08 Jan

Les Next-Men, les X-Men oubliés des années 90 pour la génération X

Après 2112, Delerium continue sa campagne de réhabilitation des œuvres ‘oubliées’ du dessinateur John Byrne en éditant pour la première fois en France la saga Next Men. Des mutants tous sauf gentils bien éloignés de leurs très sages cousins les X-Men.

John Byrne est une légende vivante du monde des comics. Un canadien qui a commencé timidement en bas de l’échelle chez Marvel mais qui a, ensuite, préfiguré dès la fin des années 70 la tournure plus ‘adulte’ qu’allait prendre le genre la décennie suivante. D’abord en prenant en main les X-Men puis Les Quatre Fantastiques pour transformer ces jadis héros un chouia caricaturaux en des personnages complexes et presque shakespeariens.

Au sommet de sa gloire au milieu des années 80, il accepte de partir chez la concurrence DC Comics pour relancer la série Superman. Encore un succès. Pourtant c’est vers une maison d’édition plus modeste qu’il émigre ensuite en 1991 (Dark Horse, l’éditeur de Hellboy), transfert qui lui permet surtout d’avoir un contrôle éditorial absolu et de passer à quelque chose de plus mature. Le résultat se nomme Next Men, resté bizarrement non-traduit en France jusqu’à ce que la petite mais costaude maison indépendante Delirium au mauvais/bon goût (Creepy, Richard Corben, The Mask) décidément impeccable ne décide de réparer cette injustice.

© Delirium / John Byrne

Il y a six mois paraissait 2112, sorte de vrai-faux prologue, une histoire indépendante qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu pour comprendre la saga des Next Men. Elle a malgré tout permis de ‘poser’ l’univers qui en rappelle pas mal d’autres. Ce n’est pas d’ailleurs pas pour rien que le titre Next Men rappelle, forcément, celui des X-Men car on retrouve ici pas mal des thématiques déjà développées par Byrne dans la célèbre série. Notamment la difficulté à vivre sa différence ou à se faire accepter par une société que vous voulez aider mais qui a pourtant peur de vous. Le style graphique non plus n’a pas trop évolué et a désormais une patte très 80’s un peu datée, avec ses corps bodybuildés et ses expressions très figées. Limite, on pourrait même au début du récit se dire que le dessinateur radote, avec ce personnage de Scanner par exemple qui ressemble énormément à celui de Scott Summers (alias Cyclope des X-Men) ou ce pitch de départ où un savant fou financé par le gouvernement en secret travaille sur des cobayes humains aux mutations incontrôlables qui finissent par s’échapper.

Sauf qu’assez rapidement dans ce premier tome (trois sont prévus au total), Byrne montre qu’il a bien compris que le monde a évolué vers quelque chose de plus brut et plus violent et les comics avec lui. Â ce titre, la scène la plus révélatrice est celle où l’une des mutantes en passe d’être violée par des rednecks dans un bar mal famé éventre à la main ( !) l’un de ses agresseurs. Un geste aussi inattendu que très brutal pour le lecteur habitué au style finalement très policé des Quatre Fantastiques… 

© Delirium / John Byrne

Cette rupture de ton est assez révélatrice et est bientôt suivie par des scènes de sexe plus ou moins explicites (là aussi, une première pour l’auteur) ainsi que par des personnages de moins en moins manichéens. En gros, ici, personne n’est vraiment noir ni blanc et tout le monde a du sang sur les mains. Et surtout, des années avant Matrix et l’avènement d’internet, Byrne aborde ici pour la première fois la notion de monde virtuel, les héros ayant ‘grandi’ dans un monde imaginaire sous contrôle, sans savoir que pendant tout ce temps leurs corps aient maintenus en vie dans des caissons sous surveillance.

Les Next Men sont donc un peu les doubles maléfiques des X-Men, ce qu’ils auraient pu devenir si la maison Marvel n’avait alors pas été obsédée par le politiquement correct. Une œuvre qui met un peu de temps à démarrer mais qui se révèle avec le recul comme l’un des chaînons manquants, et donc indispensables, entre les comics des années 80 et ceux, plus moralement incorrects, des années 90.

Olivier Badin

Next Men de John Byrne. Delirium. 26€