2020. Pour les plus de 50 ans, dont je fais partie, ça commence sacrément à sentir le futur au niveau du compteur. 2001 représentait déjà une sacrée odyssée, alors que dire de la décennie qui s’ouvre dans quelques heures? Tous les futurs sont possibles, en voici quelques-uns…
On commence avec Renaissance, série emmenée par Fred Duval, Frédéric Blanchard et Emem. Le deuxième volet sorti en septembre ne fait que confirmer tout le bien qu’on en pensait à la parution du premier en octobre 2018, Renaissance est LA série SF du moment. Rien de bien étonnant quand on connaît un minimum le pedigree des auteurs, tous biberonnés à la science-fiction depuis leur plus tendre enfance, le premier s’étant fait connaître comme le scénariste des séries Carmen Mc Callum, Travis ou encore Jour J, le second ayant traîné son œil de designer et de directeur de collection sur quantité de titres, enfin Emem ayant un temps repris le dessin de Carmen Mc Callum avant de se consacrer pleinement à Renaissance. Si le dessin est au top, le scénario n’est pas en reste, bien au contraire. Nous sommes en 2084, la Terre agonise, le réacteur nucléaire du Tricastin a explosé, la tour Eiffel a les pieds dans l’eau, les champs de pétrole texans sont bombardés par les Sécessionnistes, des épidémies de grippes ravagent la Chine, le Sahara a été déclaré zone invivable pour tout le monde, la Californie et l’Oregon sont en guerre… Bref, tout va mal, jusqu’au moment où une fédération de civilisations extraterrestres, Renaissance, beaucoup plus avancée et pacifique, décide d’intervenir et de sauver l’humanité. A moins que ce ne soit la planète. « L’un n’empêche pas l’autre, l’autre n’implique pas l’un! » nous rappelle la voix off au début du tome 2…(Renaissance tome 2, de Fred Duval, Frédéric Blanchard et Emem. Dargaud. 14€)
Préférence Système est l’un des meilleurs récits d’anticipation de l’année, l’un des meilleurs bouquins tout court. Ugo Bienvenu qui, dit-il, détestait la SF il y a encore cinq ans et dû s’y reprendre à huit fois pour arriver au bout de 2001, L’Odyssée de l’espace pour comprendre en quoi le film de Kubrick était un chef d’oeuvre (Les Cahiers de la BD n°9), nous plonge ici dans un univers qui pourrait bien ressembler à notre avenir proche, un monde littéralement noyé sous les données numériques, obligé de faire le ménage en permanence en supprimant d’un clic d’un seul des pans entiers de notre patrimoine culturel.
Et sur quel dossier le Bureau des Essentiels, chargé de gérer le stockage, doit-il présentement se pencher ? Je vous le donne en mille, ou plutôt en deux mille un. Oui, exactement, 2001, L’Odyssée de l’espace, le film mais aussi tout ce qui le concerne de près ou de loin, les photos de tournage, les articles de presse, les partitions de musique, les croquis de production, les storyboards, les citations… bref tout, jusqu’au nom, jusqu’à son souvenir, envoyés à la poubelle. Tout ça pour gagner 1100 go ! Ça peut faire peur… (Préférence Système, d’Ugo Bienvenu. Denoël Graphic. 23€)
La lutte de quelques individus pour exister dans une société ultra-technologique où l’humain a cédé le pas aux machines est l’une des thématiques les plus usées de la science-fiction. À ce titre-là, Flesh Empire ne se démarque donc franchement pas. Mais en fait, il assume carrément ses emprunts à droite et à gauche, que cela soit du côté cinématographique (Tron, Blade Runner) ou littéraire (un personnage qui se nomme Ray Zimov en forme de clin d’œil à l’auteur Isaac Azimov par exemple). Car peu importe le fond, c’est vraiment dans la forme qu’il se démarque.
Avec son noir et blanc ultra-contrasté et surtout ses formes géométriques à la fois limpides et complexes, chaque planche semble ici presque irréelle, presque mathématique. Certaines s’étalent parfois sur des double-pages hallucinantes, dans tous les sens du terme. Les gestes y sont comme figés et les hommes et les machines se confondent dans un seul et même jet. Un style qui résonne en fait avec ce monde peut-être pas si éloigné de nous qu’il décrit, cet univers du futur nommé ‘singularity’. Une sorte de super-conscience virtuelle y régente en dictateur toute la population et emmagasine, tel un disque dur géant, les personnalités de chaque individu pour ensuite mieux les réinjecter à l’infini dans de nouveaux corps, assurant ainsi leur immortalité. Mais aussi leur asservissement. Glacial et figé, véritable claque visuelle, ce récit cyberpunk pas si simpliste qu’il n’y paraît d’abord est unique. Une œuvre d’art à part entière à l’identité très singulière qui dépasse le simple cadre de la SF. (Flesh Empire de Yann Legendre. Casterman. 19€)
Initiée par le dessinateur Griffo et le scénariste Jean Van Hamme dans les années 80, S.O.S. Bonheur est une série de science-fiction sociale et politique naviguant dans un monde où le bonheur de chacun est garanti par l’Etat et régi par des lois qui empêchent finalement toute initiative personnelle, toute alternative individuelle. Santé, sécurité publique, emploi, sexe, vacances et même retraite…tout est sous contrôle, totalement verrouillé, au point de rendre ce monde totalement ubuesque et irrespirable. Après une prépublication dans les pages du magazine Spirou, S.O.S. Bonheur paraît en albums en 1988 et 1989, puis en intégrale en 2001. Il faut attendre 2017 pour qu’une suite soit imaginée, prenant la forme d’une nouvelle saison. Jean Van Hamme est remplacé au scénario par Stephen Desberg. Pour le reste, rien ne change fondamentalement, Griffo est toujours au dessin et les albums, le deuxième vient de sortir, retracent en une suite d’histoires courtes, les destins croisés d’hommes et de femmes confrontés à la toute-puissance d’un état despotique. (S.O.S. Bonheur, de Griffo et Desberg. Dupuis. 20,95€)
La carrière d’écrivain de Stefan Wul – alias Pierre Pairault, un dentiste ( !) parisien – a finalement été assez courte. Mais l’homme a malgré tout marqué de son empreinte la science-fiction française des années 50. Son œuvre est aujourd’hui de nouveau célébrée avec une nouvelle adaptation en bande dessinée, un gros morceau, l’ultime livre de Wul sorti en 1977 et baptisé Noô…
L’éditeur aime parler ici autant de ‘space opera’ que de ‘voyage initiatique’. ‘Space opera’ car le tout se passe de l’autre côté de l’univers, dans un monde où l’ultra-moderne se mélange à la nature la plus sauvage et où les hommes côtoient de drôles créatures évoquant des sortes d’oiseaux . Et ‘initiatique’ car tout tourne autour d’un jeune homme du nom de Brice. Arraché à la mort sur Terre par son père adoptif, il se retrouve, malgré lui, au plein cœur d’une rébellion qui l’oblige à fuir Grand’Croix, la capitale où il vivait, pour échapper aux forces gouvernementales lancées à sa poursuite.
L’intérêt de Noô est d’avoir permis la rencontre entre un dessinateur assez rôdé à la SF (Alexis Sentenac) et un auteur (Laurent Genefort) qui évoluait dans la même sphère mais, lui, en tant qu’auteur de romans et de nouvelles. C’est d’ailleurs sa première adaptation BD. Une relative inexpérience qui se ressent parfois dans le rythme général, des dialogues assez verbeux succédant parfois à des scènes plus graphiques sans trop crier gare, comme si en voulant rester le plus possible fidèle à l’esprit original du livre il avait tenu absolument à faire rentrer presque trop de choses dans ce premier volume.
En même temps, dans toute trilogie digne de ce nom, le rôle de celui qui ouvre le bal est de justement ‘poser le décor’ comme on dit et c’est ce que fait Soror. Et puis autant Sentenac semble, limite, manquer de place pour s’exprimer durant les (longues) phases de dialogues, autant lors des passages plus contemplatifs qui s’étalent parfois sur une pleine page, il donne alors toute l’ampleur de son talent. Un essai donc peut-être imparfait donc mais transfiguré par quelques moments de pure beauté et qui donne surtout envie de (re)découvrir Stefan Wul. (Noô, volume 1, de Laurent Genefort et Alexis Sentenac. Comix Buro/Glénat. 14,50€)
Dans un futur proche, la survie de l’humanité est sérieusement compromise par les bouleversements climatiques. L’air est devenu irrespirable, l’eau du robinet n’est plus potable, les derniers mammifères vivants, et bientôt les oiseaux, sont regroupés dans un conservatoire… Et plutôt que de changer ses habitudes, chacun se résigne à la prochaine disparition de la vie sur Terre. Jusqu’au jour où l’astrophysicienne Cécilia Bressler de l’agence spatiale européenne découvre une planète qui pourrait bien ressembler à la nôtre. Elle présente même des lueurs semblables à celles de nos villes. Le seul hic, c’est que cette planète, baptisée Gamma Cephei Bb, se trouve à 45 années-lumière… Tout le monde espère découvrir la première civilisation extraterrestre, événement qui pourrait provoU.C.C.quer le sursaut nécessaire à l’espèce humaine… De quoi nous faire réfléchir un peu plus sur notre comportement face aux enjeux écologiques actuels ! (Des milliards de miroirs, de Robin Cousin. FLBLB, 23€)
C’est l’un des best-sellers de la bande dessinée de science-fiction, 20 ans d’existence, 20 albums au compteur, des centaines de milliers d’exemplaires vendus dans plusieurs langues, des séries parallèles… et un vingtième album essentiel qui dévoile enfin les origines de Nävis, l’héroïne de la série, seule humaine à bord du Sillage, un gigantesque convoi multiracial explorant l’espace à la recherche de planètes à coloniser. Un graphisme sublime, des planches d’une beauté plastique exemplaire, une narration sans faille, une héroïne toujours aussi attachante… De la très très très bonne SF made in France. (Sillage tome 20, de Buchet et Morvan. Delcourt. 14,50€)
Didier Tarquin. Ce nom vous dit forcément quelques chose. C’est le dessinateur de l’une des séries phares de l’heroic fantasy en BD, Lanfeust de Troy. Il revient en auteur complet cette fois sur une aventure SF dont le premier volet est sorti au début de l’année 2019 et le second il y a un petit mois. U.C.C. Dolores, c’est son nom, a tout du western intergalactique et peut-être déjà tout d’un classique du genre. « Quand on parle de western en bande dessinée… », explique l’auteur, « il y a une oeuvre qui vient immédiatement à l’esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J’avais envie de retrouver ça, de faire quelques chose de très classique – de néo-classique, disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c’était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part ». Inutile de vous dire que le résultat est graphiquement sublime. Quand à l’histoire, celle d’une orpheline élevée dans un couvent qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un croiseur de guerre baptisé U.C.C. Dolores, on ne peut être que conquis ! Suite et fin au prochain tome. (U.C.C. Dolores tome 2, de Didier Tarquin et Lyse Tarquin. Glénat. 13,90€)
Eric Guillaud et Olivier Badin