Elles allaient au travail le coeur léger, le sourire aux lèvres, bien décidées à s’amuser d’un rien, à rire de tout, à croquer la vie. Mais c’est avec la mort qu’elles avaient rendez-vous. Retour sur une tragédie ouvrière qui changea la vie des travailleurs américains et plus encore…
Radium girls. Oui, ça sonne bien, ça sonne rock, mais il n’est pourtant pas question ici de musique et de je ne sais quelle girl’s band. Radium girls est le nom de ces ouvrières américaines qui furent chargées dans les années 20 de peindre des cadrans de montre au radium, élément révolutionnaire découvert à la fin du XIXe siècle par Pierre et Marie Curie et dont l’une des singularités est de produire de la luminescence par désintégration radioactive.
Lip, Dip, Paint. « Tu lisses le pinceau, tu prends de la peinture, tu peins », Trois mots, trois actions, aussi simples que meurtrières. 250 cadrans à réaliser par jour, autant de fois le pinceau porté à la bouche pour l’épointer. De quoi rendre la langue et les lèvres des ouvrières luminescentes à leur tour, de quoi surtout leur transmettre des doses mortelles de rayonnements ionisants.
Ce livre est leur histoire, l’histoire d’ouvrières sacrifiées, l’histoire aussi de leur combat. Car un certain nombre d’entre elles, Grace, Katherine, Mollie, Albina et Quinta dans l’album, on traîné leur employeur en justice avant de mourir.
Une histoire tragique, forte, longtemps oubliée. Elle a pourtant eu des conséquences sur le droit des travailleurs et plus généralement sur les normes de sécurité, comme nous le rappelle l’autrice, Cy, dans une interview reproduite dans les dernières pages de l’album : « C’est fou ce qui est arrivé à ces femmes… Ça a impacté les lois aux Etats-Unis et on n’en a jamais entendu parler. Cette histoire est dense et rocambolesque ! Et puis, il y a le militantisme : encore des femmes, qui ont disparu de l’histoire alors qu’elles ont fait bouger ses lignes ».
Aucun doute, cette tragédie et ce combat, même s’ils furent oubliés un temps, résonnent encore dans notre monde actuel et l’approche que nous en offre l’autrice est elle-aussi très contemporaine, une histoire de nanas insouciantes rattrapées par la tragédie de la vie. Un très bel album réalisé au crayon de couleurs, publié dans la nouvelle collection Karna des éditions Glénat dont l’objectif est de mettre en lumière des anonymes qui ont, par leurs actes, changé la société dans ses fondements et ses acquis. Une belle entrée en matière!
Eric Guillaud
Radium girls, de Cy. Glénat. 22€