11 Jan

Tif et Tondu, héros un jour, héros toujours

Spirou, Lucky Luke, Astérix, Blake et Mortimer, Corto Maltese ou encore Blueberry, les héros de papier sont finalement assez nombreux à survivre à leurs créateurs et c’est tant mieux pour les amoureux du neuvième art. Couple mythique des années d’après-guerre, Tif et Tondu sont eux-aussi de retour en ce début d’année 2020 avec deux albums distants de 50 ans et un roman…

Tif et Tondu le retour ! Le mythique tandem imaginé par Fernand Dineur en 1938 pour le journal Spirou connaît une nouvelle aventure sous la plume et les pinceaux des deux frangins Blutch et Robber baptisé Mais où est Kiki ? et dont la parution un temps annoncée pour octobre 2018 se fait finalement en ce début d’année 2020.

Un petit retard à l’allumage qui ne gâche en rien notre plaisir. Cette histoire traîne depuis 10 ans dans les cartons des auteurs mais l’écriture du scénario et sa présentation aux ayant-droits auraient imposé ce délais. D’autant que les auteurs, amoureux de la série, ne voulaient surtout pas la « singer », comme le confiait il y a quelques temps Blutch au site ligneclaire.

Et c’est vrai qu’on est assez loin du style graphique de Will et des histoires de Rosy, Tillieux ou même Lapière qui se sont succédés à l’écriture. De quoi faire hurler les intégristes de la série ? Peut-être mais Blutch et Robber apportent un vrai et nécessaire dépoussiérage à la série, les planches sont magnifiques, les décors soignés, l’histoire peut-être un peu plus adulte et le tandem toujours aussi savoureux.

La parution de cet album couleur a été précédée par la publication de trois cahiers réunissant l’ensemble des planches en noir et blanc et par un roman de Tif et Tondu rédigé par Robber, L’Antiquaire sauvage, qui est bien évidemment étroitement lié au scénario. L’album est également disponible en noir et blanc.

Autre temps, autre histoire, L’Ombre sans corps est une pièce maîtresse de l’oeuvre de Will et Tillieux. Initialement publiée en 1970, il y a donc tout juste cinquante ans, elle ressort aujourd’hui dans la très belle collection 50/60 du label Niffle du nom de son créateur, Frédéric Niffle, directeur du journal Spirou. Les amateurs du patrimoine auront plaisir à retrouver dans cette édition les planches en noir et blanc commentées par Hugues Dayez, critique de cinéma, journaliste, grand connaisseur de la bande dessinée franco-belge. On y apprend énormément de choses sur l’écriture du scénario, la mise en images, les auteurs, le contextes… Passionnant !

Eric Guillaud

Mais où est Kiki ?, de Blutch et Robber. Dupuis. 16,50€. 39€ pour la version en noir et blanc. L’Antiquaire sauvage, de Blutch et Robber. Dupuis. 22€. L’Ombre sans corps, de Tillieux et Will. Niffle. Dupuis. 25€

09 Jan

Un auteur de BD en trop : histoire cruellement drôle dans le milieu du neuvième art signée Daniel Blancou

Vous pensiez qu’auteur de bande dessinée était un métier d’avenir ? Qu’on pouvait s’enrichir à tous les coups ? Redescendez sur Terre et lisez donc les aventures de ce pauvre Daniel, auteur de base pour ne pas dire auteur de fond qui trouve son salut – provisoire – dans le plagiat…

Vous le voyez sur la couverture ? Oui, tout en haut à droite, avec son gilet rouge, seul, affreusement seul, à l’écart d’une foule attirée par la promesse d’une dédicace. C’est l’auteur de BD en trop, Daniel de son prénom, responsable et coupable d’albums profondément dispensables comme le dernier en date, un documentaire sur les difficultés du commerce des chenilles alimentaires en Centrafrique.

Rien de très sexy mais Daniel est capable de pire encore. Son prochain ouvrage doit traiter des conséquences de la grippe aviaire dans les Bouches-du-Rhône. À moins que ce ne soit de la grippe espagnole en Alsace. On s’y perd, lui aussi, mais peu importe, puisqu’il ne traitera au final de rien du tout, son éditeur venant de lui faire savoir qu’il était contraint de « resserrer son catalogue sur les titres qui ont du potentiel ». Ça calme!

Il a pourtant gagné un prix à Angoulême notre Daniel. Mais c’était il y a 20 ans dans la catégorie scolaire. Depuis, il est dans la cagade jusqu’au cou comme il dit. Alors, pour s’en sortir, pour payer son loyer, il va jouer avec le feu, plagier le travail d’un jeune gamin écervelé mais fichtrement talentueux. Son éditeur lui prédit un succès énorme, le livre est sélectionné au festival d’Angoulême…

Très bel album proposé par Daniel Blancou (Être riche, Sous le feu corse: L’enquête du juge des paillotes…), et les éditions Sarbacane, un grand format avec dos toilé rouge du meilleur effet, des planches de toute beauté, une narration, un scénario et un dessin des plus soignés, et un regard sur le métier d’auteur et le monde du neuvième art qui pourrait bien calmer les ardeurs de certains. Follement drôle mais tellement vrai !

Eric Guillaud

Un auteur de BD en trop, de Daniel Blancou. Sarbacane. 22,50€

© Sarbacane / Blancou

08 Jan

Les Next-Men, les X-Men oubliés des années 90 pour la génération X

Après 2112, Delerium continue sa campagne de réhabilitation des œuvres ‘oubliées’ du dessinateur John Byrne en éditant pour la première fois en France la saga Next Men. Des mutants tous sauf gentils bien éloignés de leurs très sages cousins les X-Men.

John Byrne est une légende vivante du monde des comics. Un canadien qui a commencé timidement en bas de l’échelle chez Marvel mais qui a, ensuite, préfiguré dès la fin des années 70 la tournure plus ‘adulte’ qu’allait prendre le genre la décennie suivante. D’abord en prenant en main les X-Men puis Les Quatre Fantastiques pour transformer ces jadis héros un chouia caricaturaux en des personnages complexes et presque shakespeariens.

Au sommet de sa gloire au milieu des années 80, il accepte de partir chez la concurrence DC Comics pour relancer la série Superman. Encore un succès. Pourtant c’est vers une maison d’édition plus modeste qu’il émigre ensuite en 1991 (Dark Horse, l’éditeur de Hellboy), transfert qui lui permet surtout d’avoir un contrôle éditorial absolu et de passer à quelque chose de plus mature. Le résultat se nomme Next Men, resté bizarrement non-traduit en France jusqu’à ce que la petite mais costaude maison indépendante Delirium au mauvais/bon goût (Creepy, Richard Corben, The Mask) décidément impeccable ne décide de réparer cette injustice.

© Delirium / John Byrne

Il y a six mois paraissait 2112, sorte de vrai-faux prologue, une histoire indépendante qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu pour comprendre la saga des Next Men. Elle a malgré tout permis de ‘poser’ l’univers qui en rappelle pas mal d’autres. Ce n’est pas d’ailleurs pas pour rien que le titre Next Men rappelle, forcément, celui des X-Men car on retrouve ici pas mal des thématiques déjà développées par Byrne dans la célèbre série. Notamment la difficulté à vivre sa différence ou à se faire accepter par une société que vous voulez aider mais qui a pourtant peur de vous. Le style graphique non plus n’a pas trop évolué et a désormais une patte très 80’s un peu datée, avec ses corps bodybuildés et ses expressions très figées. Limite, on pourrait même au début du récit se dire que le dessinateur radote, avec ce personnage de Scanner par exemple qui ressemble énormément à celui de Scott Summers (alias Cyclope des X-Men) ou ce pitch de départ où un savant fou financé par le gouvernement en secret travaille sur des cobayes humains aux mutations incontrôlables qui finissent par s’échapper.

Sauf qu’assez rapidement dans ce premier tome (trois sont prévus au total), Byrne montre qu’il a bien compris que le monde a évolué vers quelque chose de plus brut et plus violent et les comics avec lui. Â ce titre, la scène la plus révélatrice est celle où l’une des mutantes en passe d’être violée par des rednecks dans un bar mal famé éventre à la main ( !) l’un de ses agresseurs. Un geste aussi inattendu que très brutal pour le lecteur habitué au style finalement très policé des Quatre Fantastiques… 

© Delirium / John Byrne

Cette rupture de ton est assez révélatrice et est bientôt suivie par des scènes de sexe plus ou moins explicites (là aussi, une première pour l’auteur) ainsi que par des personnages de moins en moins manichéens. En gros, ici, personne n’est vraiment noir ni blanc et tout le monde a du sang sur les mains. Et surtout, des années avant Matrix et l’avènement d’internet, Byrne aborde ici pour la première fois la notion de monde virtuel, les héros ayant ‘grandi’ dans un monde imaginaire sous contrôle, sans savoir que pendant tout ce temps leurs corps aient maintenus en vie dans des caissons sous surveillance.

Les Next Men sont donc un peu les doubles maléfiques des X-Men, ce qu’ils auraient pu devenir si la maison Marvel n’avait alors pas été obsédée par le politiquement correct. Une œuvre qui met un peu de temps à démarrer mais qui se révèle avec le recul comme l’un des chaînons manquants, et donc indispensables, entre les comics des années 80 et ceux, plus moralement incorrects, des années 90.

Olivier Badin

Next Men de John Byrne. Delirium. 26€

05 Jan

Hey June : Fabcaro et Evemarie racontent 24 heures de la vie d’une trentenaire sur un air des Beatles

Peut-on rire de tout et surtout peut-on rire d’un rien ? Avec Fabcaro, oui. L’auteur de Zaï zaï zaï zaï est de retour en ce mois de janvier avec un nouvel album réalisé en compagnie de la dessinatrice Evemarie dans la collection Pataquès des éditions Delcourt. Et c’est tout bon pour les zygomatiques…

Certains en font des tonnes pour nous faire rire, lui non ! Pas de tartes à la crème chez Fabcaro, pas de gags clownesques tendance peaux de banane, non, plutôt un humour froid, décalé, à l’anglaise. Un humour tout en finesse qui a conquis les amoureux du neuvième art et pas seulement.

Zaï zaï zaï zaï, l’album qui lui a changé la vie, a été tiré à l’origine à 2500 exemplaires par l’éditeur indépendant 6 Pieds sous terre, avant de s’envoler et d’atteindre aujourd’hui des sommets avec près de 200 000 exemplaires vendus et des adaptations en cours ou à venir au théâtre et au cinéma.

Fort de ce succès, Fabcaro aurait pu se reposer sur ses lauriers mais l’homme n’est pas du genre à faire et refaire ce qu’on attend de lui. Tout en gardant un esprit indépendant même si aujourd’hui les grandes maisons d’édition se le disputent, Fabcaro multiplie les expériences en solo ou en duo, CONversations, avec Jorge Bernstein aux éditions Rouquemoute, Moins qu’hier (plus que demain) chez Glénat, Formica, une tragédie en trois actes aux éditions 6 pieds sous terre et aujourd’hui Hey June avec Evemarie au dessin chez Delcourt.

© Delcourt / Fabcaro & Evemarie

« Elle pourrait bien finir seule et aigrie avec un chat empaillé à regarder des documentaires sur les glaciers en Islande en buvant de la Suze »

Elle, c’est June, la trentaine, illustratrice de métier, un peu flemmarde, un peu fauchée, un peu railleuse, un peu sans filtre aussi, très indépendante et farouchement débordée par le quotidien. Enfin, débordée, débordée, pas tant que ça en fait. Hey June illustre justement 24 heures de sa vie, pas de quoi en faire un bouquin proclament les auteurs en dernière de couverture. Ils l’ont pourtant fait, et c’est tant mieux, on rit de bon coeur, on s’amuse du personnage qui n’est autre que l’alter égo de papier de la dessinatrice Evemarie, le tout avec un dessin très agréable et une bande originale de luxe, chaque page, chaque gag, ainsi que le titre de l’album, faisant référence à une chanson des Beatles. Jouissif !

Eric Guillaud

Hey June, de Fabcaro et Evemarie. Delcourt. 9,95€ (en librairie le 8 janvier)

© Delcourt / Fabcaro & Evemarie

03 Jan

Amertume apache, Joann Sfar et Christophe Blain relancent avec bonheur les aventures de Blueberry

Blueberry est un personnage culte de la bande dessinée francophone, un personnage qui a fait rêver plusieurs générations de lecteurs depuis son apparition il y a maintenant 57 ans dans les pages du journal Pilote grâce au génie de deux hommes aujourd’hui disparus : Jean Giraud et Jean-Michel Charlier. Mais c’est bien connu, les héros, les vrais, ne meurent jamais totalement. Celui-ci fait même un retour spectaculaire avec Joann Sfar au scénario et Christophe Blain au dessin…

Culte, tellement culte que certains pouvaient légitimement s’inquiéter de cette renaissance sous la plume et le pinceau de deux auteurs qui ne l’ont pas créé et ne l’ont même pas vu naître.

Mais Joann Sfar (Le Chat du rabbin, Petit Vampire…) et Christophe Blain (Isaac le pirate, Quai d’Orsay…) ne sont pas des perdreaux de l’année et s’ils ont accepté l’un et l’autre de reprendre les aventures de Blueberry, c’est avec la ferme intention de s’approprier le personnage sans pour autant le réinterpréter.

© Dargaud / Sfar & Blain

C’était une de leurs exigences : garder le cap de la série, retrouver le héros comme on l’a connu à la grande époque, développer un scénario et un dessin qui s’inscrivent dans la continuité, tout en y glissant leur petite touche personnelle.

« À aucun moment on n’a voulu faire un Blueberry à la façon de Sfar et de Blain… », expliquent les auteurs à nos confrères de BFM TV, « On a voulu faire un Blueberry premier degré. Il n’y ni distance, ni pastiche »

Et le résultat est là. Magistral ! Avec un côté sombre, mélancolique, que l’on retrouve jusque dans le titre de l’épisode, Amertume apache. Il faut dire que Blueberry n’est pas un héros comme les autres, il a même toutes les qualités et défauts du parfait anti-héros, mal coiffé, mal rasé, on le dit indiscipliné, frondeur, insolent, buveur…

© Dargaud / Sfar & Blain

Bien sûr, il y aura toujours quelques grincheux de service pour trouver à redire mais un sondage rapide auprès d’aficionados de la première heure conforte mon impression première, cette reprise est une vraie réussite !

Et l’histoire ? Amertume apache nous ramène à Fort Navajo où le meurtre de deux Indiennes par une bande de jeunes blancs membres d’une communauté religieuse fait craindre une nouvelle guerre. Après avoir tenté, sans succès, d’arrêter les meurtriers Blueberry part seul à la rencontre des Apaches…

Eric Guillaud

Une aventure du lieutenant Blueberry, Amertume Apache, de Sfar et Blain. Dargaud. 14,99€