11 Jan

X-O Manowar : Wisigoth et fier de l’être !

Deuxième édition (après une première en 2017) pour cette intégrale en trois volumes d’Aric le wisigoth, guerrier du 4e siècle devenu par erreur un demi-dieu grâce à une armure extra-terrestre et dont le destin le pousse à d’abord sauver son peuple puis l’humanité entière. Une preuve supplémentaire que le petit Poucet Valiant en a revendre face aux mastodontes DC Comics et Marvel.

D’accord, on vous voit venir à trois kilomètres. Et oui, vous avez raison sur le papier, le point de départ ici est disons capilotracté, même du point de vue d’un fan de comics pourtant habitué aux trucs un peu tiré par les cheveux : en l’an 402, Aric, impétueux héritier du trône des Wisigoths, se fait kidnapper par des extra-terrestres qui l’emmènent sur leur vaisseau spatial en orbite pour y devenir leur esclave. Lorsqu’il réussit enfin à provoquer une révolte, il fusionne avec une sorte d’armure consciente érigée en relique sacrée par ses geôliers qui le transforme en une arme surpuissante et quasi-indestructible. Mais une fois de retour sur Terre, il se rend alors compte que seize siècles sont passés et que les choses ont bien changées…

Les héros torturés, l’écurie VALIANT aime ça : BLOODSHOT, LE GUERRIER ETERNEL, RAI etc. Mais celui-ci est à part car on a d’abord du mal à être en empathie avec cette grande gueule, arrogante toujours prompt à répondre avant tout par les poings. Et puis au début, son monde paraît bien monochrome, avec les méchants clairement identifiés d’un côté et les gentils de l’autre. Or vu que comme d’habitude VALIANT ne fait dans la dentelle lorsqu’elle parle d’intégrale – plus de 800 pages ici, et encore ce n’est que le premier volume ! – on se demande d’abord comment tout cela va tenir sur la longueur…

© Valiant/Bliss – Venditti, Kindt, Nord, Garbett & Braithwaite

Sauf que la première moitié du volume est assuré au dessin par le grand, que dis-je l’immense Cary Nord, prix Eisner 2004 connu pour son travail sur THOR et surtout CONAN THE BARBARIAN. Même si son trait n’est peut-être pas aussi profond ici, il sait apporter à la fois de l’humanisme et des couleurs qui donnent du corps à l’histoire. Et surtout, le scénariste Robert Venditti prend son temps pour installer sa mythologie en quelque sorte, tout en multipliant les aller-retours entre le passé et le présent pour mieux expliquer comment son personnage central s’est construit.

Mieux : en le faisant revenir sur Terre avec son peuple pour essayer de se réapproprier leurs anciennes terres, provoquant l’ire des armées du monde, il se permet même une métaphore sur le sort actuel des réfugiés apatrides et leurs difficultés à trouver leur place dans le monde moderne.

Certes, cela fait beaucoup, beaucoup à encaisser. Et le cahier des charges imposé de façon systématique par VALIANT avec un héros, quel qu’il soit, devant impérativement à un moment ou à un autre croiser d’autres personnages maison (ici NINJA K, LE CHAMPION ETERNEL ou encore la saga UNITY) ne fait pas toujours des merveilles. Mais grâce au talent Cary Nord et au côté compacte/économique de l’objet (autant de pages qu’avec les Omnibus de son grand frère MARVEL mais deux fois moins cher presque), au bout du bout, X-O MANOWAR s’impose comme l’un des héros les plus atypiques de VALIANT, petite mais costaude alternative aux géants du circuit.

Olivier Badin

X-O Manowar – Intégrale tome 1 de Robert Venditti, Matt Kindt, Cary Nord, Lee Garbett & Dough Braithwaite, Valiant/Bliss, 49 euros    

© Valiant/Bliss – Venditti, Kindt, Nord, Garbett & Braithwaite

10 Jan

Nouveauté 2021. A Fake story, Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon au coeur du mensonge

La plupart d’entre nous n’étions pas nés en 1938 lorsque le prodigieux Orson Welles fit trembler l’Amérique dit-on avec une pièce radiophonique adaptée de son roman La Guerre des Mondes. Mais nous connaissons tous cette histoire, cette fausse histoire, qui peut en cacher beaucoup d’autres..

États-Unis, le 30 octobre 1938. La radio américaine CBS vient de l’annoncer et le retransmet en direct, les extra-terrestres envahissent notre bonne vieille Terre. C’est la panique dans les foyers, l’hystérie collective, la presse écrite parle d’émeutes à travers le pays. Mais tout ceci est faux. Aucun extra-terrestre à l’horizon, nulle invasion, pas de scène de panique… Rien si ce n’est une fiction signée Orson Welles et une légende qui s’est écrite avec le temps.

C’est de cet épisode malgré tout mythique de l’histoire radiophonique que sont partis Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon pour écrire ce récit publié chez Futuropolis. Ils y abordent le thème du fake à travers les médias en déroulant une sombre histoire de meurtre que certains auraient voulu maquiller en suicide collectif en réaction à cette arrivée imminente d’extra-terrestres. Mais c’était sans compter sur la diligence de Douglas Burroughs, journaliste vedette de la CBS, qui débarque dans le bled paumé où a eu lieu l’affaire pour enquêter et démêler le vrai du faux.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’histoire tient sacrément bien la route grâce à un scénario parfaitement huilé et des planches aux atmosphères finement travaillées. De ce qui aurait pu faire une bonne SF bascule rapidement dans le polar et nous tient en haleine jusqu’à la dernière page avec en sus un regard affuté et assez pessimiste sur la société américaine ségrégationniste, raciste, prête à croire celui qui parle le plus fort ou ment le plus effrontément, ce qui en tout cas l’arrange, comme on a pu encore le voir très récemment avec Trump et ces fake news produites à la chaine.

Un récit adapté du roman de Douglas Burroughs à en croire la couverture. Mais même là, rien n’est moins sûr !

Eric Guillaud

A Fake story, de Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon. Furutopolis. 17€ (en librairie le 13 janvier)

07 Jan

Passion femmes : l’hommage de Manara à la féminité

Si vous vous demandez encore où sont les femmes comme un certain chanteur populaire du siècle précédent, ne cherchez plus, elles sont là, dans ce magnifique ouvrage des éditions Glénat sorti en décembre, plus de 300 pages et autant de représentantes de la gente féminine goulûment croquées par Manara…

Certains dessins se passent de commentaires, c’est le cas ici. Tout au long des 300 pages de ce livre, pas un mot, pas une phrase, pour expliquer l’immense talent de l’auteur, l ‘extrême beauté du graphisme, en un mot ou presque le génie de la chose, mais des illustrations, autant que de pages, des illustrations effectivement signées par un auteur hyper-talentueux, l’un des géants de la bande dessinée européenne passé maître en bande dessinée érotique, adepte d’un trait réaliste d’une très grande clarté, Manara.

Le Déclic, Le Parfum de l’invisible, Candide caméra, L’été indien, El Gaucho… l’auteur italien a signé plusieurs albums qui appartiennent d’ores et déjà au patrimoine mondial de l’imaginaire et du fantasme avec toujours, au centre de tout, la femme. Ce livre réunit des illustrations qui couvrent toute sa carrière et seraient, à en croire l’éditeur, majoritairement inédites en livre en France, des portraits d’actrices, des projets d’affiches, des créations pour la presse ou la publicité… Sensuel jusqu’au bout du trait !

Eric Guillaud

Passion femmes, de Manara. Glénat. 39€

06 Jan

Mirages et folies augmentées : du Druilllet pour la nouvelle année

Quand on évoque Philippe Druillet, on pense immédiatement à La Nuit ou Salammbô, deux albums qui ont, il est vrai, révolutionné le neuvième art en leur temps. Mais Druillet, c’est beaucoup plus que ça. Les éditions Glénat nous le rappellent aujourd’hui à travers ce magnifique ouvrage de plus de 360 pages réunissant des récits peut-être moins connus, certains oubliés, mais tout aussi révélateurs d’un certain génie…

Un dessin de couverture flamboyant et fantastique sur fond argenté, des pages de garde d’un noir profond… bienvenue dans l’univers du grand, de l’immense, de l’unique Philippe Druillet. Impossible de le confondre avec un autre, même de loin, même de nuit, un dessin du créateur de Lone Sloane se reconnaît facilement par tous, bien au-delà du seul cercle des férus de bandes dessinées.

L’auteur est de retour avec une nouvelle édition de Mirages, une édition revue et judicieusement sous-titrée Et folies augmentées. Mais que trouve-t-on exactement dans ses – presque – 400 pages ? Des oeuvres de jeunesse, des documents inédits dont même l’auteur avait oublié l’existence tels que La faune de l’espace réalisé avec Jean-Pierre Dionnet, des histoires courtes inscrites dans sa période noir et blanc, Le garage à vélo, Vuzz, Le Messager des ombres avec Lob, Demain peut-être, Le Mage acrylic… en couleurs cette fois Firaz et la ville fleur avec Picotto au dessin et Druillet au scénario, de nombreuses illustrations et couvertures de livres, de magazines et d’albums.

Forcément indispensable pour tous ceux qui aiment Druillet, pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du neuvième art, à son évolution, notamment à cette période des années 70 où tout était à inventer, à transgresser, où tout était finalement possible. Magnifique !

Eric Guillaud

Mirages et folies augmentées, de Philippe Druillet. 35€

03 Jan

Deadpool ou le joyeux de la couronne

Deadpool, le héros, est un mercenaire aux capacités régénératrices aussi infinies que son sens de la tchatche. Deadpool, la série, ne cesse elle aussi de mourir pour mieux ressusciter. Après son crossover très réussi avec Spiderman et son passage chez les Avengers, sa nouvelle série le voit… monter sur le trône.

 

Alors pas de panique : bien sûr qu’il y a de grosse bagarre et bien sûr que MARVEL n’oublie pas de sortir de son placard plein à craquer de bad guys quelques jolis représentants, comme par exemple ici Kraven le chasseur dont la première apparition remonte, quand même, à 1965. On a même droit à Captain America et aux X-Men en fin de parcours… Mais on ne va pas se mentir, ce n’est pas vraiment cela que l’on va chercher du côté de Deadpool. Non, ce que l’on aime chez le mercenaire disert c’est son débit mitraillette, son attitude goguenarde, sa tchatche perpétuelle, son humour ultra-grinçant et son sens de la réparti. Sans parler de ces 8795 clins d’œil, cette façon qu’il a de tout le temps charrier ses copains super-héros, son manque de moral assumé ou même cette façon qu’il a de briser le quatrième mur en s’adressant directement au lecteur.

Oui, c’est tout cela que l’on vient chercher chez Deadpool. Pour chacun des nombreux scénaristes et dessinateurs qui se sont succédés à son chevet, la feuille de route est donc très claire et à ce petit exercice, la scénariste Kelly Thompson s’en sort plutôt pas mal, notamment en démarrant cette nouvelle série sur un pitch improbable : engagé pour occire le ‘roi des monstres’ qui occupe Staten Island à côté de New York, il réussit tellement bien son boulot qu’il est élu souverain à sa place par tous ses sujets… Avec toutes les emmerdes qui ont avec. Et oui, la présence d’un requin de terre (ne posez pas de question) en guise d’animal de compagnie et d’un mutant nommé Gerbe dont la particularité est de vous téléporter en vous, et bien, gerbant dessus ne sont que deux des (très) nombreuses loufoqueries que l’on retrouve ici. 

C’est du n’importe quoi ? Presque, oui mais justement, c’est pour ça que cela marche. Surtout avec un dessinateur comme Chris Bachelo qui s’amuse beaucoup avec les cadrages et les couleurs, sans oublier de semer plein de micro-détails sur ses pages et surtout d’accentuer le côté loufoque du personnage. D’ailleurs, c’est surtout drôle, très drôle même. Â condition, certes, de connaître les codes et d’apprécier la surabondance de joutes verbales qu’est l’une des images de marque de cet anti-héros qui détonne toujours autant au sein du monde sinon trop souvent très politiquement correct de MARVEL.

Olivier Badin

Deadpool – Longue Vie Au Roi de Kelly Thompson, Chris Bachalo, Gerardo Sandoval et Kevin Libranda, Marvel/Panini Comics, 18€

© Marvel/Panini Comics – Thompson, Bachalo, Sandoval & Libranda

Nouveauté 2021. Ion Mud, la première odyssée d’Amaury Bündgen

Mieux vaut tard que jamais ! Plus encore lorsqu’on a le talent d’Amaury Bündgen qui publie en ce début d’année sa toute première bande dessinée, un récit de science fiction influencé par le manga, le comics et la bande dessinée européenne. L’homme a 48 ans et visiblement un bel avenir dans le milieu…

Vingt minutes. C’est le temps dont disposait Amaury Bûndgen pour convaincre un éditeur à l’occasion d’une rencontre jeunes talents organisée par le festival Lyon BD en 2018. Pas certain qu’il en ai eu besoin ! Enthousiasmé par son univers, l’éditeur en question, Casterman pour ne pas le citer, le signe pour un premier roman graphique de près de 300 pages en noir et blanc, entièrement réalisé sur ordinateur et influencé par le manga crépusculaire Blame! de Tsutomu Nihei.

Unité de lieu et de temps, l’action se déroule dans un immense vaisseau spatial perdu on ne sait trop où, dans l’immensité intersidérale ou simplement sur Terre. Avec à son bord des monstres, beaucoup de monstres, des extra-terrestres, des drones, et Lupo, un être humain qui n’aura de cesse tout au long du récit de vouloir rejoindre – et franchir – les toranas, d’immenses portes noires derrière lesquelles se seraient réfugiés des aliens qui pourraient bien avoir quelques explications à lui fournir sur sa présence ici. Car oui, Lopo ne sait pas ce qu’il fait dans ce vaisseau. Il aurait été enlevé il y a une cinquantaine d’années et doit faire face depuis à une contamination qui transforme toutes formes de vie en créatures mutantes.

Cette exploration du vaisseau est bien évidemment prétexte à de nombreuses rencontres, pas toujours amicales, pas toujours hostiles non plus. Une odyssée parfois intérieure, bluffante par son graphisme fait de milliers de hachures. Les gamers, mais pas que, apprécieront !

Eric Guillaud

Ion Mud, d’Amaury Bündgen. Casterman. 25€ (en librairie le 20 janvier)

© Casterman / Bündgen