André Juillard et Jean-Claude Götting : deux noms, deux styles, deux grands auteurs du neuvième art. Avec ces magnifiques livres, l’un et l’autre nous ouvrent leur atelier respectif et leur jardin secret, des croquis d’un côté, des peintures de l’autre, et la femme au centre des attentions.
Des femmes, André Juillard en a dessiné énormément dans ses albums de bande dessinée, que ce soit Léna, Cahier bleu, Les 7 vies de l’Epervier ou encore Mazek. Mais de cette façon, jamais. Ici, le trait est libéré des contraintes et des codes du neuvième art. La seule chose qui l’importe comme il l’écrit au début de l’ouvrage est de « témoigner de la séduction de ce qu’il voit… ».
Et de fait, non seulement l’auteur – l’artiste – témoigne de la séduction de ce qu’il voit mais il nous séduit à son tour avec des croquis sans artifices, réalisés avec un crayon de bois et graphite sur du papier. Peu d’encrage, quelques traits de couleurs, juste « l’élégance et la délicatesse du dessin » pour reprendre les mots de sa femme Anne Juillard en préface.
Dans ce magnifique livre de plus de 400 pages ont été réunis dix-sept de ses carnets sur lesquels il dessine depuis toujours. Comble de bonheur, l’auteur apporte ici et là quelques commentaires aux dessins, une façon de nous inviter plus encore dans son atelier, dans son intimité. Au fil des pages, on découvre des femmes, beaucoup de femmes, héroïnes de ses bandes dessinées ou non, mais aussi des paysages, des clins d’oeil à ses maîtres anciens, Klimt, Helmut Newton, Antoine Watteau… Un ouvrage indispensable pour tous les amoureux de ce grand monsieur de la bande dessinée.
Jean-Claude Götting, c’est d’abord un trait, reconnaissable entre tous, un trait épais, tellement épais qu’il ne peut que marquer et interroger les esprits. Dès ses premiers albums, Crève coeur en tête, l’auteur marque le territoire du neuvième art de son style graphique unique, un trait épais donc, des planches charbonneuses en noir et blanc, des atmosphères intenses.
Pour ses peintures, il garde le trait épais mais passe à la couleur. Le résultat ? Il nous est offert dans ce livre paru chez Champaka Brussels, maison d’édition spécialisée dans l’édition d’art liée au monde de la bande dessinée. Autant vous dire que Jean-Claude Götting ou tout au moins ses peintures étaient entre de bonnes mains.
L’écrin est splendide, 120 pages couleurs, un frontispice signé par l’auteur, 999 exemplaires numérotés. Et dans cet écrin, 80 peintures parmi ses plus récentes, autant de portraits de femmes inconnues imaginées, fantasmées, pensives, assoupies, sereines ou mélancoliques mais belles, toujours belles, des instants volés, des scènes intérieures, sophistiquées, intimistes au charme fou, qui peuvent rappeler tel ou tel courant pictural, tel ou tel réalisateur de cinéma, mais qui sont uniques, par le trait et les couleurs de Götting. « La couleur est venue… », écrit Sandrine Saint-Marc en préface, « le trait noir est resté. Il cerne, il délimite, il souligne et découpe les espaces, les formes, les plans : le trait est fondateur ».
Une chose est certaine, on pourrait regarder ces portraits pendant des heures, laisser nos pensées s’envoler, comme à l’écoute d’un bon disque. Rien d’étonnant, il y a comme une petite musique dans ses peintures, une petite musique qui nous prend par les émotions.
Eric Guillaud
Instants volés, de Jean-Claude Götting. Champaka Brussels / Dupuis. 55€
Carnets secrets, d’André Juillard. Editions Daniel Maghen. 59€