bien enfoncer le clou, on a même convoqué pour l’occasion l’ennemi numéro un du héros, l’Ombre Jaune dont les traits ici plus proches que jamais de feu l’acteur Yul Brunner. Aux couleurs, Sébastien Gérard donne aux montagnes et aux forêts d’Indochine où l’action se déroule une teinte verdâtre et mystérieuse. Bref, c’est plutôt réussi.

Certes, après une longue introduction, il y a quelques raccourcis et la conclusion est, disons, un peu précipitée (manque de pagination ?), tout comme ce virage à 90° dans l’horreur cosmique en fin parcours pas très bien négocié. Mais Les 100 Démons de L’Ombre Jaune assume son côté série B à l’ancienne. Et au diable le réalisme ! Le plaisir que l’on a toujours tiré de ce type de héros comme Bob Morane ou Doc Savage sortant vainqueurs des pires vilenies est avant tout un plaisir de gamin et là, on est servi. Accessoirement, on sent aussi l’aventurier enfin de retour sur de bons rails après quelques errements et ça promet pour la suite, ta ta ta !

Olivier Badin

Les 100 Démons De L’Ombre Jaune, de Christophe Bec, Corbeyran, Paolo Grella et Sébastien Gérard. Soleil. 14,95€

© Soleil / Bec, Corbeyran, Grella et Gérard

05 Sep

Le retour de Corto Maltese : hérésie ou coup de génie ?

Ce n’est pas la première fois qu’un héros de papier survit à son créateur, ce n’est pas non plus la première fois que Corto Maltese repart à l’aventure depuis la disparition d’Hugo Pratt. Alors pourquoi tant d’amour et de haine autour de cet « album événement » sorti chez Casterman et signé Martin Quenehen et Bastien Vivès ?  Réponse ici…

Le secret a été bien gardé jusqu’au jour de sa sortie, le 1er septembre. Ou presque ! Les plus avertis des amateurs de bandes dessinées ont pu bénéficier de quelques fuites ici ou là. Mais rien qui ne pouvait atteindre le grand public, celui à qui s’adresse ce nouvel album.

Car Corto Maltese n’est pas n’importe quel héros de papier. C’est l’un des plus intemporels, des plus populaires, des plus appréciés et bien au-delà du seul petit monde du Neuvième art. Comme Lucky Luke, Spirou, Astérix, Blake et Mortimer, Blueberry ou encore Tif et Tondu, qui ont tous fait l’objet de reprises, Corto appartient aujourd’hui à notre imaginaire collectif et de fait à nous tous avec l’image qu’on s’est faite de lui, qu’on garde de lui.

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Lui donner une nouvelle vie, comme l’ont fait précédemment Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero et aujourd’hui Martin Quenehen et Bastien Vivès est assez casse-gueule. Forcément, quelque chose ne collera pas à cette image que nous avons du personnage, forcément, il n’y aura pas la même musique, la même poésie, le même coup de crayon.

Et c’est là à mon avis le coup de génie de Vivès et Quenehen, garder l’essence des aventures de Corto, l’ADN du personnage, mais s’éloigner totalement du graphisme de Pratt et de la période, le début du XXe siècle, dans laquelle se déroulent toutes ses aventures depuis La Ballade de la mer salée sorti en 1975 jusqu’à en 1992, et même sous les trois albums du tandem Canales / Pellejero. Océan noir se déroule en 2001 avec un Corto rajeuni, plutôt beau gosse, une allure actuelle avec tout de même ses légendaires rouflaquettes et sa boucle d’oreille.

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Vivès et Quenehen, ne sortent quand même pas de nulle part, le premier est l’auteur d’une vingtaine de one-shots et de plusieurs séries dont Lastman, le second, ancien producteur d’émissions à France Culture, romancier, est devenu scénariste de bande dessinée avec un autre album dessiné par Bastien Vivès, Quatorze juillet.

Alors bien sûr, ce parti pris graphique – Vivès a tout de même un trait singulier – et scénaristique ne peut effectivement pas plaire à tout le monde et bien évidemment les gardiens du temple sont montés au créneau et s’offusquent. Petit florilège :

« Arrêtez ce massacre », « Corto est mort avec Hugo Pratt », « Vous faites quoi la prochaine fois ! Corto contre Batman !? », « Le personnage de Corto est lié à son époque et ses références culturelles… Le mettre à notre époque c’est trahir tout ce qu’il est »…

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Bref, les griefs sont nombreux, les louanges le sont tout autant. Alors, le meilleur moyen d’aborder cet album est de bien garder à l’esprit que Vivès et Quenehen n’ont en rien l’ambition de remplacer Hugo Pratt. Ce n’est pas possible ! Ce qu’ils souhaitent, c’est offrir une autre perspective de l’oeuvre, une réinterprétation, et quelque part rendre hommage au génie de Pratt.

Et de ce côté-là, c’est réussi. Océan noir nous embarque dans une très belle aventure, où l’on retrouve tout le magnétisme, le romantisme du personnage avec un casting de premier choix, Rasputine bien sûr et des femmes, pas mal de femmes, qui mènent la danse comme souvent dans les aventures de Corto et trimbalent notre héros de Tokyo à Lima au Pérou à la recherche d’un trésor.

Pour répondre à la question de cette rubrique, l’album de Vivès et Quenehen n’est absolument pas une hérésie, plutôt un coup de génie, en tout cas un album qu’il faut impérativement avoir dans sa collection Corto Maltese. Inutile de vous précipiter, il y en aura pour tout le monde, l’objet serait tiré à plus de 100 000 exemplaires.

Eric Guillaud

Corto Maltese, Océan noir, de Vivès et Quenehen. Casterman. Disponible en deux versions, cartonné et en couleur à 35€, souple et en noir et blanc à 22€

01 Sep

La BD fait sa rentrée. Et si l’attentat du 11 septembre avait été évité…

Comme on pouvait légitimement s’y attendre, à l’approche du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre refleurissent au rayon BD les albums sur ce thème. Comme celui-ci, une très belle réédition en intégrale de trois albums initialement parus dans la collection Jour J en 2017…


« Happy 2005 » inscrit en lettres lumineuses sur les tours jumelles : l’image aurait pu faire le tour du monde, la Une des médias, elle ne fera que la couverture de ce récit signé Duval, Pécau, Blanchard et Kordey, une uchronie comme le sont tous les épisodes de cette série publiée par Delcourt et portant le nom générique de Jour J.  Publié initialement en trois volumes en 2017, le récit repose sur une interrogation : et si les attentats du 11 septembre avaient pu être évités ?

Et de fait, ils auraient pu être possiblement évités si on avait en l’occurrence écouté un homme, John Patrick O’Neil, agent puis directeur assistant du FBI, avant de devenir le chef de la sécurité du WTC en 2001, quelques jours avant les attentats qui lui coûteront la vie comme à des milliers d’autres hommes et femmes.

Une uchronie ? Non, jusqu’à ce point du récit, ce n’est que vérité et ironie. Lui, la sommité de l’antiterrorisme qui avait comme le rappelle le dossier placé en ouverture de l’album, découvert dans les années 90 à la fois l’existence d’Al-Qaïda, de son dirigeant Ben Laden et de l’opération Bojinka, laquelle prévoyait le détournement d’avions pour les précipiter sur des cibles civiles dont le WTC, meurt dans l’attentat le plus sidérant de notre époque, un attentat qui allait changer le cours de l’histoire.

Et si l’attentat n’avait pas eu lieu, et si O’Neil n’était pas mort le 11 septembre, et s’il avait gagné son combat contre le terrorisme. L’uchronie est là. 11 septembre raconte ce qui aurait pu se passer et ce qui nous aurait été épargné. Un récit qui a du peps embarqué par le dessin à fort caractère du Croate Igor Kordey.

Eric Guillaud 

Jour J, 11 septembre, par Duval, Pécau, Blanchard et Kordey. Delcourt. 19,95€